Loups : la France et l’Europe prolongent sa surprotection
L'occasion était donnée de modifier la protection du loup dans la convention de Berne. Une occasion manquée, vécue comme une trahison.
En marge du Tour de France, le président de la République Emmanuel Macron s'était prononcé à Argelès-Gazost le 21 juillet dernier en faveur d'un changement du statut de la protection du loup. Suivant le mouvement, le ministre de l'Agriculture, Marc Fesneau, déclarait vouloir réexaminer la directive Habitats lors du Conseil européen de l'Agriculture et de la Pêche du 26 septembre. Puis le 2 Aout, le même ministre a réitéré au Sénat, sa volonté de voir la protection du loup assouplie. Mais cinq mois plus tard, le gouvernement fait volte face.
Au moment où le gouvernement pouvait agir lors de la réunion du comité permanent de la convention de Berne sur la conservation de la vie sauvage (1), il fait savoir par la voix du ministre délégué à la Ville, Olivier Klein, que "l'abaissement du statut de protection du loup au niveau européen (était) prématuré" (2). Or, cette convention internationale, discutée tous les ans lors d'un comité permanent, avait remis sur la table ce 29 novembre un amendement proposé par la Suisse visant à faire passer le loup d'espèce strictement protégée à simplement protégée (3). Ce changement de statut aurait permis selon la Confédération suisse, "une adaptation de la Convention à la situation réelle", le loup ayant largement reconquis l'Europe occidentale en 40 ans (5)
Des promesses qui n'engagent que ceux qui les entendent
Se défaussant de ses engagements antérieurs, la France s'est totalement alignée sur la Commission européenne toujours favorable à une surprotection du loup. Et pour simplifier les choses, elle lui a carrément transféré son mandat, ce qu'elle n'était pas obligée de faire, les votes étant réservés aux Etats signataires de la Convention de Berne à raison d'une voix par Etat. La France aurait-elle transféré en douce sa compétence sur la biodiversité à Bruxelles ? Le résultat est que l'amendement de la Suisse, qui aurait permis d'assouplir la protection du loup, a été rejeté par 30 voix contre, grâce au vote bloqué de la Commission, du Conseil européen et des 27 Etats membres de l'UE. Les 6 voix favorables à l'amendement suisse et les 3 abstentions n'ont pas pesé lourd dans le système de majorité de la convention de Berne où tout changement nécessite d'emporter 2/3 des voix. D'autant que la pratique du vote bloqué donne toute latitude à la Commission européenne de l'emporter.
Des expertises ad hoc
Pour justifier le rejet de l'amendement suisse, la Commission européenne, la France et les 26 autres Etats membres de l'UE se sont appuyés sur les experts de l'UICN (Union internationale de conservation de la nature) réunis dans la LCIE (Large carnivores initiative for Europe). Nul n'ignore que l'expertise sert toujours à justifier une décision politique déjà prise. Ainsi le rapport intitulé "Evaluation de l'état de conservation du loup (canis lupus) en Europe" rédigé par Luigi Boitani et al, dit tout et son contraire dans un style scientiste parfois incompréhensible (4). Il se félicite ainsi que les populations de loups aient pu reconquérir l'espace européen. De fait, en additionnant les chiffres donnés par les Etats, leur nombre en Europe, mis à part la Russie, la Biélorussie, la Moldavie et l'Ukraine non concernées par le rapport, s'élèverait officiellement en 2021 à 21 500, dont 19 000 pour les seuls 27 pays de l'UE. Ce qui porterait l'espèce dans la catégorie "de préoccupation mineure" au sein de la liste rouge de l'UICN. Belle performance sachant que les chiffres officiels sont volontairement minorés pour éviter les risques de "régulation" réclamés par les populations rurales.
C'est ainsi que la fédération de chasse de la Drôme (en France) avait pris les choses en main en procédant à des hurlements de loups qu'elle avait confronté aux informations données par ses pièges photographiques. Résultat : en 2019 qu'il n'y avait pas 40 loups mais bel et bien 120 sur le département, c'est-à-dire 3 fois plus. Depuis, les autorités font la sourde oreille pour réaliser conjointement un véritable comptage des loups... Il n'en reste pas moins que le loup se porte à merveille à l'échelle du continent, et le rapport convient que "l'état de conservation à l'échelle européenne est indéniablement positif".
L'art de trouver des points noirs
Mais ne voulant pas rester sur ce satisfecit, le rapport énumère pêle-mêle quelques points noirs : les données des Etats ne sont pas standardisées, la situation varie d'une région à l'autre... Ainsi, l'espèce passe de "préoccupation mineure" dans la liste rouge de l'UICN à "quasi menacée" dans la péninsule ibérique en raison "de la fragmentation des dispositifs de gestion" même si elle comptabilise officiellement 2 500 individus. Dans les Alpes centrales et occidentales, c'est "la fragmentation entre plusieurs pays" et les "premiers signes d'hybridation" qui sont pointés du doigt... Quant à l'Italie, où il serait dénombré 2020 à 2645 individus, la population lupine se trouverait gravement exposée à la pression humaine et à l'hybridation loup-chien. Ce qui la verse elle aussi dans la catégorie "quasi menacée".
D'une manière générale, le loup se porterait encore mieux en Europe s'il n'y avait pas de "clôtures frontalières" pour contrer les flux des migrants, des "clôtures vétérinaires" pour maîtriser la peste porcine, "l'hybridation loup-chien" et "les conflits sociaux polarisés autour du loup". Sans parler bien évidemment des aménagements routiers et autoroutiers, d'une "mauvaise gestion de la chasse", des conflits avec les humains ...
La France aux ordres de la Commission européenne
Bien que ces risques n'aient pas freiné une forte progression du loup, la France s'est rangée aux côtés des conservationnistes de la LCIE sous prétexte que " la majorité des régions de l'Union n'ont pas atteint le bon état de conservation de cette espèce" (2). Si cette réponse d'Olivier Klein au député Pierre Morel-A-L'Huissier (Lozère, LR) reflète parfaitement la position de la Commission européenne, du Conseil européen et des 26 autres Etats membres de l'UE, ce n'est pas l'avis du Parlement européen qui a adopté le 24 novembre par 306 voix pour, 225 voix contre, une résolution sur les grands carnivores en faveur de l'amendement suisse. Bien que cette résolution n'ait aucune valeur contraignante - le Parlement n'ayant aucun pouvoir face à ceux de la Commission et du Conseil - elle a le mérite de refléter l'exaspération de la population, en particulier des éleveurs à l'herbe de plus en plus victimes des prédations du loup. Un loup qui n'a plus rien à voir avec le canidé sauvage au point d'entrer dans les bâtiments des fermes et de s'approcher dangereusement des humains dont il ne craint plus rien. Comme le reconnait la LCIE, "les aires de répartition permanente des loups ont une densité moyenne de 90 personnes/km2, ce qui traduit un degré élevé d'adaptation à la présence humaine". Ainsi l'Union européenne et la France sur-protègent une nouvelle espèce qui n'a rien à voir avec les véritables loups sauvages, ceux de Russie ou d'Amérique du Nord, mais dont le seul mérite serait de pousser les éleveurs à mettre un terme à leur activité.
Notes
1 - La convention de Berne : adoptée le 19 septembre 1979 lorsqu'il n'y avait plus de loups en Europe occidentale. Entrée en vigueur le 1er juin 1982, elle n'a été ratifiée par la France que le 26 avril 1990 pour entrer en application le 1er septembre, sous le gouvernement de Michel Rocard. Brice Lalonde était alors ministre délégué chargé de l'Environnement.
https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:21979A0919(01)&from=FR
2 - question orale à l'Assemblée du 22 novembre 2022
3 - amendement suisse
https://rm.coe.int/proposition-d-amendement-d-annexes-a-la-convention-relative-a-la-conse/16808e84a6
4 - rapport LCIE : Evaluation de l'état de conservation du loup
https://rm.coe.int/inf45f-2022-evaluation-de-l-etat-de-conservation-du-loup-en-europe/1680a8e63f
5 - Compte rendu du vote sur la proposition d'amendement suisse
PROPOSITION D’AMENDEMENT : DEPLACER LE LOUP (CANIS LUPUS) DE L’ANNEXE II A L’ANNEXE III DE LA CONVENTION
Document pertinent : T-PVS/Inf(2022)45 -
Évaluation paneuropéenne de l'état de conservation du loup La Présidente rappelle qu’en 2018, la Suisse a proposé un amendement aux annexes de la Convention conformément à l’article 17, paragraphe 1, de la Convention de Berne, pour déclasser le loup (Canis lupus) de l’annexe II (espèces de faune strictement protégées) à l’annexe III (espèces de faune protégées). Le 38e Comité permanent n’a pas pris de décision sur l’amendement proposé, les Parties contractantes n’étant pas prêtes à prendre position. À la suite du renouvellement de la demande par la Suisse le 5 avril 2022 et conformément à l’article 17, paragraphe 2, de la Convention, le Comité permanent est invité à réexaminer la proposition d’amendement des annexes II et III.
Le délégué de la Suisse présente la proposition d’amendement et ses motivations. Il demande également au Comité permanent de prendre position sur la proposition d’amendement.
Le Président de l’IUCN, Initiative pour les grands carnivores en Europe (LCIE), informe les Parties de l’état de conservation du loup au niveau paneuropéen.
À la demande du représentant de la Suisse, les Parties contractantes sont appelées à voter.
L’Azerbaïdjan, le Bélarus, la Géorgie, le Liechtenstein, la Suisse et la Türkiye soutiennent l’amendement. Andorre, l’Islande, l’UE et ses États membres ainsi que le Royaume-Uni s’opposent à l’amendement. Monaco, la Norvège et la Serbie s’abstiennent.
La règle de la majorité des deux tiers des Parties contractantes n’étant pas satisfaite, l’amendement proposé n’est pas adopté.
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