Un scoop du journal L’Humanité :
Modèle social. La Macronie veut supprimer la
Sécu de la Constitution.
Les députés LREM ont voté en commission des Lois la
transformation de la « sécurité sociale » en « protection
sociale ». L’objectif est de rompre avec la doctrine du « chacun
cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins » et de
brader la solidarité publique.
Un mot, dans une Constitution, ça compte énormément. Les
fondamentaux d’un pays peuvent être balayés en s’attaquant à
quelques lettres. La Macronie s’y emploie : elle a décidé de
supprimer toute référence à la Sécurité sociale dans la
Constitution. Comme si de rien n’était, la commission des Lois a
profité du chantier de la réforme constitutionnelle pour faire
disparaître l’un des piliers de notre République et de notre
modèle social de la loi fondamentale.
L’amendement 694 en question a été adopté en catimini,
dans la nuit de jeudi à vendredi. Défendu par le député Olivier
Véran (LREM), il s’attaque au moindre article, phrase et alinéa
de la Constitution faisant référence à la Sécurité sociale, pour
remplacer le mot « sécurité » par le mot « protection ».
« Cela prépare la fin de l’universalité de la protection
sociale à la française. Le gouvernement veut détruire notre
système de haut niveau financé par la cotisation pour ouvrir la
porte au modèle anglo-saxon. Non content de s’attaquer aux
territoires et à la démocratie avec cette réforme, l’exécutif
cherche à faire péter le socle de la Sécurité sociale. à la
veille d’une réforme des pensions et des retraites, c’est ouvrir
une boîte de Pandore pour le modèle social français »,
s’indigne le député Sébastien Jumel (PCF).
Comme souvent, ce n’est pas comme cela que la majorité a
présenté les choses. Passée maîtresse dans l’art de travestir
les mots, les idées, les concepts et même les valeurs, elle a
encore bluffé à tour de bras. Olivier Véran a expliqué sans rire
que son amendement « vise à étendre le champ de la loi de
financement de la Sécurité sociale », un peu comme on ferme des
hôpitaux pour « garantir l’accès aux soins ».
Le député, soutenu par le rapporteur Richard Ferrand, a même
argumenté avoir « besoin de cette modification constitutionnelle
pour (…) intégrer demain le risque dépendance au sein de la
protection sociale ».
Mais pourquoi remplacer le mot « sécurité » par
« protection » ? Et ce alors même que l’actuelle rédaction
de la Constitution n’interdit en rien une prise en charge de la
dépendance par la Sécu ?
Sans doute parce qu’il faut parfois modifier le nom des choses
pour les détruire : le gouvernement prépare depuis des mois
l’enterrement maquillé de la Sécurité sociale. Son travail de
sape a démarré dès le premier projet de loi de financement de la
Sécurité sociale (PLFSS). Fin 2017, le budget de la Sécu était
amputé de 4,2 milliards d’euros, dont 1,2 milliard rien que pour
l’hôpital public déjà exsangue.
« Alors même que patients, soignants et gestionnaires nous
alertent sur l’état critique des services, votre budget organise
une catastrophe industrielle qui aboutira à une Sécurité sociale
suffisamment indigente pour que ceux qui en ont les moyens s’en
détournent et que ceux qui n’ont pas le choix la subissent »,
dénonçait alors Adrien Quatennens (FI).
En plus de ces coupes drastiques – tant pis si l’espérance
de vie en bonne santé diminue et si un Français sur deux renonce à
se soigner faute de moyens –, le gouvernement avait bouleversé
le mode de financement de la Sécu, supprimant les cotisations
maladie et chômage, et augmentant la CSG. Soit la fin du « chacun
cotise selon ses moyens et reçoit selon ses besoins », qui
faisait tout le sens de la création d’Ambroise Croizat.
Depuis, l’assurance-chômage a elle aussi été dénaturée. Et
la réécriture constitutionnelle voulue par l’exécutif constitue
« une condition indispensable à la création d’un système
universel de retraite à points, distinguant les droits contributifs
et les éléments de solidarité », s’alarme Catherine Perret,
du bureau confédéral de la CGT. En somme, la boucle est presque
bouclée.
« Ça y est. Ils l’ont fait. Ils ont réussi à absorber la
loi de finances de la Sécurité sociale dans la loi de finances tout
court. C’est le graal de tous les dirigeants du Trésor depuis
Raymond Barre. Et c’est un ancien inspecteur des finances, Macron,
qui le fait. Cela montre à quel point sa politique date du
giscardisme », mesure Frédéric Pierru. Le docteur en sciences
politiques, sociologue et chargé de recherche au CNRS y voit un
changement de paradigme : « Le but est de stabiliser la part des
dépenses sociales par rapport au PIB. C’est purement budgétaire.
On passe d’une logique de droits associés au travail à une
logique de solidarité qui passe par l’impôt. »
Dès lors, les droits sont officiellement soumis aux aléas
économiques. Plus rien n’est tenu.
« Imaginons une crise qui baisse mécaniquement les recettes de
l’État : les pensions diminueront automatiquement. Pour les
dépenses de santé, vivra-t-on ce qu’ont vécu les Anglais il y a
peu ? Des opérations ont dû y être annulées car les budgets
étaient tous dépensés », prévient Frédéric Pierru, qui
considère que le « privé lucratif » pourra « s’engouffrer »
dans l’espace laissé. Un retour à avant 1945.
Le député LREM Olivier Véran ne s’en émeut pas. Pour lui,
les « défis sociaux et sanitaires auxquels nous sommes confrontés
ne sont plus ceux de l’après-guerre ». Pourtant, comme le
rappelait Fabien Roussel (PCF) lors du dernier PLFSS, « la Sécu,
d’une incroyable modernité, a été mise en place dans une France
en ruines. Nous sommes aujourd’hui dans une France riche. Nous
avons donc les moyens de garantir la santé gratuite pour tous, à
100 % ». L’objectif du gouvernement est tout autre. Mais sa
réforme constitutionnelle est encore loin d’être votée.
https://www.humanite.fr/modele-social-la-macronie-veut-supprimer-la-secu-de-la-constitution-657752