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Commentaire de Pierre-Marie Baty

sur 2012 : la Russie à un tournant


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Pierre-Marie Baty 19 septembre 2012 10:32

Bonjour buenor,

L’adhésion ou la non-adhésion à l’OMC a bel et bien été ce qu’on appelle un choix cornélien pour Vladimir Poutine.

Il savait que ce choix allait faire baisser le niveau de vie et le faire haïr par bon nombre de ses concitoyens. Pourtant il l’a fait.

On est en droit de se demander pourquoi ? Voici, à mon sens, quelques éléments de réponse.

Le projet de Vladimir Poutine pour la Russie est de lui faire retrouver sa primauté géopolitique dans le monde. Car Vladimir Poutine est un patriote, il ne s’en cache pas, et croit à la grandeur de la Russie. D’aucuns diront que cela venait de son éducation soviétique, quand bon nombre de soviétiques transféraient inconsciemment leur amour de la Mère Patrie vers l’U.R.S.S. au lieu de la simple Russie.

Quoi qu’il en soit, le président Russe sait que la restauration de la grandeur de la Russie passe par un recouvrement de sa puissance militaire. Il n’est absolument pas dupe de la situation géopolitique actuelle, et des projets à long terme de l’OTAN : les radar anti-missiles déployés en Ukraine et au Japon, l’installation et le renouvellement de la constellation de bases militaires américaines dans les anciens pays satellites, l’espionnage et le sabotage récents de ses lanceurs spatiaux à visée militaire, le blocage et l’accaparement des réservoirs de ressources énergétiques, tout se met effectivement en place pour que le théâtre de la prochaine grande guerre planétaire voie s’opposer l’entité américaine et ses vassaux au peuple Russe.

Pour contrer cette menace rampante, mais grandissante et de plus en plus réelle, Vladimir Poutine se démène comme un beau diable : il signe à tout va des accords de partenariat économique et militaire avec tous les pays qui ne sont pas favorables à l’hégémonie américaine : Iran, Venezuela, Cuba, jusqu’à se raccomoder avec le frère ennemi chinois ; il tente de réinsuffler dans le coeur des masses l’élan patriotique en promouvant l’histoire de la résistance héroïque de la Russie au cours de la seconde guerre mondiale, il exhorte son peuple à un nouveau sacrifice dans un avenir proche : le message est clair. « Je vais armer la Russie comme jamais elle ne l’a été ! » aurait-il dit il y a quelques années.

Mais Vladimir Poutine a un problème. Le peuple Russe, exemplaire dans le courage et le sacrifice au moment suprême, en temps de paix se comporte comme une grosse feignasse. Des décennies de travail soviétique ont vu fleurir un tire-au-flanc et un laxisme généralisé dans les classes laborieuses. L’ouvrier soviétique se méfie comme la peste de la bureaucratie. Dans l’industrie, des contrôles qualités sont inexistants, et quand on en instaure, les contrôleurs sont aussitôt corrompus avec des caisses de vodka. L’absentéisme est de rigueur et le travail bâclé est la règle. L’ouvrier soviétique ne pouvant pas être viré (et quand bien même il le serait pour faute grave, il lui suffisait de déposer une demande pour se voir alloué un nouveau poste), la qualité des pièces livrées était largement catastrophique : ah, ça, les quotas de rendement fixés par le Parti étaient toujours remplis ! Mais avec de la qualité de merde, surtout dans les derniers jours du mois.

Ce gros problème faisait d’ailleurs la joie du marché noir : les magasins d’Etat recevant les livraisons en profitaient aussitôt pour déclarer les trois quarts des articles « defizitni », soit « déficients », et disparaissaient aussitôt des listes, passant par pertes et profits. Mais cette perte n’était pas pour tout le monde, car ce mot a pris depuis un autre sens en Russie, le sens de « vendu au marché noir ».

Une plaisanterie des années 80, que les soviétiques se faisaient entre camarades, disait d’ailleurs : « comment sait-on que notre système politique est meilleur ? Parce que ça fait 70 ans qu’on vole l’Etat, et qu’il reste encore des choses à voler ! »

Or comment voulez-vous concevoir, fabriquer et déployer des systèmes d’armements performants, si les trois quarts de vos ouvriers ont un poil dans la main, chourent la moitié des pièces, quand ils ne dérobent pas carrément le produit fini, et revendent le fruit de leurs larcins, même et surtout quand il est frappé du sceau du secret défense, sur le marché noir et même à l’exportation ?

Il fallait impérativement changer l’état d’esprit de l’ouvrier Russe. C’est pour cela que Poutine a choisi de prendre cette mesure radicale. Lui, l’ancien cadre soviétique, a volontairement choisi d’introduire de force les préceptes du libéralisme dans le quotidien de la nation ouvrière russe. En ouvrant le marché intérieur russe à la libre concurrence, Vladimir Poutine sait qu’il va affronter dans les cinq à dix ans les récriminations, peut-être même la révolte, d’une grande partie du corps ouvrier russe qui va se retrouver obligé de travailler sérieusement s’il ne veut pas être viré et faire l’expérience du chômage. Fini le tire-au-flanc, le travail bâclé et le vol de la propriété de l’Etat : les ambitions de développement de l’armée Russe, et la sécurité de la Russie, exigent dorénavant des critères de productivité et de qualité drastiques, que seules les contraintes libérales sont en mesure d’enforcer.

Je pense que c’est là tout le sens de l’adhésion de la Russie à l’OMC.


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