Je ne résiste pas à copier un article de 2006 qui montrait déjà les interrogations et ce que l’on pouvait également faire avec cet argent donné aux restaurateurs... Et les PROMESSES des restaurateurs...
Restauration : baisser la TVA,
ou comment redistribuer aux riches
par Pierre-Yves GEOFFARD
QUOTIDIEN : lundi 23 janvier
2006
Pierre-Yves Geoffard est
chercheur au CNRS.
Outre les menaces pas même
voilées de rétorsion électorale au cas où l’Union européenne ne suivrait pas la
demande française d’une baisse de la TVA sur la restauration, l’argument
principal des représentants de l’industrie hôtelière est que cette baisse
entraînerait la création de 40 000 emplois dans le secteur. Ce chiffre mérite
qu’on s’y attarde, et sa plausibilité a été mise en cause par de nombreux
commentateurs. Après la baisse des charges sur le travail peu qualifié, la
baisse des taxes à la consommation constituerait ainsi un outil de la politique
économique de l’emploi. C’est à la fois vrai et faux : comme pour la baisse des
charges, il est difficile de penser qu’une baisse de la TVA n’aurait aucun
effet positif sur l’emploi dans le secteur concerné ; mais la vraie question
est de savoir quels coûts seraient payés, et par qui, pour créer de tels
emplois.
La baisse des taxes à la
consommation constitue a priori une mesure fiscale tentante : si elle conduit à
une baisse du prix de vente, elle peut entraîner une augmentation de la demande
; cette augmentation de la demande peut alors entraîner les entreprises à
augmenter leur production, et pour cela à embaucher de nouveaux travailleurs.
Dans le cas de la restauration, beaucoup d’incertitudes pèsent sur l’évaluation
du nombre d’emplois qui pourraient ainsi être créés. Premier constat : les
emplois dans le secteur de l’hôtellerie restauration représentent 3 % de
l’emploi total en France, mais 6 % de l’emploi en Grande-Bretagne, qui applique
pourtant un taux normal de TVA à cette activité. Cette comparaison indique que
d’autres facteurs sont à l’oeuvre, qu’ils soient de nature culturelle
(intrinsèquement, les Britanniques sortiraient plus souvent au restaurant ?) ou
économique : le prix plus bas n’aurait alors rien à voir avec le niveau de la
TVA, mais plutôt avec l’intensité de la concurrence ou un coût du travail plus
bas. Deuxième calcul possible : comme 40 000 postes représentent plus de 11 %
de l’emploi actuel du secteur, et que le nombre d’emplois par repas servi est à
peu près constant, il faudrait que les restaurants augmentent leur activité
dans la même proportion, et donc que la demande soit suffisamment stimulée par
une baisse du prix. C’est ici que les incertitudes commencent : quelle serait
la baisse du prix nécessaire pour que la demande augmente de 11 % ? Les mesures
de l’élasticité prix de la demande sont assez imprécises. Si l’on retient la
valeur couramment admise en France de - 0,6, alors le prix devrait baisser de
18 % : on voit mal comment une baisse de la TVA de 19,6 à 5,5 % pourrait
conduire les restaurateurs à diminuer le prix de vente TTC de 18 %... En
retenant une valeur plus élevée de cette élasticité, disons -1, il suffirait
d’une baisse du prix de 11 %. Ceci supposerait que les restaurateurs
répercutent intégralement sur le prix de vente la baisse de la TVA, sans profiter
de cette baisse pour augmenter leur niveau de marge.
Croyons-les un instant, et
retenons donc ce chiffre de 40 000 emplois créés. On peut toutefois, même sous
ces hypothèses optimistes, s’interroger sur la pertinence d’une telle mesure.
Tout d’abord, son coût pour le budget de l’Etat serait très élevé. Passer de
19,6 à 5,5 % entraînerait une baisse directe de près des trois quarts de la
recette fiscale, et cette baisse est certaine ; certes, elle serait en partie
compensée par la hausse de l’activité ; mais même en tablant sur une
augmentation de l’activité de 11 %, le manque à gagner pour l’Etat serait de
plus de 3 milliards d’euros. Ce qui met à 75 000 euros par an le coût, pour
l’Etat, de la création d’un emploi dans la restauration...
En outre, près de la moitié
des travailleurs de la restauration gagne (officiellement) moins de 1 000 euros
par mois. Les 40 000 emplois créés recevraient donc, en salaires, de l’ordre de
500 millions d’euros. Où passeraient donc les 2,5 milliards manquants ? Dans les
profits du secteur, sans doute pour partie ; dans des cotisations sociales sur
les emplois créés, pour partie aussi ; mais, pour l’essentiel, la baisse du
prix profiterait à... ceux qui consomment le plus de repas au restaurant. Or,
ce mode d’alimentation concerne peu les ménages les plus pauvres. Plus subtile
qu’une baisse de l’impôt sur le revenu ou qu’un plafonnement de l’ISF, la
baisse de la TVA sur la restauration aurait pour effet principal une
redistribution du pouvoir d’achat aux plus fortunés.
L’équité d’une telle mesure
serait donc pour le moins ambiguë, bénéficiant certes pour partie aux chômeurs
peu qualifiés dont certains trouveraient peut-être un emploi dans la
restauration, mais pour l’essentiel aux clients réguliers des restaurants.
En termes d’efficacité, un
rapide calcul montre à quel point une telle mesure serait paradoxale. Car 3
milliards d’euros de recettes budgétaires correspondent au coût de près de 100
000 agents publics. L’équilibre budgétaire conduirait donc à financer la création
hypothétique de 40 000 emplois dans l’hôtellerie et la restauration par... la
diminution de plus du double d’emplois dans la fonction publique. Même sous les
hypothèses les plus favorables, les baisses ciblées de TVA ne constituent qu’un
bien piètre outil au service des politiques de l’emploi.