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Accueil du site > Tribune Libre > « Vivre » , le film : « All you need is love ! »

« Vivre » , le film : « All you need is love ! »

 

 

C’est dans l’épreuve, et non dans la facilité des jours, qu’on se révèle à soi même et aux autres. Que l’échéance de la mort se rapproche, et certains n’échappent pas à un examen de conscience. Alors certaines choses qu’on pensait intangibles apparaissent vaines. D’autres valeurs qu’on pensait futiles peuvent alors s’imposer à la conscience, et à l’action, et changer le cours des jours qu’il nous reste !

« Vivre » film Britannique sorti en Décembre, et qui rencontre un beau sucés d’estime, fait partie de ces œuvres qui nous interrogent sur le sens de notre vie.

     « La liste de Schindler  »(1993), de Spielberg, « La vie des autres  » (2006) de Florian Hankel Von Donnermark, s’intéressaient déjà à la crise morale d’un individu, dont le confort de vie et de penser, vont être bouleversé par une situation inédite, l’obligeant à réviser ses positions, et à s’engager dans un combat, à l'opposé de ce qu'il était. 

 

 

 

 C’est peut être à un film bien moins connu, «  Pereira prétend  », réalisé en 1997, que « Vivre », se rapproche le plus. Réalisé par Roberto Faenza, d’après un livre d’Antonio Tabucchi, ce fut le dernier rôle de Marcello Mastroianni. Le scénario évoque le dernier combat d’un journaliste âgé, sous la dictature Portugaise de Salazar. Cet homme solitaire et dépressif, poussé par la force d’événements dans lesquels il va se trouver par hasard mêlé, se lance dans un combat courageux, afin de sauver les autres, et tout autant lui même.

 

Il semble que Kazuo Ishiguro, le prix Nobel de littérature, était prédestiné à adapter à notre époque, le scénario de « Vivre », 70 ans après que le film original soit sortit au Japon, avant de devenir un succès mondial. Clin d'oeil à l'original, le choix a été fait de placer l'intrigue du film dans le décor du Londres de 1953, la même année de la sortie du film de Kurosawa. 

     "J’avais très envie de voir une version britannique du grand classique qu’est « Vivre » d’ Akira Kurosawa . Je crois que je l’ai découvert à la télévision, en Angleterre, quand j’étais enfant, et il m’a fait très forte impression. En partie en raison de mes origines japonaises par le message de ce film." 

Les années d'après guerre sont riches de chefs d'oeuvre. Et le cinéma de Kurosawa eut la même importance dans l'éducation des foules, et leur éveil à une certaine forme d'esthétisme, de sensibilité au monde, que les films du neo réalisme Italien.  Du "voleur de bicyclette" de De Sica, de "La strada" de Fellini, ou encore de "Stromboli"de Rosselini, Chacun possède son "rosebud" cinématographique. 

 

   Kazuo Ishiguro avait déjà écrit « les vestiges du jour  », que James Ivory adapta si bien pour le cinéma. (bande annonce : https://bit.ly/3ZrboYC) Un film plein de délicatesse et de nostalgie, et qui excelle comme celui ci, par son souci de la reconstitution historique, un secteur où les Anglais impressionnent toujours, avec un sens du détail achevé, que ce soit au niveau du décor, des costumes, ou de la psychologie des personnages.

 

« Vivre  », du film original, ou de son remake, fait écho à bien des histoires de résilience, mais raisonne étrangement avec une nouvelle écrite par Charles Dickens.

« Un chant de Noël  » se passe aussi à Londres, mais en 1840. Une ville surpeuplée, et industrielle, où la pauvreté et l’exploitation sont récurrentes. Par un soir de Noël, le vieux Scrooge, qui servira de modèle à Walt Disney, pour son personnage d’"oncle Picsou", rentre chez lui. Ce patron, riche et avare, acariatre, méprisant son personnel, n’entretient autour de lui, que de l’animosité et des moqueries.

   Arrivé dans sa maison froide et solitaire, il reconnait, avec épouvante, assis en face de lui, près de la cheminée, le fantôme de son ancien associé, Marley, mort depuis des années. C’est une vision d’horreur. Mais le spectre, qui remue ses chaînes, et hurle, est venu ici en mission. De sa voix caverneuse, il prévient le vieux Scrooge qu’il sera damné, tout comme lui, s’il continue à rester aveugle à tout ce qui l’entoure, et à se comporter comme il le fait envers ses semblables.

Scrooge fera trois voyages, en compagnie de trois esprits ; d'abord dans le passé, puis dans le présent, avant de se confronter à ce qu'il lui reste d'avenir. Il parcourera la campagne, les villes, survolera l'océan, comme sur les ailes d’un ange, explorant les temps et les espaces mouvants, comme des mondes existant en parallèle du notre.

    Ce voyage étonnant inspirera peut être H.G Wells pour écrire plus tard « La machine à explorer le temps », un des premiers récits de science-fiction. 

A moins que ce scénario à tiroirs ait aidé Sigmund Freud à jeter les bases de la psychanalyse, en ramenant la mémoire enfouie de l’enfance, comme élément fondamental de notre personnalité, et de nos névroses. 

 On remarquera tout autant la modernité du personnage de Scrooge, qui illustre la doctrine de existentialisme émise par Jean Paul Sartre. Scrooge n’est pas déterminé d’avance par son essence, mais est libre et responsable de son existence. C’est la traduction des paroles du spectre, qui le prévient que son avenir n’est pas encore écrit, mais dépend des actions qu'il fera. 

 

    Sur les ailes de l’ange, Scrooge reverra l’enfant solitaire et déprimé qu’il était, assis sous le préau d’une école, mal aimé, interdit de rentrer chez lui. Il reverra l’amour de sa jeunesse qu’il fit danser lors d’une fameuse soirée, avant qu’elle finisse par se fatiguer de cet arriviste, intéressé davantage par l'argent, que par l’envie de fonder une famille avec elle.

Il va douloureusement parcourir ce fil d’Ariane, qui va de la naissance jusqu’à notre mort future.

Parfois la douleur de la confrontation est si éprouvante que Scrooge veut détourner les yeux, mais l’esprit l’oblige à regarder la vérité en face.

Dans ces causes à effets, lors du dernier voyage, il finit par se voir à l’état de cadavre, allongé sur ce grabat de misère que personne ne veille ! Voilà ce qui l’attend, s’il ne change rien à sa vie présente, le prévient l’esprit….

Nous avons là le canevas émotionnel du film « Vivre », version 2022.

 

Le cinéaste sud-Africain Oliver Hermanus est à l’unisson du scénariste ; Kazuo Ishiguro, d'un roman à l'autre, a toujours été attiré par ce genre d’histoire. La remise en question des valeurs et des idées est concomitant à son univers, ainsi que les thèmes de la culpabilité, et du regret. Le souci de l’introspection narrative se complète souvent de celui de celui de transfigurer le réel, pour le mettre en accord avec la grande force émotionnelle qui traverse ses récits.

 Dès les premières images, ces travellings, et ces plans nous livrant sous différents angles le Londres de 1953, on reste scotché, tant la perfection de la narration des images est présente. Une qualité propre au cinéma Anglais, si étonnant quand il s’attaque aux reconstitutions historiques.

La jeune génération, qui n’a pas connu les administrations croulantes sous des monticules de dossiers et de bureaux annexes, sera surprise de voir cette plongée dans ce monde de paperasserie et de rapports kafkaïens, de façon quasi ethnographique.

 

Le Londres de 1953, dont les cicatrices de la guerre sont toujours présentes, est bien loin de celui de Charles Dickens. L’un est au début de l’impérialisme Anglais, et l’autre se situe à sa fin. Pourtant le monde victorien prude, les rapports de classe, sont toujours présents en 1953. Le film représente bien tous ces stéréotypes de la société Anglaise, encore très corsetée, tenant jalousement à ses règles, à une façon de vivre qui semble immuable, et sans doute rassurante, dix ans à peine après la guerre. Peut être est ce grâce à cet esprit qu’ils l’ont gagné ?

   

La photographie célèbre où l’on voit les habitués d’une bibliothèque bombardée, à Londres, pendant le blitzkrieg, symbolise on ne peut mieux, ce fameux flegme Britannique.

 

L’empire a beau avoir disparu, il leur reste encore la famille royale, les chromes sur la porte des maisons, tout cet art de l’étiquette, ces gentlemen en costume, et chapeau melon, gagnant la cité, pendant que le carillon de « Big ben » égraine les heures. Mais n’est-ce pas parfois un déguisement, une façon de se rassurer sur l’éternité des choses ?

Mr Williams, la soixantaine bien sonnée , chef de bureau craint et respecté au sein de la mairie, élégant comme un lord, n’est pourtant qu’un rouage impuissant dans le système administratif de la ville qui doit se reconstruire.

Il mène une vie morne et sans intérêt, en compagnie de son fils et de sa bru, dans une maison de la banlieue Londonienne.

   Chaque jour, depuis des décennies, il se rend à la gare. Tous ces cols blancs à chapeau rond, montant les escaliers des quais ressemblent à ces personnages étranges et désincarnés d’un tableau de Magritte.

C’est à un groupe de cinq employés, subalternes de Mr Williams, assis ensemble dans un compartiment, que la première scène du film s’intéresse. Ils parlent de leur chef de bureau, avant même qu’on ne le voit, comme une sorte de dieu omnipotent.

  Pieter, le jeune homme, entamant son premier jour de travail, fait office de novice rentrant dans une église, et permet au spectateur de s’identifier à lui, dans ce monde Orwellien qu’il découvre, avec ses règles absconses, et sa hiérarchie, ressemblant à une liturgie. Le ton est donné. Les dialogues seront percutants mais minimalistes, plein de flegme, de retenue bien Britannique.

 Seule cette Miss Harris, avec son ironie et sa jeunesse parvient à faire craqueler les attitudes figées et les maroquins de cuir de ses collègues. Reste ces sous entendus et ces non dits, dans cette dynamique très particulière qu’ont les Anglais de communiquer entre eux, et qu’on lie souvent à tort à l’hypocrisie, mais dont le tact laisse à chacun le choix de l’interprétation.

Certains tirent grande satisfaction du pouvoir qu'ils ont sur les autres employés. Ou sur les préposés venant demander humblement qu’on instruise leur dossier, dans le domaine des « travaux publics ».

Le pouvoir de Mr Williams est omnipotent sur l’ouverture ou l’enterrement des affaires en instruction, qu’il traite parfois avec mépris, les remettant sous la pile, pour ne pas dire à la corbeille.

Comme ce projet d’implantation d’une aire de jeux, pour les enfants d’un quartier déshérité, porté par une poignée de militantes infatigables, mais qu’on promène d’un étage de l’administration à l’autre ! 

 

  Mais tout change pour Williams, lorsque son médecin lui diagnostique une maladie grave, ne lui donnant que six mois à vivre. Neuf mois, peut être…Il est sans doute douloureux de faire le bilan d’une vie, et de s’apercevoir qu’on aurait pu être autrement, quand on arrive presque à la fin.

Cette fin programmée est pour lui un véritable électrochoc, un catharsis.. Pendant quelques jours, ses collègues ne le voient plus au bureau. On s’interroge quant à cette disparition. Il sait qu’il ne lui reste que quelques mois pour se réconcilier avec lui même, et se mettre en rapport avec une nouvelle éthique. Comment rattraper tout cela ?

Comme Scrooge, l'enfance de monsieur Williams lui revient lui aussi en boomerang. L’esprit du passé semble l’interroger sur ce qu’il est devenu. Les larmes lui sont montés aux yeux, et l’ont obligé à s’interrompre, quand, dans un pub, il s’est mis à chanter une vieille chanson sortie de son enfance Écossaise.

Il est illusoire de chercher la consolation dans la bière, les rencontres d’un soir, ou dans la joie artificielle des fêtes foraines. Il lui faut affronter celui qu'il est, surtout celui qu'il est devenu. il reprend la vie de bureau.

Le dossier sur l’aire de jeux est toujours sous la pile. La procrastination de l’administration, n’a pas découragé les militantes de lutter pour cette cause, qui va devenir finalement aussi la sienne … Il ne s'agit pas du projet d’un pont, encore moins de la statue d’un homme célèbre. Celui d’un espace de jeux pour les enfants est autrement précieux. Comment ce projet à t’il pu lui apparaître si ridicule ? Il va l'investir des forces qu'il lui reste. Et la mémoire des lieux sera habitée par sa présence !

C’est peut être aussi la façon de se remettre dans l’empreinte du gamin qu’il fut, à la recherche maintenant de son « Rosebud ».

Ce « Bouton de rose », est le mystère qui parcourt le chef d’œuvre « Citizen Kane  », d’Orson Wells. » Rosebud  », le nom du traîneau perdu sous la neige, de l’enfance volée, et qui explique toutes les névroses d’un milliardaire mourant, qu'on arracha à son enfance, passé à coté de sa vie…

Encore quelques années, et ces images de gentlemen si austères, « so perfect ! » en chapeau melon et costume cravate se rendant chaque matin à leur bureau, seront balayées par les premiers tubes des Beatles, ironiques et déjantées, et renouveront l'image et l'atmosphère du pays.

Les prémices du changement d’époque sont là : Cette aire de jeux pour les enfants, ainsi que le personnage de Margaret Harris, cette jeune employée de bureau enjouée et souriante. Elle rêve d’une autre vie, d’un autre travail. Vivre ! ...

  Sa présence et son attention procureront des moments de bonheur inespérés aux vieil homme. Elle sera sa confidente inespérée. Cette Margaret, qui n’a rien de Miss Thatcher, semble sortie d’une chanson du « fab four » et fait écho au refrain de l’étrange « Eleanor Rigby » !

« All the lonely people
Tous les gens seuls
Where do they all come from ?
D'où viennent-ils tous ?
All the lonely people
Tous les gens seuls
Where do they all belong ?
Où est donc leur place ?  »

   Margaret est une de ces personnes qui attirent les sympathies, et précisément les gens solitaires autour d’elles, comme des insectes attirés par la lumière d’une lampe. Elle porte en elle l'esprit, l'ironie, la grâce et la bienveillance. On regrettera son départ, au bureau. Elle apprend, à Mr Williams, dans un café, les surnoms que chacun de ses collègues, plus coincés les uns que les autres, lui inspiraient. Et le vieil homme ne se fâche pas, mais rit de bon cœur, quand il apprend qu’il était affublé du patronyme de « Zombie »…"Les zombies sont comme des morts. Mais pas morts. !.." 

  Il l’approuve. Il trouve que le nom lui allait très bien. A cette heure crépusculaire, il redevient l’enfant qu’il fut. Il y a longtemps sans doute qu’il n’a pas été si heureux.

Margaret aurait pu tout autant l’appeler « Nowhere man », l’homme de nulle part...Une chanson qui sera écrite par John Lennon une dizaine d’années plus tard.

« He's a real nowhere man

C'est un vrai homme de nulle part,

Sitting in his nowhere land

Assis dans son pays de nulle part »

Il arrive parfois que la dernière floraison d’un arbre donne les plus beaux fruits... C’est un film profondément réjouissant, de ceux qui nous nourissent, jouant sur une palette de sentiments précieux, dans un monde finissant, aussi vieux et vermoulu que ce monsieur Williams, cherchant néanmoins à se sauver. C’est pourquoi il est si résolument moderne, et toujours vivant, d’un remake à l’autre.

Car il nous interroge sur le sens des valeurs et de la vie, l’engagement de chacun, l’importance de ne pas se fourvoyer, et de mener toujours le combat utile, même s’il est difficile, et tardif.

Bande annonce du film : https://bit.ly/3W74bdu

 


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3 réactions à cet article    


  • Fergus Fergus 16 janvier 2023 13:25

    Bonjour, velosolex

    Vivre est assurément l’une des belles réussites du cinéma en ce début d’année. Mon épouse et moi avons pris un grand plaisir à voir ce film, remake effectivement du Ikuru de Kurosawa, lui-même inspiré par une célèbre nouvelle de Tolstoï.

    Ishiguro avait déjà atteint un sommet avec le scénario du film Les vestiges du jour, ce superbe opus si britannique bien qu’il soit dû aux talents combinés d’un japonais et de l’américain James Ivory.


    • velosolex velosolex 16 janvier 2023 14:44

      @Fergus
      Sans doute que l’adaptation des « vestiges du jour » en film par James Ivory ne pouvait pas être mieux réussi. Un auteur qui n’est pas sans rappeler William Trevor, dans cette grande qualité de la description du registre des sentiments, et de l’émotion, de façon quasi musicale. 
      « Nocturnes », est d’ailleurs un livre de nouvelles qu’Ishiguro a écrit, et qui ont tous pour point commun qu’ils abordent le thème de la musique, ou des musiciens. « Klara et le soleil » son dernier livre, est une réussite, traitant du sujet du transhumanisme. Ce film est la meilleure façon de rentrer dans son univers mental. Je l’ai vu il y a quelques jours. Un régal.
      Même si les thèmes sont universels, il explore bien la psychologie des échanges et cette réserve particulière qu’ont les anglais quand ils communiquent entre eux. Sans doute que l’univers de Kurosawa, plein aussi de cette pudeur japonaise, ne pouvait pas trouver meilleur terrain que l’angleterre pour trouver un terrain similaire. Adapter le scénario dans d’autres pays, surtout latins serait moins facile, mais très interessant. « Le facteur sonne toujours deux fois » a été adapté ainsi en Italie par Visconti, et plus tard dans cette version tout aussi formidable,et torride, avec Nicholson. 


    • Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 17 janvier 2023 11:39

      Merci pour vos conseil de film Vélosolex... Une rubrique qui pourrait s’ouvrir sur Agora.vox. Le cinéma fut aussi une raison à mettre dans notre valise sur les raisons de VIVRE... Avec le temps, elles diminuent. Mais chaque jour apporte un petit brin de poésie qu’il faut encore savoir cueillir.

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