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Accueil du site > Tribune Libre > Penser le « wokisme » (2) : Le postmodernisme dans l’Histoire. 60 (...)

Penser le « wokisme » (2) : Le postmodernisme dans l’Histoire. 60 – 70 Naissance

Nous nous attaquons maintenant aux conditions historiques qui ont permis à la pensée postmoderne de se développer. Nous découpons en trois articles, pour traiter deux décennies à chaque fois. Dans ce premier texte, nous voulons montrer comment l'élan progressiste des Trente Glorieuses a laissé croire que l'organisation économique n'était plus un problème majeur.

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Nous avons défini le postmodernisme comme critique radicale des Lumières et de la science moderne, dénuée de métaphysique et développée à partir d’études empiriques. Nous n’avons donné jusqu’à présent qu’une poignée d’auteurs pour donner un aperçu. Nous voulons maintenant reprendre le fil chronologique de l’Histoire du postmodernisme, et examiné les contextes généraux de son émergence et de ses différents moments. Comprenons bien : nous ne faisons pas l'Histoire du postmodernisme, mais nous analysons l'Histoire qui, autour du postmodernisme, fonde ses causes originelles, et lui donne, au fur et à mesure, ses directions particulières. À terme, cette chronologie nous permettra de donner une définition adéquate des conditions historiques postmodernes.

 

Racines

Il faut tout d’abord clore le débat dégénéré de savoir si ça vient de France ou des États-Unis. Il y a nettement deux racines, une dans le monde anglais, inspirée de l’empirisme radical et des études anthropologiques à l’anglaise, et une en France, inspirée au début presque exclusivement par les anti-hégéliens allemands, et un tout petit peu par la philosophie analytique1. Voyons d’abord le schéma global des années soixante et soixante-dix, période d’émergence.

On peut dire que c’est Michel Foucault qui ouvre le bal en 1961, avec la parution de l’Histoire de la Folie à l’Âge Classique. L’année suivante, on retient Thomas Kuhn, aux État-Unis avec La Structure des Révolutions Scientifiques. Dans les années qui suivent, la réflexion critique sociologique sur les sciences se développe dans les milieux universitaires américains, notamment sous le nom de Sciences Studies. En 1967, en France, Jacques Derrida publie De la Grammatologie. À partir des années soixante-dix, Gilles Deleuze2 se fait connaître avec L’Anti-Œdipe, et Mille Plateaux, et Jean Baudrillard, avec La Société de Consommation. Dans le courant de la décennie, l’importation sur le sol américain des travaux français, apporte, sous le nom de French Theory, une matière conceptuelle à la sociologie critique, et permet l’émergence des Cultural Studies. Les « Études empiriques » de type anglo-saxonne deviennent une forme type de production écrite de la pensée postmoderne : l’idée est que l’on n’y fonde pas de « théorie », que l’on n’y produit pas un traité, mais que l’on étudie simplement la question à partir de données empiriques. En 1978, Edward Saïd publie L’Orientalisme qui ouvre la voie aux Post-Colonial Studies. Parallèlement, des personnalités comme Noam Chomsky popularisent, dans les milieux étudiants, la critique post-moderne. Enfin, en 1979, l’essai de Jean-François LyotardLa condition post-moderne, opère une sorte de synthèse des questions scientifiques qui ont fait émerger la pensée postmoderne, et popularise l’appellation dans les milieux intellos.

 

Économie keynésienne

Quel est le contexte des années soixante, et soixante-dix ? Pour l’établir, il faut, comme toujours, reculer un peu. La seconde guerre mondiale s’est terminée en 45, avec la victoire de l’Occident libéral et du Communisme autoritaire sur les régimes fascistes. Dans les années cinquante, la reconstruction combinée à des systèmes économiques – à peu près – keynésiens a permis une élévation du niveau de vie général et du progrès technologique assez rapide dans les pays occidentaux.

Lorsque les premiers écrits post-modernes paraissent, la France commence à ressentir les bénéfices des acquis du Conseil National de la Résistance. Le système général demeure capitaliste, mais les structures politiques tendent à réduire les inégalités. Disons-le avec un peu d’ironie : avec l’aide de l’État, le libéralisme parvient à produire, pour la seule fois de son Histoire, une forme de ruissellement. Et puis, les témoignages qui viennent des pays soviétiques sont accablants : les tentatives pour donner un régime communiste à un peuple expriment toutes des formes d’autoritarismes violents qu’on ne rencontre pas dans les démocraties libérales. Et ceux qui, en Occident, défendent les régimes communistes, sont souvent un peu bornés, sectaires, et n’ont pas beaucoup d’effets de nuances sur les images négatives de ces régimes. Le compromis à la Keynes apparaît finalement comme la meilleure solution.

Ceci est important à saisir, car une des plus grandes, si ce n’est la plus grande critique que l’on fait au postmodernisme est d’être une pensée bourgeoise, et d’être à peu près indifférent à la question économique. Si l’on garde en tête que le contexte économique de la naissance du mouvement correspond à une amélioration générale du niveau de vie sans précédent, la critique se dépouille de son intensité émotionnelle, et se rationalise. Oui, c’est vrai : le postmodernisme se fonde sur une base politique qui ne fait pas de la question économique son centre névralgique, contrairement au socialisme et au libéralisme. Mais c’était là un pari tout à fait sensé : les deux modèles avaient montré à quels points leurs prétentions ne correspondaient pas à leurs exactions. Au vu des avancées technologiques extraordinaires du dernier siècle, et du confort qui en résultait, il était tout à fait légitime, pour Foucault, comme pour Derrida, de croire que la question proprement économique était en phase de résolution, et que ce qui bloquait encore la progression de l’Humanité tenait à des problèmes externes aux soucis d’argent.

 

Mœurs

Aussi, il faut dire qu’au début des années soixante, les mœurs sont encore très imprégnées du moralisme chrétien, et que la misogynie, le racisme, a fortiori l’homophobie, la transphobie sont encore tout à fait courants, même si la France passe, à l’époque, pour moins pire que d’autres3. Alors que la vie de bohème, la vie de « peu de souci économique », devient accessible à de plus en plus de jeunes, il est encore très difficile de s’intégrer quand on est noir, de ne pas être un modèle féminin quand on est femme, l’homosexualité est encore pensée comme un délit, etc. Dans le contexte de Guerre Froide, qui fait dire à tous les abrutis de la presse que la grande question de l’homme est économique, il y a du sens à vouloir sortir de cette logique.

Aux États-Unis, la situation est, dans les années soixante, encore plus coincée dans ce paradoxe d’une augmentation générale du niveau de vie économique et des discriminations systémiques. Le pays, passé, au dix-neuvième siècle, en tête de l’évolution moderniste de l’Occident, a lancé sa réforme keynésienne à partir de 1934, il n’a pas connu les destructions de la Seconde Guerre Mondiale, il accueille les cerveaux en fuite et se trouve à la pointe de l’innovation technique et de l’industrie. Mais la ségrégation est encore une institution légale jusqu’en 1968, et l’homosexualité un crime dans tous le pays, à l’exception de l’Illinois qui décriminalise en 1962. Si la France a souvent bafoué sa valeur d’égalité, les États-Unis n’en ont même pas fait une valeur.

 

Civil Rights Movement, Mai 68

D’un point de vue général, le mouvement des Civils Rights, qui lutte contre la ségrégation et le racisme prégnant de la société américaine, reste plus proche des valeurs modernes que de la logique post-moderne. Les prêches du Pasteur Martin Luther King, connus comme modèles de lutte non-violente, sont tout à fait dans l’esprit de la pensée moderne : protestant, prônant l’égalité, la désobéissance civile. Les Blacks Panthers Party for Self-Defense revendiquent les Droits de l’Homme. Le parcours intellectuel de Malcolm X suit le chemin de l’universalisme. Mais c’est aussi au cours du mouvement des Civils Rights que se forme un réseau de logiques et de pratiques qui va rejoindre progressivement la pensée post-moderne. La réunion non mixte, notamment, qui a toujours existé, est pensée, dans le cadre du mouvement, selon une logique qui rejoint celle des Studies. L’idée est que, dans un monde où la valeur d’égalité est prônée mais bafouée, les victimes de ce reniement n’ont d’autres solutions que de créer des sanctuaires au sein desquels elles peuvent se sentir libres de s’exprimer, penser, théoriser et trouver des moyens de sortir de leur condition commune. L’exclusion de tout élément n’étant pas en condition de la discrimination se comprend dans la mesure où sa simple présence provoque une auto-censure chez les membres les plus fragiles du groupe.

Aussi, nous l’avons évoqué dans l’article précédent, la pratique militante du mouvement à long terme, animée par une volonté claire de théorisation, permet de mettre en lumière ses problèmes internes, notamment sexistes. Malgré le womanism prôné par les Black Panthers, un malaise se développe autour de la place laissée aux femmes au sein du mouvement, et il en émerge le Black Feminism. Cette « autonomisation » d’une lutte au sein d’une autre apparaît clairement comme un évènement de type postmoderne.

Il est aussi intéressant de voir qu’une partie de la pensée postmoderne s’est en partie construite sur le terrain de l’action militante politique. Nous l’avons dit, le postmodernisme se voit reprocher d’être bourgeois, mais si on considère que le mouvement des droits civiques aux États-Unis constitue une racine de cette pensée, nous sommes obligés de contester cette assertion. Les BP et le BF sont des mouvements essentiellement populaires, pratiquement anti-bourgeois. Et s’ils partent sur des fondations universalistes et donc modernes, ils sont des vecteurs essentiels du passage à la phase historique postmoderne.

Pour autant, cette transformation des luttes américaines du modernisme classique à une logique postmoderne nécessite une analyse dans le détail. Le déclin de ces mouvements à partir des années quatre-vingt, ainsi que l’émergence d’une nouvelle forme de racisme, de gauche, beaucoup plus pernicieux, sont concomitants d’un embourgeoisement de la lutte antiraciste. Une question va se poser : la transformation post-moderne a-t-elle favorisé une récupération bourgeoise de la rhétorique des luttes ? Nous allons le voir, la révolution conservatrice des années quatre-vingt, puis les années Clinton ont su parfaitement neutraliser le développement des luttes de gauche, en utilisant une partie de la logique postmoderne.

En France, le débat sur le bilan de soixante-huit est aujourd’hui à peu près clairement exposé. Révolution manquée qui faillit renverser l’Histoire, mais événement si général et hétéroclite que ses effets sont encore loin d’être terminés. Parti d’un mouvement d’étudiants très radicalisés, soutenu très tôt par les factions d’extrême gauche, puis rejoint par la masse estudiantine, et enfin par les travailleurs du pays, 68 s’est soldé par la victoire de la droite aux élections de 69, mais a amorcé un processus de déconstruction des mœurs de l’Ancien Régime. Il est l’évènement historique qui correspond aux attaques intellectuelles des premiers postmodernes.

Nous n’entrerons pas dans les détails et nous renvoyons lectrices et lecteurs à la foule de textes sur le sujet des mouvements de 68. Pour le présent texte, nous voulons surtout insister sur le fait que ses acquis ont porté principalement sur les mœurs, et qu’elle a, de ce fait, permis à la classe bourgeoise de sortir de sa sclérose sociale. À partir des années soixante-dix, une nouvelle petite bourgeoisie de gauche va amener une partie de la bourgeoisie de droite à adopter des mœurs plus cool, à être moins raciste, moins sexiste, moins homophobe… Comme dans le mouvement des luttes antiracistes aux États-Unis, la mise à l’écart de la question économique va permettre à la bourgeoisie de se construire une apparence postmoderne.

 

Contre-culture

Aux États-Unis, les années soixante et soixante-dix sont aussi celles de la contre-culture, avec le rock’n’roll, les beatniks, les hippies, les mods, les rastas, mais aussi les mouvements étudiants contre la guerre, la libération des mœurs. La logique de la contre-culture rejoint clairement celle du post-modernisme : elle s’oppose à une culture dominante qui se prétend être la seule valable, comme la pensée post-moderne s’oppose à la prétention universaliste des valeurs modernes. De la même façon qu’il y a toujours eu des « réunions non-mixtes », il y a toujours eu des folklores locaux au sein des pays où régnait une culture dominante. Simplement, la contre-culture des années soixante connaît une théorisation particulière qui rejoint le post-modernisme naissant, comme les réunions non-mixtes dans le cadre du mouvement des Civils Rights, ou féministes.

On peut situer ses origines avec le folklore des esclaves des plantations et celui des ouvriers blancs, agricoles ou industriels, souvent d’origine irlandaise, autrement dit du blues des premiers temps et de la Protest Song. Dans les années quarante, on appelle hipsters les musiciens noirs américains « cools », qui fument du shit, portent des costumes larges et ont une sexualité libre. Leur optique n’est pas politique, mais ils ont une conscience de leur condition – ils sont wokes. Dans les années cinquante, le mouvement littéraire de la Beat Génération4 donne une conscience à la logique de la contre-culture, et par cela, donne le ton pour les mouvements des années à venir. Dans les années soixante, la contre-culture explose. La progression multidirectionnelle du rock semble exprimer une liberté qui se prend au fur et à mesure qu’elle se désire. Dans le cadre de la guerre au Vietnam, que le pouvoir justifie en prétendant défendre la liberté contre les communistes, la contre-culture propose une pensée alternative de la liberté, basée sur la libération des mœurs, le pacifisme, et les plaisirs comme la drogue, le sexe et le rock’n’roll.

Mais on le sait, le capitalisme est en embuscade et récupère tout ce qu’il peut, tout en apprenant à s’adapter aux nouvelles aspirations de la jeunesse. On ne le dit jamais assez, mais Elvis, qui chantait la vie cool, était pratiquement l’esclave de son producteur. Hendrix donnait des concerts pratiquement tous les soirs pour payer sa dette5La plupart des stars venues des classes populaires ont été exploitées, vampirisées jusqu’à la moelle, tandis que les autres ont eu tendance à devenir des libertariens. Dans les années soixante-dix, la question de l’argent pollue déjà les scènes alternatives. Chaque nouveau mouvement qui apparaît semble exprimer une scission plus radicale que la précédente, mais chaque fois, la récupération fonctionne. Le style du punk est assez paradigmatique de ce phénomène. Dans les années quatre-vingt, le rap connaîtra le même sort.

Si le mouvement de la contre-culture est d’origine populaire, le capitalisme a su mettre au point des dispositifs pour en tirer les plus gros bénéfices. Dans le contexte de l’industrie du cinéma, l’Histoire du « Nouvel Hollywood » est tout à fait significative de ce phénomène. Rappelons les enjeux. En proie à une baisse générale des audiences dans les années soixante, les industries du cinéma permettent progressivement aux cinéastes de plus grandes libertés, constatant alors que cela fait revenir le public. Les codes du cinéma se voient ainsi renouvelés et drastiquement élargis. Les œuvres caractéristiques de ce mouvement sont aujourd’hui des classiques : Bonnie and ClydeEasy RiderLe LauréatMASH… Coppola, Scorcese, Altman sont considérés comme ses réalisateurs ultimes. Si ces films, forts bons au demeurant, provoquent des polémiques, et passent pour des films contestataires, ils ne subissent aucune censure, et surtout, ils rapportent beaucoup d’argent à leurs financiers. De fait, le Nouvel Hollywood est une opération commerciale, au cours de laquelle, d’ailleurs, la stratégie du blockbuster est mise au point. Il produit certes de bons films, élargit la vision et la compréhension de l’art cinématographique, et bouscule même indirectement les mœurs, mais il est entièrement orchestré par le capital. Toujours en amont des décisions, les financiers ne donnent leur aval aux fantaisies des réalisateurs que parce qu’ils savent que cela amène un public qui veut, plus qu’avant, de la nouveauté. À sa suite, la génération de Steven Spielberg et de Georges Lucas perfectionneront ce système du divertissement « ingénieux et rentable ».

 

La question de l’éducation

Pour clore cette brève description économique et sociale des années soixante et soixante-dix, nous devons dire un mot sur l’évolution de l’éducation scolaire et universitaire. Depuis l’invention de l’imprimerie, la population occidentale a connu une croissance permanente, et de plus en plus rapide, de son alphabétisation, puis de sa fréquentation du collège, du lycée, et enfin des études supérieures. Dans cet envol de « l’éducation », les États-Unis font la course en tête. Dans les années soixante, la part de la population en études supérieures ou ayant fait des études atteint le taux de trente pour cent, puis se met à stagner. Nous avons parlé, dans un article sur Emmanuel Todd, de ce phénomène de stagnation éducative, en nous concentrant sur les causes, que nous avons localisé dans les trois récessions économiques de la décennie qui a précédé la stagnation : l’argent qui a amorti les récessions est celui qui aurait dû perpétuer la croissance de « l’éducation supérieure ».

Laissons de côté le débat des causes, et allons aux conséquences. L’anthropologue a, dans ses divers travaux, conférences, et interventions médiatiques, longuement décrit le mécanisme de cet arrêt de la croissance universitaire, et ses différentes conséquences sur les sociétés américaines et européennes, en particulier française. La stagnation éducative a produit, dans les décennies suivantes, une nouvelle stratification sociale, fondée sur le niveau éducatif. Pour dire la chose concrètement, et plus encore que Todd : à revenu égal, une personne qui a plus de diplômes vit mieux qu’une personne sans. Plus adaptée au système, elle bénéficie généralement d’un réseau d’amis (et donc d’entraide) d’un niveau social plus élevé, elle a plus de chance d’être embauchée dans des métiers moins fatigants, etc. Aussi, le taux de trente pour cent est un taux bâtard, c’est-à-dire qu’il n’est pas assez grand pour parler de majorité, mais il l’est suffisamment pour que ceux qui produisent des ouvrages intellectuels puissent faire grand succès, tout en se passant de lecteurs des classes populaires.

Historiquement, la stratification éducative apparaît aux États-Unis dans la seconde moitié des années soixante avec la question de la guerre au Vietnam. Alors que les jeunes prolétaires partent en Asie pour défendre la liberté, les étudiants s’engagent contre la guerre, et organisent des manifestations. Todd note, pour la France, le traité de Maastricht, en 1992, comme l’évènement révélateur, bien que des signes soient apparus auparavant. Nous pouvons déjà retenir le mouvement social de 1986, initié par les étudiants, et méprisé par les cheminots, puis abandonné par les étudiants au moment même où les cheminots étaient en train de les rejoindre – sorte de 68 dyslexique… Seulement en 1984, le bond des adhésions au Front National à la suite de la célèbre émission L’Heure de Vérité, montre que la déception populaire à l’égard des intellectuels est déjà forte. Todd situe la stagnation plutôt dans le milieu de la décennie 80, mais il semble que l’effet social de stratification ait commencé avant. La manie d’imiter l’Amérique, bien sûr, mais aussi certainement la chute du bloc soviétique et l’élection de Mitterrand.

Comprenons le problème. Si la classe intellectuelle n’a plus besoin des classes populaires pour faire succès, alors elle peut se désintéresser d’elles. Pire encore, elle peut dire n’importe quoi sur elles si elle trouve, au sein de sa propre classe, assez de gens pour croire que c’est vrai. Sans aller jusque là, il faut reconnaître que la perte du critère populaire est très problématique. Dans cette perspective, analysons un peu plus. Un point, notamment, est important.

La classe intellectuelle est une classe hybride, qui se fabrique à partir de l’école républicaine, gratuite, ouverte à tous, et dont une partie est issue des classes populaires. En passant des diplômes, les étudiants modestes peuvent accéder à la bourgeoisie. À l’Université, d’ailleurs, ils fréquentent plus d’enfants de bourgeois que d’enfants de prolétaires, et pour cela, ils s’embourgeoisent quelque peu. Je le dis de témoignage personnel : alors que l’on vivait dans un taudis hors norme avec mon père, la bourse sur critères sociaux que j’avais, à l’échelon maximal, me donnait un pouvoir d’achat supérieur à plusieurs de mes fréquentations. Dans ce contexte, la question qui se pose est : dans quelles mesures l’étudiant modeste s’embourgeoise-t-il ? Si ses diplômes lui donnent accès à des métiers intéressants, comme directeur de recherche, doit-on pour autant penser que sa mentalité s’est éloignée des problématiques des prolétaires ? Il augmente son niveau de revenu, et donc son niveau social, mais il n’est pas impossible qu’il ait gardé au cœur la misère populaire. Pour autant, pour se faire une place dans le milieu académique, il faut qu’il s’adapte aux mentalités qui l’accueillent, et dans ses compromis, il peut être amené à la compromission, puis finalement au retournement de veste.

La réponse à ces questions est évolutive. Si l’ascenseur social par l’école a d’abord contraint la classe intellectuelle à s’intéresser davantage aux classes populaires, l’apogée de la part de population ayant fait des études supérieures au taux de trente pour cent a petit à petit renversé la balance, et l’ascenseur social par les études est devenu progressivement un petit-embourgeoisement général. Pour ma part, arrivé au bout en 2007, j’étais très mal à l’aise à l’idée de trouver le moyen de m’insérer dans le milieu des chercheurs en philosophie, et j’ai préféré aller bosser. Je ne dis pas que tout chercheur issu des classes populaires s’est embourgeoisé, mais qu’il a dû adapter ses thématiques de recherche à la bourgeoisie intellectuelle, et que cette dernière s’est désintéressée des questions de politique économique.

 

Synthèse

Nous pouvons dire que la pensée post-moderne a émergé dans un contexte de décalage global entre une prospérité économique keynésienne et des mœurs encore pleines des logiques de l’Ancien Régime. Le discours officiel, encore très fidèle aux idéaux proposés par les Lumières et les révolutions démocratiques occidentales, ne pouvait alors plus apparaître que comme un leurre, un fantôme, un Spectacle, pour qui interrogeait un tant soit peu le réel. Et contre ce discours, la pensée marxiste, opposante traditionnelle de la domination, semblait tomber dans les mêmes travers, à croire ce que l’on pouvait voir de la société soviétique. Elle semblait même faire pire, en prétendant dépasser le capitalisme par le goulag.

Contre les risques mêmes des beaux discours, la logique post-moderne s’est en partie développée dans des pratiques militantes, dans l’art, dans l’expérimentation sociale. Elle a accompagné la révolution éducative qui a vu bondir le nombre d’étudiant dans le supérieur. Mais elle a aussi précipité malgré elle les luttes militantes dans la récupération bourgeoise.

 

 

1 La question des pensées qui précèdent et tendent vers le post-modernisme est un long débat que nous choisissons de ne pas ouvrir ici.

2 Nous l’avons dit dans l’article précédent, nous traiterons du cas particulier du métaphysicien Deleuze plus tard.

3 Pour exemple significatif, je cite ce témoignage du couple Gréco-Davis, qui trouvait que le regard porté sur un couple mixte était beaucoup plus violent aux États-Unis.

4 La Beat Generation est la fille de la Lost Generation (Hemingway, Steinbeck), et précède la génération des livres sur la drogue (Selby Jr, Welsh), que j’appelle généralement la Drug Generation. Ce fil généalogique de la littérature anglo-américaine coup de poing a fini sur la commerciale Brat Pack (Ellis, McInerney)

5 N’importe quelle biographie sérieuse raconte cette histoire, mais je conseille toujours la bande dessinée sublime, publiée chez Delcourt, La légende du Voodoo Child (2004).


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51 réactions à cet article    


  • Lynwec 21 octobre 2022 09:20

    Associer « penser » et « wokisme » m’a immédiatement retiré l’envie de lire l’article, le wokisme étant, comme les autodafés sur la littérature détestée, antinomique avec le principe même de « penser »...

    Le choix d’un titre, comme tout choix, a des conséquences...

    Ici, celle d’être ignoré...


    • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 21 octobre 2022 10:56

      @Lynwec
       
       Dans sa présentation, l’auteur écrit : « Je propose un cycle de réflexions sur ce l’on appelle le « wokisme », autrement dit, le postmodernisme  »
       
      Voir : Le wokisme ou la gauche post-moderne face à son ultime contradiction 
      Il y est dit que la wokerie n’a aucune limite. En est-il de même du post-modernisme ? 
       
      L’auteur du texte signalé conclut par ces mots :

      « Finalement (le wokisme) n’est rien de plus qu’une branche du postmodernisme qui a de grosses tendances totalitaire et qui serait prêt à toutes les bassesses pour forcer leur vision du monde sur autrui si elle en avait le pouvoir. Après avoir lu 1984, les élèves ont dépassé le maître ! »




    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 21 octobre 2022 09:27

      On oublie Marcuse.... L’article ne prend pas assez en compte l’inconscient collectif. Et l’inconscient collectif fonctionne un peu comme les vases communiquants ou le Pendule de Foucault. Un mouvement entraîne Ipso facto sa tendance inverse. Car sur le fond, l’humain pour survivre, recherche toujours une forme d’équlibre. Le chaos prépare l’ordre. La fraternité, la haine et le rejet de l’autre. La liberté, la recherche de chaînes. Le blanc attire le noir etc. Les peintres connaissent parfaitement cette « cohérence » qui vu de l’extérieur peut paraître « folle ». Quand on saisi le mouvement on s’y prépare très à l’avance.... Règle numéro UN : prendre du recul...


      • Nick Corey 21 octobre 2022 11:33

        @Mélusine ou la Robe de Saphir.
        Bonjour et merci de votre retour.
        Pour vous répondre sur la prise en compte de l’inconscient collectif.
        J’avoue que je n’utilise pas cette expression, parce que c’est du vocabulaire spécifique et que les écoles sont probablement plus partagées sur cette notion que sur celle de l’inconscient tout court. Il faudrait que je la définisse précisément avant de l’utiliser et ça rallongerait de 2 000 caractères d’un coup (comme si mes articles n’étaient pas déjà beaucoup trop longs).
        Mais si on pense à l’expression courante « inconscient collectif », je ne parle que de ça, en fait. Mon idée est de dire que le postmodernisme n’est pas un mouvement aussi maîtrisé qu’ont pu l’être le communisme, le libéralisme, le royalisme, etc... Et qu’il faut même le considérer comme le caractère fondamental de notre période plus encore que comme un mouvement de pensée  on pourrait dire alors le trait caractéristique de l’inconscient collectif actuel


      • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 21 octobre 2022 11:44

        @Nick Corey prenons le royalisme. Les têtes tombèrent pour être remplacées par l’oligarchisme. Ou Rois de la finance. Qui se réunissent sous un seul titre : LES ROTHSCHILD) J’oublie le petit « de ». Publication de Nadine de Rothschild : 

        • La baronne rentre à cinq heures (avec la collaboration de Guillemette de Sairigné), Paris : Jean-Claude Lattès, 1984. 255 p. + 16 f. de planches.

      • Clark Kent Clark Kent 21 octobre 2022 09:36

        Pour Gilles Lipovetsky qui en a développé le concept, la postmodernité a fait place depuis les années 80/90 à l’hypermodernité, conséquence de la dérégulation socio-économique, sanitaire et environnementale. L’hédonisme égoïste postmodernes s’est retrouvé dans une impasse. Les slogans déclinés autour de « l’épanouissement de soi » sont obsolètes et remplacés par l’obsession de soi (crainte de la maladie, de l’âge...).

        Cf : " Les Temps hypermodernes"


        • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 21 octobre 2022 09:45

          @Clark Kent
           C’est ainsi que l’hédonime tant vanté par Michel Onfray, l’a fait aller totalement dans le sens inverse en approuvant presque Zemmour.. qui préconisat le retour à un enseignement à l’ancienne. Respect de l’autorité, .....


        • Clark Kent Clark Kent 21 octobre 2022 10:07

          @Mélusine ou la Robe de Saphir.

          Michel Onfray a toujours eu un train de retard
          l’hédonisme, c’était l’american way of life du néolibéralisme
          mais la pyramide de Ponzi est arrivée à échéance avec le système des subprimes : les clients des usuriers ne peuvent plus les payer
          pour justifier l’appauvrissement consécutif, l’idéologie de la « jouissance sans entraves » a fait place à la peur du lendemain imposée aux victimes elles-mêmes : réchauffisme, pandémies, hypertrophies des conflits locaux en guerre mondiale...
          le contrôle social ne peut plus être assuré par le gavage des consommateurs béats, alors on revient à la répression sous des formes modernes : mes milices sont remplacées par le QRcode
          cet été de léthargie va peut-être empêcher une hécatombe et un bouleversement social, mais il ne ramènera pas aux escrocs baquiers de quoi réamorcer la pompe à phynances 


        • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 21 octobre 2022 10:10

          @Clark Kent C’est ce que j’explique. C’était prévible. Michel Onfray s’inspirait surtout d’Epicure (Carpe Diem). 


        • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 21 octobre 2022 10:25

          @Clark Kent
           bonjour, comment va Thérèse ?
           
          ’’cet été de léthargie va peut-être empêcher une hécatombe et un bouleversement social, mais il ne ramènera pas aux escrocs banquiers de quoi réamorcer la pompe à phynances ’’
           
          La pompe-à-phynances.2 c’est la monnaie numérique, non ?


        • Clark Kent Clark Kent 21 octobre 2022 10:41

          @Mélusine ou la Robe de Saphir.

          L’hédonisme n’est pas l’épicurisme. La différence entre les deux est le rapport au plaisir :

          - pour Épicure, l’homme doit maîtriser ses plaisirs, en ne consentant qu’aux plaisirs naturels et nécessaires (besoins vitaux), une doctrine en fait assez proche du stoïcisme alors qu’elle est souvent présentée comme son opposé. Les deux écoles sont rassemblées par le terme d’« eudémonisme » qui considère cette la recherche du bonheur, plutôt que de plaisirs, comme but de la vie humaine. (un plaisir excessif actuel doit être évité s’il conduit à une douleur future).

          - pour les hédonistes, l’homme doit maximiser ses plaisirs, quels qu’ils soient. (le plaisir est toujours le but présent de l’action, même si cette fin est relativisée et se modifie dans le temps.


        • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 21 octobre 2022 11:01

          @Clark Kent Ouin merci pour les précisions. Le but de l’homme est généralement d’éviter les « déplaisir ». Mais cette notion est très complexe.... On peut désirer par exemple acheter un objet, mais en même temps en contrepoids s’ajoute le déplaisir de « vider son compte en banque ».. Les personnes qui ne sont pas dans le réel, le fuie (exemple par les drogues diverses) vivent un plaisir irréel qui souvent mène à la catastrophe. Dans les états dit « maniaques » (voir film : Amélie Poulain) ont peut avoir le sentiment de planer. Romain Rolland a bien évoqué ce phénomène d’élation narcissique. Qui permet de passer un cap douloureux (comme un deuil), mais est toujours de très courte durée. et on constate aussi l’effet inverse : une période de dépression, de vague à l’âme (que l’on appelle parfois : la nuit noire de l’âme) peut au contraire est suivie d’une forme de ré-enchantement de la vie.. Certes toujours de courte durée.... Cent fois sur le métier...  


        • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 21 octobre 2022 11:15

          Raison pour laquelle, il ne faut pas totalement désespérer non plus. Si la période actuelle nous plonge dans le noir, la dépression et le manque d’espoir, c’est aussi qu’une force contraire déjà se prépare et veut percer. Car derrière THANATOS, veille toujour EROS. Raison pour laquelle on dit de saturne (la dépression) peut se montrer très généreux avec ceux qui acceptent ses épreuves (ou les épreuves) de la vie.... 


        • Clark Kent Clark Kent 21 octobre 2022 11:30

          @Francis, agnotologue

          « La pompe-à-phynances.2 c’est la monnaie numérique, non ? »

          La monnaie numérique, c’est comme les assignats.

          Ce n’est pas en accélérant la rotation du liquide pompé qu’on redonne de l’eau à une source tarie.

          Jusque là, les nouveau emprunteurs servaient à payer les intérêts aux créanciers par le biais des banques qui prenaient leurs commission au passage et prêtaient de l’argent qu’elles n’avaient pas, comme les faisaient leurs ancêtres, les « changeurs » lombards de la renaissance italienne.

          Ce système suppose la conquête permanente de nouveaux demandeurs de prêts (ce qu’ils appellent « croissance »).

          Quand tous les gogos ont été rackettés, le système s’étouffe.

          Ce qui a permis à ce système de durer aussi longtemps, c’est ce qu’ils ont appelé la « mondialisation » qui a consisté à transférer les charges des producteurs de richesses dans des territoires à plus fort « rendement » (salaires moins élevés) et à endetter ces nouveaux consommateurs par de la spéculation immobilière.

          C’est ce qui s’est passé entre la Chine et les États-Unis depuis une trentaine d’années, et ce système est en train de s’écrouler, parce que les victimes chinoises de cette arnaque mondiale veulent se faire rembourser par des banques en faillite. La stratégie « zéro covid » ne contrôlera pas éternellement la pression de la cocotte minute, mais surtout, les fonds de pension américains seront sur la paille et ne pourront plus payer les retraites (d’où le recul de l’âge de la retraite). Mais les rustines ne permettent pas à une chambre de plus en plus poreuse de revenir à l’état neuf. Il faut en changer.


        • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 21 octobre 2022 11:35

          @Clark Kent Ce qui signe la fin de la mondialisation qui n’était q’un mirage. Et le retour au réel : la patrie... qui ré-instaure le REEL : toutes les cultures sont différentes...


        • Nick Corey 21 octobre 2022 11:47

          @Clark Kent
          Oui Oui Oui !
          Je bosse sur Lipovetsky entre autres. Beaucoup de choses intéressantes et beaucoup de critiques à faire également. J’en parlerai à l’occasion d’une analyse de la notion de condition historique postmoderne.
          Pour ce qui concerne le préfixe à mettre devant « moderne », je considère que c’est une querelle sans intérêt et que Lipo est un peu commerçant sur ce point, même si sa justification pour « hyper » est tout à fait juste. Si je défends l’expression postmoderne, et depuis toujours, c’est pour la même raison que je défends « wokisme » ou « bobo » : c’est l’expression générale que tout le monde comprend. D’accord, « postmoderne » n’est pas un terme utilisé sur Tiktok, mais il est plus récurrent que les autres  architecture, art, philo, etc... 
          Aussi, d’un point de vue plus scientifique, ma démarche se situe dans l’Histoire des idées (post est un rapport temporel), et non dans l’analyse sociologique (hyper est un terme quantitatif qui ne situe pas dans le temps).
          Je traiterai aussi la question de l’intensité dans mon texte sur la condition historique. Pour ma part, je suis plus proche de Hartmut Rosa que de Lipo.


        • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 21 octobre 2022 12:01

          @Clark Kent
           
           ’’La monnaie numérique, c’est comme les assignats.’’
           
          La monnaie numérique est aux assignats ce qu’un Iphone est aux castagnettes.


        • Clark Kent Clark Kent 21 octobre 2022 12:46

          @Francis, agnotologue

          bien vu
          suaf que les castagnettes sont des percussion et que l’iPhone a un clavier
          alors, ce serait plutôt le descendant du clavecin ...


        • sylvain sylvain 21 octobre 2022 14:50

          @Francis, agnotologue
          il y a tout de même des différences importantes entre les assignats, l’argent dette et les systèmes de cryptomonnaies .
          La principale différence entre les assignats et l’argent dette (numérique ou pas, ça ne change pas grand chose), c’est qu’avec les assignats, quand la république émet de l’argent ( des assignats) c’est la république qui se crée une dette correspondant a l’argent qu’elle émet, or elle est la seule a avoir le pouvoir de se contraindre a rembourser : autrement dit, c’est la planche a billet . Avec l’argent dette, ce sont les gens ( et les entreprises, et les états) a qui les banques accolent une dette quand de l’argent est créé, et ce sont elles, et les instances internationales, qui ont le pouvoir d’exiger un remboursement . Le rapport de pouvoir est tout a fait différent .
          Quand aux crypto, c’est un système encore totalement différent .


        • Clark Kent Clark Kent 21 octobre 2022 16:27

          @sylvain

          Le point commun entre les trois, c’est faire reposer sur d’autres, les contribuables ou les générations futures, les conséquences d’un risque qu’ils n’ont pas pris : escompter l’apuration du passif quelle que soit la conjoncture.

          La meilleure illustration de la « dette » que vous décrivez est celle d’Haïti vis-à-vis de l’état français qui avait imposé des dédommagements à la conquête de l’indépendance et obligé le nouvel état à contracter des emprunts auprès de banques privées française pour pourvoir payer cette « rançon ». Les intérêts cumulés ont été supérieurs à l’emprunt lui-même, et les remboursements se sont étalés pendant un siècle et demi, saignant à blanc les finances du pays.

          "La dette est soldée en 1883, mais les agios de l’emprunt ne seront réglés qu’au milieu du xxe siècle".


        • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 21 octobre 2022 18:38

          @sylvain
           
          ’’numérique ou pas, ça ne change pas grand chose’’
            > au contraire, ça change tout.
           
           Ne confondez pas svp monnaie scripturale et monnaie numérique.


        • sylvain sylvain 21 octobre 2022 19:03

          @Clark Kent
          oui je suis d’accord avec ça, il y a plus de similarité que de différence, mais des différences tout de même .
          Je connais cette histoire de la dette d’haiti, c’est un des épisodes les plus cyniques de l’histoire de la colonisation . Assez silmilaire a celui qui a fait qu’au moment de l’abolition de l’esclavage on a indemnisé les propriétaires avec de l’argent public alors qu’on a rien donné aux esclaves, qui sont restés de fait des esclaves modernisés


        • sylvain sylvain 21 octobre 2022 19:10

          @Francis, agnotologue
           Ne confondez pas svp monnaie scripturale et monnaie numérique.

          Les système de cryptomonnaies sont différents de l’argent dette . Mais au sein d’un même système monétaire, l’argent dette par exemple, un billet est tout aussi abstrait qu’une ligne de compte, ce ne sont que des symboles, normalement infalsifiables .
          Il est vrai, par contre, que les systèmes de monnaies numérisés sont beaucoup plus traçables que les billets ( mais pas que les chèques) . Mais ça, c’est un choix politique, on peut parfaitement imaginer des systèmes numériques aussi peu traçables . Le bitcoin est aussi un système ou toutes les transactions effectuées depuis sa création sont parfaitement traçables .


        • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 21 octobre 2022 19:46

          @sylvain
           
           Non seulement la monnaie numérique permet une traçabilité des transaction à l’instar des chèques, mais en plus, comme l’identification se fait en temps réel, le système possède la décision de valider ou d’interdire la transaction en fonction des données fichées de l’acheteur.


        • Nick Corey 22 octobre 2022 08:48

          @Mélusine ou la Robe de Saphir.
          Michel Onfray s’inspirait surtout d’Epicure (Carpe Diem).

          Je crois plutôt qu’il s’est inspiré Paul-Loup Sulitzer... Ou de Zavatta...


        • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 21 octobre 2022 09:37

          La meilleure attitude est encore de se préparer à l’« imprevu ». Avez-vous constaté que les décisions des hommes politiques généralement conduisent exactement à l’effet inverse à celui attendu. Pourquoi ? Freud l’avait parfaitement compris : l’humain n’est pas maître en sa demeure.... L’anti-Oedipe allait automatiquement susciter la nécessité de retour aux « limites ».... et à la différence sexuelle. qui quand elle ne peut être intégrée dans la loi du fait des pressions de groupes minoritaires, fait retour sous forme de lois raciales.... bien plus « inhumaines » que le fait d’intégrer notre différence sexuelle qui elle est le REEL. Car fondamentalement, c’est le REEL qui toujours finit par prendre dessus.... A le nier, on est toujours rattrapé par lui... fuit ton ombre...


          • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 21 octobre 2022 10:03

            @Mélusine ou la Robe de Saphir.
             
             ’’Avez-vous constaté que les décisions des hommes politiques généralement conduisent exactement à l’effet inverse à celui attendu.’’
             
            On ne vous a donc jamais vendu des vessies pour des lanternes ? Bienheureuse que vous êtes !


          • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 21 octobre 2022 10:15

            @Francis, agnotologue avec moi, c’est difficile... plus on monte haut plus grande est la chute.... Je l’ai expériementéé une fois en 1983 (malgre moi d’ailleurs, car tel n’était pas vraiment mon objectif). Après, on a compris.... 


          • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 21 octobre 2022 09:53

            Quand un homme politique prépare un projet politique, il n’imagine que rarement l’envers de la médaille et les effets « pervers » de ses décisions« . Il doit bien sûr donner l’aspect d’une »cohérence« alors que dans notre inconscient règne l’irrationnel.. C’est ainsi que le mouvement vert actuel risque d’être encore plus désastreux pour la planète... l’enfer est TOUJOURS pavé de bonnes intentions. A tout prendre, je choisirai toujours le plus »réaliste« . Mais le réel est vecu comme un »désenchantement" par l’électeur. Et donc préférera : l’illusion. Bel exemple avec Macron et sa théorie du ruissellement qui produisit l’effet totalement inverse...


            • sylvain sylvain 21 octobre 2022 14:35

              Ceci est important à saisir, car une des plus grandes, si ce n’est la plus grande critique que l’on fait au postmodernisme est d’être une pensée bourgeoise, et d’être à peu près indifférent à la question économique


              et c’est une bonne critique . L’idée que la question économique était dépassée dans les années 70 est absurde et ne peut qu’émaner de bourgeois .Rien n’est réglé dans la « question économique a cette époque » . Le système de production est encore et toujours basé quasi uniquement sur la contrainte : tous les boulots de productions, tout ce qui est indispensable a la société est fait par des gens sous payés dans des conditions très difficiles . Mon père, né en 52, est parti bosser a arcelor a 14 ans . Pendant sa première année, on l’envoit coller des pièces a la néoprène dans des réacteurs, il a une corde attachée a la jambe, et quand ça ne bouge plus parcequ’il s’est évanoui dans les vapeurs, quelqu’un le tire a l’extérieur . Ce sont les conditions de travail moyennes dans l’industrie, dans l’agriculture, on est en train d’éliminer les paysans par millions...

              La seule manière qu’on a de « régler la question économique », ce sont les délocalisations qui se mettent en place et permettent de trouver des esclaves ailleurs, dans des conditions encore largement pires que ce a quoi on est arrivé en occident, qui correspond pour le patronat a des exigences intolérables de confort pour les ouvriers .

              Donc oui, dès le début la pensée post moderne est une pensée tout a fait bourgeoise . Et si a la limite au début des années 70 on pouvait penser que la question économique allait se régler (et non pas était réglée), dès les années 80, il est évident que ce n’est pas le cas .O or la pensée post moderne, ou le sociétal, prend de plus en plus de place, et plus on s’enfonce dans la crise, plus cette forme de pensée est reprise par la bourgeosie et les grand médias pour éclipser la catastrophe sociale qui se met en place ... bref cette idéologie n’aura servie que de cache sexe aux puissants pour niquer la gueule a tout le monde, y compris la grande majorité de ceux qu’elle était censée protéger et qu’elle a surexposés et soumis a la même dérive économique que tout le monde


              • Nick Corey 22 octobre 2022 08:10

                @sylvain
                D’abord merci pour votre retour.

                « Ce sont les conditions de travail moyennes dans l’industrie »
                Mon frère a fait ça, y a quelques années, en intérim, mais dans des cuves où y a avait eu du gaz. Ils ont une corde aussi au cas où. Pas de casque le premier jour (avec l’inspecteur du travail le jour même, et qui dit juste c’est pas bien...), prime de risque ridicule (il n’y en avait même pas à l’époque de votre père). Mais dire « conditions moyennes », ça me semble exagéré. Même pour 66.
                Je me bats beaucoup pour faire reconnaître que les ouvriers n’ont pas du tout les mêmes conditions de vie et de tafs que les autres travailleurs (quand on voit comment la mélasse journalistique hausse les sourcils quand les mecs expliquent ce qu’être raffineur, je prends des coups de sang), mais tout de même...

                « Rien n’est réglé dans la « question économique a cette époque » »
                Je vous reproche d’exagérer sur « conditions moyennes », là c’est moi qui exagère, je le reconnais.
                En fait, un des trucs qui a motivé mes recherches sur le pm, c’est la récurrence, chez la génération de mes parents (né entre 50 et 55 comme votre père), d’un discours qui dit que, même s’ils n’étaient pas dupes de ces années là, ils n’auraient jamais pensé que c’était aussi chiqué. Ils ont jamais voté, toujours été très critiques, et ils nous ont d’ailleurs appris à analyser et se méfier de tout, mais rétrospectivement, ils se trouvent quand même naïfs avec le recul. J’ai connu des mecs de l’Internationale Situationniste : ils estiment eux-mêmes qu’ils ne pensaient pas avoir autant raison à l’époque. Alors que leur pensée était tout de même super radicalement critique.

                La question économique n’était pas réglée, c’est vrai. L’expression « croire qu’elle allait se régler » est certainement plus juste. Mais j’insiste là-dessus. Y a un truc aussi que j’ai oublié d’ajouter, une phrase toute bête mais qui met l’enduit : un truc qui dit que les ouvrier estimaient que leurs enfants allaient avoir une meilleure vie  l’optimisme de cette époque. C’est de ça que je veux parler, et c’est comme ça, à mon avis que j’aurai dû le présenter.


              • sylvain sylvain 23 octobre 2022 16:42

                @Nick Corey
                un truc qui dit que les ouvrier estimaient que leurs enfants allaient avoir une meilleure vie — l’optimisme de cette époque. C’est de ça que je veux parler, et c’est comme ça, à mon avis que j’aurai dû le présenter.

                Ca c’est incontestable, il n’y a qu’à voir a quel point les histoires de l’époque parlent de l’entrée de l’humanité dans une sorte de nouvel age, assez confus en pratique mais toujours fantastique, enthousiasmant . Il y a même en général l’idée d’une humanité complètement nouvelle, qui sortirait d’on se trop ou .

                Il me semble aussi utile de préciser que des types comme deleuze ou foucault sont honnêtes dans leur travail et n’essaient pas d’invisibiliser la question sociale, en tout cas je ne pense pas .


              • Laconique Laconique 21 octobre 2022 15:26

                Merci pour cet article.


                • magatst 21 octobre 2022 16:18

                  Extrait :
                  ...Et contre ce discours, la pensée marxiste, opposante traditionnelle de la domination, semblait tomber dans les mêmes travers, à croire ce que l’on pouvait voir de la société soviétique. Elle semblait même faire pire, en prétendant dépasser le capitalisme par le goulag.

                  ----

                  Réduire l’expérience soviétique et la pensée marxiste au goulag !!!
                  Tout ça pour ça.
                  Comment voulez-vous que l’on vous prenne au sérieux !?


                  • sylvain sylvain 21 octobre 2022 19:25

                    @magatst
                    C’est effectivement très réducteur . Mais il est vrai que c’est la pensée dominante qui a émergée dans ce qu’on peut appeller l’opinion publique, opinion qui a largement été façonnée par l’impérialisme occidental .

                    A partir d’un certain moment, l’expérience soviétique n’a de toute façon plus grand chose a voir avec le marxisme ou le communisme, si ce n’est le nom .C’est plus un capitalisme d’état autoritaire


                  • Nick Corey 22 octobre 2022 08:36

                    @magatst
                    Sans ironie, je vous avoue que ça me fait presque plaisir que vous me dîtes ça, même si c’est, je pense, un quiproquo. En fait, j’ai plus l’habitude de me trouver face à des gens qui me disent que j’excuse le goulag...

                    Je ne parle pas de la vérité, je parle de l’impression qu’il y avait à l’époque.

                    Je dis notamment : « les témoignages étaient accablants », et que les cocos français étaient un peu bornés (je précise : pas tous bien sûr  on est marxiste dans la famille, je vais pas dire tous). Et c’est vrai : le PCF était stalinien, même après la mort de Staline. En fait c’est grave : ils portent une responsabilité dans le détournement de la classe ouvrière vers l’exdr et de la gauche vers le pm. Et ils ne l’ont même pas encore vraiment reconnus.

                    Pour ce qui est de Marx, je pense en parler plus tard. Pour ma part, je reste proche de la critique consensuelle (de gauche bien sûr) d’aujourd’hui : il y a 2 trucs importants à repenser, le caractère téléologique du mat. hist., et la tendance productiviste de ses propositions. Pour le reste, je crois qu’il n’y a pas d’analyse globale du système plus juste. Un des buts de mon travail est de dire que, comme la pensée pm n’a pas de théorie économique, et qu’il n’y en a pas eu de nouvelle depuis Marx, ceux qui pensaient trouver une alternative doivent maintenant fermer leur gueule (ça fait 60 ans qu’ils causent, et ils ont rien trouvé) et rouvrir le Capital (et non pas Le coup d’État du 18, ni Les luttes de classes... ou le Manifeste... Non : le Capital).

                    Maintenant, pour ce qui est de l’expérience soviétique elle-même, c’est trop compliqué pour juger comme ça, sur Agoravox. Pendant quelques années, j’ai eu un ami proche né en 68, qui avait vécu en Arménie jusqu’en 93. Toutes ses blagues étaient « arménio-soviétiques », et mélangeaient Lénine et les dragons. Il avait des idiomes (« religion opium du peuple »), il nous parlait de son stage en kolkhoze, ou de cet exposé sur Staline où il avait défendu Trotsky, etc... Et aussi de comment il avait cru naïvement que l’Occident c’était le paradis où tout le monde écoutait Led Zep (interdit en Arménie), mais qu’il aurait jamais pensé qu’on puisse faire passer un RMI en bouffe et en loyer. Pour moi qui lisais Carrère d’Encausse à l’époque, ce qu’il disait avait plus de valeur que tout le reste. C’était mon pote, son ressenti, et je pouvais lui poser toutes les questions que je voulais. Et c’est banal à dire, mais c’était ni noir ni blanc, c’était compliqué.

                    Donc non, je vous assure, je ne réduis pas Marx et les soviets au Goulag...


                  • Nick Corey 22 octobre 2022 08:37

                    @sylvain
                    C’est plus un capitalisme d’état autoritaire

                    Voilà


                  • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 22 octobre 2022 09:34

                    @Nick Corey
                     
                    ’’C’est plus un capitalisme d’état autoritaire’"
                    >
                    Vous dites n’importe quoi  : un capitalisme d’État c’est impossible dans un pays qui ne possède même plus sa propre monnaie !!! .
                     
                    Il ne faut pas prendre les vessies pour des lanternes : ce que nous subissons sous l’UE et ses commis est typiquement un corporatisme conforme à la définition de Naomi Klein : « La grande entreprise et le gouvernement tout puissant combinant leurs formidables puissances respectives pour mieux contrôler les citoyens.  »
                     
                    Cette définition rejoint celle que Mussolini donnait du fascisme : « Le Fascisme devrait plutôt être appelé Corporatisme, puisqu’il s’agit en fait de l’intégration des pouvoirs de l’État et des pouvoirs du marché. »
                     
                    La gouvernance libérale a été caractérisé par Noam Chomsky : « Structurellement, l’équivalent politique de l’entreprise est l’État totalitaire. »
                     

                     
                    « Le capitalisme contemporain est devenu par la force de la logique de l’accumulation, un « capitalisme de connivence ». Le terme anglais « crony capitalism » ne peut plus être réservé aux seules formes « sous-développées et corrompues » de l’Asie du Sud est et de l’Amérique latine que les « vrais économistes » (c’est à dire les croyants sincères et convaincus des vertus du libéralisme) fustigeaient hier. Il s’applique désormais aussi bien au capitalisme contemporain des États-Unis et de l’Europe.
                    « Dans son comportement courant, cette classe dirigeante se rapproche alors de ce qu’on connaît de celui des « mafias »
                    , quand bien même le terme paraîtrait insultant et extrême. » Samir Amin, économiste et ex président du World Forum for Alternatives.
                     

                     

                     

                     


                  • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 22 octobre 2022 09:36

                    @Francis, agnotologue
                     
                     pour votre éducation politique :
                     
                    https://fr.wikipedia.org/wiki/Capitalisme_d%27%C3%89tat
                     
                     Rien à voir avec l’UE et les nations vassales.


                  • Nick Corey 22 octobre 2022 11:29

                    @Francis, agnotologue
                    1 
                    « Vous dites n’importe quoi : un capitalisme d’État c’est impossible dans un pays qui ne possède même plus sa propre monnaie !!! »
                    Doucement, voyons...
                    Je répondais à Sylvain qui désignait le régime de l’URSS comme un capitalisme d’état autoritaire. Je ne parlais pas de la France. La France est une chair ouverte aux pillards, ça n’a rien à voir... L’URSS possédait sa propre monnaie

                    2 Pour ce qui concerne le capitalisme de connivence. Dans la mesure où l’expression a été, sinon inventée, du moins popularisée par les libertariens et Ayn Rand, j’ai du mal à l’utiliser. J’ai tendance à penser que le capitalisme est connivent par nature et qu’il ne peut se développer sans l’assistance de l’État (à l’époque médiévale, Venise est bien plus un État que la France, et la Hanse a une structure en partie étatisée, tout en étant soutenue par les couronnes). Il y a bien une différence entre le libertarien dit de gauche, un peu humaniste, qui refuse d’être remboursé par la sécu, et Bolloré, c’est vrai. Mais le lib de gauche est surtout l’idiot utile de Bolloré.


                  • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 22 octobre 2022 12:00

                    @Francis, agnotologue
                     
                    1 > ok. Mes excuses. Il n’en reste pas moins vrai que la France ne possède plus sa monnaie et , comme vous dites, ’’est une chair ouverte aux pillards’’. 
                    ps. une chair  ?
                     
                    2 > « libertarien de gauche » est un oxymore trompeur, tout comme anarchiste de gauche : la gauche condamne les fascismes mais pas le totalitarisme, elle est donc tout le contraire d’Ayn Rand et des anars.
                     
                    ’’ ... le capitalisme est connivent par nature et (qu’) il ne peut se développer sans l’assistance de l’État’’
                    > Capitalisme sans État, c’est la Somalie, non ?
                    « La mondialisation libérale c’est la somalisation du monde » Jacques Attali.
                     
                     Un capitalisme sans État, ça n’existe pas, ça s’appelle selon le cas, troc, doux commerce ou banditisme.


                  • Nick Corey 22 octobre 2022 14:51

                    @Francis, agnotologue
                    une chair

                    Pardonnez moi, je veux aller trop vite. Je voulais dire chair exposée aux charognards. J’ai interrompu ma phrase et quand j’y suis revenu, ça donne un truc mélangé ridicule, genre « ils se sont serrés les coudes comme dans une boîte à sardines » ou « il l’a balayé d’un revers de la médaille »...


                  • Fred59 22 octobre 2022 10:12

                    Merci Nick Corey pour ce bel article de synthèse !
                    Penser correctement et intelligemment une dérive qui semble insensée, oui c’est utile, c’est un travail aussi désagréable et nécessaire que celui d’Adorno et Horkheimer en son temps.

                    Sur la génèse du post-modernisme, deux témoins de leur époque sont incontournables. Allan Bloom ’L’âme désarmée’ (1987) explique comment les milieux intellectuels US dérivent dès l’après-guerre, jusqu’à l’apparition de la french theory ; et il suggère des outils pratiques qui ont besoin d’une mise à jour, mais toujours pertinents. En France, Pierre Manent, ancien compagnon de chambrée des Deleuze, Derrida, Foucault et Bourdieu, offre un témoignage précieux.

                    Le post-modernisme naît pour donner au progrès une raison d’être encore le phare de l’humanité après le choc éthique causé par la seconde guerre mondiale (Adorno, critique de la raison). C’est l’une des justifications nécessaires pour que les fonds alloués à la recherche fondamentale ne faiblissent pas (N.Wiener, Cybernétique et Société l’un des pères du post-modernisme, conscient des dangers inhérents)

                    L’ancien paradigme définissait l’homme de Culture en opposition à l’homme de Nature : l’homme, maître et possesseur de la nature (Descartes). Ce paradigme est supplanté après 1945 : l’homme ambitionne de remplacer la nature, trop imparfaite. Grâce à la science qui ne se base plus sur la thermodynamique, la matière, les fluides, mais uniquement sur la circulation des informations (= ni l’onde, ni la matière). Le wokisme, qui fait fi des réalités concrètes, est une incarnation sociétale de cette vision.

                    Ainsi, le post-modernisme est l’autre nom de la Contre-Nature. Je suggère à l’auteur de considérer que ce qu’il appelle contre-culture ne mérite pas ce nom. C’est juste un ensemble de sous-cultures du post-modernisme. Dès lors, il devient pensable de dépasser le post-modernisme en aboutissant à ce qui mériterait enfin d’être appelé Contre-Culture.


                    • Nick Corey 22 octobre 2022 13:02

                      @Fred59
                      Merci de votre retour, positif qui plus est !

                      L’âme désarmée est un best-seller. J’ai lu ça y a longtemps, quand j’étais aussi sur Guénon, mais j’avoue que j’ai été un peu écoeuré avant la fin... Il est pertinent, mais il est libéral, et finalement, il joue un rôle dans le pm. Il a été copain avec Aron. Comme Manent, par ailleurs. Ce qui me pose problème avec ces personnes, c’est qu’ils se satisfont de Smith (pour parler en gros), et qu’ils croient que c’est possible de revenir à un capitalisme décent, inspiré de l’esprit des débuts, mais avec les conditions modernes. Si on met de côté son folklore de clown réac (et escroc aussi), c’est le pb de Finky. Je préfère Michéa parce qu’il est anti libéral.

                      Je m’interroge sur la place que vous attribuez à Adorno/Horkeimer dans le déroulement et l’échiquier de la philo. Dans un article que j’ai abandonné (l’épisode 0 de celui-ci), je m’intéressais aux auteurs qui précèdent et participent à la genèse du pm. A et H ont une place importante dans ce basculement  c’est logique : la démarche du pm est une critique des Lumières, c’est le titre de leur ouvrage phare.
                      Je suis d’accord quand vous dîtes que leur travail était nécessaire et désagréable  et leur position personnelle de juifs intellectuels allemands a un sens important. Mais en même temps, c’est super chelou que vous ayez utilisé ces exemples dans le cadre d’une critique du pm. Aussi, lorsque vous dîtes :

                      « Le post-modernisme naît pour donner au progrès une raison d’être encore le phare de l’humanité après le choc éthique causé par la seconde guerre mondial »

                      et que vous vous référez alors à la Critique de l’Aufklärung, je ne suis pas certain de comprendre. Intuitivement, y a un truc, mais je ne suis pas sûr.
                      Déjà, A&H écrivent en 42/47. Le pm n’a pas encore commencé. L’équivalent à l’époque c’est l’empirisme radical qui existe depuis le 19e s, et les nietzschéens. A&H viennent de l’école hüsserlienne, scientiste, même s’ils sont critiques. Donc ce ne doit pas être le sens de ce que vous dîtes. Pour autant, A&H posent une question qui va amener à cette réponse : après l’apogée apocalyptique de la montée en puissance de la science et de la rationalité (édition de 42), qui ont fini par se perdre dans les abîmes de la pensée magique (édition de 47, c’est important de montrer l’évolution), que va-t-on pouvoir faire ? La réponse est le pm, mais ce ne sont pas A&H qui la donnent. Simplement, elle sera donnée en partie à partir de A&H.

                      Enfin, la question de la Contre-Culture (je mets la majuscule pour vous).
                      Ce n’est pas moi qui définis ainsi la cc, c’est le terme en vigueur pour parler des hippies et cie — j’ai commencé à l’utiliser à cause d’Ellroy... « La contre-culture, c’est vulgaire. » Brown’s Requiem (je cite de tête, la phrase résonne encore à mon esprit, j’écoutais beaucoup Hendrix à l’époque).
                      Par ailleurs, si la cc a été sans cesse récupérée, il n’en demeure pas moins qu’elle prend sa source dans le peuple. Le problème n’est pas que trois ou quatre gamins dans un garage se défoulent sur des guitares en essayant de développer leur esprit critique, mais le fric, leur starisation, l’utilisation spectaculaire de leur parcours pour rendre fous les autres gosses, etc... Et à terme, la révolution partira de 3/4 gamins dans un garage, mais qui développeront leur esprit critique avant de se défouler sur des guitares (mais sans les guitares, ils n’y arriveront pas) pour éviter de se faire récup.
                      Peut-être alors mettrons-nous des majuscules à Contre-Culture.

                      Je ne suis pas fétichiste des mots, plutôt anti-fétichiste, notamment parce que le pm est fétichiste des mots (À force de ne pas prononcer les mots tabous, considérés comme connotés racistes, misos... , on ne dit plus « licenciement », mais « sauvegarde d’emploi », et un jour on dira « un rapport non platonique »...). C’est pourquoi je bourrine sur le mot « wokisme » alors que ma famille politique déteste ce mot. Pareil pour « bobo », etc...
                      Aussi, mon hypothèse est que le pm est une phase de transition comparable à l’Humanisme. À la période H, les penseurs se cherchent. La scolastique est déjà à terre, mais on l’utilisera encore jusqu’à Descartes. On veut revenir aux Anciens qui apparaissent très logiquement dans leurs raisonnements, mais on sent bien que leur façon de concevoir le monde est encore trop figurative. Du coup, y a pas de doctrine de l’Humanisme  alors qu’il y a une théorie moderne.
                      Aujourd’hui, on vit quelque chose de semblable : tous nos protocoles restent modernes (droit de l’homme, la gentille science qui aide au développement de l’économie, la démocratie, la séparation des pouvoirs), alors qu’on sait bien que ça ne marche pu trop. Le pm a beaucoup voulu s’inspirer des Anciens aussi au début, et de l’Orient aussi. Il critique, mais il ne produit pas de théorie.
                      C’est Luther qui a débloqué la situation (je hais ce gars, mais...). Il faudra au moins deux Marx (dont au moins une femme...) pour débloquer la nôtre. Ou alors une catastrophe.


                    • Fred59 22 octobre 2022 22:28

                      @Nick Corey

                      J’essaie de prendre chaque auteur avec ses points forts et son contexte, sans oublier leurs limites : d’accord sur le libéralisme de Manent ou Bloom, mais cela n’entame pas l’intérêt de leurs témoignages Et la démarche des 100 ouvrages que propose Bloom vise à former des individus aptes à ne pas se laisser happer dans une idéologie facilement, libéralisme inclus.

                      Adorno et Horkheimer représentent une charnière entre deux ères : les premiers, ils constatent avec effarement que le modernisme est mort, et que la Raison n’est pas la flèche de l’histoire. D’un côté ils ont fait oeuvre de lucidité, de l’autre ils ont ouvert la voie à la dérive postmoderne car il ’fallait bien’ remplacer la raison afin de ’sauver le progrès’. Et cela aura lieu très vite, puisque le cycle de conférences Macy est en place dès 1946, et redéfinira progressivement toutes les sciences en sciences de l’information c’est l’algorithme et la donnée qui remplaceront la Raison. Wiener est à la fois un des principaux acteurs de ce processus, et l’un des premiers à avertir de certaines limites.

                      Nos protocoles ne sont plus modernes, mais postmodernes, à mesure qu’ils ne sont plus sous le libre arbitre de l’individu mais cadrés dans des algorithmes. Nos contrats, nos lois, systèmes économiques, de soins, les échanges boursiers, le management, le développement personnel sont concernés. Je trouve qu’il y a bien assez de théorie post-moderne, et de post-modernité en oeuvre dans nos vies, pour considérer que le stade d’une transition est nettement dépassé ; peut-être est-ce affaire de sensibilité et de jugement personnel.

                      Pour l’instant nous pouvons et devons critiquer la post-modernité un peu comme A et H ont critiqué la modernité, mais il manque encore ce qui pourrait prendre la relève. L’être humain n’a pas encore trouvé de ligne directrice offrant à l’individu comme à l’espèce à la fois la pérennité et l’espoir. Si cela existait, c’est cela que j’appellerais contre-culture.

                      merci pour votre réponse attentive et réfléchie, et tous mes encouragements pour la suite !


                      • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 23 octobre 2022 09:06

                        @Fred59
                         
                        ’’ Adorno et Horkheimer représentent une charnière entre deux ères : les premiers, ils constatent avec effarement que le modernisme est mort, et que la Raison n’est pas la flèche de l’histoire. ’’
                        — >
                         La Raison avec un grand ’R’

                        n’est pas la flèche de l’histoire, en effet.
                         Croire le contraire relèverait de la pensée magique. Vouloir faire appel à la Raison est un vœu pieux.

                         
                         Nous ne voulons pas une chose parce que nous la trouvons belle, ou bonne, ou juste : nous la trouvons belle, ou bonne, ou juste parce que nous la voulons ainsi. (cf. Spinoza).
                         La raison avec un petit ’r’ nous sert seulement et à notre insu, à conformer le réel càd la réalité des autres  à nos désirs, croyances et convenances. Et nous soutenons que ’’nous avons raison’’.
                         Le Prince qui sait que le premier désir du peuple c’est de ne pas sortir de sa zone de confort, mène son troupeau comme il veut en lui promettant à la fois le mal et son remède, la carotte et le bâton, le glaive et le goupillon.
                         
                        C’est la raison qui est la flèche de l’histoire, mais c’est la raison du plus fort et non pas la Raison, illusoire.
                         



                      • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 23 octobre 2022 13:01

                        @Francis, agnotologue
                         
                        Le postmodernisme n’est rien d’autre qu’un degré supplémentaire sur l’échelle de personnalisation de l’individu dédiée au self-service narcissique et aux combinaisons kaléidoscopiques indifférentes.” Gilles Lipovetsky
                         
                        Que je cite ici, peut-être à contre emploi, si j’en crois ce titre : Gilles Lipovetsky : Bienvenue dans l’ère de l’authenticité !

                        et la petite vidéo
                        Mais qu’est-ce qui est authentique, de nos jours ?
                         
                        Le post-modernisme pourrait bien être l’aboutissement inéluctable et rhédibitoire de la société du spectacle si bien dénoncée par Guy Debord.


                      • Fred59 23 octobre 2022 19:48

                        @Francis, agnotologue
                        C’était Hegel qui donnait ce rôle à la Raison, de guider l’histoire telle une flèche y compris par des ruses. Poétiquement, il en faisait l’incarnation de la déesse Minerve de la sagesse.
                        Pour ce qui est de la raison du plus fort (le loup et l’agneau), je ne peux pas vous suivre dans ce fatalisme. Même chez La Fontaine, le puissant peut avoir besoin d’un plus petit que soi (le lion et le rat).


                      • Francis, agnotologue Francis, agnotologue 23 octobre 2022 20:20

                        @Fred59
                         
                         ’’le puissant peut avoir besoin d’un plus petit que soi’’
                          >
                         Oui, mais ça change quoi ?

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