Vers un Parti unique démocratique ?
Ça couve. Née pratiquement en même temps que les Etats-Unis, la bipolarisation politique ou bipartisme, longtemps ignorée par un Vieux Continent épris de nuances et traversé par ces courants plus ou moins extrêmes contre lesquels l’Amérique est depuis toujours vaccinée par son propre puritanisme, qu’on nommera pour simplifier le propos fascisme et communisme, est en train de conquérir les derniers bastions de résistance, l’Italie et la France.
![](http://www.agoravox.fr/local/cache-vignettes/L300xH416/Villepin-Strauss-b0b20.jpg)
Quoique la botte transalpine soit beaucoup moins « ingouvernable » que tant de commentateurs distingués aient bien voulu le dire ou l’écrire, sinon elle ressemblerait probablement davantage à la Somalie qu’à elle-même, il ne se passe guère de trimestre depuis l’après-guerre sans qu’un docte discours ou un autre nous assure de sa prochaine déchéance et de son imminente relégation au rang des nations sous-développées pour cause « d’anarchie » dans sa représentation politique. Et tout aurait empiré depuis l’effondrement du PCI à gauche et de la DC à droite qui maintenaient au moins un semblant de cohérence et l’hypothèse d’une alternative crédible au sein du pandémonium des passions partisanes. La DC était corrompue jusqu’à la moelle et le PCI stalinien jusqu’à l’os, mais qu’importe, au moins faisaient-ils « sérieux ». Pourtant, depuis ce séisme rien n’a vraiment changé, le pays est toujours géré en alternance par des camelots sans éthique ou par des bureaucrates sociaux sans envergure qui ne l’empêchent pas d’émarger à la septième place des puissances économiques mondiales.
En France, qui n’a pas entendu depuis vingt-cinq ans, répété à satiété et sans s’embarrasser de justifications autres que rudimentaires, que tous les partis et organisations situés aux pôles de l’échiquier politique étaient inutiles, nuisibles, qu’ils faussaient une libre compétition démocratique dont ils se trouvaient eux-mêmes exclus par un inexpliqué tour de passe-passe dialectique, enfin plus grave que tout, qu’ils faisaient objectivement le jeu de l’adversaire, ainsi les frontistes celui de la gauche*, les gauchistes celui de la droite, quoique bizarrement ni l’un ni les autres n’empêchassent jamais néogaullistes et rétrosocialistes d’alterner au pouvoir, ne serait-ce que parce que les seconds tours voient la plupart des extrémistes s’exprimer pour le camp le plus proche de leur sensibilité ?
Pour les naïfs, le discours semble a priori plein de bon sens. Vous n’êtes pas d’accord ? OK. C’est sain, c’est ça la démocratie, le droit de s’exprimer et de désigner ceux que vous chargerez de changer les choses ou d’en assurer la continuité. Mais pourquoi se disperser vers des offres trop mirobolantes pour être ou honnêtes ou réalistes ? Ainsi, le Front national est-il inutile car il ne parviendra jamais au pouvoir par la voie légale, de même les organisations trotskistes ou écologistes radicales. Pourtant, les deux opposés du spectre politique, que les démagogues, les vrais, aiment bien associer dans la même opprobre, qu’on en soit satisfait ou qu’on s’en désole représentent plus du quart des électeurs. Un peu beaucoup, non, pour les qualifier de marginaux, voire de résiduels ?
Bon, d’accord, well. On aimerait bien balayer ça sous le tapis, interdire le feu à défaut d’éliminer la flamme, mais ça existe, admettons, parce qu’on est démocrate, justement. Dans les limites étroites que nous fixe le pouvoir économique, mais quand même. Eh bien ! Que les extrêmes rejoignent donc l’un ou l’autre des grands partis autorisés par le business, soit le social-démocrate, soit le démocrate-libéral - vous le voyez, vaste est le champ des possibles - où ils pourront faire entendre leur singularité. A gauche spécialement, d’autres l’ont fait avant eux, les Verts, le PC, les Radicaux, les nationalistes chevènementistes, qui ont accepté de servir de supplétifs aux socialistes. Soumission imparfaite, hélas, puisque les représentants de ces partis ont causé la perte de Lionel Jospin en 2002 en se présentant contre lui au premier tour de la présidentielle alors qu’élu son primo réflexe eût été de leur offrir des portefeuilles ministériels en remerciement d’avoir fait acte d’allégeance. Et ça donne des leçons de stratégie ! Qu’à cela ne tienne, plutôt que ses alliés, le PS accusa de sa défaite une extrême gauche qui avait pourtant joué franc-jeu puisqu’elle ne s’était jamais compromise avec lui et n’en attendait rien. Gênés par la pertinence de la réplique, on crut bon parmi la gauche « de gouvernement » de choisir un autre axe d’attaque : d’accord, les gauchistes** - des sectaires, ne l’oubliez jamais et répétez-le à vos enfants, ça finira bien par rentrer pour ne plus ressortir - n’étaient peut-être pas plus responsables de l’échec de l’ancien Premier ministre que lui-même, les cocos, les écolos ou a fortiori l’ami Chevènement, mais eux n’avaient aucun programme de gouvernement qui fut applicable. Donc, pires que traîtres ou calculateurs comme les copains, irresponsables.
Comme si la responsabilité en politique consistait à ne proposer que des mesures agréées par la Bourse et approuvées par les classes moyennes qui font où la Bourse leur dit de faire !
Pour être parfois excessives, les exigences de mesures radicales en matière sociale ont cet avantage d’enfoncer un coin dans la gestion toujours pusillanime d’une oligarchie bureaucratique passée par l’ENA et par le droit qui elle-même ne manque jamais de rien, avec parfois des conséquences heureuses quand le pouvoir exécutif applique ne serait-ce qu’un dixième de leurs propositions. C’est pourquoi vous bénéficiez (encore) de cinq semaines de congés payés, ce qui est moins que quinze comme le souhaiteraient les utopistes que vous détestez, mais nettement plus que rien du tout comme le voudraient le patronat et le personnel politique à son service.
Rassemblées sous la bannière d’un grand parti, comme c’est le cas dans la plupart des pays occidentaux, à gauche les organisations réformistes abusivement nommées « révolutionnaires » - à commencer par elles-mêmes - (pour mémoire le PS de 1981 était au moins aussi « ultra » dans ses choix de société que l’actuelle NPA) rejoindront les multiples « courants » qui trompent leur propre impuissance à coups de scissions, de motions, de contributions jamais mises en pratique alors que le centre mou et majoritaire toujours s’impose*** tandis qu’à droite les nationalistes continueront de proposer à l’Assemblée des versions édulcorées de leurs lois ostracistes et liberticides.
Rassurez-vous, vous tous qui vous plaignez beaucoup du présent, mais que la perspective d’un avenir différent panique, le processus d’assimilation est en cours car, si ce qu’il reste de la vieille garde militante traîne encore les pieds, la jeunesse conditionnée par le rationalisme bourgeois depuis sa plus tendre enfance, convaincue que la politique est une chose trop sérieuse pour être confiée à des intellectuels visionnaires et parfois désargentés, ne voit pas, dans sa majorité, d’autre issue que le ralliement aux partis dominants, jusqu’à décréter absurde tout autre position.
On se prépare à l’affrontement feutré d’un super PS et d’une super UMP où les différences se compteront en tout petits pourcentages (2 % de plus pour le social si le PS est au pouvoir, 3 % de mieux pour les systèmes répressifs si c’est l’UMP) au bénéfice principal d’une économie basée sur l’inégalité grandissante entre les citoyens et la besogne mécanique à la manière des insectes sociaux présentées comme l’unique façon de vivre en société.
De l’unique façon de vivre le présent et de préparer l’avenir au parti unique pour représenter la cité, il n’y aura plus qu’un pas à franchir. Oh ! Comme en Amérique, on ne le fera pas officiellement, parce qu’une constitution démocratique ne peut pas décréter la dictature, aussi apparemment discrète soit-elle, on se contentera de l’inscrire dans les faits, puis des faits dans la mémoire collective, de sorte que la prochaine génération ne connaîtra plus autre chose que ce meilleur des mondes capitalistes où la métaphysique smithienne (ah ! la divine « main invisible du marché » qui régule tout au mieux !) aura définitivement occulté le matérialisme marxien.
* encore que les mêmes sophistes au PS (voir ces jours-ci P. Moscovici) qui accusent Besancenot d’être un allié objectif de la droite ont toujours nié que Le Pen ait servi la gauche, ce qui serait pourtant la contrepartie logique de leur discours.
**les détectives en herbe peuvent ranger leur loupe, non seulement je n’appartiens à aucune organisation, mais j’entretiens même de sérieuses divergences avec la doxa trotskiste (ou ce qu’il en reste). Il me semble que, nonobstant quelques émiettements aberrants, la richesse de la représentation politique est consubstantielle de la vitalité démocratique.
*** ce qui fait du Centre politique une parfaite imposture, puisqu’il existe de fait à l’intérieur des deux partis dominants, où il est majoritaire. Ségolène Royal l’a bien compris, qui ne voyait pas ce qui différenciait fondamentalement sa personnalité et son programme de ceux de François Bayrou.
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