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Accueil du site > Tribune Libre > Splendeur de Chalon-sur-Saône et de Jérusalem (suite et fin)

Splendeur de Chalon-sur-Saône et de Jérusalem (suite et fin)

J'ai lu quelque part, je ne me rappelle plus où, que la ville de Chalon-sur-Saône avait porté un temps le nom de Jérusalem. En 1976, lorsque mon épouse - trop tôt disparue - et moi avons acheté le château de Taisey, puis la tour, je n'y avais pas prêté grande attention. J'avais tort. D'une simple notice au départ sur l'histoire de notre site, nous nous sommes retrouvés embarqués dans une aventure sans fin qui nous a amenés juqu'au Proche-Orient : sept livres édités plus deux ou trois manuscrits en attente, près de 300 articles publiés sur l'internet. Les découvertes s'enchaînent. Hier, Bibracte, aujourd'hui, cette fantastique sculpture sur ivoire que j'ai commencé à expliquer dans mes deux précédents articles.

Voici, ci-dessus, un plan de la Jérusalem antique d'après M. Herbert (?). Il doit dater d'au moins cent ans mais c'est le meilleur que j'ai trouvé. Particularité très intéressante pour l'ancien militaire que je suis, le relief du terrain y est indiqué. En outre, le mont Sion est indiqué au bon endroit ainsi que la cité de David.

J'ai indiqué par une flèche la direction d'attaque des Romains telle qu'elle a eu lieu en 70 après J.C.- il suffit de bien traduire et de bien interpréter le texte de Flavius Josèphe pour comprendre la manoeuvre. C'est ce qu'on peut appeler une belle bataille. "Belle ?", le mot est un peu fort vu l'incroyable hécatombe de Juifs que les Romains ont crucifiés. En examinant le relief du terrain, en pente favorable au nord mais abrupt au sud, on comprend tout de suite la logique militaire qui s'est imposée à Titus ; mais il faut bien reconnaître que c'est le côté abrupt qui a permis au sculpteur de réaliser son chef-d'oeuvre en lui donnant la profondeur et l'espace visible souhaitables.

Voici ci-dessous un croquis que j'ai fait en 1985 quand j'ai écrit mes ouvrages. On comprend tout de suite la logique militaire de l'affaire. Les premiers occupants jébouséens avaient installé leur oppidum fortifié sur la colline basse, l'Ophel, près des points d'eau. Quand David, qui nomadisait dans les montagnes, s'est trouvé suffisamment fort pour s'implanter, il a choisi en toute logique d'installer son oppidum sur la colline haute, soi-disant en protecteur. Ce n'est qu'au VII ème siècle avant J.C. que les deux cités ont été entourées par une muraille commune. C'est ce qui explique que les plans actuels n'indiquent plus le tracé des murailles intérieures qui, pourtant, ont du subsister un certain temps.

En revanche, l'auteur de notre sculpture sur ivoire les avait encore sous les yeux au III ème siècle : il fait bien la différence entre les deux agglomérations comme on peut le constater dans l'agrandissement que j'ai fait du tableau. 

On y voit bien séparées les deux enceintes primitives. On y trouve des indications très intéressantes, comme, par exemple, l'enceinte de Manassé qui se serait contentée de se raccrocher à l'enceinte primitive de Sion sans l'entourer. En outre, la présence de nombreux monuments tenderait à prouver qu'ils n'ont pas été détruits jusqu'aux fondations par Titus à moins, bien sûr, que le sculpteur ne les ait représentés que de mémoire. En revanche, en faisant des comparaisons, notamment avec la mosaïque de Mataba, on constate par exemple, et c'est logique, que les deux tours encadrant la porte des Esséniens ont disparu. En revanche, la tour de David est bien présente, Flavius Josèphe précise que les Romains avaient renoncé à l'abattre.

Je ne fais là que des interprétations et, comme toute interprétation, elles sont discutables. Je pars du principe que le sculpteur a cherché à mettre en valeur les monuments dignes d'être honorés selon lui, soit en exagérant leur hauteur, soit en les mettant en évidence. Connaissant les fresques de Gourdon, il ne fait pas de doute que tout ce qui touche au roi David figure dans ce tableau. La représentation du temple d'Hérode pose problème, mais pour moi, elle est particulièrement intéressante car c'est, très exactement, la même image qu'on trouve dans notre plaque de cheminée pour représenter notre cathédrale de Chalon, en projet. Cette représentation jette un doute sur les incroyables dimensions du troisième temple dit d'Hérode. Par ailleurs, je suis amené à penser que nous avons affaire au même et unique artiste (les deux gladiateurs de notre plaque sont identiques à ceux de nos sculptures sur ivoire). Ah, j'oubliais de vous faire remarquer que notre astucieux sculpteur avait ébréché la muraille pour qu'on puisse apercevoir l'entrée du temple.

Je n'ignore pas que la fameuse mosaïque de Mataba a fait l'objet d'interprétations et que la mienne va paraître iconoclaste. Et pourtant, n'est-il pas normal que son auteur, manifestement juif, ait voulu privilégier l'illustre Sion aux dépens de l'infidèle Jérusalem ? Il faut se replacer dans le contexte de l'époque. Par ailleurs, pourquoi cet autre artiste, manifestement juif, se serait donné autant de peine pour peindre les fresques de Doura Europos, seulement pour y représenter une synagogue ? J'ai fait l'hypothèse qu'il s'agit du second temple, celui qu'Esdras a fait construire au retour de l'exil de Babylone, temple modeste si on le compare à la description que donne la Bible du premier temple, celui de Salomon, mais c'est pourtant celui-ci qui est devenu le modèle de toutes les synagogues qui ont suivi. 

 
Comment interpréter les fresques de Doura Europos ? Il est clair que le bâtiment est représenté comme déshabillé de son "vêtement", dans son intimité. Dans mon dessin, j'ai remis le toit et reconstruit le mur extérieur, ce qui nous amène à plus de réalisme. Le plus intéressant est de comprendre que le plan arrière de la fresque est, pour ainsi dire, relevé. En le remettant à l'horizontale, nous retrouvons la rue centrale de Sion, telle qu'elle figure dans la mosaïque de Mataba. Détails assez extraordinaires, la partie jaune étant la rue pavée, la partie bleue fait penser, de chaque côté, à des allées couvertes bordées de colonnes. Ce que confirme la mosaïque de Mataba si on fait l'effort de replacer ces galeries couvertes en perspective, les traits blancs étant les colonnes, les petits polygones rouges étant la toiture.

Comme je l'ai écrit, je suis amené à penser que l'artiste qui a réalisé le moule de notre plaque de cheminée est le même artiste qui a sculpté les trois tableaux en ivoire que j'ai mis en exergue. Les légionnaires ont même casque et même cuirasse. Le petit chien est aux pieds de l'empereur Salonin comme il l'est aux pieds de Maximien (à noter que dans mon précédent article, j'ai oublié de citer l'agneau qui se profile derrière saint Maurice). J'ai regardé un certain nombre de sculptures sur ivoire de différentes époques, évidemment plus récentes, et je n'y a pas retrouvé la même dextérité, ce qui me fait penser qu'on a affaire ici à un être d'exception. Peut-être même a-t-il participé à la sculpture des chapiteaux de notre cathédrale ?

 
Je le dis franchement. Je suis très déçu par le manque de réactivité de mes concitoyens. Comme l'a dit Mme ex-Sarkozy : "depuis les Etats-Unis, on a l'impression d'une France qui s'éteint". Mme la ministre de la Culture vient de lancer un débat sur la protection du patrimoine ; cela me fait à la fois sourire et pleurer. Pourquoi faire des lois si elles sont continuellement bafouées ? À Taisey, l'urbanisation sauvage continue à dénaturer le site, jusqu'à l'intérieur du périmètre protégé de sa tour antique.
 

E. Mourey, 21 février 2014, illustrations de l'auteur, Wikipédia ou Wikimédia.


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7 réactions à cet article    



    • cathy30 cathy30 22 février 2014 08:53

      Mais malheureusement ils ont également effacé les croquis sur cette copie de livre. Y aurait-il quelque chose à cacher ?


    • Emile Mourey Emile Mourey 22 février 2014 09:22
      @ cathy 30
      Félicitations ! C’est en effet par ce livre qu’il faut commencer. Garenne était un avocat, un vrai érudit. Membre de la société éduenne, il est le premier à avoir cherché et repéré les vestiges anciens du pays éduen avant que d’autres les fassent disparaître. Ses croquis sont une mine d’informations puisqu’il y montre d’une façon très claire trois tracés ovales caractéristiques qu’il appelle « citadelle » mais que j’appelle « oppidum », sur trois sites seulement, Alise-Sainte-Reine, Mont-Saint-Vincent et mont Beuvray. Il avait donc le choix de placer Bibracte, soit au mont Beuvray, soit à Mont-Saint-Vincent. Fatale erreur, il a choisi le mont Beuvray. Ensuite, c’est le négociant en vin Bulliot, également membre de la société éduenne, qui a repris l’affaire en main… au mont Beuvray en écartant Garenne.

    • Emile Mourey Emile Mourey 22 février 2014 09:58

      Je me demande s’il ne faudrait pas plutôt voir le temple d’Esdras à droite du cénacle, plus loin, mais alors « quid ? » du côté de la tour de David... palais ? reste du temple de Salomon ?... 


      • Antenor Antenor 23 février 2014 18:09

        @ Emile

        « Les premiers occupants jébouséens avaient installé leur oppidum fortifié sur la colline basse, l’Ophel, près des points d’eau. Quand David, qui nomadisait dans les montagnes, s’est trouvé suffisamment fort pour s’implanter, il a choisi en toute logique d’installer son oppidum sur la colline haute, soi-disant en protecteur »

        Les Jébouséens auraient négligé leur sécurité à ce point ?


        • Emile Mourey Emile Mourey 24 février 2014 02:48

          @ Antenor

          Pas tellement, car les événements qui suivent montrent que David, et je crois, ni Salomon, n’ont pu s’emparer de Jérusalem par la force. En fait, il y avait un ravin qui protégeait l’Ophel et aussi ses pentes et de solides remparts. L’oppidum de l’Ophel est beaucoup plus petit et plus à la mesure de la population modeste des Jébouséens. Et puis, il est probable qu’ils avaient une ou des tours de protection et d’alerte sur les hauteurs Il semble aussi que Sion a dû se trouver obligé d’aller se ravitailler en eau plus loin que les habitants l’auraient souhaités.

        • Antenor Antenor 24 février 2014 18:00

          Je pensais surtout à Sichem où la ville des hauteurs a précédé Samarie construite à ses pieds.

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