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Trésor : une fortune engloutie

La Colombie s'apprête à récupérer au mois d'avril le trésor de l’épave du San José, un galion espagnol coulé par la flotte britannique la nuit du 7 juin 1708 (bataille de Baru) près des îles du Rosario, à environ 16 km au large de Carthagène des Indes (nord-ouest de la Colombie). Le lieu avait été tenu secret depuis sa découverte en 2017 pour ne pas susciter de convoitises. Le San José, navire amiral d’une flotte de dix-huit navires, armé de 62 canons, transportait près de 11 millions d’écus d'or et d'argent collectés à la foire de Portobelo (Panama), et des pierres précieuses non taillées. Le galion faisait route vers Carthagène des Indes, lorsqu'il fut pris à parti par les Kingston, Portland, Vautour et l’Expédition qui attendaient le le passage du convoi. Après une heure de combat, la poudrière du San José explosa et sombra ; un autre galion fut capturé, mais le reste de la flotte espagnole parvint à se réfugier dans le port de Carthagène. Seuls 11 marins sur les 600 à bord survécurent au naufrage.

Au XVIII° siècle les combats navals respectent un certain protocole. Les flottes adverses se font face en formant une ligne et attendent le moment opportun, ce qui peut prendre des jours ! pour lâcher une salve de boulets et briser les matures ou endommager la coque. Un navire démâté n'est plus manœuvrier et l'abordage facilité. Les galions à trois ou quatre mats sont peu rapides (6 nœuds) et hauts de bord offrant une prise au vent, tandis que les navires anglais plus bas, plus rapides sont plus manoeuvrants. La construction des galions est « standardisée ». Les dimensions minimums imposent une longueur de quille correspondant au triple de sa largeur, elle-même deux fois supérieure à son tirant d'eau.

A la suite de la destruction de l'Empire Aztèque par Cortez (1521) et et celle des Incas par Pizarre (1533), de nouveaux conquistadors avides allaient prendre pied en Amérique centrale. L'année 1536 marque la colonisation de la Nouvelle-Grenade, Colombie et du Venezuela. Les mines d'argent au Mexique et celles de Potosi au Pérou (1540) vont enrichir l'Espagne pendant trois siècles et financer des guerres. De nombreux galions partis d'Amérique pour l'Espagne ne sont jamais arrivés à leur destination. Les tempêtes, échouages (écueils au sortir des ports de Salinas, Manta ou Esmeraldas en Équateur où les bateaux se ravitaillaient en vivres), surcharge, mauvais état des navires, incendie, incompétence des pilotes, erreurs sur les cartes, pirates, corsaires et autres flibustiers les envoyèrent par le fond.

Selon une estimation de 2009, les richesses transportées à bord des galions qui ne rentrèrent jamais au port entre le XV et XVIII° siècle représentaient 100 milliards d'euros. « De 1680 à 1716 seules 14 flottes de Nouvelle-Espagne et cinq galions de Tierra Firme furent affrétés ». Au cours du XVIII° siècle : 10 % des navires furent perdus le long des côtes espagnoles - 5 % dans les Açores - 17 % dans les parages des Grandes Antilles - 12 % sur les côtes de la Virginie - 44 % dans le canal des Bahamas. (...) Si l'on recense 1546 galions ayant fait le lien entre le Nouveau et l’Ancien Monde, un galion sur huit ne serait pas parvenu à destination ».

Quatre campagnes d'observation auront été nécessaires à la marine colombienne pour retrouver l'épave du San José. Le navire de recherche ARC CARIBE l'a localisé par 600 mètres de fond (d'autres sources font mention de 950 m). Sur les images communiquées à la presse et disponibles sur YouTube, on aperçoit des canons, de la vaisselle asiatique, des poteries et des pièces d'or. La marine colombienne a découvert deux autres épaves dans la même zone. Il pourrait s'agir d'un « galion d'époque coloniale et d'une goélette de la période républicaine, et il resterait treize sites à explorer au large de Carthagène des Indes correspondant à des zones de possibles naufrages aux mêmes époques. Donc le travail ne fait que commencer » (L'amiral Gabriel Pérez).

On distingue sur les images une partie de la proue colonisée par des algues et des organismes marins. Selon l'archéologue colombien Ricardo Borrero : « L’épave repose à cet endroit, car elle a atteint un certain état d’équilibre avec l’environnement. Les matériaux sont soumis aux conditions qui y règnent depuis 300 ans et ils sont très bien où ils sont ». D’autres sont favorables à la récupération du contenu de l'épave en raison de sa valeur historique, culturelle et financière. De faire remarquer que cette mission pourrait être financée par une partie de la vente du trésor. La conservation des objets remontés invoquée est un faux problème. Le Vasa, navire amiral de la flotte suédoise armé de 64 canons qui avait sombré le 10 août 1628 en mer Baltique quelques minutes après son appareillage et remonté le 24 avril 1961, soit 333 ans après son naufrage reste un exemple. Les experts furent stupéfaits, les voiles et les peintures étaient presque intactes ! Le Vasa fut aspergé de polyéthylène glycol pendant dix ans avant d'être exposé en 1990.

Daniel de Narváez, Ingénieur et spécialiste du San José dont les recherches ont influencé la localisation du galion prône la commercialisation partielle des épaves en autorisant les gens à vendre des objets retrouvés dans les épaves. Selon lui, un tel arrangement contribuerait à la protection des nombreuses épaves historiques exposées aux pillages par des inventeurs trop effrayés d’informer le gouvernement de leur existence. Le précédent gouvernement colombien avait déclaré que tous les objets retrouvés dans l’épave, y compris le trésor, étaient des objets patrimoniaux ne pouvant être vendus.

Le président colombien Gustavo Petro entend bien récupérer le trésor d’ici la fin de son mandat (2026)... « C’est l’une des priorités de l’administration. Le président nous a demandé d’accélérer la cadence » (Juan David Correo). Les autorités colombiennes vont d'« abord remonter les objets visibles éparpillés autour de l’épave, pièces de céramiques “sans modifier ou endommager l’épave » (sic). Le gouvernement colombien a publié au mois de février 2022 un décret présidentiel autorisant officiellement l'exploration de l'épave. Les travaux estimés à 4,5 millions de dollars seront réalisés à l’aide d’un robot et à partir du ARC CARIBE un navire polyvalent de la Direction générale Maritime colombienne. Le navire construit en 2018 rattaché au Centre de recherche océanographique et hydrographique d'une longueur de 60 mètres, 15 m de large pour un tirant d'eau de 4,6 m, emporte un équipage de 38 hommes et femmes. Pour tout lecteur désireux de le suivre : IMO 9762780, MMSI 730153288. Pour Daniel de Narváez, « s'il est techniquement possible de récupérer les objets, réaliser un recouvrement historique et archéologique digne de ce nom prendrait au moins dix ans ». En raison de la profondeur il est hors de question de respecter les procédures archéologiques carroyage, tranchée, etc.

Le trésor historique et monétaire du San José estimé entre 12 et 20 milliards de dollars est revendiqué par différentes parties. Pour l’Espagne, le navire qui battait pavillon espagnol, son épave est protégée en vertu de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer de 1982, « les navires militaires demeurent la propriété de leur État après qu’ils ont sombré », convention jamais ratifiée par la Colombie en raison de différends territoriaux relatifs à ses frontières maritimes avec le Venezuela et le Nicaragua. Pour Sean Kingsley, le rédacteur en chef du magazine Wreckwatch, cette règle a été mise en œuvre pour protéger les épaves contemporaines de l’espionnage, mais qu’elle sert ici à mettre la main sur une épave plus ancienne et son trésor. C’est : « une réinterprétation contemporaine [de la règle] qui vise à protéger les secrets d’État modernes dans les navires, les avions et les sous-marins nucléaires. Mais il n’y a aucune boîte noire ni aucun secret naval dans une épave en décomposition depuis plusieurs centaines d’années ». Allusion au projet Jennifer de la CIA, la remontée de l'épave du sous-marin soviétique K-129 coulé le 18 mars 1968 dans le pacifique et reposant par 5.000 mètres.

L'entreprise Sea Search Armada qui a contribué aux recherches du San José réclame à la Colombie 10 millions de dollars, arguant que l’emplacement où l’épave a été localisée par les Colombiens se trouve a proximité du site identifié par ses soins à 17 km au large de Carthagène en 1981. « Nous sommes prêts à engager plusieurs actions en justice en Colombie et à intenter des recours sous le Foreign Corrupt Practices Act avec le Département de la Justice des États-Unis ». Le directeur de l'entreprise, Son Jack Harbeston, a déclaré que « SSA avait passé un contrat avec le gouvernement colombien lui garantissant la possession de la moitié des objets retrouvés dans l'épave. (...) Peu de temps après que la SSA ait révélé la localisation du San José au gouvernement colombien, ce dernier a adopté une loi lui permettant de revendiquer la propriété de l'épave, et de revenir sur le contrat qu'il avait passé avec l'entreprise ».

La Colombie qui a annoncé la découverte de l’épave du San José en 2015 de faire remarquer qu'elle ignorait la découverte de l'entreprise et que l'épave ne reposait pas par 700 pieds (environ 210 mètres), mais qu'elle était plus profonde. Pour les représentants de la Nation indigène de la province du Qhara Qhara (Bolivie), le trésor du galion doit leur revenir : « La cargaison que transportait le San José est liée à l’esclavage de centaines de milliers d’Amérindiens et d’Africains, contraints de travailler dans des conditions terribles dans les mines d’or, d’argent et d’émeraudes de l’Espagne » (Sean Kingsley).

L'estimation trésoraire a-t-elle été surévaluée et pour quelle raison ? « D’après les calculs que j’ai vus, réalisés par des personnes qui ont étudié la liste des biens transportés sur le navire, sa valeur est plutôt de l’ordre de quatre à cinq milliards de dollars, et non pas vingt ». Pour l'archéologue américain David Moore, le trésor du San José a été estimé sur la base de celui que transportait le San Joaquin, un navire construit par le même constructeur naval et presque identique à au San José qui a pu rejoindre l'Espagne avec son précieux chargement.

Une seule entreprise semble avoir répondu à l'appel d'offre du gouvernement colombien ; Maritime Archaelogie Consultants Switzerland AG à Zoug. L'entreprise au capital de 100.000 FCH est récente et 272 autres sociétés sont domiciliées à la même adresse... Une correction, une précision, une remarque ?

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5 réactions à cet article    


  • Matlemat Matlemat 27 mars 17:01

     Tout le monde veut sa part du gâteau, c’est peut être mieux que tout ce trésor reste au fond.


    • Sirius Brutus 27 mars 17:54

      une remarque :

      vous écrivez « Seuls 11 marins sur les 600 à bord survécurent au naufrage. »

      or, "les Galions pouvaient transporter jusqu´à 150 personnes entre officiels, marins, soldats, marchands, passagers, familles, ainsi qu´animaux vivants pour un espace de vie réduit à 1,5m² par personne." (lien)

      On peut penser que, pour ce genre de cargaison, on n’embarquait pas beaucoup d’émigrants et de notables et que seul l’équipage nécessaire à la manœuvre et à la défense était à bord. On est loin des 600 !

      Cette histoire est sujette à inflation dans tous les domaines, apparemment.



      • Desmaretz Gérard Desmaretz Gérard 27 mars 18:20

        @Brutus

        Vous avez probablement raison dans la conclusion. Un zéro en trop ?


      • L'apostilleur L’apostilleur 29 mars 01:06

        @ l’auteur 

        Bonne idée de nous faire partager ces histoires qui trouveront des avis divergents selon le côté de l’océan où l’on se trouve et l’époque considérée. 

        Affaire à suivre


        • L'apostilleur L’apostilleur 29 mars 01:15

          La propriété d’un trésor revendiquée par celui qui ne l’a pas cherché et incapable de le remonter est discutable.

          Pour les héritiers du propriétaire esclavagiste qui revendiqueraient le magot c’est limite aussi.

          Quant à la Colombie qui n’existait pas...

          Chaque cas devrait être discuté. 

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