N’ayons pas peur des mots
Il n’existe aucun mot qui ne serve à rien : les mots doux, les mots d’ordre, les mots savants qui sont précis et nécessaires aux spécialistes mais pédants aux yeux des profanes, les mots vulgaires qui ne sont pas là pour conter fleur bleue mais pour vider sa rage, sa colère, les mots anciens qu’il ne faut pas oublier parce qu’ils précisent toujours une pensée, un ressenti…ils désignent dans la dentelle.
Les mots en ont pris un coup, la langue en a pris un coup ! Les anglo-saxons sont passés par là qui nous ont imposé leurs mots clé tant et si bien que la finesse de perception, le détail d’un ressenti, se devine, peut être encore, mais ne se dit plus. Dans un stress, un spleen, un flip on mettait des pages de dictionnaire naguère, on n’en était pas plus malheureux.
S’il est vrai que la simplicité en art est la chose la plus difficile à produire, tant nous sommes bavards, tant nous avons peur de ne pas être compris, reconnus à notre juste singularité, en matière de langue, on n’a pas hésité, on a sabré ; quelqu’un quelque part on ne sait pas qui a considéré que les gens étaient bien trop bêtes pour pouvoir utiliser à l’écrit, à l’oral, une langue d’une telle richesse, aussi, pour ne pas les perturber, les blesser, les vexer, devions nous nous sacrifier pour la rendre plus légère, plus facile à manier.
Je prends toujours l’exemple de ces femmes du peuple au dix neuvième siècle qui, grâce à Jules Ferry, sont allées à l’école pour la première fois depuis que l’humanité existe, et ont acquis, compris, emmagasiné tout ce qu’on leur apprenait, sans problème, y compris notre fameuse orthographe qu’il faudrait simplifier aujourd’hui pour se mettre au niveau des crétins cancres ; inutile de préciser enfants gâtés flemmards et dégénérés. ( On sait tous que la difficulté, le défi, puis la réussite sont les mamelles de la réalisation et de la satisfaction de l’être humain, alors ce n’est sûrement pas le but de cette entourloupe ). Aussi, ne pas profiter d’une richesse au profit d’un abêtissement, d’une dépendance à la facilité, n’est pas raisonnablement défendable.
( Juste une parenthèse, notre Jules, Ferry, avait compris qu’il fallait un peu éclairer les gueux pour qu’ils puissent continuer à être exploités et servir les puissants dans un monde qui changeait, la technique, la science faisaient des bonds en avant, il fallait bien que le peuple suive, non pas pour leurs beaux yeux, rien n’est gratuit en ce bas monde, mais pour continuer à être serfs utiles (eh oui, malgré 1789 ! )
Avoir et trouver le mot juste pour exprimer sa pensée, son ressenti, son émoi, c’est la base de la communication qui apporte la base du confort du vivre ensemble mais qui, de surcroît apporte satisfaction au locuteur. Exprimer ce que l’on ressent, et se faire comprendre est chose rare ; le parler du savoir superficiel est beaucoup plus facile à manier, et c’est bien pourquoi il a gagné.
Pourtant c’est indispensable. Et quand on n’a pas l’indispensable, on s’accommode de restes, d’ersatz, de clopinettes, on s’affame, quel qu’en soit le domaine.
Aussi, ne perdons pas la jouissance de la création chaque jour recommencée de la langue, son arrangement, son rythme, son efficacité ou sa poésie, son ésotérisme ou au contraire son universalité ; bref ne nous privons pas des mots.
Il ne se passe pas un jour où je ne ressens pas l’émerveillement devant cette construction humaine, élaborée au fil des temps sans auteur , différente en chaque point géographique, et variée en chaque individu, mais qui peut quand même se partager après apprentissage. C’est la preuve que l’humanité est capable, depuis le nombre de sa base, de créer l’essentiel, le beau, le juste et je dirais le magique tant c’est donné, mais pour quoi peu de gens s’étonnent et en remercient les ancêtres compositeurs anonymes !!
Pourquoi la vie sociale, la politique n’ont-elles pas suivi ce chemin ? Pourquoi la vie ne s’est-elle pas organisée, sans maître
Venons-en à des mots qui effraient ; il y en a plusieurs familles.
La famille des mots désuets pour les sentiments profonds, les émotions exaltantes ou les douleurs quand les mots nous manquent. Depuis que la science a remplacé la conscience, la philosophie et la religion, il y a beaucoup moins de ressentis, un besoin de communiquer beaucoup plus superficiel, aussi des tas de mots, de concepts et de réalités même ont disparu des esprits. L’appauvrissement est un fait accompli par tous ceux qui ont suivi la mode des anglicismes, puis des acronymes comme preuves de leur modernisme.
Dans un monde d’incompétents et d’ignorants dans lequel chacun a envie de parler et son mot à dire, c’est fou le nombre de conneries, d’insignifiances et de contre sens que l’on lit ou entend. Et pourtant la science nouvelle religion de l’Homme ne fait que nommer et pour ce faire il a besoin de rapetisser jusqu’au micron l’objet de son intérêt ; du temps où l’Homme brassait large, son langage symbolique le plaçait petit dans le vaste Monde qu’il contemplait, mais depuis que les Lumières ont éclairé son cerveau, il n’a de cesse de tout rabougrir pour y faire rentrer le monde.
Le langage s’en ressent, c’est bien entendu.
On crée le langage dès qu’on ouvre la bouche, on crée le langage dès qu’on prend un stylo. Eh bien, certes cela perdure mais ça me semble tout petit ratatiné sous couvert d’universalité !
Quand j’entends « nos » politiques parler anglais, je tombe sur le cul ! Jamais je n’aurais osé parler de cette manière à l’épicerie du coin, en Angleterre ! Je comprends pourquoi tout le monde lit l’anglais : quand il m’arrive de lire un article, je trouve une langue d’une pauvreté inqualifiable et les bras m’en tombent !
Eh bien, puisqu’il faut faire comme les anglo-saxons, allons-y !!
Le subjonctif a toujours été difficile à employer par les étrangers ; personne n’a jamais expliqué que la grammaire n’était pas irrationnelle mais qu’au contraire elle était extrêmement précise, d’une précision dans l’intention, la finesse d’une description, d’une situation qui la rend merveilleuse, précieuse et qui mérite toute notre attention, tout notre amour ; eh bien aujourd’hui les français ( sans majuscule c’est fait exprès ) ne savent plus non plus quand employer le subjonctif ! Je ne parle pas de l’analphabète, d’ailleurs il ne devrait plus y en avoir, mais des gens qui causent dans le poste ! Nous savons tous qu’aujourd’hui le but est de rendre les trois quart des gens analphabètes, et le quart restant, inculte lui-même, formaté pour faire marcher le système. Un régime totalitaire est si basique, si stupide qu’il peut fonctionner avec des robots et de l’intelligence artificielle, c’est dire si on est loin de nos origines culturelles.
À les entendre, supprimons le subjonctif !
Ça fait mal.
Mais cela, comme des joujoux tout neufs, amusent les garçons qui s’y laissent prendre avec passion comme jadis bouche bée devant leur train électrique. Ils restent dans la même hébétude devant la ferraille des fusées, des satellites, des trains grande vitesse ou des voitures de courses, tout ce qui peut les rendre rapides et puissants tant ils manquent sûrement en eux de ces qualités, ou bien se rassurent de la simplicité du passage, ignorants de la nécessité de l’initiation.
Ersatz encore ; apparences ; superficialité, tout ingrédient nécessaire au manque d’anticipation, à l’absence de relation au monde, au refus de l’humilité de l’être et bien sûr à l’incapacité de sortir de soi pour embrasser l’éternité. Pour eux l’éternité c’est les congélos qui la donnent ou les calculs arithmétiques, le bonheur c’est le flouze , la jouissance c’est le viol, et pour les plus humbles d’entre eux, les plus retardés, l’intelligence c’est la capacité de fabriquer des machines infernales qui facilitent la vie et rendent les humains mous et malades. Le plus cocasse c’est que leur beau monde ne tient que sur le caprice des cieux mais, plus cons que leurs ancêtres les Gaulois ils ne font même pas d’offrandes pour qu’ils ne se fâchent pas, ils inventent tout pour qu’ils se fâchent au contraire ! Ils mourront de la perte de leur progrès, et ce ne sera une perte pour personne, de vivant. Ils pensent gouverner le monde… les pauvres. Et personne pour leur dire.
Avant cela, il y avait le langage châtié des gens biens, et le langage vulgaire ; j’ai adoré la vulgarité des filles américaines dans les films ; c’est bien la seule chose qui m’en reste. Et devenant linguiste, étudiant tous les niveaux de langue et beaucoup de langues, j’ai donné corps au fait qu’aucun mot n’a été conçu pour rien : il dit toujours quelque chose, de l’ennui à la colère, de l’admiration au mépris, de l’indifférence à l’engouement, toutes les émotions y passent tandis que la dénomination, la description se multiplient à l’infini et s’affinent.
Quand je cherche un mot pour exprimer quelque chose de précis, je vais fouiller dans le dictionnaire historique voir ses anciennes occurrences et j’y trouve souvent ma vie. Sinon je l’invente en le construisant à partir de l’existant : un substantif qui n’existe pas issu d’un verbe qui me convient ou un suffixe idoine jamais utilisé avant : et, tout le monde me comprend.
C’est cela la langue, ne rien oublier, et en inventer. La langue, c’est comme l’amour, c’est une richesse gratuite et plus vous vous en servez plus vous en avez.
Aujourd’hui c’est l’exact inverse qui s’impose à un monde en désarroi : quelques mots suffisent : complotistes, fascistes, mondialistes, troll.. tout est tu ou presque, et de toute façon l’échanges d’idées, la conversation ou la critique ne sont pas encouragées, on a droit à la résignation, au retrait, à l’abandon. Le conformisme fait rage dans un monde insécure, l’audace est une folie, et la liberté n’est plus créative mais licencieuse.
Aujourd’hui pourtant, c’est encore vrai, la langue c’est comme l’amour, perdue dans les brumes incertaines du progrès. Mais tout deux éternels, en tout cas tant que l’humain sera.
Alors, n’oublions pas pour rire, les mots d’air, les mots fil, les mots Sion, le mot if, le mot tard, le mot con, le mot tel, le mot bile, le mot us, le mot cas, le mot râle, le mot laid, le mot las, et n’oublions pas le mot loque !
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