Les vices cachés de la retraite par points
Cicéron Poincaré est l’auteur du roman pamphlétaire « Mémoires d’un seigneur de la mondialisation ».
Les vices cachés de la retraite par points
La figure du moonwalk
Au début des années 80, le chanteur Michael Jackson avait popularisé la figure du moonwalk, un mouvement où il reculait en donnant au public l’illusion qu’il avançait. Cette figure résume la démarche de l’exécutif et de sa majorité parlementaire avec la réforme des retraites qu’ils présentent comme un progrès alors qu’elle incarne une régression pour la majorité des citoyens. Dans le monde moderne, lorsque la politique se rabaisse au niveau de slogans publicitaires simplistes comme « chaque euro cotisé donnera des droits identiques », elle nie que l’uniformité est la mort et la diversité la vie.
Sous la fleur du slogan se cachent les épines d’une régression majeure que le système à points allemand illustre. Selon la base de données de l’OCDE, en 2015 le niveau de vie des plus de 65 ans par rapport à celui de l’ensemble de la population est de 100,4% en France et de 86,9% en Allemagne. Outre Rhin, le système à points est d’ailleurs contesté d’une manière croissance car des retraités désespèrent de ne pas pouvoir espérer. La majorité Macroniste souhaite importer un système lacunaire au mépris de l’intérêt général. Elle demande aux français de pencher la tête pour trouver que la tour de Pise du système à points est droite.
Le droit est par essence l’équilibre des intérêts en présence. La réforme du Gouvernement n’incarne malheureusement pas cet équilibre des plateaux de la balance de la justice car elle privilégie à l’excès une volonté de réduire le coût des retraites. Les partisans de la réforme se gardent d’entrer dans la technique car ils savent que la lumière en la matière risquerait de faire mal aux yeux des français.
Mise au point sur les régimes par points
Le point est logiquement au cœur du débat mais il est étonnant que la distinction entre le prix d’achat du point et la valeur de service du point ne soit pas suffisamment mentionnée. On ne sort de l’ambigüité qu’à son détriment. En multipliant la valeur de service du point par le nombre de points, on obtient le montant de la retraite. Au premier abord, le mécanisme est simple mais la réalité est plus compliquée car la valeur de service du point n’est pas le prix d’achat du point. Ainsi, on peut aisément comprendre qu’un système à points est l’outil idéal pour privilégier une logique comptable car on peut simultanément augmenter le prix d’achat du point au détriment des actifs et baisser la valeur de service du point au préjudice des retraités.
La primauté de la logique comptable se traduit aussi dans la pratique par des cotisations non contributives. Ce sujet est de nouveau évité par les acrobates de l’illusionnisme alors que le régime Argirc-Arcco prévoit de telles cotisations qui n’achètent pas de points mais elles servent à équilibrer le système. En d’autres termes, l’actif paie des points sans obtenir une contrepartie.
Avec la mécanique d’un système à points, le gouvernement échappe à la question légitime d’une participation accrue des revenus du capital dans le financement des retraites dans une société qui se financiarise. Pour quelle raison, une personne qui fait des plus values boursières paie-t-elle au maximum une flat tax de 30% ?
Le cortex conduit vers les rivages de l’intérêt général alors que le cerveau reptilien des bonzes de l’oligarchie enfonce la collectivité dans le lac glacé des intérêts égoïstes des nantis dont ce gouvernement semble être le petit télégraphiste.
Une autre question névralgique concerne la garantie de la valeur du point.
L’illusoire garantie du point
Promis, juré, craché la valeur du point sera garantie dans la loi selon les partisans de la réforme.
Derechef, il s’agit d’un leurre car cette loi ordinaire pourra être contredite par une autre loi de même nature. Ainsi, l’indexation des retraites est aujourd’hui prévue dans la loi et pourtant elle n’a pas toujours été appliquée car une loi de financement de la sécurité sociale votée en fin d’année a parfois anesthésié l’article L. 161-25 du code de la sécurité sociale qui la prévoit.
Selon le principe de la pyramide des normes une loi ordinaire peut déroger à une autre loi ordinaire.
Afin d’éviter, ce risque il faudrait que la garantie de la valeur du point soit hissée au niveau de la Constitution. L’exécutif s’est bien gardé de faire une telle proposition. En revanche, certains partisans de la gouvernance par les nombres proposent de mentionner dans la Constitution une règle d’or relative à l’équilibre financier du système.
Pour mémoire, la majorité actuelle était tellement pressée de faire des économies qu’elle a été sanctionnée par le Conseil constitutionnel (Décision n° 2018-776 DC du 21 décembre 2018, § 42). Elle avait souhaité anesthésier l’article L. 161-25 du code de la sécurité sociale sur deux années alors que le Conseil lui a rappelé la nécessité d’un vote pour chaque année. A l’aune de cet exemple, les beaux discours du gouvernement sur la garantie de la valeur du point ne doivent faire pas faire illusion. Les maux succéderont aux mots.
Mise aux poings avec les syndicats
Dans un régime à points l’âge légal de départ à la retraite à une importance relative car il suffit aux pouvoirs publics de faire varier la valeur des points pour obtenir un équilibre financier. Par conséquent, on peut s’étonner de la référence à un âge pivot qui a été ajoutée au projet initial à moins qu’elle réponde à un objectif Louis-Philippique 1er.
Autre possibilité, ce totem a été érigé comme un leurre car il sera supprimé lors des futures négociations en donnant l’illusion de faire une concession. Lâcher sur l’accessoire pour garder le principal (introduire le système à points) est une stratégie classique pour ceux qui s’adonnent à la comédie des apparences. Suite à cette pseudo concession, certains syndicalistes pourront entériner la réforme. Si la majorité d’entre eux souhaitent une mise aux poings avec le Gouvernement sur le dossier des retraites, d’autres ont témoigné d’un intérêt pour la retraite par points. Comment peuvent-ils justifier ce choix alors que la réforme sera défavorable à la majorité des citoyens ?
Certains syndicalistes, comme l’exécutif, se rattachent à une version dogmatique du progressisme qui considère que le changement est bon par principe. Une démarche plus rationnelle implique de faire un bilan coûts/ avantages de chaque situation. L’homme moderne est esclave de sa modernité comme le disait P. Valéry.
Il est possible d’améliorer le système actuel sans passer à un régime à points.
Par ailleurs, il serait séant qu’une loi oblige les syndicats à publier les carrières de leurs dirigeants actuels et anciens. Dans le passé, certains syndicalistes particulièrement réformistes ont ensuite eu des liens professionnels avec de grands groupes. Cette transparence serait un outil de sunshine regulation destiné à prévenir des conflits d’intérêts. Comme le disait le juge Brandeis « la lumière du soleil est le meilleur des désinfectants ». Il faudrait aussi l’étendre aux allers-retours entre le privé et le public de la part de la haute fonction publique. Cette pratique est un nid à conflits d’intérêts et au final l’intérêt général est trop souvent bafoué au mépris de l’idéal consacré par l’article 6 de la lumineuse Déclaration de 1789 : « La Loi est l'expression de la volonté générale ».
Une politique du renoncement
La réforme des retraites illustre une forme de renoncement sur le plan politique car elle considère que la société est au service de l’économie. Selon Schopenhauer « le droit n’est que la mesure de la puissance de chacun ». Dans cette version, le droit se contente d’entériner un rapport de force. En l’espèce, l’exécutif et sa majorité abaissent le niveau de la protection sociale en France afin d’améliorer la compétitivité de l’économie en entérinant la mise en concurrence des droits nationaux par les multinationales et les grandes fortunes. Ils sont forts avec les faibles et faibles avec les forts.
La démarche est éminemment contestable car le droit, à l’inverse de la définition proposée par Schopenhauer, vise à équilibrer les plateaux de la balance de Thémis et non pas à asseoir une domination. D’ailleurs, les systèmes juridiques les plus viables à long terme sont ceux qui reposent sur l’adhésion des citoyens aux règles de droit plus que sur la crainte d’une sanction.
L’Union européenne est dans son rôle lorsqu’elle demande aux Etats-membres de gérer leurs finances avec sérieux. En revanche, si elle était fidèle aux belles idées du projet européen initial, elle devrait lutter contre le dumping fiscal et social qui la mine. L’élargissement aux pays de l’est a favorisé le dumping social et l’on ne peut qu’être étonné du projet d’un nouvel élargissement à la Serbie, au Monténégro, à l'Albanie et à la Macédoine.
Au surplus, plutôt que de s’attaquer au dumping fiscal, l’UE préfère jouer l’autruche en affirmant qu’il n’y a pas de paradis fiscaux en son sein. A titre d’exemple, la part des investissements étrangers au Luxembourg qui correspondent à une activité réelle est estimée à seulement 5%. Cette pratique est autorisée par la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE, 25 oct. 2017). Elle met en concurrence les droits nationaux en favorisant le droit national le moins disant sur le plan social, fiscal ou environnemental.
Entre les eurobéats qui ont accepté les dérives de l’UE et les nationalistes qui vivent dans l’illusion de solutions purement nationales, il y a une troisième voie dans laquelle une poignée de pays, ayant un intérêt commun, quitteraient simultanément l’Union européenne pour défendre leur modèle social et protéger leurs recettes fiscales. Ce nouveau bloc aurait une vision pragmatique et non pas dogmatique du libre échange et de la libre circulation des capitaux.
Faux pragmatisme et vrai dogmatisme
Le gouvernement badigeonne en permanence son discours du mot « pragmatisme ». Sa réforme des retraites ne l’incarne pas car elle est la conséquence de la philosophie du consensus de Washington (privatisation, déréglementation, baisse des taux d’imposition, libéralisation du commerce extérieur etc.). Cette doxa est aujourd’hui contestée dans les pays qui l’ont mise en œuvre au regard des résultats qu’elle a donnés. La réforme des retraites ne trouve pas sa source dans le centrisme mais dans « l’extrême centre », pour reprendre la formule d’Alain Deneault, autrement dit d’un faux centre.
P. Mendès France et M. Rocard incarnaient le centrisme car ils souhaitaient concilier efficacité économique et lutte contre les inégalités. Leur gestion des dossiers a illustré leur sens du dialogue et le respect de leurs interlocuteurs. La pensée économique du G. de Gaulle incarne une autre forme de centrisme avec une troisième voie qui dépasse le capitalisme et le communisme. Le macronisme affichait la promesse d’un pragmatisme, il se révèle être un dogmatisme.
Cette réforme des retraites profane l’esprit du programme du conseil national de la résistance qui avait tiré comme enseignement de la deuxième guerre mondiale que la cohésion sociale est un bien commun et qu’un Gouvernement doit énergiquement lutter « contre les féodalités économiques ». On ne peut qu’approuver ce programme car à défaut la démocratie s’achève en ploutocratie.
Bien loin d’exalter cet idéal qui cimente une société, le gouvernement actuel passe son temps à diviser les français pour tenter de régner alors qu’il pratique par ailleurs la génuflexion devant les puissants.
Fernando Pessoa avec le désenchantement qu’on lui connait affirmait dans son beau livre sur « L’intranquillité » que : « le gouvernement des hommes repose sur deux principes : réprimer et tromper ». Souhaitons que son apophtegme reste une caricature.
Cicéron Poincaré.
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