La retraite à 64 ans, une arnaque intergénérationnelle
Résumé : Si le niveau de vie des retraités est aujourd’hui supérieur à celui de actifs, il baissera à long terme, selon le conseil d’orientation des retraites, pour atteindre un taux compris entre 90 et 95 % du niveau de vie de l'ensemble de la population à l'horizon 2040 puis entre 77 et 86 % en 2070. Comme le dit un rapport sénatorial : « Ce constat dresse une perspective…posant la question de l'équité-intergénérationnelle ». L’exécutif évite soigneusement la question par calcul politique. La réforme des retraites est présentée par ses partisans comme « courageuse ». La réalité est différente car elle exempte d’effort les retraités pour des considérations électorales : ils sont nombreux et ils s’abstiennent moins que les générations plus jeunes. Il y a eu implicitement un pacte cynique lors de l’élection présidentielle entre le Président de la République et les retraités : votez pour moi et je reporterai l’effort sur les autres générations même si vous avez été les gagnants de l’histoire économique grâce aux trente glorieuses. Le macronisme symbole d’une jeunesse dynamique selon les médias en 2017 s’achève aujourd’hui en gérontocratie et en ploutocratie car les revenus du capital ne sont pas davantage mis à contribution.
Un effort demandé aux seuls actifs
Le philosophe Jonas évoquait l’impératif de préparer des lendemains qui chantent pour les générations futures. En lisant les grands ouvrages classiques, on apprend que la grandeur consiste à penser à autre que soit et à plus grand que soit. Nous sommes loin de cet idéalisme car depuis le début des années 80, l’homo économicus se substitue à l’homo politicus. Plutôt que de s’intégrer dans une communauté d’intérêts, les électeurs comme les hommes politiques tentent trop souvent de maximiser leur fonction d’utilité. La récente réélection d’E. Macron en donne un exemple avec des retraités qui ont voté pour lui en masse notamment séduits par le recul de l’âge de départ à la retraite. Il ne faut pas faire de généralité car certains retraités contestent la réforme mais il convient de constater que beaucoup la soutiennent en souhaitant reporter les efforts sur les générations suivantes. Le système par répartition est fondé sur la solidarité entre les actifs et les inactifs. Le partage des efforts doit être équitablement partagé entre les générations et non pas léonin. Le projet de réforme du système par répartition des retraites du gouvernement mésestime le contrat intergénérationnel en faisant peser l’effort uniquement sur les actifs. Il oublie aussi la taxation des revenus du capital.
Un effort mieux réparti allègerait la contribution de chacun et il permettrait un report moins important de l’âge de départ à la retraite. Aujourd’hui, aucun parti politique ne propose une solution inspirée de la logique de la balance de Thémis. Il ne faut pas s’étonner de l’importance de l’abstention car on assiste trop souvent à une opposition entre différentes radicalités. Le projet de l’exécutif incarne aussi une radicalité, celle de l’extrême-centre pour reprendre la terminologie de Deneault. L’extrême centre met la société au service de l’économie. Pour accéder au pouvoir et s’y maintenir, il s’appuie désormais sur la cohorte des papys boomers.
Faire peser le poids de la réforme sur les seuls actifs est contestable car les retraités français ont un niveau de vie supérieur à celui des actifs. Les personnes de plus de 65 ans avaient en 2016, en moyenne dans l’OCDE, un niveau de vie correspondant à 87,4 % de celui de l'ensemble de la population. En France, ce taux atteint 103,2 % et il est le plus élevé parmi les pays étudiés. On peut s’en féliciter car un pays s’honore à protéger les personnes âgées comme le souhaitait logiquement le programme du Conseil national de la résistance. Il ne faut pas le confondre avec le CNR (Conseil national de la refondation) créé à l’instigation d’E. Macron.
Une réforme favorable aux retraites par capitalisation
La refondation au sens d’E. Macron sape une partie de l’héritage du programme du Conseil national de la résistance au nom d’une soi-disant modernité. F. kessler, ancien vice-président du Medef et représentant du monde de l’assurance, avait déclaré dès 2007 sans circonlocution : « Il s'agit aujourd'hui de sortir de 1945, et de défaire méthodiquement le programme du Conseil national de la Résistance ! ». La réforme des retraites du gouvernement s’inscrit dans la logique de ce détricotage et il y a une forme de cynisme à utiliser le même acronyme CNR pour des projets politiques opposés. Dans une société où la communication politique se détache de la réalité, « les mots sont la plus puissante drogue utilisée par l’humanité » comme le disait Kipling.
Le programme du Conseil national de la résistance visait à étendre la retraite par répartition dans une logique de solidarité entre les générations au service d’une collectivité conçue comme une communauté d’intérêts. Le projet d’E. Macron vise à substituer partiellement et subrepticement la retraite par capitalisation (une personne épargne pour financer sa retraite) à la retraite par répartition (les actifs financent les pensions des retraités). Il n’est pas illégitime selon nous d’ajouter la capitalisation à la répartition. En revanche, la substitution, même partielle, de la capitalisation à la répartition mérite un débat.
Il est évident que certaines personnes n’atteindront pas 64 ans ou les 43 annuités. Elles partiront avec une retraite amputée sauf si elles ont épargné pour leur retraite. C’est le message implicite du Gouvernement confirmé par la réforme de l’épargne retraite opérée par la loi Pacte du 22 mai 2019. Lorsque l’on passe d’un système de répartition à la capitalisation, même partiellement, il y a une génération qui est bernée car elle a cotisé pour les autres et elle doit aussi cotiser pour elle-même.
Une absence d’équité entre les générations
Egalement, la réforme du gouvernement vise à éviter un déficit du régime de base des retraites. On peut le comprendre mais il oublie de parler des déficits des années passées. En d’autres termes, on demande aux actifs de faire des efforts pour équilibrer le système mais ils récupèrent le poids des dettes des papy-boomers dont les retraites ont régulièrement généré des déficits depuis 2005. Les baby-boomers ont cotisé moins longtemps, avec un taux de cotisation inférieur et ils ont reçu de meilleures retraites (calcul en taux de remplacement). Où est l’équité intergénérationnelle ? Certains retraités répondent qu’ils n’étaient pas aux 35H. Rappelons que 35H est la durée légale et non pas la durée effective du travail en France. La durée habituelle du travail est 39H par semaine pour les salariés à temps plein. Avec les gains de productivité, en moyenne, un salarié aux 35H aujourd’hui produit plus qu’un salarié à 40H en 1980. Cela s’explique par le recours aux nouvelles technologies et à la pression sur les salariés. L’ambiance au travail était différente durant les trente glorieuses. Le management moderne au sein des entreprises et des administrations, qualifié de progressiste comme la réforme des retraites, mériterait d’être remis en cause. Certaines personnes semblent confondre le progrès et le regrès.
Les retraités papy-boomers ont été avantagé par l’histoire économique comme l’ont démontré les travaux précis de Louis Chauvel. Tant mieux pour eux mais ils doivent aussi participer à l’équilibre d’un système par répartition dont ils sont les grands bénéficiaires (pour s’en convaincre il suffit de comparer le ratio pensions de retraite reçues/ cotisations versées d’un papy-boomer au même ratio d’une personne qui part à la retraite en 2050). Les réformes de la retraite de base (Balladur, Fillon, Touraine et maintenant Macron) ont notablement dégradé les conditions d’octroi de la retraite de base de la sécurité sociale. Les retraités qui sont partis après les réformes de l’époque Mitterrand, favorables aux retraités, et avant l’application de la réforme Balladur (adoptée en 1993 mais applicable progressivement) ont profité de l’âge d’or de la retraite. Encore une fois, tant mieux pour eux mais pourquoi les exempter de tout effort ?
La réforme des retraites est présentée comme « courageuse » par l’exécutif. La réalité est différente car il exempte d’effort les retraités pour des considérations électorales : ils sont nombreux et ils s’abstiennent moins que les générations plus jeunes. Il y a eu implicitement un pacte cynique lors de l’élection présidentielle entre le Président de la République et les retraités : votez pour moi et je reporterai l’effort sur les autres générations même si vous avez été les gagnants de l’histoire économique grâce aux trente glorieuses. Il compte sur ce contrat implicite pour gagner des élections législatives en cas de dissolution.
Le conseil d’orientation des retraites avait déclaré avant la réforme : « Par rapport aux générations qui partent actuellement à la retraite (nées au milieu des années 1950), les générations plus jeunes seraient pénalisées par des taux de cotisation plus élevés et un montant moyen de pension plus faible relativement au revenu d’activité moyen. En revanche, leur durée de carrière en proportion de leur durée de vie totale serait en moyenne un peu plus courte et leur durée de retraite relativement à la durée de vie totale, aurait tendance à progresser compte tenu des gains d’espérance de vie ». La réforme Macron réduit ce seul avantage que pouvait espérer les actifs à savoir une durée de retraite plus longue que leurs ainés. Ajoutons que le calcul de l’espérance de vie devient plus aléatoire avec la crise de la covid car les effets à long terme du virus, sur les personnes qui ont été contaminées, sont mal connus. « Plus rien ne sera comme avant » avait proclamé le chef de l’Etat pendant la crise sanitaire. Il se contredit aujourd’hui car il ne s’intéresse pas aux effets de la covid sur l’espérance de vie. Egalement, il continue à gouverner par la division. Il est trop souvent aujourd’hui le représentant de l’oligarchie (financière ou technocratique), de la petite bourgeoisie et des retraités. Le président de la République préfère demander uniquement aux actifs de payer la facture plutôt que de mettre en œuvre une taxe sur les superprofits, véritable serpent de mer désormais dans les eaux bruxelloises.
Propositions pour éviter une fracture entre les générations
Au surplus, les études économiques démontrent une concentration de plus en plus forte du patrimoine aux mains des personnes âgées depuis une vingtaine d’années. Egalement, comme le rappelle l’observatoire des inégalités : « ce patrimoine est réparti de manière extrêmement inégale. Les 10 % les plus fortunés en détiennent près de la moitié. Les 10 % les moins fortunés possèdent 0,1 % du total ». Le gouvernement pourrait augmenter sa flat tax sur les revenus du capital qui est aujourd’hui à 30% mais qui peut souvent descendre à 17,2% avec une ingénierie juridique rudimentaire.
On pourrait aussi demander aux retraités de payer une cotisation maladie. Ils n’en payent pas alors qu’ils consomment la majorité des soins médicaux et qu’ils ont un niveau de vie supérieur à celui des actifs. Ce choix avait été fait à une époque où le niveau de vie des retraités était bien différent d’aujourd’hui. Cette cotisation maladie favoriserait le redressement des finances de l’hôpital public à la condition de le débarrasser aussi d’une technocratie asphyxiante. Autre solution, le taux de CSG pourrait être aligné sur celui des actifs. Le président de la République défendait cette logique lors de sa campagne électorale de 2017. Le taux de la CSG sur les pensions de retraites avait été porté de 6,6 % à 8,3 % en 2018. La même année, il est revenu à 6,6% pour beaucoup de retraités alors qu’il est de 9,2% pour les actifs. Le macronisme symbole d’une jeunesse dynamique selon les médias en 2017 s’achève aujourd’hui en ploutocratie et gérontocratie.
Ces mesures pourront être supprimées à l’avenir car si le niveau de vie des retraités est aujourd’hui supérieur à celui de actifs, il baissera à long terme, selon le conseil d’orientation des retraites, pour atteindre un taux compris entre 90 et 95 % du niveau de vie de l'ensemble de la population à l'horizon 2040 puis entre 77 et 86 % en 2070. Comme le dit un rapport sénatorial : « Ce constat dresse une perspective …posant la question de l'équité-intergénérationnelle ». Le Gouvernement évite soigneusement d’y répondre pour des raisons électoralistes.
A défaut de répartir équitablement les efforts, la France risque le conflit entre les générations. Une division de plus dont elle devrait pourtant se passer. En 2021, les verts avaient maladroitement incité les jeunes à s’inscrire sur les listes électorales en les opposant aux boomers. La réforme des retraites aurait mérité un référendum sur le fondement de l’article 11 de la Constitution. Il s’agit d’une réforme technocratique qui en appelle d’autres car rappelons que l’un des probables futurs candidats à l’élection présidentielle de 2027, E. Philippe, autre représentant de l’extrême centre, a évoqué une retraite à 67 ans. Le pire est avenir pour les actifs.
par Cicéron Poincaré
Il est l’auteur du roman pamphlétaire « Mémoires d’un seigneur de la mondialisation ».
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