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Commentaire de koanzench

sur Arche de Zoé - Scandale humanitaire ou scandale politique ?


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koanzench koanzench 3 novembre 2007 16:01

Dans Le Monde

"L’importance prise par l’affaire de L’Arche de Zoé et l’extrême confusion qui l’entoure ne tiennent pas seulement aux errements de ses membres, amateurs armés de simplismes, fourvoyés dans une situation complexe. Elles sont également liées à une question de fond, celle du sens donné aux événements qui se déroulent dans le cadre de la guerre civile au Darfour, menée par le gouvernement et ses milices contre des groupes rebelles et la population.

En affirmant vouloir sauver des « orphelins du Darfour », bien que les enfants qu’elle s’apprêtait à embarquer à bord d’un avion fussent majoritairement dotés d’un parent et plutôt originaires du Tchad que du Soudan, L’Arche de Zoé a fait la démonstration qu’elle estimait pouvoir s’affranchir du respect de la vérité.

Cette liberté est à rattacher avec la perception de l’organisation, qui rejoint une mouvance de groupes d’activistes - en France, l’organisation Urgence Darfour, ou, aux Etats-Unis, la coalition Save Darfur, entre autres -, selon lesquels un génocide aurait lieu au Darfour, amenant à justifier toutes les actions pour en sauver les victimes. Ce qui conduit des sapeurs-pompiers bénévoles à se transformer en kidnappeurs d’enfants comme sans doute ici, dans cette atmosphère que dénonce Rony Brauman, cofondateur de Médecins sans frontières, lorsqu’il dénonce « la responsabilité morale » de personnalités comme Bernard Kouchner et Bernard-Henri Lévy.

Y a-t-il un génocide en cours au Darfour, c’est-à-dire une élimination méthodique des ethnies décrites comme « africaines », afin de faire place à des groupes « arabes » ? L’assertion, soutenue par le président américain George Bush, et que des groupes d’experts, notamment de l’ONU, ont réfutée, constitue déjà une dérive.

L’extrême violence des attaques orchestrées par le gouvernement soudanais et ses milices, en quatre années de guerre civile, n’a été liée à aucune volonté identifiée d’organiser une « solution finale » pour les populations noires, dont certaines collaborent avec les forces gouvernementales. Cela n’empêche pas L’Arche de Zoé d’affirmer sur son site Web que « la réalité incontournable et accablante (...) laisse bien peu d’espoir de survie aux populations du Darfour ». Affirmant que, « dans quelques mois, des milliers d’enfants vont mourir », l’association promet d’arracher des enfants à « l’extermination ».

Les responsables de L’Arche de Zoé sont allés plus loin dans la prise de liberté avec les faits. L’association avait « emprunté » des cartes de l’ONU en travestissant leurs légendes. Elle a cité des chiffres de mortalité infantile présentés comme des informations du Comité international de la Croix-Rouge (CICR) - de loin l’organisation la plus efficace au Darfour - en leur faisant subir une « inflation » qui les rendait « grossièrement faux », selon une source du CICR. Ce dernier a obtenu que les manipulations au sujet de ses noms, de ses logos et de ses rapports disparaissent du site de L’Arche de Zoé. L’étendue de la crise au Darfour n’a pas besoin de ce type d’inflation. Outre que ces supercheries en série disqualifient une démarche fondée sur la morale, elles ont aussi pour effet d’instaurer une confusion dangereuse. Des dérapages de cette sorte ont déjà été sanctionnés par la justice. En août, des organisations regroupées autour de Save Darfur avaient lancé dans la presse, aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne, une campagne affirmant que le conflit dans l’ouest du Soudan avait fait 400 000 morts. Cette campagne a été condamnée, par les tribunaux britanniques, pour publicité mensongère.

L’estimation qui fait autorité émane du Center for Disease Control and Prevention, à Atlanta, aux Etats-Unis, selon lequel, entre septembre 2003 et juin 2005, on aurait compté 158 000 morts au Darfour, soit une augmentation de 131 000 personnes par rapport à la période d’avant-guerre civile. Fin 2007, ce chiffre s’établit à environ 200 000, dont 70 % sont dus à la dégradation dramatique des conditions de vie.

Entre 200 000 et 400 000 morts, il ne s’agit pas d’une querelle de chiffres. Une autre distorsion consiste à affirmer qu’au Darfour les pays étrangers se payent de mots, sans jamais « agir », récidivant dans la passivité coupable qui avait permis aux autorités du Rwanda d’accomplir le génocide des Tutsis en 1994. Les manieurs de machettes y ont effectivement tué près d’un million de personnes en cent jours sans en être empêchés. La France, pays ami du Rwanda d’avant le génocide, s’y est même compromise. Mais au Darfour, inversement, la réponse internationale a été d’une ampleur inédite.

La plus importante opération humanitaire au monde a été mise en place dans l’ouest du Soudan. Il y avait 200 travailleurs humanitaires au Darfour en 2004, il y en a aujourd’hui 10 000. Après les vagues d’attaques de 2003-2004 de l’armée soudanaise et de milices « janjawids » sur les villages d’ethnies « non arabes », la catastrophe semblait imminente, alors que les survivants de ces attaques risquaient de mourir de faim ou de maladies. Ils ont été sauvés par cette intervention humanitaire, à laquelle participent l’ONU et 80 ONG, financées en partie par des gouvernements. A lui seul, le Programme alimentaire mondial (PAM) a fourni 53 000 tonnes de nourriture au Darfour en septembre et permet à 120 000 enfants de bénéficier de programmes de nourriture à l’école. En contradiction avec les descriptions apocalyptiques de L’Arche de Zoé, le taux de scolarisation des enfants a augmenté de manière inédite dans l’ouest du Darfour depuis le début du conflit.

Le déploiement humanitaire est naturellement impuissant à résoudre la crise. Il a également d’inévitables effets pervers, en premier lieu celui d’avoir donné naissance à de gigantesques camps de déplacés aux abords des villes du Darfour. Pendant que les alliés du gouvernement soudanais menacent de voler les terres des absents, les camps se transforment en sanctuaires pour les rebelles, entraînant des explosions de violence entre factions.

C’est dans ce cadre que doit bientôt se déployer au Darfour la plus importante mission de maintien de la paix de la planète, une force commune des Nations unies et de l’Union africaine (UA) de 26 000 hommes, dont le principe a été arraché aux autorités de Khartoum au terme de pressions internationales soutenues. Cette force prendra le relais de la mission de l’Union africaine, paralysée sur le terrain. Et il est évidemment impossible d’affirmer à l’avance qu’elle sera inefficace à endiguer la crise du Darfour, compte tenu de l’intérêt international pour son déploiement."

http://www.lemonde.fr/web/article/0,1-0@2-3232,36-974133,0.html


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