Le chômeur, l’assisté, le couillon
On parle beaucoup de responsabilité individuelle ; chacun devrait pouvoir être jeune, beau, riche, travailleur et intelligent. Bien. Si on ne l'est pas, c'est que quelque chose cloche en nous, alors, on fait marcher la vertueuse solidarité, mais il ne faut pas exagérer quand même. On ne peut pas prendre en charge toute la misère du monde.
Et pourtant ! Notre société fait tout pour enclencher ce cercle vertueux.
Que les industries délocalisent, que les services publics fonctionnent comme des entreprises, ma foi, cela ne semble pas avoir d'influence. C'est curieux comme soudain tout un peuple est devenu fainéant, inapte, passif. Et ignare. C'est pas la faute à la politique menée depuis plusieurs décennies, non, c'est vraisemblablement un effondrement, fatal, et la faute à pas-de-chance !
Alors les politiques qui eux sont restés actifs, intelligents, volontaires et dévoués, cherchent des solutions. Et ils en trouvent ; on n'en voit pas encore les résultats parce que tout ça est très long à mettre en place, mais confiance les gars, tout ira mieux bientôt, nos dirigeants y veillent.
Ils sont inventifs : l'un nous a bassinés pendant un lustre qu'il nous fallait travailler plus pour gagner plus ; cela a beaucoup plu ; un autre veut réintroduire l'importance de la compétence des vieux pour former les jeunes ; former à quoi ? Il ne le dit pas, car tout le savoir faire s'éteint à n'avoir plus d'espace. Mais l'État y pourvoira !
Moi qui suis plutôt tout ou rien, je vois que personne ne peut ( ou ne veut) rien pour empêcher l'hémorragie - le garrot étant plus une torture qu'un soin- je me dis qu'il faut voir les choses tout à fait autrement. Mais c'est un chantier, il ne faut pas se leurrer ; on ne change pas volontairement, d'un claquement de doigts, des siècles d'habitus. Repenser le travail, c'est urgent.
Tout changement de société jettent à la rue des gens et leur savoir-faire ; cela se fait plus ou moins brusquement mais en général correspond à des ouvertures par ailleurs. Période de recyclage obligé dont on peut dire a posteriori que, s'il laisse pour compte les plus faibles, il donne un nouveau souffle aux autres. Quand on parle en général, on se fout bien du plus faible.
L'arrêt de l'extraction de charbon dans notre pays a mis presque un siècle , le temps de faire des dégâts, le temps de se retourner. Le petit commerce a été estourbi plus rapidement ; ne reste plus qu'un commerce de luxe dans les rues-décor des centres-ville réhabilités, cependant, à y regarder de plus près, il s'agit presque toujours de « chaînes », donc d'employés. Les petits commerçants sont devenus les esclaves de la grande distribution.
Mais aujourd'hui, on fait les choses en grand ; on frappe sur tous les fronts à la fois, résultat, chômage de masse dont les auteurs se foutent comme de leur première liquette pendant que les politiques font semblant d'y prêter attention. On a donc eu droit au travailler plus mais on n'a pas vraiment vu où cela menait ; on a droit à la flexisécurité ( notons l'apport élégant de tout ce nouveau vocabulaire) mais, comme dit l'autre : ce n'est pas parce qu'on va aux champignons que ça fait pousser les champignons ! aujourd'hui on a l'organisation étatique du transfert de connaissances des vieux aux jeunes : on voit que nous sommes en règne socialiste ; on paye les entreprises pour qu'elles gardent des vieux croûtons de cinquante ans, en vantant leurs mérites qu'ils peuvent, pour la même paye, transmettre à des jeunes cons de vingt ans. Il faut dire que la sinistre ( je vous propose ce néologisme pour qu'il n'y ait plus d'ambiguïté) a toujours eu le chic pour réinventer l'eau tiède.
C'est comme le pompon des manèges, à force, on ne cherche plus à l'attraper !
Il fut un temps où tout artisan, toute petite entreprise pratiquait la transmission des compétences ou du savoir-faire comme une évidence ; aujourd'hui, il faut les pousser un peu. Il faut dire que la compétence n'est pas au goût du jour : les patrons sont des ignares absolus sur ce que peuvent bien fabriquer les ouvriers, alors, qu'ils transmettent !!
Mais une idée encore meilleure vient d'être proposée par la tête la plus intelligente de l'extrême-droite : M. Bompart.
Il soumet une proposition de loi qui contraindrait les chômeurs à travailler, jusque là ça va, gratuitement. C'est là où se nichent toute la nouveauté, toute la puissance.
La gratuité m'est chère dans ce monde où tout est marchand ; le bénévolat qui huile les rapports humains, promeut l'ouverture, la générosité ; certaines choses ne se payent pas, elles sont de l'ordre de l'entraide, de l'échange informel, de l'attention à l'autre ; la gratuité est nécessaire à la vie en société et certains, n'en trouvant pas dans leur quotidien, vont la chercher dans les sectes. Elle fait partie de ce que l'humain possède de beau et de bon.
Mais il ne s'agit pas de cela ! Les chômeurs donc, alloués, devraient travailler pour les collectivités locales ( qui sont toutes en déficit), les associations, aux vocations multiples et louables, mais aussi au privé : pourquoi le privé devrait- il être privé de cette manne ! On se le demande ; personne n'aime l'injustice.
Je pratique le bon sens avec une bête obstination, à défaut d'intelligence et de maîtrise, il me sert d'ancrage et il est, depuis quelque temps, fortement ébranlé. Donc, s'il y a du travail dans le privé, pourquoi les licenciements ? S'il y a du travail dans les collectivités locales, pourquoi les chômeurs ? Idem dans les associations : parce qu'il n'y a plus d'argent ; où donc s'est-il volatilisé ?
Ceux qui ont l'insigne privilège de travailler, de gagner leur paye, non plus à la sueur de leur front mais à la mise en péril de leur santé, physique et psychique, qui payent des impôts ( pour que les entreprises gardent leurs vieux schnoks), qui payent des cotisations pour les chômeurs, les retraités, les malades, paieraient ainsi le travail gratuit des sans-travail.
Il faut quand même le faire ! Il faut quand même oser !
Quand est-ce qu'ils vont tous arrêter de bosser en disant : débrouillez-vous sans nous ?
Il s'en trouvera bien sûr, des contents, jaloux des vacances prolongées de leurs concitoyens : il n'y a pas de raison que je me crève au boulot et que l'autre ne fiche rien.
J'ai la tête qui tourne.
Ce sera un équilibre comme un autre ; imaginons :
Une entreprise, prise à la gorge, qui ne peut plus embaucher mais qui, là, pour quelques heures, quelques jours, aurait bien besoin de petites mains. No problem, on a ce qu'il vous faut. Pas de paperasses, pas d'engagement, le paradis des employeurs : légèreté, efficacité, économie... Un coup de fil à Pôle Emploi, on sort un nom au hasard et c'est plié.
Une collectivité locale qui croule sous les déchets en tout genre qui garnissent les fossés, les trottoirs ou qui a n'importe quel employé en congé maladie : no problem ! On a ce qu'il vous faut.
Ainsi, le ménage sera fait et les travailleurs, les rentiers des castes supérieures pourront sans états d'âme, si toutefois ils en avaient, jeter leurs ordures où leurs mains s'ouvrent, parce que- non il n'est plus question de créer des emplois- un quidam y trouvera sa dignité.
Parce que le travail est la dignité de l'homme. ( Pour la femme, c'est plutôt la liberté). Tout le monde sait ça.
Bon, tout cela part d'un bon sentiment ; tout le monde sait aussi que le parti de Marine le Pen, aime les travailleurs et se tient très près du peuple ; il cherche honnêtement de bonnes solutions pour lui . Parce qu'il faut plaire à tout le monde, et la droite a détecté chez certains un agacement très net pour tout ce qui est corrompu et tout ce qui ressemble à du favoritisme : les clandestins qui vivent comme des papes et sont soignés gratis, les chômeurs qui ne cherchent pas plus de boulot que moi, les assistés qui se prélassent à la terrasse des bistrots en fumant et buvant des blondes, véritable offense à l'honnêteté des bonnes gens. ( On me souffle que M. Bompart ne paye plus sa cotisation, allons bon ; mais je ne pense pas qu'il ait viré sa cuti pour autant !)
Pourquoi, au point où on en est, ne pas proposer à tous ces jean-foutre, la pratique régulière de la délation ; se rendre utile rend la dignité à n'importe qui. Il faut juste se mettre d'accord sur un quota, un peu comme « le chiffre » demandé aux flics, pour garder son allocation.
En Sarkozie, il était question de faire travailler les assistés, cette caste inférieure à celle des chômeurs ; je ne sais pas où ça en est mais je suppose qu'on s'est avisé qu'on ne pouvait pas décimer les fonctionnaires et faire l'organigramme des besoins, des demandes et des possibilités . Tout est perverti par l'ultra libéralisme car l'idée que chacun prenne sa part de tâches nécessaires- ne serait-ce que pour faire du beau, entretenir les sentiers de randonnées, les bords de rivières, nettoyer les fossés des routes, des chemins- qui n'ont rien de rabaissant mais qui sont laissées pour compte parce qu'elles ne sont pas rentables ( avant, chaque village avait son cantonnier, aujourd'hui on sous-traite au coup par coup) ou que ces tâches soient l'occasion de quelques subsides à des volontaires, ne me choque en rien ; or, ce qui est proposé à chaque fois, c'est sous-payer des intouchables, et aller jusqu'au bout de l'entreprise de démolition d'une société démocratique, égalitaire et juste. Il y a encore quelques garde-fous, mais de moins en moins. Je serais moins choquée que ces chantiers soient donnés à des délinquants, qui ont une dette à l'égard de la société et qui pourraient se racheter en étant utiles, en plein air air, plutôt que croupir en prison. Mais là aussi il faudrait se prémunir de toute dérive et il semble bien que cette organisation soit trop complexe pour le peu de fonctionnaires qui restent, dans la justice ou dans le pénitentiaire.
Tout semble possible pour empêcher les pauvres de vivre, car ici il ne s'agit pas de fraudeurs, mais de chômeurs dans leurs droits, droits pour lesquels eux-mêmes ont cotisé ; on se souvient de la recherche ADN pour les familles d'immigrés. Rendre tout le monde coupable potentiel est une merveilleuse invention pour pourrir la vie de tous.
Mais, nos voisins d'outre-Manche sont déjà à la pointe du progrès : le travail, n'importe lequel, pour n'importe qui , y compris la grande distribution, gratuit, est obligatoire pour tout chômeur, sous peine de voir ses allocations supprimées. Lisez ce lien, c'est court, éclairant, effrayant mais, plein d'espoir !
http://www.humanite.fr/politique/lextreme-droite-veut-faire-des-chomeurs-des-travai-518585
C'est un petit article dans L'Huma qui a provoqué cette énième colère ! Mais on n'y dit pas si les cadres seraient de la partie.
Une bonne nouvelle quand même : nous croyions que tout était fini, que la révolution était du coup pour demain, que l'ère du pétrole se terminait ; eh bien non : les grecs ont trouvé du pétrole au sud de la Crète, tout ira donc bien pour eux, très vite. ( enfin, pour certains d'entre eux).
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