@Jonas
Non
,je ne pense pas. Je serai moins catégorique que vous.
Ce
n’est pas la même démarche que Jeff Koons et compagnie dont le talent si talent
il y a est la mystification comme système et la marchandisation de cette
mystification portée à des limites toujours repoussées. Ils se stimulent l’un l’autre
et ont bien entendu dans leur sillage toutes sortes de complices pécuniairement
intéressés et des idiots utiles. Il y a aussi des lapins pris dans les phares
des médias qui sont puissants. Certains usent encore d’ailleurs de l’argument
esthétique pour vendre des séries et faire de bonnes ventes en pillant des gens
moins connus et moins prétentieux. Sont-ils simplement de purs cyniques ou animés
en plus d’un narcissisme exacerbé ? Au fond, peu importe. Par contraste avec
toutes les formes d’art qui continuent de prospérer et de se diversifier, sans
le vouloir, à trop en faire avec ceux qui les accompagnent, ils se caricaturent
eux-mêmes et ont commencé en fait à se disqualifier.
Il me semble que Duchamp est dans une autre dynamique. A
son époque l’artiste avait acquis de l’indépendance par rapport aux puissants
sur le choix des sujets, leur traitement, le choix et l’expérimentation de
nouvelles techniques et se trouvait confronté maintenant à la puissance de l’art
officiel des musées qui renvoyait au passé ou imposait les goûts des gens
installés et des thématiques qui s’imposaient comme exemplaires et
incontournables. Que l’on songe par exemple à la présence massive et convenue
de la statuaire des monuments aux morts pour les sculpteurs après la guerre.
Une échappée vers la stylisation et l’abstraction s’est produite. Toute la
société avait subi un ébranlement moral dès avant la guerre qui traversa toutes
les formes d’art et des provocations surgirent dans des créations qui tiennent
à la fois de la provocation, de la révolte et d’un sentiment de terrible
fragilité menacée. Certains artistes leur apprentissage fait ont besoin d’innover
et d’évoluer toute leur vie pour s’affirmer et être reconnus ce qui les renvoie
à de nouvelles dépendances et conformismes dans une boucle inconfortable. Le
coup d’éclat de Duchamp relève à mon avis de ce contexte et d’une volonté de
dénonciation, de révolte avec sa part d’impuissance qu’il aménage comme il
peut. Il expérimente une posture intenable, l’art est ce que je désigne comme
art parce que je suis le créateur. Bien entendu, il se fait prendre au mot et
se trouve reconnu comme créateur par l’instance normalisatrice par excellence
le musée. La créativité a été escamotée au passage mais elle renaît de toute
façon ailleurs. Une vacherie incorrecte au passage, l’admiration des compagnes
pour leur grand homme n’est pas toujours des plus perspicaces. D’autres, vinrent
ensuite avec moins d’états d’âme et en tirèrent des recettes non sans talent en
puisant dans le quotidien et les grandes leçons de l’histoire de l’art pour
ramener cette évasion éphémère dans la catégorie des arts décoratifs reproductibles
comme Andy Warhol et ses équipes en hybridant pour longtemps art et business
jusqu’aux extrémités qui annoncent à mon avis la fin d’un cycle faute de dupes
en nombre suffisant. Le roi est nu comme on dit.