« Classe ouvrière » et/ou « prolétariat » : « Disparition » et/ou mutation ?
Quelques réflexions à propos de l'émission de France Culture :
L’ouvrier est-il une figure du passé ?
ST ETIENNE 1948 LUTTES SOCIALES
ST ETIENNE XXIème SIECLE
Émission effectivement passionnante par le nombre de situations concrètes qu’elle examine, et c’est donc déjà une base essentielle de réflexion sur l’évolution du système.
Le défaut principal de cette approche réside néanmoins évidemment dans le déficit de précision analytique des définitions sociales, et notamment celle de « classe ouvrière ». Et pour cause, puisque cela implique de redéfinir la notion de prolétariat, qui, elle ne disparaît pas aussi facilement que les usines que le système détruit.
Ce qui a fait la force potentielle, et parfois, bien réelle, de la classe ouvrière c’est non seulement le rassemblement sur un lieu de production, mais surtout le fait concret de l’intégration directe du travail de l’ouvrier dans le processus de production. Une intégration telle que sans l’action directe de chaque ouvrier « spécialisé » dans un geste indispensable dans ce processus le produit ne peut pas être complété et commercialisé.
C’est cette base qui définissait alors, selon Marx, et selon l’évidence aussi, la valeur du produit et de la production.
C’est cette base qui posait la classe ouvrière en situation de se constituer en classe dominante pour se libérer de son exploitation et libérer l’ensemble des autres classes prolétariennes, dans la foulée, sur une base d’unité populaire et prolétarienne. C’était le sens marxiste du concept de « dictature du prolétariat » que le PCF a rejeté officiellement en 1976, mais déjà bien avant, en réalité, dans sa pratique et dans ses programmes politiques tarabiscotés, et déjà depuis très longtemps révisionnistes, au point de vue du marxisme.
A l’époque de Marx la notion de « classe ouvrière » se confond pratiquement avec la notion de prolétariat industriel productif.
Mais la notion de classe ouvrière, déjà à l’époque, est associée, plus généralement, par une population qui n’avait pas forcément une culture marxiste, à la notion de classe de travailleurs manuels, en général.
Cette notion persiste, aujourd’hui, y compris dans les critères statistiques de l’INSEE, par exemple, qui intègre dans la « classe ouvrière » une grande partie de travailleurs manuels du secteur tertiaire, dans le secteur des services, donc.
De même, la notion de « travailleurs du secteur industriel » recoupe actuellement un ensemble de catégories liées directement à l’activité industrielle, avec toute sa hiérarchie technique et administrative, mais dont seule une petite minorité reste directement liée au processus productif lui-même, au sens marxiste rappelé ci-dessus de travail productif de plus-value.
La notion de prolétariat, elle, renvoie au fait que dans toute société de domination de classe il y a toujours une partie importante de la population qui n’a que sa force de travail à vendre pour survivre et tenter de s’intégrer socialement. Et cela est indifférent au fait que le travail de ces prolétaires soit simplement servile ou productif de plus-value au sens marxiste du terme, c'est-à-dire de la valeur ajoutée à une production par la force de travail.
Ce qui fonde et renouvelle le prolétariat, c’est la dévalorisation de la force de travail, la réduction de sa valeur d’échange, que ce soit sous forme de salaire ou autre, au minimum vital nécessaire à l’intégration dans un contexte social donné. Dans le contexte social actuel il est donc évident, comme cette émission le souligne, que de nouvelles catégories de travailleurs, notoirement « uberisées », et donc pas forcément salariés, répondent tout à fait à cette définition. Le prolétariat, on le voit bien concrètement, se « renouvelle », en quelque sorte, avec les nouvelles formes de l’économie, même si la classe ouvrière, au sens marxiste du prolétariat industriel productif, a donc nettement tendance à disparaître, comme on l’avait déjà vu dans nos colonnes et dans un débat concomitant sur VLR :
Le sens retrouvé du combat social en France (Nouvelle édition)
Autrement dit, s’il ne sert à rien, en termes de construction d’une alternative politique sociale, de cultiver essentiellement une sorte de nostalgie « romantique » de la classe ouvrière, comme le fait Aurélie Filippetti, il faut donc bien précisément comprendre que les notions de « classe ouvrière » et de « prolétariat » on naturellement tendance à se dissocier l’une de l’autre, avec les nouvelles formes de l’économie.
Autrement dit, encore, la question de la reconstruction d’une alternative sociale, c'est-à-dire, en fait, la construction d’une alternative sociale entièrement nouvelle et adaptée aux formes de l’économie moderne, ce n’est pas tant de renouer avec une conscience « ouvrière » devenue en quelque sorte « légendaire », sinon carrément chimérique, mais bien de faire émerger une nouvelle conscience de classe prolétarienne, au sens large du terme, c'est-à-dire qui englobe toutes les formes du nouveau prolétariat, engendré par les formes nouvelles de l’économie moderne.
Il est clair que l’un des buts politiques essentiels de la classe capitaliste « classique » a toujours été de tenter de faire disparaître la conscience de classe ouvrière, et qu’à force de divisions et de manipulations ethniques, elle y a fort bien réussi, et le plus souvent avec la « participation » active de la gauche réformiste et collabo, y compris dans sa dernière forme bobocratique plus ou moins « écolo » dont Aurélie Fiippetti est l’un des plus pur produits, même si ici elle fait de sa mémoire familiale ouvrière une sorte de fond de commerce littéraire :
« Il y a six millions d'ouvriers en France aujourd'hui, six millions d'ouvriers dont plus personne ne parle. [En 2003, sortie du livre-NDLR]
Qui racontera leur histoire, sinon leurs enfants, pour peu qu'ils aient eu la chance de faire des études, et de mesurer la distance qui les sépare désormais à tout jamais de leur milieu d'origine - ce mélange inédit de culture italienne, communiste, et ouvrière. Que ce soit la mine ou la sidérurgie, ce monde-là était solidaire, car « à la mine, un homme seul est un homme mort ». Personne, ou si peu, ne leur a rendu hommage, personne, ou si peu, n'a dit leur héroïsme quotidien - pourtant héros ils le furent, du travail, à huit cents mètres sous terre ou dans la fournaise du laminoir, de la guerre, de la résistance à la guerre d'Algérie. Héros enfin dans leur ultime combat contre l'assassinat programmé de leur région d'adoption, la Lorraine, où de plans sociaux en restructurations, plusieurs centaines de milliers d'emplois furent fracassés en vingt ans. Et les mines fermées. Les usines rasées. Ce roman vise à leur rendre une petite part de justice... » A.F
Car il s'agit bien d'un roman qui porte un hommage juste et vibrant à la classe ouvrière du XXe siècle. À travers la figure centrale d'Angelo, rebaptisé Angel, fils d'immigrés italiens, ouvrier mineur pendant trente ans et maire communiste, se dessine le portrait de ces générations d'ouvriers frappés par l'exil, la guerre, les désillusions politiques et la récession économique. Et derrière, à leurs côtés, des épouses, des enfants, des collègues, toute une population cachée, sacrifiée, voire oubliée. Souvent honteuse. À qui l'auteur donne la parole. »
https://www.editions-stock.fr/livres/la-bleue/les-derniers-jours-de-la-classe-ouvriere-9782234056398
Il est également tout aussi clair que la nouvelle classe dominante banco-centraliste, au-delà de ce genre de jérémiades pseudo-« nostalgiques », a le même intérêt à briser toute tentative d’unification de la classe prolétarienne. Évidemment, comme le soulignent les différents exemples concrets évoqués dans l’émission, la tâche lui est naturellement facilitée, précisément, par les nouvelles formes de l’économie, qui isolent les prolétaires les uns des autres, que ce soit en termes de lieux de travail ou de moyens de travail.
Dans ces conditions nouvelles, et plus que jamais, la question de l’unification de ce qui reste de la classe ouvrière et du prolétariat au sens large et nouveau du terme, ce n’est pas la simple addition d’une somme de combats sociaux locaux disparates, genre « tous ensemble en même temps », sans autre contenu, mais bien l’émergence d’une conscience politique qui donnera un sens réel de lutte de classe à une éventuelle simultanéité des luttes.
Dans ces conditions, face au mondialisme banco-centraliste, c’est bien la reconstruction d’une économie endogène et démocratiquement contrôlée pour répondre aux besoins sociaux des « anciens » et des nouveaux prolétaires qui peut être la perspective politique unificatrice des restes de la classe ouvrière et des nouvelles strates sociales populaires et prolétariennes.
C’est un autre débat, mais c’est précisément le débat de fond nécessaire pour notre XXIème siècle.
Luniterre
Comme exemple concret, à la suite dans l'article sur "Ciel de France" :
Chez Vuitton et Hermès, pas d'oxymore :
Prolétaires du luxe mais pas "prolétaires de luxe" !
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POUR ALLER PLUS LOIN SUR LE BANCO-CENTRALISME >>>
Pour comprendre les causes économiques
de l'apparition du mondialisme banco-centraliste :
entre l’époque de Marx et la nôtre
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« Tertiarisation » : de l’évidence d’une nouvelle stratification sociale au XXIe siècle
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20 articles récents sur l'analyse
de l'évolution banco-centraliste
du système de domination de classe :
Cycles d'études sur la mutation banco-centraliste du système économique mondialisé (1)
Le but de cette page est de présenter un ensemble d'articles en liens qui forment une suite suffisamment cohérente, au fil du temps, pour permettre une approche des mutations essentielles de l'économie moderne engendrées par la mondialisation, dont la plus évidente et la moins connue à la fois est le rôle prééminent pris par les principales Banques Centrales, essentiellement depuis le "choc" de 2008, mais qui s'est vu encore considérablement renforcé par le "choc" de 2020, dit "crise du Covid", et à nouveau par le choc du conflit ukrainien.
Paradoxalement, le sens choisi est antéchronologique, pour la raison que les derniers articles écrits sur le sujet visaient précisément à résumer les conclusions les plus évidentes, et, dans la mesure du possible, sous une forme simplifiée, sinon réellement "vulgarisée", ce qui n'est guère possible, sur ce type de sujet.
En "remontant le temps" on rentre donc progressivement dans la genèse de l'analyse, jusqu'au moment où en apparaissent les fondamentaux, et au delà encore, les prémisses dans la recherche.
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Articles de fond plus anciens :
Dette banco-centralisée : quand c’est fini, ça recommence… !
http://cieldefrance.eklablog.com/dette-banco-centralisee-quand-c-est-fini-ca-recommence-a212959483
Face au banco-centralisme : pleurnicher, rêver, ou agir ? Que faire ???
https://mai68.org/spip2/spip.php?article12242
https://mai68.org/spip2/spip.php?article12016
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/du-village-primitif-au-monopole-241522
La fin du capitalisme signifie-t-elle nécessairement la fin du système de domination de classe ?
http://mai68.org/spip2/spip.php?article11679
“Le Crime du Garagiste” – Le Casse Banco-centraliste !
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/le-crime-du-garagiste-le-casse-231389
https://www.agoravox.fr/tribune-libre/article/merveilleux-monde-d-apres-un-225066
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