Kiev le 16 juin 2022 : une journée d’unité européenne historique !
« Par notre présence, tous les quatre, à Kiev, nous exprimons le salut fraternel des peuples européens à un peuple libre et souverain dont l’héroïsme face à l’agression armée de la Russie force l’admiration, nourrit le respect et exige un clair souvenir. Ce soutien, vous l’avez, monsieur le Président, vous le savez, vous pouvez compter sur nous. L’Ukraine peut compter sur l’Europe. » (Emmanuel Macron, le 16 juin 2022 à Kiev).
On pourra dire ce qu’on veut, le Président Emmanuel Macron a eu raison d’aller en Ukraine ce jeudi 16 juin 2022, raison sur le fond, raison sur la forme. J’ai même une grande fierté d’être Français pendant ces temps difficiles pour l’Europe. Le voyage à Kiev a été à plusieurs titres très instructif.
D’abord, évacuons l’électoralisme que certains leaders minables de partis politiques français étriqués dénoncent faute d’avoir autre chose à dire, vu leur soutien constant et consternant à Vladimir Poutine depuis de longues années : non, Emmanuel Macron n’est pas allé à Kiev parce que c’était trois jours avant le second tour des élections législatives. Il faut être franchement aveugle, égocentré et nombriliste pour croire que quatre chefs d’État et de gouvernement, même de pays amis, puissent se prêter au supposé électoralisme du cinquième alors qu’il s’agit de la guerre et de la paix d’un ensemble de 500 millions d’habitants.
Les mêmes qui reprochent l’électoralisme du Président lui reprochaient d’avoir tardé à y aller alors qu’il y avait une campagne présidentielle. De plus, rien n’indique que les électeurs soient plus favorables à la majorité présidentielle après un tel voyage, alors qu’ils pourraient aussi se dire que le Président oublie les échéances nationales et ne les écoute pas. La réalité, c’est que l’histoire est tragique et qu’elle n’attend pas. Emmanuel Macron a pris conscience de cette tragédie et il faudrait que ses opposants prennent aussi un jour conscience qu’il n’y a pas que des luttes franco-françaises dans le monde et que le désordre est mondial, tragique, menaçant.
Une telle visite, à haut risque pour la sécurité, se prépare très longtemps à l’avance avec un calendrier adéquat. Dans une semaine, le 23 et 24 juin 2022, le dernier sommet européen de la Présidence française du Conseil de l’Union Européenne, qui devra donner un avis à la demande d’adhésion à l’Union Européenne de l’Ukraine, de la Moldavie et de la Géorgie.
Toute la journée du 16 juin 2022 fut donc à l’unisson de cette visite européenne, et pas seulement française, exclusivement consacrée aux Ukrainiens en guerre pour défendre leurs territoires de l’invasion de l’armée russe.
La première image avait un triple sens. Le Président français Emmanuel Macron, le Chancelier allemand Olaf Scholz et le Président du Conseil italien Mario Draghi étaient dans le même train de nuit en route pour Kiev, la capitale de l’Ukraine. Photographie dans le même wagon, en pleine discussion le matin, dans l’attente de la fin du voyage.
Le premier symbole est bien sûr l’unité européenne : rien ne se fait en Europe sans la volonté de la France et de l’Allemagne. L’ancien Premier Ministre Jean-Pierre Raffarin a applaudi des deux mains de ne pas faire juste une visite française mais européenne. Il a rappelé que les Présidents américains (c’est le cas de Barack Obama, lire ses mémoires) comprennent rapidement l’importance des relations franco-allemandes car le couple peut entraîner l’Europe ; sans l’un ou l’autre des deux pays, les discours ne seraient suivis d’aucun acte. Jean-Pierre Raffarin avait salué l’invitation adressée à Angela Merkel (et à Jean-Claude Juncker) de rejoindre Emmanuel Macron le 26 mars 2019 à l’Élysée en négociation avec le Président chinois Xi Jinping sur le climat.
Ce matin-là, l’image offrait même un troisième pays important pour l’Europe, fondateur comme les deux autres, l’Italie, en clair, les trois plus grandes puissances économiques de l’Union Européenne. L’image était donc forte et fut complétée par l’arrivée ultérieure du Président roumain Klaus Iohannis dont la présence rappellerait aussi que la délégation représentait toute l’Europe, pas seulement l’Europe occidentale, aussi cette Europe de l’Est, directement concernée et inquiète par les visées expansionnistes de la Russie.
Le deuxième symbole, celui du train, rappelle bien sûr la clairière de Rethondes et la signature dans le wagon de l’armistice de novembre 1918 (mais aussi de juin 1940). Enfin, le troisième symbole que j’y vois, c’est bien sûr l’Orient Express et le fait que le voyage vers l’Est n’était pas qu’une simple téléportation aérienne (d’un aéroport vers un autre, ce qui était impossible dans le cas de l’Ukraine) mais comme un lent processus de préparation jusqu’à la destination.
Plusieurs objectifs étaient à l’esprit du Président Emmanuel Macron pendant ce voyage et en particulier, dissiper les doutes sur la position française et la position européenne. La première chose que les dirigeants européens ont faite, c’est de se rendre en banlieue de Kiev où des massacres ont été commis, des crimes contre l’humanité. Emmanuel Macron a clairement parlé de barbarie.
De retour à Kiev, dans le Palais présidentiel, ce fut la rencontre avec le Président Volodymyr Zelensky, dont on a parlé de la froideur. Je ne suis pas capable de décrypter le taux de chaleur humaine d’un chef d’État, mais la venue des quatre dirigeants ne pouvait que le satisfaire. Emmanuel Macron ne voulait pas faire un voyage solitaire. Il a donc été très enrichissant pour tous. C’est l’Europe qui y a gagné, en visibilité, en engagement, en identité.
En clair, pendant une journée, ce sommet composé des cinq dirigeants a été organisé sur la sécurité en Ukraine et en Europe, avec Volodymyr Zelensky, Emmanuel Macron, Olaf Scholz, Marie Draghi et Klaus Iohannis (son prénom est allemand car il est un Roumain issu de la minorité allemande de Transylvanie).
Plusieurs éléments ont été actés durant cette journée.
D’abord, l’avis favorable à la candidature de l’Ukraine à l’Union Européenne. Celui-ci ne faisait aucun doute, mais il a été réaffirmé et devrait être l’avis favorable de l’ensemble des pays de l’Union Européenne dans quelques jours. C’est important car pour la France, par exemple, l’Ukraine ne sera plus un pays comme un autre mais un futur pays membre à qui on doit fidélité et soutien. Du reste, Vladimir Poutine ne considère pas que l’appartenance à l’Union Européenne constitue une ligne rouge.
Au-delà de cette candidature, c’est aussi la Communauté politique européenne évoquée par Emmanuel Macron le 9 mai 2022 qui… n’a pas été évoquée. Même si cette instance pourrait permettre des discussions paneuropéennes, Emmanuel Macron n’en a pas reparlé car cela avait fâché les Ukrainiens qui voyaient dans cette instance un ersatz d’Union Européenne pour "membre de seconde zone". Même si le processus d’intégration est long, et ne peut pas être modifié parce que justement, ce n’est pas une simple zone de libre-échange, le statut de "candidat à l’Union Européenne" est préféré à celui de membre d’une instance fantoche.
Une autre déclaration forte du Président Emmanuel Macron, pendant la conférence de presse commune, c’est le fait que la France souhaitait la victoire militaire de l’Ukraine. Cela n’avait jamais été dit aussi clairement. La France soutient l’Ukraine dans sa résistance et elle souhaite la victoire de l’Ukraine. En outre, jamais la France ne négociera quoi que ce soit dans le dos de l’Ukraine. Là encore, il était préférable que ce fût rappelé : la France soutient l’Ukraine et au nom de sa souveraineté, elle ne cherchera pas à négocier une paix si l’Ukraine n’est pas dans le même état d’esprit. Seule l’Ukraine peut donner le signal d’une négociation de paix avec la Russie.
Enfin, Emmanuel Macron est revenu sur ses déclarations selon lesquelles il ne fallait pas humilier la Russie, ce qui, pour les Ukrainiens massacrés par la Russie de Poutine, et plus généralement, pour les habitants des pays d’Europe centrale et orientale qui ont été soumis pendant une quarantaine d’années sous le joug soviétique de la Russie, était une phrase difficilement audible. Emmanuel Macron a considéré que cette phrase devait être comprise dans le long terme, car il faudrait bien un jour s’asseoir à la table des négociations avec la Russie. Mais pas en ce moment où les Ukrainiens luttent de toutes leurs forces.
Dans l’esprit d’Emmanuel Macron, l’objectif actuel est que l’Ukraine retrouve la souveraineté de tous ses territoires. Il ne s’agit donc pas d’aller le plus possible contre la Russie, de l’affaiblir le plus possible, comme les États-Unis sembleraient le vouloir (il n’a pas cité ce pays mais c’était clair).
Malheureusement, et ce fut à mon avis la seule maladresse dans cette visite, Emmanuel Macron a voulu donner un exemple avec le Chancelier allemand. Il y a 100 ans, nous avions gagné la guerre mais perdu la paix. Et il a laissé entendre que le Traité de Versailles avait humilié l’Allemagne et que c’était pour cette raison que les années 1930 ont sécrété le nazisme et le besoin de revanche. Pour les historiens, c’est se tromper d’interprétation : jamais les Allemands n’ont été humiliés par le Traité de Versailles, la preuve, c’est que les dettes de guerre ont souvent été reportées. Cette revendication d’humiliation par le Traité de Versailles avait été argumentée par les nazis eux-mêmes. C’est une version allemande de l’histoire qui n’est pas réelle. Une réalité alternative, qu’on dirait aujourd’hui. La crise économique de 1929 n’était pas le résultat du Traité de Versailles et a probablement contribué bien plus efficacament au développement du populisme et du nazisme que les conditions de la paix. L’autre élément est que les Allemands se sont sentis humiliés parce qu’ils avaient capitulés alors qu’aucune armée étrangère n’avait envahie leur territoire. Ils ne se sentaient donc pas dans le camp des vaincus.
L’histoire est en marche, elle est tragique, et il faut répéter que c’est par la clairvoyance de ses acteurs qu’on évitera les futures catastrophes. Il faut beaucoup d’énergie et de réflexion pour avoir une vision pertinente. Ce que je constate, c’est que, de toute la classe politique, Emmanuel Macron n’est certainement pas parfait (j’ai pointé une maladresse), mais il est le seul à faire ce travail d’anticipation collective. Les autres, ma foi, restent au ras des pâquerettes avec leurs fonds de commerce intemporels qui n’apporteront jamais de solution aux véritables enjeux de ce siècle (immigrés méchants pour les uns, riches méchants pour les autres). D’une certaine manière, la guerre en Ukraine nous oblige à sortir de notre zone de confort et à nous engager vraiment pour nos valeurs. Ou pas. C’est comme cela qu’on reconnaît le courage en politique.
Aussi sur le blog.
Sylvain Rakotoarison (16 juin 2022)
http://www.rakotoarison.eu
Pour aller plus loin :
Kiev le 16 juin 2022 : une journée d’unité européenne historique !
L'avis de François Hollande.
Volodymyr Zelensky.
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Ukraine en guerre : coming out de la Grande Russie.
Robert Ménard, l’immigration et l’émotion humanitaire.
Ukraine en guerre : Emmanuel Macron sur tous les fronts.
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