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Secrets d’écriture

Dernièrement, j'ajoutais le billet, signé Clément Paulin, "Festina lente" à mon billet "L'Art de la guerre russe".

En mai 2022, je lui avais réservé un billet en invité "Les métamorphoses de la modernité".

Je reçois ce lundi un autre billet de sa part sans titre à part une date du 14 mars 2024. 

Je lui ai donné le titre qui me semblait le meilleur.

J'ai ressenti qu'il désirait se lancer dans l'écriture.

Voici son nouveau texte auquel je répondrai par mes "Réflexions du Miroir" et par celles de onze écrivains et romanciers. 

...

J'ai toujours plus ou moins eu du mal à m’endormir, du moins depuis mon adolescence, me retournant dans le lit pendant parfois plusieurs heures, et il est rare que le sommeil me gagne avant au moins trente ou quarante minutes de ce genre de rêvasserie plus ou moins agréable. Mais je ne sais pas si, ayant la possibilité d’accéder à ce type d’ensommeillement facile et quasi immédiat que certains connaissent, je ne regretterais pas au fond ces espèces de monologues intérieurs ou de dérives mentales qui ont cours en moi quand je peine à gagner le sommeil. 
Beaucoup de phrases me viennent dans ces moments-là. Des bribes de phrases, des idées, des bribes d’idées, des vers, des bribes de vers… C’est peut-être même le moment de la journée où ils me viennent le plus facilement. Et je comprends que certains écrivains comme Thompson, Lovecraft ou Dantec, aient par la force des choses choisi d’écrire principalement de nuit. Dantec a d’ailleurs dit une chose intrigante à ce propos dans un entretien : "que les écrivains ont ça en commun avec les criminels d’opérer souvent quand tout le monde dort". 
P
our autant qu’elle ne soit pas illégale, l’écriture demeure une activité assez anti-sociale par nature, du simple fait qu’il est à peu près impossible de l’exercer en présence de quelqu’un. Qu’une seule personne se trouve à côté de vous dans une pièce, et très souvent, la disposition d’esprit qui vous ouvrirait les portes de l’introspection se voit passablement obstruée. La tâche est solitaire dans sa pratique même. L'écrivain est face à son imaginaire, seul, à la manière d’un étrange torero qui aurait pour toute arène son propre crâne, et qui tournerait autour d’un taureau indomptable, un taureau certes puissant, mais aussi malhabile, nommé langage. 
Un autre versant anti-social de l’écriture qui dépasse le simple aspect pratique de la chose, tient à l’attitude mentale qu’elle peut favoriser. Le penchant de l’homme, du moins sa façon de penser « par défaut », de par sa nature grégaire, est de mouler le fond de son esprit et d’en fixer les limites en fonction de ce que pensent les autres. Il n’y a rien là que de très banal. 
L’homme pour subsister doit s’agréger à un groupe, et pour être accepté en son sein, doit soumettre une partie de sa pensée à la pensée du groupe. Je crois que l’écriture peut agir ici comme un court-circuit, ou comme une anfractuosité secrète de l’esprit, par laquelle l’individu peut s’extirper s’il veut de ce réseau mental coercitif. 
Par l’écriture, l’individu peut tenter de tenir à distance, aussi momentanément soit-il, le filet de cet « esprit-du-groupe ». Il peut chercher à se fier à « l’Autre en soi-même », celui qui parle en lui, et que Socrate appelait son daïmon. 
A quoi je pense ? Qu’est-ce je pense ? Qu’est-ce que je pense moi ? 

Anfractuosité secrète ?

On se ménage un abri intérieur et un espace de réflexion désengagé du groupe en prenant le temps de sonder sa pensée à l’écart, par soi-même et pour soi-même. Court-circuit ?

En mettant à plat toute pensée et en lui donnant la forme d’un « arrêt-sur-image », l’écriture favorise son examen critique. 
Elle décontextualise la pensée, court-circuite son flux tendu, nous permettant d’observer à distance tel ou tel fragment, pour ce qu’ils sont tels quels et ce qu’ils disent tel quel. 
Platon est une figure fascinante à cet égard, car il arrive au moment charnière où l’écriture devient un medium culturel de plus en plus répandu, mais où la société est encore majoritairement imprégnée de culture orale, et toujours codifiée par elle avant tout. 
Ainsi, il reste assez dubitatif face à la démocratisation de l'écriture. Il perçoit bien qu’elle comporte un aspect froid, impersonnel, « décontextualisant ».

"Personne n’incarne un texte", fait-il dire à Socrate.

"Un texte est une chose morte : il ne répond pas aux objections qu’on lui porte et se répète à l’infini. La parole seule est vivante. La parole seule est attachée à l’homme, puisqu’elle part toujours de lui et y revient par le dialogue. La parole est toujours présente" ». 
Mais en même temps, sa critique des poètes est déjà celle d’un homme qui comprend tout ce que la simple transmission orale a de suranné et de protocolaire. Le monde ancien d’Homère est déjà derrière lui, avec son stock de formules toutes faites telles que « l’aube aux doigts roses », « Athéna aux yeux pers », « La mer couleur de vin », etc. Le monde ancien d’Homère n’est pas celui de la philosophie qui est plutôt une entreprise d’élucidation critique avant tout. Il ne se développe donc véritablement qu’à partir du moment où un nouvel outil, l’écriture, entre en jeu, prend le pas sur la culture orale, et introduit dans l’univers mental des hommes une formidable technologie d’abstraction. 
La pensée est portée, par sa nature même, à la dissipation et la fugue, qu’elle se raccroche aussi fréquemment à tout ce qui est déjà là pour la diriger comme le grégaire, l’habitude, le cliché, la rumination, la pression sociale, le « prêt-à-penser ». Il est étrange, paradoxal, de réaliser que nous pensons si souvent aux mêmes choses, quand pourtant la « matière » de la pensée à condition qu'on peut la dire comme telle, n’a a priori rien d’une chose fixe ou sclérosée. Alors, pourquoi le devient-elle ?

Songeant à cette idée d’anfractuosité, avoir deux figures de la littérature, un dissident et un criminel, ça ne s’invente pas, qui puisent dans une anfractuosité tout ce qu’il y a de plus concrète une ressource miraculeuse, qui tient du hasard ou de la providence et donc, soit dit en passant, de la ficelle narrative. 
C’est Winston Smith dans "1984", qui ne doit de pouvoir tenir son journal intime et de commencer à penser par lui-même que car dans son petit appartement se trouve un recoin qui échappe à la vue du télécran. C’est Raskolnikov dans "Crime et châtiment" qui échappe de justesse à un témoin le jour de son forfait, du seul fait de trouver « par chance » dans l’immeuble où habite la prêteuse sur gage pareil recoin où se tenir caché.

« Dans la chambre de ton esprit, croyant te faire des serviteurs, c’est toi probablement qui de plus en plus te fais serviteur. De qui ? De quoi ? Eh bien, cherche. Cherche. », Henri Michaux dans "Poteaux d’angle"

Réflexions du Miroir

J'ai déjà partiellement répondu à mes lecteurs au sujet de ma méthode d'écriture.
Si vous êtes seul pour dormir, rien ne vous empêche, en effet, de penser et puis de vous lever pour écrire.
Ce n'est pas mon cas. A la suite d'un rêve éveillé, j'ai parfois une envie de me lever pour fixer une idée qui me vient à n'importe quel moment. Ecrire la nuit en l'inversant avec le cours de la journée est tout à fait possible, mais les fameuses 8+8+8 des 24 heures sont à respecter pour ne pas tomber dans une phase de zombie de l'écriture. La nuit est propice à l'écriture devant une page blanche, par son silence qui permet l'imagination et l'intuition nécessaire à l'écriture mais cela s'écarte de l'actualité, de ce que vous vivez tous les jours dans l'actualité. 
Je n'ai jamais écris devant une feuille blanche. Toutes mes idées proviennent comme vous dites, par bribes à des moments propices mais totalement "hasardeux" de ces 24 heures bien éveillés en me promenant, en faisant une foule d'activités comme le jogging ou même à vélo en observant.
En pleine période du Covid, j'ai écrit "Quand les livres délivrent". L'originalité reste la pierre philosophale par excellence.
Un billet qui donne des méthodes traditionnelles d'écriture ou sujet de n'importe quoi, pour n'importe qui et sans but, ne sert à rien. Il faut que cela vous plaise à vous d'écrire.
Souvent, en tant que solitaire, je remarque que je pense et j'écris, plus que je ne parle avec des interlocuteurs. Après avoir recueilli des idées en vrac, je termine en vase clos. Je me retire sans aimer être interrompu. Si des commentateurs viennent y ajouter leurs commentaires, c'est bien. Mais ce n'est pas pour les rechercher que j'écris. S'ils ne viennent pas, c'est qu'ils n'ont rien à dire de plus et comme on dit "Qui ne dit rien consent". Je n'ai jamais recherché des bravos. J'aime les contradictions, les complémentarités et les oppositions. C'est avec elles que l'on apprend le plus. 
Avant d'écrire quoi que ce soit, il faut beaucoup lire. La lecture permet de constater où l'on se situe dans le "jeu de quilles" dès le départ, avant d'écrire la première ligne,. Faire fausse route, n'est pas un drame mais une leçon.
Un titre retenu me reste en mémoire pour me rappeler que j'en ai déjà parlé, c'est le départ d'un repositionnement. Après avoir écrit autant de billets hebdomadaires transitant dans ma tête depuis 2005, il me faut aussi d'autres repaires. Tous mes billets sont concaténés en un seul fichier et ce fichier me sert dans le même but. Si vous saviez le nombre de petits carnets de notes qui ne me quitte jamais, ont été nécessaires avant d'écrire un billet, vous ne le croiriez pas. Si vous saviez le nombre de feuilles de ces carnets qui sont allés à la poubelle sans suites, itou. Si vous saviez le nombre de fois, que mes billets ont été lus et relus avant d'être publiés, idem. Quand les notes arrivent par bribes, il faut les structurer dans un ordre qui peut changer à tous moments. Je plains ceux qui écrivent leurs livres sans utiliser un traitement de texte. Celui-ci permet de changer l'ordre de passage de ces blocs d'idées. Un billet peut changer parfois du tout au tout avant parution. Ecrire un journal personnel comme je le fais, est à ce prix., Trouver le liens entre les pages d'un journal, je m'en charge par des interfaces quand plusieurs sujets s'y retrouvent. Ce n'est plus un blog dans lequel un sujet est repris à la fois.  
Dans le cas de trop plein, je repêche des idées dans un billet futur avec de nouvelles additions.
L'idée de "Faire du neuf avec du vieux" a fait partie des deux années de Covid alors que la plupart des co-écrivains pataugeaient dans la même semoule. Il faut garder à l'esprit que l'on écrit pour soi, pour se faire plaisir et pas pour le plaisir de quelqu'un d'autre. Ecrire ce n'est pas fixer des limites en fonction de ce que pensent les autres. C'est même tout le contraire. C'est utiliser le "JE" ou le "NOUS" quand cela s'impose. La cause de son écriture a-t-elle été justifiée les moyens que l'on s'apprête à décrire ? 
Scientifique chimiste de formation alors que je n'ai jamais exercé ce métier puisqu'il a été détourné par le numérique qui était encore dans les limbes, veut dire une obligation de remonter à la source d'une idée suivie par une ou plusieurs questions du genre "What if ?"  
Dernièrement j'expliquais qu'il y avait un lien entre les deux disciplines par ces mots : "Le lien entre la chimie n'est pas évident à trouver, mais il existe. Si au départ, il y avait les sous-programmes pour ne pas recopier du code, cela a très vite évolué en accentuant ce mouvement de récupération de code. Même chose chez les écrivains. Une idée en crée une ou plusieurs autres  
En informatique, quand on "danse" avec "Java orienté objet" (ou dérivé), ce n'est pas danser la javanaise. On prend quelques pièces bien testées d'un puzzle existant et on les assemble pour en faire une fonction plus importante par héritage ou comme interface à d'autres puzzles avec clés d'accès entre elles pour créer un "monstre programmatique" avec des millions d'instructions.   
En chimie, c'est d'autres ingrédients mais avec la même technique. On prend une matière chimique que l'on mélange avec une autre pour en créer une nouvelle qui, par magie, peut attraper une autre couleur  
On bâtit toujours du nouveau avec du vieux. La déduction de lois générales s'incrémente d'intuitions, mais jamais par des directives imposées. Correctement formulées, les événements et les faits futurs arrivent à des prédictions construites par des logiques successives. Elles ne s'expliquent pas par les résultats mais par leurs sources dans une relation de causes à effets. Effets qui génèrent ensuite d'autres causes. Si les effets se réalisent, c'est qu'il n'y a rien de prophétique puisqu'ils obéissent à des statistiques mathématiques sans idéalisme vertueux. Un billet, chez moi, n'est jamais tout à fait terminé. Ses suites sont écrits en commentaires ou datés à la suite du billet lui-même quand il y a un podcast à ajouter. Avant de publier un billet, j'essaie de me mettre à la place du lecteur, Si j'en souris ou rie, c'est qu'il est bon pour suivre son chemin dans la catégorie que je préfère "Parodie ou humour". J'ai quelques billets qui ne m'appartiennent pas et qui sont dans la catégorie "Invités". . J'aurais pu les ajouter parfois en même temps dans la catégorie "Intimisme" car ces idées sont privés. Un billet par semaine et quelques eBooks à mon actif. Le dernier livre de Thomas Gunzig que j'ai lu, j'en ai parlé dans "Le dernier rivage avec Rocky". Avant lui, j'avais parlé des livres de Michel Bussi dans "Le monde de l'écriture vu par Michel Bussi". Je termine actuellement le livre de JR. Dos Santos "Spinoza. L'homme qui a tué Dieu". Dans son histoire, il a toujours eu une peur à se demander s'il allait publier ses livres qui allaient en opposition flagrante à son époque. Il a risqué se faire assassiner et d'être envoyé en prison.

"Lorsque la raison et l'expérience montrent qui la Loi divine dépend des dirigeants séculiers, ceux-ci en sont les interprètes appropriés et l'Etat tout entier spirituel et séculier tombe en ruine. Il faut séparer la religion de l'Etat et séparer la philosophie de la théologie" (p420)

Aujourd'hui, les écrivains et les dessinateurs se sentent plus libres mais une autocensure est souvent pratiquée par eux pour éviter les ennuis. 

Il existe des principes généralistes d'écriture. Mais, en déroger est souvent préférable pour rester original. Nous sommes tous des empruntes digitales ambulantes. Contenter tout le monde est un leurre. Comme je l'écris comme conclusion "Ce serait comme faire parie d'un jeu d'échec avec 100x100 cases dans lesquelles on commencerait le jeu dans un coin, dont les pièces évolueraient au gré de leurs fantaisies pour rejoindre d'autres coins avec un arbitre qui aurait bu un coup de trop", 

Capture d'écran 2024-03-19 122714.png

Le titre de ce billet est donc "Secrets d'écriture". Il est relié à ce petit livre d'avis de onze écrivains dont voici les conseils :

  • "Les mots sont des silex qui doivent allumer un feu. Neuf livres sur onze de mes livres sont écrits à la 1ère personne. Ecrire est un travail technique. Les polars m'ont appris l'extrême rigueur , le rythme par des chapitres courts, des attaques fortes pour aller chercher ce qui manque, n'est pas compris ou n'a pas été dit en mettant les mots sur l'ombre et en osant l'extrême sincérité à nu" dit Grégoire Delacourt. 
  • Aller à l'instinct et effacer le bancal. La fiction est basée sur la réalité vécue.
  • La clarté, la fluidité, la logique intrinsèque and la cohérence.

Ecrire c'est avoir peur d'écrire comme une survie psychotique à sa fragilité en tournant dans le noir sans chercher à séduire ou à convaincre par des convictions avec la patience et le temps comme un artisan isolé qui a une blessure interne 

  • Ne pas se laisser enfermer dans une case et changer de style après l'avoir trop utilisé pour se réinventer 
  • 35% de travail, 15% de talent et 50% de chance
  • Le mieux est d'être habité par son personnage qui a être égoïste, en parlant par la bouche de l'écrivain.
  •  Ecrire c'est sans tabou, en mariant bien et mal en se foutant du qu'en dira-t-on.
  • C'est saisir une piste avec des bifurcations permanentes comme dans une auberge espagnole.
  • Ecrire c'est avoir de l'inspiration, de la structure, des dialogues, des échecs et des plaisirs jumelés. 

J'ai parlé de l'écrivain Thomas Gunzig la semaine dernière

Son billet de ce mercredi parle des Belges comme les premiers. Les premiers de quoi ?

C'est dans la réponse que cela devient amusant en parlant de la politique avec l'aide de l'autodérisionpodcast

.

Si cette vision peut aider pour écrire...

Si je peux lui avoir apporter un coup de pouce à Clément Paulin, j'en serai heureux.

Allusion


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1 réactions à cet article    


  • Réflexions du Miroir Réflexions du Miroir 21 mars 09:26

    Bonjour, 

     Comme d’habitude, cet article était une préversion, un premier jet

     Voici la version retravaillée

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