Mercredi 24 septembre 2014 :
L’économiste Bernard Maris est
professeur des universités à l’Institut
d’études européennes de l’université
Paris-VIII. Il est membre du conseil général de la Banque de
France.
Alors qu’il était pour la monnaie
unique depuis 25 ans, il a changé d’avis : maintenant, il est pour
la sortie de l’euro.
Bernard Maris écrit cet article
fondamental :
« L’autre politique économique,
ou comment échapper aux Chinois.
Sortir de l’euro permettrait de
retarder la conquête de notre marché du travail par la Chine.
Existe-t-il un autre modèle que le
modèle Valls – Fillon – Juppé – Sarkozy ? Oui, il y en a
un, et un seul. C’est le modèle macroéconomique fondé sur une
sortie totale ou partielle de la zone euro. Autrement dit, et je pèse
mes mots, si on ne sort pas partiellement ou totalement de la zone
euro, la seule politique macroéconomique possible est celle de
Valls-et-les-autres.
– Si l’on garde l’euro, le seul moyen
de ne pas crever face à la politique menée par l’Allemagne est de
mener une politique de contre-offensive en vendant nos produits faits
par nos petites mains, travaillant plus dur et plus longtemps pour
des salaires plus faibles. A cette seule condition, on peut espérer
tenir sur le radeau. Combien de temps ? Un demi-siècle environ.
Après, toute la technologie sera passée aux Indiens et aux Chinois,
qui deviendront nos employeurs.
– Une sortie totale ou partielle de
la zone euro permettrait à l’économie française de se redresser
plus rapidement, avec un coût inférieur en termes de pouvoir
d’achat et de souffrance sociale. On gagnerait 25 ans environ par
rapport au plan Juppé-Valls. Une génération de gagnée. Une
cohésion sociale plus forte, pour envisager l’avenir (les conditions
de travail offertes par nos futurs employeurs, les Chinois et les
Indiens ; les conditions de rivalité de nos anciens amis –
les Espagnols, les Allemands, etc, à qui nous aurions damé le
pion).
Je ne vais pas exposer à nouveau les
conditions d’une sortie intelligente et raisonnée de l’euro,
négociée avec nos partenaires de la zone.
On aura beau dire que, français ou
étranger, un patron est d’abord un patron, et que son capital comme
son âme, par définition, sont mondialistes ou apatrides ou
internationaux, un gouvernement français dominé par des patrons
étrangers serait totalement soumis, muselé, sans aucun pouvoir.
Un gouvernement français dominé par
des patrons français aurait plus d’autonomie parce qu’il pourrait
négocier ses prébendes, fiefs, affermages contre quelques avantages
sociaux relevant du modèle dit « français ». Or, pour
pouvoir négocier ces fiefs, affermages (ainsi les concessions des
autoroutes honteusement refilées par Villepin), il faut au moins
être propriétaire du bien public fondamental qu’est l’argent.
Donc il faut sortir partiellement ou
totalement de l’euro. Pourquoi l’euro ? Pour l’Europe fédérale.
Qui veut de l’Europe fédérale ? Hollande et Bayrou. C’est peu.
L’Allemagne ne veut pas d’Europe fédérale, ni l’Espagne, ni
l’Italie, ni personne. Peut-être la Belgique et le Luxembourg, mais
certainement pas le Royaume-Uni, la Pologne ou l’Irlande. Ou
l’Italie. Ciao l’euro, et vraiment pas de regret !
(Charlie Hebdo, mercredi 24 septembre
2014, page 6)