Les Aborigènes souffrent encore du génocide canadien
On parle encore des génocides de l’Allemagne Nazie au milieu du 20ème siècle, suivi entre autres, du génocide Tibétain dans les années 60 et du génocide Rwandais en 1994. Qu’en est-il du génocide canadien qui a fait près de 100 000 victimes, torturées, assassinées ou portées disparues entre 1922 et 1984, et dont les répercussions continuent à affecter les Aborigènes du Canada ?
Qu’ils s’agissent des Premières Nations, des Inuits ou des Métis, les peuples Aborigènes du Canada ont cohabité paisiblement pendant des milliers d’année sur leurs terres ancestrales. Jusqu’à l’arrivée des premiers colons européens, suivie d’une immigration d’européens de masse au début du 20ème siècle, les autochtones parlaient leur langue natale, perpétuaient les traditions de leurs sociétés matriarcales, exerçaient leurs croyances spirituelles et vivaient de leurs terres librement et sereinement.
Aux yeux des colons européens, le mode de vie des Aborigènes était « primitif » et ils étaient « mal éduqués » ; il fallait donc les « civiliser » ou pis, s’en débarrasser. A la fin du 19ème siècle, les canadiens d’origine européenne ont poussé les Aborigènes à assimiler la culture « canadienne ». Pendant plus d’un siècle, les persécutions qu’ont subies les Aborigènes rappellent l’holocauste des juifs durant la Seconde guerre mondiale. Cette semaine, à l’occasion d’une journée dédiée aux Aborigènes dans un lycée international en Colombie Britannique, plusieurs générations sont réunies pour témoigner du passé et du présent.
Sarah, 79 ans, de la tribu des Cowichan sur l’île de Vancouver commence par nous raconter l’enfance de sa mère qui a grandi à l’époque où « la Loi sur les Indiens » considérait les Aborigènes comme étant des êtres inférieurs n’ayant aucun statut légal, ni droit civil, ni le droit d’avoir sa propre entreprise. Au début des années 1880 les premiers pensionnats dirigés par des colons catholiques sont mis en place pour y « civiliser » et « éduquer » les jeunes Aborigènes. Ces internats, plus tard appelés « écoles résidentielles » sont aussi synonymes de prison pour les enfants. Arrachés à leurs familles contre leur gré, ils y vivent coupés du monde, y sont maltraités et certains n’en reviennent jamais. La mère de Sarah, comme tant d’autres, y fut victime d’abus sexuels.
Sarah, elle, a échappé aux écoles résidentielles, mais pas au pire. Instruite par ses grands-parents, ses connaissances, sa force d’esprit et son savoir l’ont poussée à aspirer au même succès que les canadiens d’origine européenne. Avec son mari, elle monte un projet d’entreprise de fabrication de laine et pour se lancer, il lui faut un prêt. Pour la banque, il est hors de question de prêter un sou à un Aborigène. Malgré cela, à force de persévérance et de perspicacité, Sarah finit par obtenir ce prêt et à mettre en place une entreprise qui devient une véritable source de solidarité et de revenus pour sa communauté. Néanmoins, lorsqu’elle commence à démarcher les magasins pour vendre son stock de vêtements en laine, elle fait face au refus des revendeurs. Tout comme prêter de l’argent aux Aborigènes, acheter les produits qu’ils fabriquent est mal vu. C’est finalement grâce à la collaboration de commerçants d’origines étrangères, notamment des japonais, qu’elle réussit à commercialiser ses créations qui finissent par connaître un véritable succès.
Ce que Sarah ne nous racontera pas de vive voix ce jour-là, ce sont les horreurs qu’elle a connues en plus des barrières sociales qu’elle a dû surmonter- les maladies et le manque de soins, les viols, la stérilisation forcée. A une époque où les Aborigènes n’ont pas le droit de faire appel à un avocat et où un avocat risque l’emprisonnement en tentant de soutenir un Aborigène, ces derniers n’ont ni droits, ni moyens de défense.
En 1984, la dernière école résidentielle est enfin fermée. Petit à petit les langues se délient et le silence est rompu. Certains survivants témoignent des meurtres et des abus perpétrés dans les écoles résidentielles. Certains témoins sont assassinés.
Nous sommes à la fin du 20ème siècle. Clint, un quarantenaire de la province du Manitoba, a eu la chance de recevoir une bourse lui permettant d’accéder à une éducation prestigieuse et de travailler à présent au Ministère de la santé canadien. Sa réussite et son évolution personnelle ne reflète en rien celle des esprits de certains de ses compatriotes non-Aborigènes. A la banque, sans sa femme d’origine allemande, il n’aurait pu ouvrir de compte aussi facilement, explique-t-il. Sa femme lui ayant recommandé d’aller chez un coiffeur qu’elle avait particulièrement apprécié pour son accueil, il décide de s’y rendre- l’accueil qui lui est réservé est froid, les regards qu’on lui porte sont dénigrants. Un soir, au restaurant, alors que tous les clients reçoivent des amuse-gueule gratuits, Clint se permet de demander s’il y a aussi droit. « Non », sa présence dérange.
21ème siècle. Les adolescents Aborigènes continuent à souffrir de discriminations raciales. Une adolescente du Nunavut raconte qu’elle et sa famille ont eu la chance de pouvoir surmonter les préjugés et ont pu bénéficier d’une éducation leur permettant de mener une vie suffisamment confortable. Pourtant, les conditions de vie des Aborigènes dans sa province restent difficiles. Les problèmes de santé et les problèmes sociaux sont nombreux. A cause des préjugés qui les poursuivent, les Aborigènes ont du mal à trouver un emploi, à faire carrière et de ce fait à avoir une situation économique stable. Dû à leur pauvreté beaucoup se nourrissent mal, trouvent réconfort dans l’alcool et les drogues et sont atteints de maladies physiques et mentales causées par la malnutrition et les abus de substances nocives. Et c’est malheureusement l’image des Aborigènes qui prédomine dans l’esprit de beaucoup de Canadiens aujourd’hui- l’image d’un peuple « irresponsable », « alcoolique », « mal éduqué » et « violent ».
En l’espace d’un siècle, les Premières Nations, les Inuits et les Métis ont perdu leurs repères, leur famille, leurs terres, leur culture et leurs droits. Bien qu’ils soient 2 millions à survivre dans un pays qui leur est hostile, lorsqu’on étudie la chronologie des évènements marquant la vie des aborigènes canadiens depuis la fin du 19ème siècle, trop peu sont réjouissants. Aujourd’hui encore, le gouvernement canadien est blâmé pour accorder moins d’importance aux crimes dont les victimes sont les aborigènes. Nombre de ces crimes ne sont pas élucidés, la presse en parle peu ou pas, la discrimination et le racisme continuent.
Comment remédier à plus d’un siècle et demi de violences, d’abus et d’injustices qui ont détruit l’image d’un peuple qui vivait simplement différemment des colons européens ? Aujourd’hui, toutes les générations d’Aborigènes continuent à témoigner et à souffrir de blessures non cicatrisées et de préjugés qui persistent. La colonisation est terminée, mais les traces de son passage restent indélébiles.
23 réactions à cet article
Ajouter une réaction
Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page
Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.
FAIRE UN DON