• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > In-justification seconde. Et pour l’alternative, combien ça coûte (...)

In-justification seconde. Et pour l’alternative, combien ça coûte ?

À la question que l’on m’adressait et qui m’interrogeait sur mon adhésion ou non au capitalisme, je répondais par la négative. Cela dit, par « capitaliste », il fallait bien comprendre que l’auteur de la question faisait référence à une personne qui vise la réussite individuelle en terme de rang social et de richesse matérielle ; à une personne qui a compris et intégré le fait qu’elle doit viser la maximisation de sa propre rentabilité ou efficience au risque de se faire licencier, puis remplacer par une autre personne parmi toutes celles qui attendent un travail. En ce sens et sur plusieurs autres aspects, ma réponse ne pouvait qu’être paradoxale. Le capitalisme n’était certainement pas l’orientation de mon élan de vie personnel, mais je devais reconnaître qu’il était et est toujours l’environnement dans lequel je vis. Plus que cela, ce système est ce qui, aujourd’hui, me permet de vivre et d’avoir une vie sociale qui ne soit pas trop marginale. En fait, je peux même dire que le capitalisme constitue le langage ou la médiation entre l’autre et moi. Dès lors, le refuser comme je le fais était non seulement incohérent avec ma vie réelle et mes désirs, mais aussi, cela me coûtait cher. Cher en paradoxe d’une part, car je suis sensible aux belles choses ; mais cher également puisque, bon gré mal gré, je suis soumis hiérarchiquement à ceux qui ne se posent pas tant de questions et qui adhèrent au capitalisme comme on adhère à la fatalité de notre propre existence.

Du reste, je me rends bien compte que cette problématique que je partage avec vous est, d’une certaine manière, une problématique de « riche », dans le sens où je me trouve dans une situation où je ne manque de rien immédiatement. À l’inverse, celui qui meurt de faim, qui ne sait pas où il va dormir cette nuit ou qui se fait décapiter au moindre mot contre son gouvernement, serait bien content d’être à ma place et pouvoir critiquer, comme je le fais, ce qui apparaît en premier lieu comme de l’abondance et du confort. Par conséquent et à la lumière de ces propos, la critique du capitalisme semble être tantôt un acte immoral et irrespectueux, tantôt la réflexion d’un insensé qui ne perçoit pas qu’il est en train de « scier la branche sur laquelle il est assis  ». Néanmoins, contre cette remarque foncièrement individualiste mais pourtant – et il faut le souligner – tout à fait cohérente avec la réalité du modèle économique actuel que l’on doit suivre pour survivre, je défends l’idée contraire que c’est justement à celui qui est dans cette posture que revient le pouvoir sinon le devoir de dénoncer l’inégalité et l’injustice flagrante qui le maintient « au-dessus de l’eau ». C’est depuis cette posture de « privilégié » et donc depuis l’intérieur, que l’on doit dénoncer ce qui, à terme, et on le sait que trop bien, finira par engloutir la race humaine dans son ironie, dans ses déchets. D’ailleurs, s’il y a bien une remarque que j’entends souvent ici et là, à ce propos, c’est bien celle qui dit que : « l’homme est en train de se détruire lui-même ». Or, tout le sens de cet article concerne le refus de cette fatalité et une invitation à la réflexion collective sur les questions de fond.

À côté de toutes ces considérations quelque peu personnelles, il faut bien voir que le capitalisme, outre toutes les critiques que l’on pourrait lui adresser, est véritablement un système de dépendance vis-à-vis de la consommation et, par conséquent, également, un système de dépendance vis-à-vis de ceux qui possèdent l’argent et qui nous permettent d’avoir un travail et, donc, avec cela, tout ce qui va avec. En effet, imaginons qu’un jour les gens prennent conscience de leur état de servitude et cessent leur consommation, je n’aurais dès lors plus de travail et donc aussi plus d’argent pour me payer mon repas, mon logement, mes dettes. Je soulève cette hypothèse parce que je pense que ce qui nous empêche de changer de voie, c’est que nous sommes nous-mêmes trop englués dans cette logique. Ainsi, dans l’esprit des gens, le fait de se positionner pour l’alternative signifie, d’une certaine manière, aller contre eux-mêmes. C’est un suicide, alors on préfère croire à ce qui nous donne satisfaction immédiate, à ce qui nous promet la sécurité de nos revenus et, même plus, à ce qui nous fait croire à l’augmentation de ceux-ci.

Or, cette même dépendance vis-à-vis de la consommation se retrouve au niveau de l’État et de toute son administration. Autrement dit, l’État et ses institutions sont autant que nous des otages du système économique. A fortiori, à ce propos, il faut bien comprendre que nous nous trouvons dans une sorte de spirale, de cercle qui nous condamne à une révérence continuelle vis-à-vis de ceux qui nous rendent esclaves. Bien plus, nous sommes dans une situation où nous devons les remercier et les prier de bien vouloir nous garder. C’est fou, n’est-ce pas ?!

Maintenant, si on veut vraiment être cohérent avec notre système et faire en sorte que tout le monde puisse vivre de manière convenable, il faudrait qu’on apprenne à dépenser, à dépenser sans cesse. En fait, il faudrait condamner immédiatement tout discours d’économe, d’écologiste ou d’être conscient pour que la roue tourne sans cesse rapidement. Or, chacun en conviendra, cette même logique de la consommation ne nous permet pas d’avoir ce type de comportement, car si on se met à dépenser tout notre argent et que les autres ne nous suivent pas, nous nous retrouverons vite dans les rangs de ceux qu’on a pris maintenant l’habitude d’appeler les loosers. Au contraire, la stratégie veut que l’on sache manipuler les autres pour qu’ils dépensent. Le problème étant que nous avons tous à peu près compris comment fonctionne la machine. On veut tous être des chefs et nul ne veut plus des travaux de base, ceux qui, pourtant, nous nourrissent.

Bref, chacun conviendra également que la logique de dépendance à la consommation – inhérente au capitalisme et à sa culture de l’hédonisme généralisé – est incompatible avec la réalité des ressources naturelles. Dès lors, le lecteur comprendra bien que cette logique qu’on nous impose et que l’on sait trop bien imposer aux autres est aussi utopique que ce qu’elle dénonce comme utopie. Bien plus, je dirais qu’il s’agit d’une dystopie qu’il faut maintenant reconnaître comme telle.

© Luca V. Bagiella *
Doctorant en philosophie politique et sciences sociale

* À paraître en fin d’année : Narcissisme-critique aux éditions Hélice Hélas.


Moyenne des avis sur cet article :  3.25/5   (4 votes)




Réagissez à l'article

4 réactions à cet article    


  • ddacoudre ddacoudre 13 septembre 2015 09:50

    bonjour

    tu as une vision du capitalisme qui se confond avec la socialisation découlant de la sédentarisation. la répartition des tâches n’emporte pas le capitalisme, ni la coopération productiviste, ni le droit à la propriété. celui-ci n’est possible que si ce droit est protégé par des forces publiques, sinon nous nous retrouverions dans une économie de pillage à nouveau, où les plus fort ne seraient pas forcément ceux qui possèdent aujourd’hui. la nécessité de survivre n’emporte pas dans une société d’abondance obtenu par l’ensemble des interactions des populations qui dans une répartition de la rareté postulent à désirer ce qu’on les autres.
    cela existe même sans le capitalisme puisque c’est inhérent à la personne humaine qui impose dans une individuation à se différencier pour exister dans le groupe. toutes les sociétés maitrisent cela par des totems et tabous et particulièrement nos sociétés pour réguler la concentration humaine issus de la sédentarisation que l’industrialisation fixé dans des bassins de production et des cités. Les aztèques étaient riches et pourtant ils n« avaient comme monnaie que des fèves, mais il avaient une structuration hiérarchisé qui émane inévitablement quand la société se complexifie et avaient des dispositions qui correspondent à ce qu’est le capitalisme aujourd’hui.
    alors ou l’on soutien comme le font certain auteur que le capitalisme est inné (inhérent à l’individualisme qui peut survivre au détriment de l’autre) ou que de ce postula la socialisation que cette relation impose n’est pas maitrisé et sous des airs d’humanité continu à développer l’exploitation de l’autre qui n’existe pas dans les organisations claniques. Les hommes se sont installé dans la condition salariale qui les maintient dans un rapport dominant dominé ou le dominant leur prête de l’argent qu’il récupère au centuple pour écouler ses productions.
    c’est Ford qui verse des salaires pour que ces salariés achète les voiture qu’il produit car il n’y a pas assez de riche pour cela et en plus il prête l’argent nécessaire en complément contre intérêt. le salariés est contant il roule en voiture, passe sa vie à être redevable et Ford circule en jet privé. je ne crois pas que l’on puisse s’en tenir à ce schéma archaïque qui n’est qu’une modernisation de la hiérarchisation d’antan, mais comme tu le souligne nous ne pouvons y échapper à cause du »capitalomètre" (http://ddacoudre.over-blog.com/article-le-capitalisme-est-la-marque-de-l-homme-prehistorique-120716748.html.
    cordialement


    • Luca V. B. Luca V. Bagiella 19 septembre 2015 15:15

      @ddacoudre

      Bonjour,
      Merci pour tes réflexions ici et là autour de mes articles.
      C’est très intéressant ce que tu dis, mais je dois t’avouer
      que tu as une écriture difficile. Parfois, je ne comprends pas...
      Merci pour ces liens. C’est vrai, qu’idéalement, j’aimerais bien
      te voir et parler en direct ; cela serait plus intéressant, mais
      je pense que tu ne te trouves pas au même endroit que moi.


    • Hervé Hum Hervé Hum 15 septembre 2015 22:57

      il faut bien voir que le capitalisme, outre toutes les critiques que l’on pourrait lui adresser, est véritablement un système de dépendance vis-à-vis de la consommation et, par conséquent, également, un système de dépendance vis-à-vis de ceux qui possèdent l’argent et qui nous permettent d’avoir un travail et, donc, avec cela, tout ce qui va avec.

      Permettez que je vous propose une précision non anodine. Le capitalisme est d’abord un système de dépendance vis-à-vis de la propriété, autrement dit, de ceux qui possèdent quelque chose dont ils peuvent effectivement consommer ou échanger pour diversifier leur consommation. Mais celui qui ne possède rien, ne peut pas consommer !

      La possession est la condition de la consommation. De la possession de la terre et de l’esprit, s’est développée et accrue la volonté de créer et de CONSOMMER pour rendre compte de ce que cette possession génère d’abondance !

      C’est ainsi que furent créés les grands palais et autres temples pour des rois ou des empereurs ; Aujourd’hui, les empires ne sont plus tant des rois, mais des entreprises de propriété particulières, dite privée.Un seul de ces possédant consomme pour lui seul, sans doute autant que quelques millions de pauvres d’Afrique, avec son jet, son yacht, son palace, ses serviteurs, Mais la consommation est t-elle la conséquence d’un système ou bien d’une inertie ?

      Aucune société humaine complexe ne semble avoir fait l’économie de la consommation symbolisée par la corne d’abondance. Chacune se trouvait simplement limitée et contingentée à sa propre philosophie de la vie, c’est à dire, sa religion et son système politique d’où est tiré l’organisation sociale (mais ça peut être aussi l’inverse).

      Je lirai la dernière partie pour me faire un avis bien défini, mais par rapport au premier article, celui ci me laisse quelque peu perplexe, avec une première partie plutôt mauvaise et une deuxième partie plutôt bonne.


      • kalachnikov lermontov 15 septembre 2015 23:17

        Pour dire la relation sexuelle, on emploie parfois le verbe consommer. (on dit aussi ’prendre’, ’posséder’, etc).

        Mille excuses, je ris tout seul.

Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON



Publicité



Les thématiques de l'article


Palmarès



Publicité