Contribution à une nouvelle résistance (4) : Manifestation du 28 novembre : y’a de l’espoir !
Qu’on soit clair : la coupe est pleine. Si pleine que n’importe quel événement aurait libéré la colère. Pour l’Etat, l’urgence est de discréditer la colère de ce peuple. Connaissant la machine de propagande, on peut se demander comment une vidéo aussi choquante tourne dans les médias main-stream, alors que pendant deux ans aucune vidéo où l’on voit la sauvagerie de la police s'abattre sur tout le monde, n’a jamais envahit les médias ? Un But, trois règles et un spectacle. But : instrumentaliser la colère de manière à diviser. Règle numéro 1 : passer sous silence les vrais motifs de la colère. Règle numéro 2 : réduire le débat à un sujet partiel mais porteur. Règle numéro 3 : favoriser une victime plutôt qu’une autre. Pour le spectacle médiatique a été choisi un remake de Floyd à la française : les défenseurs des minorités contre les défenseurs des policiers. C’est reparti pour un grand concours de victimisation nationale. La casse sociale, l’angoisse du futur, la répression généralisée, les impositions concernant les comportements et le travail on line ? Les faillites et la restructuration du capital sous couvert de pandémie ? Bref le peuple dans son ensemble : aux oubliettes. Le tour est joué.
Faut-il encore rappeler que la police est le bras armé d’un Etat devenu autoritaire ? Faut-il encore rappeler que les médias parlent la novlangue insensée de ce même Etat ? Faut-il encore rappeler que la pauvreté économique et la barbarie étatique ne touchent pas seulement une minorité, mais une majorité grandissante ? Faut-il encore rappeler que la contestation qui s’étend dans toutes les couches sociales est écrasée par le fanatisme libéral ?
Un policier conscient c’est celui qui enlève son casque et se rallie au peuple. Un politique conscient c’est celui qui ne creuse pas le piège de la diversion pour son propre compte. Un journaliste conscient c’est celui qui dénonce les manipulations sans suivre le cours insidieux des publicités, des « scoop », de l’argent, du consensus et des paroisses idéologiques. Un citoyen conscient c’est celui qui descend dans la rue pour destituer tout ce beau monde. On en est loin. Et pourtant. Tous ? Non. Hier je n’ai pas vu de policiers, de politiques, ni de journalistes particulièrement conscients. En revanche j’ai vu des citoyens. Des citoyens par milliers. Conscients. On a parlé entre nous. Beaucoup. Un immense rond point entre République et Bastille. Aussi incroyable que cela puisse paraitre : on n’a pas échangé une seul mot à propos de la vidéo. Tous les jours on vit le harcèlement de l’Etat qui programme son propre effondrement. On sait l’immense danger d’une dictature en marche que cette loi fasciste adoube après une longue série d’injustices. On a dressé, chacun à sa manière, le constat d’un massacre qui gagne tous les aspects de la vie individuelle et collective. Le peuple qui était là n’était plus complice. Le peuple qui était là dépassait les divergences requises pour les petites manigances du sérail. Le peuple qui était là a saisi qu’il se joue une transition historique dont ils veulent être les acteurs. Le peuple qui était là était courageux, intelligent, splendide.
Aux donneurs de leçon et aux fomentateurs de faux débats, taisez-vous, quittez vos écrans, venez avec nous. A celles et ceux qui étaient hier dans la rue, et à tous les sympathisants qui n’ont pu y être : ne vous laissez pas berner par les sirènes provocantes et perverses du sytème. Nous nous sommes reconnus, nous nous sommes unis, nous nous sommes battus. A tous ces jeunes que j’ai rencontrés, je vous dis de tout mon coeur et fort de mon expérience : la résistance continue ! Maintenant c’est vous ! Ne lâchez rien !
Pour certains difficile d’arriver : contrôles. Beaucoup de mes potes ne peuvent pas venir. Manque de trains, excès de surveillance. A l’arrivée, on fouille loin sous les vêtements, dès fois qu’on aurait des lunettes de plongée pour se protéger des gaz et un casque pour se protéger des coups. Les passages sont bouclés. On entendra dans les rues adjacentes, des flics femmes, mère fouettardes au porte-voix, indiquer sévèrement la route à suivre pour entrer et sortir. En 2 ans, la police a changé de visage. On voit le résultat de la purge dans les rangs et les syndicats : plus aucun vieux de la vieille défendant des valeurs citoyennes de protection. Juste des gamins rasés et des gamines (effet collatéral de l’égalité), pleins d’armes chimiques et de plastiques (effet collatéral de la restructuration du complexe militaro-industriel). Ça sent l’ego et l’acculturation.
Malgré les obstacles administratifs, policiers et médiatiques, il y a beaucoup de monde. En vrai : un monde de fou ! C’est incroyable. En tant que GJ, on a du mal à y croire. On se salue, mais il y a plein de têtes nouvelles ; plein, plein, plein. On se frotte les yeux. On réalise. Après 2 ans de guerre épuisante ils sont là. Ils sont là avec nous, nous avec eux ! Les renforts sont arrivés ! On a tenu pour vous les gars ! Les jeunes ! Toutes les couleurs, tous les âges, toutes les classes sociales ! Enfin ! Noirs, maghrébins, femmes, hommes, ado, retraités, classes moyennes, etc ! Dans l’effervescence, personne ne tirera couverture à soi. Les écolo découvrent qu’on est tous écolos. On a fini par comprendre que le libéralisme ravage aussi bien l’homme que la nature. Même les syndicats sont là. Pareil : pris dans la bonne énergie, ils n’imposent pas leur marche fonctionnaire « à 15H25 on s’barre ». Et puis leur camion, on en a besoin : musique ! Les drapeaux rouge, jaune, noir, bleu-blanc-rouge et arc-en-ciel flottent dans le vent, donnant des repères dans l’immense rassemblement. L’union sans vouloir. L’union sans prévoir. Tous surpris. Personne ne s’y attendait. Ca prend. Va savoir pourquoi. Magie de l’énergie primordiale. Les gens afflueront jusqu’à 18h. Mon frère m’appellera le soir pour me dire les chiffres de la préfecture : « 130.000 personnes ». Stupéfaction : « Fréro en voyant le peuple qu’il y avait, c’est ce qu’on se disait : entre 100.000 et 150.000 personnes. Je ne comprends pas comment la préfecture peut dire la vérité ». « Ah non pardon, c’est pour toute la France… » On éclate de rire. Il est old school. Encore outragé des mensonges d’Etat et de la désinformation de la presse usurpatrice le Monde, Libé, France Culture, etc. Une époque s’écroule. Devant la réalité de terrain, il devra bien admettre que les médias mentent sur tous les sujets et que si la police est fasciste, c’est avant tout parce qu’elle obéit à un état totalitaire.
L’ambiance est électrique et bon enfant à la fois. Genre : « Je suis cool mais t’a pas intérêt à venir m’emmerder ». Les gens n’en peuvent plus. Ca frémit d’une énergie indomptable : celle de la détermination murie par chacun dans son coin et qui se rassemble de manière imprévisible. Les citoyens n’ont plus confiance en leurs représentants. Les directives politiques données à la police sont de plus en plus claires : démolir toute contestation. On veut nous habituer à la violence policière. Bientôt on s’habituera aux balles réelles ou à d’autres nouvelles formes de morts létales à retardement. Amputations, défigurations, dégradations des muqueuses, asphyxies des poumons, condamnations abusives, mort économique, suicides, etc. La gauche et la droite ont abandonné le peuple. Les politiques jouent leur parti. Ils surfent pour eux-mêmes. Comme dit mon commerçant breton : « C’est la loi de trop ». La vérité abrupte vient du bitume : les citoyens dans la rue avec leur propre conscience, avec leur expérience de la survie et de la soumission, avec leur courage et leur persévérance.
En haut de la statut de la République les mains se tendent pour aider à monter, à descendre. On accroche les banderoles, on lâche les ballons jaunes, on regarde les flots humains arriver de loin.
Direction Bastille. Manif interdite, puis autorisée mais immobile, puis parcours entre Répu et Bastille autorisé, puis interdit. Bref on n’y comprend plus rien. Comme d’hab. La beauté du truc c’est que tout le monde s’en fout : on descend c’est tout ! C’est comme les mots d’ordre : Liberté de la presse ? Violences policières ? Lois liberticides ? Destruction de l’Etat et des services publics ? Lois du travail et des retraites ? Gestion sanitaire ? Retour programmé vers l’esclavage ? Crise économique ? Simple : ce sera pour tout. Toute la violence libérale. Et ce sera immobile entre Jacques Bonsergent et Bastille tellement il y a de monde. Interdit de se rendre à Nation : on pourrait respirer avec de l’espace. Le parcours est bien balisé. Barrières anti-émeute de 2,50 tout autour de la place de la Bastille, et autour de la Bastille même, barrières de 4 mètres. Le symbole est lourd. Derrière les barrières, comme vous vous en doutez, c’est bondé aussi. Robocop avec son matériel.
On n’avance pas. Ca rame. Mais c’est trop bonne ambiance. Les jeunes arrivent. Ils sont en pleine forme. Il n’est que 15H00. A partir de 15h30 ce ne sera plus possible de bouger : trop compact trop peu d’espace. J’entends les manifestants s’envoyer des vannes : « La distanciation sociale mec ». Ils sont remontés.
Les commerçants sont restés ouverts. Tranquilles, ils saluent les manifestants. Le coiffeur est trop rigolo : il sort de temps en temps pour nous saluer puis rentrent continuer son travail, sourire aux lèvres en brossant les cheveux de sa cliente. En revanche quand la police arrive, tous ferment boutique. On sait qui est le loup.
Je rencontre Steeve et Manon, adorables vendeurs dans une grosse entreprise. Eux aussi sont enthousiastes de la tournure de la manifestation. Ils ont une conscience aigüe que la faillite des PME sera reprise à la faveur des firmes, tout comme la faillite des petites banques sera une aubaine pour les plus grosses banques. La concentration des richesses, les fusions et la mécanique boursière ne leur échappent point. Ils vivent que les emploies créés sont au plus de l’échelle des salaires. Intelligence difficile à trouver, aujourd’hui que l’histoire et le politique sont ré-écrits à la télévision et dans la presse main-stream. Mais attendons : le réel aura raison du vaudeville.
Ces jeunes découvrent l’intensité d’un rassemblement. La joie de se retrouver. Se retrouver pour une cause commune. Se retrouver pour construire une vie non aliénante. L’intensité d’une cause vibrante. D’une vibration réelle à fleur de peau. D’une rencontre pleine de sens. L’adolescence retrouvée. La désobéissance vitale face à la folie du contrôle et du profit. Encore un peu et ils laissent tomber Netflix. Encore un peu et ils laissent tomber les réseaux sociaux, les dialogues de sourds effondrés sur les écrans, les fausses rencontres. On place les chaises sur la place au milieu des feux, on parle à l’inconnu, on marche en dansant. Ne ré-ouvrons pas les bars ! Portes closes aux discothèques ! Désertez les Galeries Lafayette ! Reprenez la rue ! Notre maison n’est pas une prison !
On est loin des manifestations G.Floyd où ça sentait la récupération démocrate anglo-saxonne à plein nez, la grosse diversion sanitaire et le fonds de commerce de la gauche institutionnelle. Là c’est un citoyen noir bien de chez nous, à un moment bien précis du cru totalitaire en marche forcée, avec des flics qui semblent parler français mais qui frappent universel, avec une manipulation médiatico-polique bien franchouillarde. Ca ne prendra pas : ce que les gens voient c’est une violence parmi tant d’autres, après des milliers d’abus de pouvoir sur tous : blancs, noirs, enfants, femmes, hommes, pauvres, moins pauvres, migrants, indigènes, papiers, sans-papiers. Ca va chercher loin cette fois même : les nourrissons, les femmes enceintes, les travailleurs, les commerçants, les soignants, les collégiens et la grand-mère. Une pensée pour la grand-mère avec une moitié de buche de Noel, un masque sur la gueule, du gel plein les mains, une chanson en retenant son souffle et des gestes de loin pour se dire bonjour à l’américaine avec un grand sourire (qu’on voit pas), et beaucoup de « bienveillance ». Le télé-noël avec des flics qui viennent chez vous, quand ils ont envie, pour chronométrer votre fredaine et vos distances. Et quand ils ont envie également, de se servir dans la buche ou autres : « Si tu sors ta caméra tu vas au poste direct. Et l’histoire c’est nous qui nous la racontons ok ! » Pour votre bien et avec vos impôts.
Tiens en parlant de Noel, si ça dure encore la crise d’adolescence, un petit attentat — plutôt islamiste — ça serait du pain béni, non ? Ajoutez une cinquième vague (4 em ou 6 em je ne sais plus), des casseurs et un incendie au parlement, ça devrait le faire, non ?
A moins que le gouvernement ne joue les malins en amendant — voire en retirant la loi—, en condamnant un peu « l’exagération » de la racaille policière, en s’excusant un coup à gauche un coup à droite, en distribuant une médaille aux policiers (déjà médaillés pour leur bravoure envers les GJ), aux aides-soignants (qui ont refusé), aux rappers (on verra). Un petit effort pour imaginer des dissensions, des diversions, des scandales de complots complotants complotistes. Et surtout ne pas oublier de saupoudrer encore de quelques miettes les commerçants, les artistes, les (auto)entrepreneurs. Jusqu’au point de non-retour : « Faillite de l’Etat. Liquidation. Désolé vous êtes ruinés (sauf nous). Rentrez chez vous et soyez contents d’avoir encore un toit ». De toutes façons, ils sont programmés au bras de fer, au marteau, à l’enclume et à la reconduction des lois sous une autre forme. Instrumentalisation générale à la faveur d’une privatisation générale. Mais cette vélocité est telle que les gens n’ont plus le temps d’oublier. Les méfaits s’accumulent d’heure en heure. Et dans ce genre de stratégie de casse magistrale, l’oublie des masses c’est fondamental… la précarité rend la mémoire… rien n’est joué d’avance : c’est pourquoi ils se précipitent. Ne croyez pas en leur oraison funèbre.
Pendant ce temps, dans un petit village chinois bien connu sous le nom de Wuhan, on danse en discothèque, on y danse, on y danse, avec un sourire grotesque on y danse sans les masques. Qui eut dit qu’un jour on serait moins libre que les chinois ? On rit jaune. Question classement dictature, on doit être en train de passer devant l’Iran. Prenons encore un peu de la graine de Chine : le virus Covid a été vaincu en même temps que le virus Hong-Kong. C’est réciproque. C’est formidable. C’est médical. On a de quoi douter des chiffres chinois, mais certainement pas de leur répression. En France le virus sera éliminé en même temps que les mouvements sociaux. Question de santé publique : les rassemblements anti-loi propagent le virus moins vite qu’avant mais plus vite qu’hier. Ça a beau être signé par le Haut Conseil Scientifique du grand timonier Véran, les jeunes n’y croient plus.
Je monte sur un abris bus. Amane, une lycéenne de 17 ans, s’y trouve déjà. Elle me confie : « On sent bien qu’ils manipulent tout. Ca va dans tous les sens. On n’a plus confiance. Mais on ne sait pas encore quoi penser exactement » Cela dit, elle a les idées plus claires qu’il n’y parait. Le dogme écolo de la non-violence commence à flancher. « On ne veut pas être violent, mais franchement on fait quoi quand la police nous démonte même quand on est aussi tranquille et pacifique ! » Elle m’apprend que les lycées sont sous contrôle total. J’en étais resté aux collégiens qui voulaient plus de normes de sécurité. Décidément, la vraie information se fait en réel avec les vraies personnes. Dans certains lycées « récalcitrants » la police contrôle chaque déplacement. Elle fait entrer les élèves un à un, faisant en sorte que personne ne se rassemble hors les murs. « L’ambiance est étouffante » me dit-elle. « Le pire c’est qu’il n’y a qu’une minorité qui s’aperçoit de l’abus ! ». C’est vrai mais il y a un mois, il n’y avait même pas cette minorité.
Une benne et une bagnole brûlent. Normalement c’est le prétexte pour intervention tous azimuts des FDO (Forces De l’Ordre…) : bastonnade, séquençage de cordon, LBD, grenades de dé-encerclement, etc. Les pompiers tardent à venir à cause de la densité humaine. Les voilà : en 5 minutes c’est réglé sous les applaudissements de la foule. Mais pourquoi on fait pas comme ça depuis 2 ans ? C’est si simple… ah oui… suis-je bête : il faut des images de feu et de casseurs pour BFM, Libé, le Monde, LCI, etc : Hou hou hou, ayez peur ! Quand tu es sur place ça fait rire. Tu vois bien que c’est le préfet qui décide, selon le stratagème du moment, du degré de violence qui dépend à 90% de la police. N’essayez pas de faire comprendre cela aux drogués d’internet : c’est peine perdue.
L’abri bus se remplit. Jeremy jeune étudiant en 3 em année de droit observe sereinement. Je lui demande ce qu’il en pense : « Au point de vue des lois, c’est scandaleux. On ne peut rester sans rien faire ». 6 nouveaux mecs « - Pourquoi vous êtes là ? - Pour les libertés fondamentales. - Je suis fier de vous. - Merci monsieur ! On va rester cette fois ! Jusqu’au retrait de cette loi ! Les GJ vous avez assuré ! Deux ans comme ça à vous faire dégommer, respect ! Juste incroyable ! » Reconnaissance. La reconnaissance mutuelle, c’est une des clefs de la paix. On se prend dans les bras. Cela nous galvanise.
Galvanisé, il le faut bien car je vois les FDO qui sortent du centre de leurs barricades d’acier. Invasion brutale de l’espace. Après 50 manif on connait la manoeuvre : ils veulent couper la manifestation, mettre la panique, nasser, frapper. Les jeunes sont désorientés. J’hurle de mon abris bus : « Ne les laissez pas couper la manif ! Rassemblement ! Investissez le terrain ! » C’est inexplicable, mais entre mes cris d’alarme, le ras-le-bol général, la rage des jeunes et la lourdeur des robocops, les manifestants se posent en face. Jets de projectiles, cris d’encouragement, force de la masse. Les policiers prennent peur. Ils courent à toute vitesse se cacher derrière leurs barricades. A droite une trentaine arrive : « C’est pas fini ! A droite ! Rassemblement ! Ne vous laissez pas couper ! Investissez le terrain ! » C’est plus long, ils sont plus nombreux. Les manifestants prennent confiance. Impossible de couper. Les FDO détalent comme des lapins. Deux tombent à terre. Ils se prennent quelques coup de pieds, mais sont vite relâchés. Il faut dire qu’avec leur armure s’ils ont un bleu c’est déjà beaucoup. Une troisième salve, mais cette fois sans armure, que des casques. « A gauche ! Investissez le terrain ! » (C’est drôle quand même avec le recul : centre/droite/gauche…) Alors là ils n’essayent même pas de manœuvrer : ils vont direct au terrier. La « Fanfare invisible » rythme la course en jouant de plus en plus vite percussions, trombones, trompettes et vent devant !
Julia m’appelle : les infiltrés sont régulièrement virés. Faut dire on les reconnait vite : en noir, montrant leurs couilles et faisant le kéké en position boxe anglaise. La première stupeur passée devant autant de violentes conneries, les manifestants les virent du cortège. Je comprends mieux pourquoi il y a moins eu de pétages de vitrines : les infiltrés se sont faits sortir. Du coup ça cible bien mieux : BNP Paribas qui a fait des dividendes énormes pendant le confinement… la succursale de la banque de France et une brasserie mitoyenne, vide depuis des mois…
Mon ami Seb m’appelle d’une rue adjacente en chialant : « Putain ils lynchent le jeune homme ! Putain c’est horrible ! Ils sont 10 autour de lui ! Ils le maravent ! Merde : ils lui ont fendu le crâne ! Je vois de la cervelle qui sort … c’est horrible ! Il y en a un qui fume tranquille en le regardant ! Il rigole ! Il nous fait des doigts d’honneur ! Et tous les autres qui filment sans bouger ! C’est pas possible ! J’essaye de rassembler mais ça marche pas ! On est pas assez nombreux ! Je comprends pas, je comprends pas cette violence et cet abandon. Je peux pas ! »
Au corps à corps les FDO ne font pas le poids devant une foule déterminée. Ajoutez à cela leurs conditions de travail, la pression des hiérarchies, ceux qu’on a mis de côté parce qu’ils pensaient trop et vous comprendrez comment frustrés, ils sont rendus lâches. Alors ils se défoulent. Ils frappent armés les désarmés, frappent à plusieurs les esseulés, plastronnent entre eux en se passant les photos de leurs exploits. Faut pas croire : c’est pas réserver qu’aux noirs et aux maghrébins. La vraie division, elle s’est éclaircie en 2 ans : pauvres/riches, opposant/soumis. On revient vite aux fondements.
37 policiers blessés. Ca monte à 100. Si ça continue, ça va être toute la police, même ceux qu’étaient pas là. « Les auteurs de ces violences doivent être poursuivis ». Décidément ils ne font pas dans l’originalité : Nuit Debout avec un unique policier maltraité, la Salpétrière « saccagée par de dangereux terroristes » (pas de bol encore des vidéos : c’est la police qui oblige des manifestants à se replier dans un hôpital qui les accueille tranquillement), les GJ qui crèvent sous les LBD et les coups, les descentes, les perquisitions en banlieues etc. Je sais combien il est difficile, pour ceux qui n’ont pas l’expérience de terrain et de précarité, d’admettre que l’Etat est prêt à tous les mensonges pour détourner l’attention du drame sanitaire, des procès historiques en cours et des licenciements en masse. Quand est-ce qu’on poursuit la police ? Jamais. Ah oui l’IGPN… C’est comme Sanofi et Black Rock qui subventionnent la campagne du Président… les conflits d’intérêts se rassemblent savamment. Quoi de mieux que de crier à l’indignation quand le pays est mis à sac par le gouvernement même ? Et d’ailleurs quelles blessures ? Des bleus, des foulures, une fracture du petit doigt ? Et les manifestants ? Et les crânes ouverts, et les muqueuses foutues, et les urgences à l’hôpital avec retour direct au commissariat ? Et les centaines de blessés graves, pardon les milliers ? Et les gardes à vue pour n’importe quel prétexte ? Et les peines économiques qui tuent ? J’en passe tellement il y en a. La victimisation de la police ça fait partie du nouveau kit de la mauvaise foi. Un éborgné ? Une main en moins ? Des morts comme ils savent si bien faire ? Allez, juste un mort… en fait c’est tellement intenable humainement qu’ils se tuent eux-mêmes. Maintenant qu’on dresse des molosses, le taux de suicide devrait baisser. Pourtant la ligne est toute tracée depuis Charlie : la sécurité globale ce n’est pas contre le terrorisme pour la protection du citoyen. Non : c’est le dressage du citoyen qui accompagne l’insécurité économique globale créée par l’oligarchie libérale.
Il y avait plein de journalistes, des photographes, des reporters. Mais où sont les articles, les photos, les reportages ? Ecrasés sous la propagande ? Sous la censure ? Dans des médias complètement marginalisés ? Ou ils ont profité de la vague et se sont rangés ? On peut se le demander quand on entendait le car de la presse défiler solennellement sous la voix d’un homme s’écoutant parler pendant des heures et que d’ailleurs plus personne n’écoutait tellement il planait. A quoi jouent ces gens-là ? Je ne sais. Espérons que la vérité remontera auprès de ceux qui n’étaient pas là et qui cherchent derrière le paravent des mensonges.
Tout d’un coup je vois un homme masqué les bras tendus vers moi. Je peine à le reconnaitre : Je me pince. Pas possible « Edouard ! Mais qu’est-ce que tu fous là ». Edouard a beau être des beaux quartiers, il est bien là avec nous. Lui aussi n’en peut plus de cette ambiance. C’est dire la profondeur du malaise. Photographe, journaliste, il veut la prise au réel. Ni une ni deux je le saisi par la bras... il est tout nouveau... reste une heure si on ne veut pas finir en loques sous la nasse et les coups… on file… en avant… vers les GJ… puis… le kiosque en feu avec les effets de style des jeunes qui s’embrassent, s’assoient, lèvent le poing… pas de bol les gaz… araignée de fer qui vous lacère le visage… crise d’asthme, peur, larmes, baves, écumes… un Gj apparait pour nous asperger d’un produit bienfaiteur… la police charge… police repoussée… ça recharge… ça repousse… on passe derrière… certains flics vomissent leurs tripes sous l’effet des gaz… une cigarette de trop ?… on repasse … devant… derrière… drapeaux français… les vrais révolutionnaires, pas les versaillais… ahahah… Edouard s’exclame : Le Crépuscule des Dieux de Wagner en ce moment même à l’Opéra quelle synchronicité… Oui Edouard… t’as raison… faut faire vite… je rigole … encore… des gaz… le pire de tout… et là le plus beau … sucursalle de la Banque de France… brasier… énorme … flamboiement !… Double symbole : revanche des communards qui n’avaient pas oser prendre l’or de la BF, revanche de ceux qui ont compris que les banques centrales ont trahit leur pays en se soumettant à la BCE… faut partir… les FDO : « maintenant plus personne ne rentre ni ne sort ! »… ah putain… vite… dernier passage… Edouard lâche tes photos et ramène ton cul !… on fonce… le cordon… sortie. On se regarde. Même constat : une sale gueule.
Retour au temple. Les magasins ont réouvert. Guirlandes, civilités, masques et petits fours. Temple morbide de la consommation. L’indifférence hostile reprend son cours. Le choc est toujours aussi frappant.
Je retourne à 23h sur les lieux. Dans le métro, ça contrôle de partout… même les agents de sécurité deviennent des flics… sécurité globale deviendra vite délation totale…
Les gens s’agglutinent autour des cendres de la benne et de la voiture… ils photographient… cet attrait pour les BMW et les poubelles … Je pue la guerre. Faut rentrer.
***
Je me dis que la prochaine fois, va peut-être falloir revoir la recette du cacatov, les parapluies en bloc, les canards gonfables, venir avec des casques, des masques à gaz. Mais bref. Pas de prédictions, pas d’hypothèses. Restons humbles. Suivons le cours des événements. Tout cela nous échappe.
Une seule chose est sure : c’était beau les amis ! C’était beau ! C’était beau ! Ne perdez pas courage ! Voyez ce que les générations qui se croisent sont capables de faire ! Vous n’êtes pas seuls ! La confiance fait tout ! Revenez jusqu’à la victoire ! Jusqu’à la vie ! « Investissez le terrain ! » Nous avons compris, nous avons senti, nous avons vécu avec notre corps, notre tête et de tout notre être qu’un peuple uni qui n’a plus peur est un peuple invincible ! Nous écrirons l’histoire ! L’avenir est à nous…
Crédit photo : Edouard Brane
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