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Liberté, Égalité, Fraternité

Au fronton de la République, la devise interpelle le peuple de France. Les mots fondamentaux sont gravés dans la pierre des palais nationaux, fleurissent dans les discours gouvernementaux, vibrent au son du clairon.

Cette sainte trinité laïque vient de la Révolution, renaît à chaque république. Quelle belle idée de déclarer que la Liberté vaut de mourir pour elle, que Pierre vaut Paul et que le bonheur des uns sera de faire celui des autres. Plus de hiérarchie née de l’hérédité, plus de solitude puisqu’on est solidaire. Mais cela ne suffit car, au bagne, dans la prison, dans la caserne on se serre les coudes, on a les mêmes entraves. Il faut la liberté de penser, de décider, de partir d’ici pour là-bas, ne plus être un prisonnier, un évadé, un déserteur.

Elle a donné du courage à ceux qui défièrent les dictatures impériales et royales qui s’en étaient débarrassés, a servi de porte-drapeau à ceux qui n’avaient pas accepté qu’on la remplace par un « Travail, Famille, Patrie » qui avalisait la honte, la soumission, la capitulation.

Mais la contradiction est le propre de l’homme et du français en particulier. Dès Robespierre, la République prit l’habitude de couper la tête à ceux qui ne pensaient pas comme elle. Plus tard, la troisième, en même temps qu’elle l’officialisait, s’occupa à priver de leur liberté des peuples, avec des méthodes ni égalitaire ni fraternelles. Même instruit à ses dépens que la liberté est précieuse, que la fraternité et l’égalité permettent de supporter l’adversité, notre pays au beau slogan se fit prier pour appliquer aux autres ce qu’il claironnait avec tant de lustre – et depuis des lustres - dans ses intérieurs.

Aujourd’hui, peut-on, en conscience, sans rougir, sans frémir continuer de nous en gargariser comme avant, le constat fait, la mémoire envolée, toute honte bue ?

Ainsi tous les hommes sont égaux par nature et devant la loi.

La nature est belle et fait bien les choses… habituellement. Admirez la succession des saisons, le va et vient des marées, le retour, chaque matin, du soleil, etc. Elle fait aussi les hommes très différents les uns des autres. La taille, la couleur de la peau, des yeux, de cheveux. Mais ces traits sont accessoires. Les qualités intérieures importent et font la différence. Elles rendent l’homme unique, même dans la multitude. La liste des différences est longue, elle est augmentée de tous les degrés, de leur association, de leur opposition.

Le catalogue est infini. On peut faire des chapitres sur le travailleur, le fainéant, le bon, le méchant, l’athée, le croyant, le fanatique, l’optimiste, le pessimiste, l’avare, le dépensier, le joueur, l’honnête, le gendarme, le voleur, le tricheur, la brute, le truand, le menteur, l’actif, le contemplatif, la fourmi, la cigale, le courageux, le couard, le généreux, le poète, le réaliste, le pragmatique, le pacifiste, l’altruiste, le végétarien, le chasseur, le tueur, le terroriste, le bavard, le taiseux, le fidèle, l’infidèle, l’intelligent, l’idiot, l’anarchiste, le lettré, l’analphabète, etc.

Égaliser est un cauchemar. Forcer le paresseux à travailler, le bavard à se taire, l’avare à donner, le végétarien à manger la viande, le chasseur à laisser vivre le faisan doré, le forcené du travail à garder la chaise longue, le muet à parler supposerait une telle violence, imposerait une telle souffrance qu’on ne le peut pas. Qui peut être assez fou pour croire que sa valeur est la norme, que c’est à l’autre de s’adapter ? Certains ont essayé, coûte que coûte : en envoyant les intellectuels à la campagne, faisant des citadins des paysans, convertissant à la pointe de l’épée, rééduquant au goulag. Pour les chantres de l’égalité à tout prix ce furent des grands hommes, des visionnaires, des révolutionnaires, à admirer, à imiter à canoniser.

Mais vous n’avez rien compris. C’est justement pour remplacer la loi de la jungle que la Constitution nous impose la sienne, nous rend égaux, qu’on le soit ou pas. Oui, c’est parfait, sur le papier, dans le marbre. Elle en rêvait mais la République ne l’a pas fait. Quand on n’est égaux en rien, inégaux sur tout, comment l’être devant la loi, l’exception confirmerait la règle ? 

La société doit s’accommoder de l’inégalité pour exister. En théorie, la fraternité est un complément utile. C’est le sentiment d’appartenir à la même fratrie, de partager les mêmes souvenirs, les mêmes valeurs, que notre histoire est leur histoire, que leurs problèmes sont nos problèmes et notre avenir se confondra.

Peut-on croire à cette profession de foi de la fraternité ? A-t-elle jamais existé ? Son complément, la solidarité a beau être institutionnalisée, il n’y a jamais eu autant de mal-logés, de sans-abri, de chômeurs, de précaires, d’exclus, de restos du cœur, de laissés pour compte, de mendiants au coin de la rue, de fin-de-droits et, à côté, des nouveaux riches, les dépenses somptuaires, les cumulards de pouvoirs, de mandats, de conseils d’administration, de prébendes. Quelle fraternité peut exister entre les plus experts, les plus malins, les plus protégés et les moins bien élevés, les moins éduqués, les bons à rien sauf à pleurer, à souffrir, à mendier ?

À une époque où les familles se déchirent, où les parents mettent à la porte leurs enfants, où les enfants oublient leur vieille mère, comment croire que les riches vont se dépouiller pour les pauvres, trahir ce qu’ils sont, eux qui ont eu tant de mal à s’enrichir, à garder la fortune quand ils l’avaient ? Comment ne pas s’apercevoir que la République, depuis toujours, tolère l’extrême dispersion de l’argent.

Mais, à l’autre bout de l’échelle, demander à un paresseux de travailler c’est le soumettre à un effort impossible, une exigence contre sa nature. Comment exiger de son voisin qui, lui, se fatigue sans rechigner à soulever des parpaings, à tirer sur le câble, à monter sur le pylône, à conduire la machine, à enfoncer le clou qu’il partage son salaire, se sente responsable de celui qui le regarde, goguenard ?

Tout conspire à les éloigner. La même répulsion est à l’œuvre dans tous les autres domaines de la différence. L’athée est trop loin du fanatique religieux pour pouvoir s’en sentir complice. Chaque dissemblance nourrit l’incompréhension, l’éloignement et fait de l’autre un étranger à regarder avec indifférence au mieux, avec méfiance parfois, hostilité souvent.

La fraternité devait être une obligation morale. Elle ne pourrait exister si l’égalité – qui se veut un droit – était possible. Seuls les idéologues fanatisés par leur belle utopie y croient encore, ignorant ce qu’ils voient, paralysés par ce qu’ils croient.

Mais au moins vous ne pouvez pas dire que la liberté est morte, elle aussi. Navré mais avec un ersatz d’égalité et de fraternité, valeurs affichées, vaguement approchées, il ne peut y avoir qu’un simulacre de liberté.

La liberté est, comme les autres, une proclamation héroïque qui vaudrait pour des héros. C’est, malheureusement, une race légendaire ou, quand elle est vraie, fugace. Ils se survivent peu, finissent à l’abattoir ou retombent vite au niveau de leurs semblables et plus antihéros qu’eux, tu meurs.

Ils proclament donc que La Liberté est enfin arrivée, comme eux à leur fin. Sitôt dit, sitôt méfait. C’est une fatalité. Toutes les révolutions qui détruisent une dictature la remplacent par un absolutisme. Les prisons à peine vidées sont remplacées par des camps de rééducation aussi confortables pour ceux qui ne pensent pas au goût du jour. C’est ontologique : l’homme trahit toujours son idée d’avant dès qu’il affronte la réalité du présent. L’ex-adorateur de la pauvreté faite homme, construit des cathédrales et des palais épiscopaux ; le pacifiste se met à faire la guerre ; le gauchiste vire à droite, l’anarchiste légifère, le libertaire devient conventionnel voire réactionnaire. Malheur à celui qui ne le suit pas, il ne jouira pas longtemps de sa liberté.

Même la défense de la liberté est liberticide. Pour elle, ses chantres ne ferment pas Guantanamo. Préparé par la droite, voté par la gauche, ils votent pour qu’Internet, les portables nous espionnent, connaissent où nous allons, ce que nous aimons, qui nous voyons, quoi nous lisons. La liberté de dire, si c’est médire pour d’autres, est interdite.

Notre proclamation n’est qu’une incantation, une pétition, une belle prière, un beau rêve jetés en l’air pour épater, exalter, faire rêver. Dans la réalité, chaque terme s’oppose avec violence, se contredit, jamais la fiction n’a été aussi loin de la réalité.

Avec une égalité mythique, une fraternité d’ennemis, la liberté – même limitée – précipiterait l’éclatement de la société si divisée. Pour résister, seules des belles âmes, de purs esprits en seraient capables. Mais l’humain est cupide, égoïste, intéressé, méchant. Il le sait, voudrait être meilleur, y réussit de temps en temps, celui de crier Liberté, Égalité, Fraternité et ça recommence, le loup mange l’agneau. Même la démocratie, fille de la république l’a compris. Elle donne le pouvoir à la majorité. Avec une voix de plus elle impose son programme à ceux qui pensent, croient, veulent le contraire. Il a suffi d’un rien pour que les uns soumettent les autres qui ne gardent que la liberté de pleurer en attendant des jours meilleurs. L’hypocrisie et le mensonge sont des valeurs républicaines obligatoires. C’est triste, décevant, mais il est sage de le savoir pour s’en accommoder, ne pas en abuser, tenter d’y remédier pour ne pas tomber dans son excès même doux, avec seulement des pleins pouvoirs encadrés, des chambres d’exception, des immunités providentielles, des articles 49-3, des référendums plébiscitaires, des séances de nuit, des arrêts jamais pris, de clauses secrètes, des secrets-défense, des excès de pouvoir, des amnisties généreuses, des prérogatives régaliennes, une oligarchie dominante, des élites corruptibles, un parlement aux ordres, les uns qui rêvent à une dictature de ce qui reste du prolétariat, les autres à un État fort, tous obligés d’ouvrir des prisons, d’engager des CRS, de fermer les frontières, de serrer encore plus les ceintures. Avec 51% ils ont la liberté de le faire. 

Dès que l’intolérance des uns domine la tolérance des autres, l’égalité est rompue, la fraternité n’existe pas et la liberté impossible. Nous en sommes là et dans un pays où depuis toujours, il est interdit de mourir avant l’heure fixée par la faucheuse, de changer ce qui va mal, de déplaire à la pensée dominante, de rire de ce qui ne fait pas rire certains et où, seuls les politiciens ont le droit de faire n’importe quoi, protégés par l’aveuglement et la bêtise de ceux qui les élisent.

Donc, changeons pour du vrai la devise de la République et qu’elle affiche ce qu’elle est : Réglementation, Inégalité, Inimitié.

 


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3 réactions à cet article    


  • alinea Alinea 23 février 2013 19:50

    Belle tirade Dancharr ! Seriez-vous un anti communiste primaire ? smiley
    Il vaudrait mieux se taire et faire, vous ne croyez pas ?
    En tout cas, c’est mieux que ce que j’ai fait ; si vous voulez savoir , allez lire ma « devise » !
    Si on s’en sortira, on ne peut pas le dire, mais , vous savez : on aura essayé !
    Merci Dancharr


    • Dancharr 24 février 2013 14:37

      @ Alinea

      Merci. Sans doute et son contraire. Je ne sais pas.

      Se taire et faire, c’est l’idéal mais l’omerta est telle, ici comme là-bas, qu’elle paralyse aussi bien la réflexion que l’action. Ce que l’on dit, personne ne veut l’entendre. C’est un pêché, une faute de goût. Tout le monde est d’accord mais personne ne l’avouera. L’effort est trop grand, impossible, contre nature. Il n’y a rien à faire, alors pourquoi se gêner de se faire plaisir au lieu de se taire ? Vous qui aimez tant la page blanche, vous me comprenez.

      Votre travail est plus sérieux qui le mien et, si je l’avais lu, je n’aurais pas osé m’y attaquer. Vous avez tout dit. Vous êtes partie du début pour nous en montrer la fin. Vous résumez bien le problème en disant « Nous gardons les mots - qui sonnent joliment - et nous changeons les valeurs ». L’homme n’est un poète que dans ses rêves, dès qu’il a les pieds sur terre, ce qu’il fait n’est pas beau à voir, mais de ça il ne veut rien savoir. Donc aucun espoir, sauf dans le rêve. Heureusement.

       


    • Emin Bernar Emin Bernar Paşa 23 février 2013 22:25

      la vérité c’est que la république n"existe plus !

      on vit dans une démo-média-médio- cratie- crassie !

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