• AgoraVox sur Twitter
  • RSS
  • Agoravox TV
  • Agoravox Mobile

Accueil du site > Tribune Libre > Serge Boidevaix, brillant diplomate, corrompu par Saddam

Serge Boidevaix, brillant diplomate, corrompu par Saddam

Un personnage éminent de la diplomatie française vient d’être mis en examen pour corruption dans le cadre du programme « pétrole contre nourriture » de l’ONU. Il s’agit de l’ancien secrétaire général du Quai d’Orsay, Serge Boidevaix, un des chefs de file de la fameuse « politique arabe de la France ». Retour sur son parcours, de la haute diplomatie à la (basse) corruption.

C’est un poids lourd de la politique arabe de la France qui vient d’être mis en examen par le juge Philippe Courroye dans le cadre de l’enquête française sur les malversations présumées liées au programme "pétrole contre nourriture" en Irak. Serge Boidevaix y est poursuivi pour "trafic d’influence et corruption active d’agent public étranger". Selon le Journal du dimanche, il est soupçonné de s’être fait attribuer, via la Suisse, l’équivalent de 32,6 millions de barils de pétrole irakien entre 1998 et 2002 et d’avoir fait verser des rétrocommissions à des officiels de Bagdad. Le Monde cite un extrait du rapport de la PJ : "la plupart des personnes physiques qui ont perçu ces allocations ont eu à véhiculer une image positive du régime irakien avec prise de position pro-irakienne, en particulier MM. Munier et Boidevaix, en contrepartie d’allocations pétrolières accordées par les autorités gouvernementales irakiennes de l’époque." Boidevaix nie les faits et parle selon le JDD de simple "lobbying" rémunéré.

Contrairement à ce que peut laisser penser la pudique dépêche de l’AFP (l’agence gouvernementale le qualifie simplement de "diplomate français" et précise qu’il s’est "reconverti dans les affaires."), Serge Boidevaix n’est pas n’importe qui dans l’univers diplomatique français. Il y a occupé des postes éminents (notamment ambassadeur en Allemagne) et est particulièrement emblématique du choix pro-arabe de la France à partir de 1967 et des dérives qui s’en sont suivies. C’est LE diplomate pro-arabe de référence.

Boidevaix est né en 1928, ce qui lui fait donc aujourd’hui 77 ans. Cet énarque d’obédience gaulliste a été directeur de cabinet du ministre des affaires étrangères Michel Jobert (1973-1974) puis conseiller pour les affaires internationales au cabinet de Jacques Chirac à Matignon entre 1974 et 1976. Il fut donc directement impliqué dans la grandiose politique irakienne de la France avec coopération nucléaire et ventes d’armes à la clé, que les socialistes poursuivront sans états d’âme. Il a ensuite été ambassadeur à Varsovie (1977-1980) puis est revenu à l’administration centrale pour être directeur d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient au Quai d’Orsay (1980-1982). Il est ensuite nommé ambassadeur à New-Dehli (1982-1985) et secrétaire général adjoint du ministère (1985-1986), puis ambassadeur à Bonn de 1986 à 1992, année où il devient secrétaire général du Quai d’Orsay, c’est-à-dire le plus haut poste administratif de l’administration des affaires étrangères. Atteint par la limite d’âge (65 ans), il prend sa retraite de la "carrière" en septembre 1993.

Mais une deuxième "carrière" commence justement pour lui, marquée celle-ci aussi par un engagement pro-arabe forcené.

Serge Boidevaix devient très vite actif sur le front irakien. Rappelons le contexte de ces années : depuis la fin de la première guerre du Golfe, l’Irak est isolé par l’embargo imposé par l’ONU. Saddam Hussein veut absolument y échapper. Plus les mois passent, plus la France brûle d’impatience pour renouer les liens avec Bagdad, au grand dam des Américains et des Britanniques. Derrière les prétextes humanitaires se trouvent des raisons moins avouables : les affaires bien sûr (Elf et Total sont en première ligne), mais aussi la volonté très "gaullienne" de marquer son indépendance à l’égard des Etats-Unis et de retisser des liens spécifiques avec les pays arabes.

Les choses s’accélèrent en mars 1993 avec le retour de la droite gaulliste au pouvoir. Roselyne Bachelot crée à l’Assemblée nationale son groupe d’amitié France-Irak. Disponible dès septembre 1993, Boidevaix bénéficie de son expérience de diplomate, de son carnet d’adresses bien rempli, de son affiliation gaulliste et de son glorieux passé du temps de l’amitié franco-irakienne des années 70 : il a le profil idéal pour servir.

C’est le Quai d’Orsay qui l’envoie en Irak dès décembre 1993 pour "vérifier et préparer les modalités" de la libération d’un ressortissant français, Jean-Luc Barrière, détenu depuis 6 mois pour "entrée illégale dans le pays". Les libérations de ressortissants étrangers sont alors pour Bagdad un moyen de montrer sa bonne volonté au monde occidental. Boidevaix est alors reçu par Tarek Aziz.

Est-ce dès ce moment-là qu’il sent le "marché" qui s’ouvre à lui ? Il se lance vite en tout cas dans les affaires juteuses de l’amitié franco-irakienne. Il en devient un pilier, avec les Gilles Munier, Philippe Brett et autres Jany Le Pen, en devenant le président de l’Association franco-irakienne de coopération économique (AFICE). (Pour asseoir sa position d’homme d’affaires "bien introduit dans le monde arabe", il succèdera, en juin 2002, à Michel Habib-Deloncle à la tête de la Chambre de commerce franco-arabe (CCFA).)

Voici qu’il s’intéresse subitement au pétrole ! L’ancien ambassadeur de France approchant alors les 70 ans se lance dans le trading pétrolier en s’associant avec une société néerlandaise.

Et il devient un militant (intéressé, on le sait aujourd’hui) luttant contre l’embargo de l’Irak. On le retrouve par exemple à Bagdad en mai 2002 pour un forum réunissant les adversaires de l’embargo. A ses côtés, d’autres obligés grassement rémunérés du régime de Saddam : Jean-Bernard Mérimée, ex-ambassadeur de France auprès de l’ONU, et Bernard Guillet, ex-conseiller diplomatique de Charles Pasqua, accusés comme lui dans l’affaire du programme "pétrole contre nourriture".

Boidevaix, le diplomate pro-arabe par excellence, après 40 ans de service exemplaire de l’Etat au plus haut niveau, sombrera en quelques années dans le militantisme pro-irakien, l’affairisme et la corruption.


Moyenne des avis sur cet article :  4.2/5   (5 votes)




Ajouter une réaction

Pour réagir, identifiez-vous avec votre login / mot de passe, en haut à droite de cette page

Si vous n'avez pas de login / mot de passe, vous devez vous inscrire ici.


FAIRE UN DON






Les thématiques de l'article


Palmarès