Quand les profs font leur université d’été
Eduquer c’est d’abord penser, c’est d’abord réfléchir à ce que l’on fait, c’est prendre du recul sur le moindre de ses mouvements, le moindre de ses mots, parce que c’est la réalité vécue par tous les élèves, les profs ont du pouvoir, or quand nous avons du pouvoir, nous devons faire attention sinon même sans le vouloir nous pouvons faire des dégâts. Et dans l’éducation nationale, nous pouvons nous le dire des dégâts il y en a ! « Le temps est venu pour les enseignants de France de prendre leur destin en main. » C’est la première phrase de l’appel pour l’université d’été des enseignants rédigé en juillet. Fin août nous avions un beau programme.
Attention révolution pédagogique en cours
C’était le lundi, le premier jour, j’ai eu la chance de découvrir le film « L’arbre et le requin blanc » où l’on voit des enfants au cœur de Berlin, apprendre autrement, libres et heureux tout simplement. On voit bien dans ce film que les adultes qui sont là accompagnent bien plus qu’ils n’éduquent. Nous devrions faire attention, il y a bien une révolution pédagogique en cours et la base en est, je l’ai entendu de mes oreilles, venant de la bouche d’une prof après le film : « La base c’est que l’enfant peut apprendre par lui-même »… et dans la foulée cette autre idée venant d’une autre bouche : « ça remet en question l’idée de prof ». Oui c’est certain et ce qui émerge c’est l’ « accompagnatrice » ou « accompagnateur » ou « facilitateur » pourquoi pas. Et on se souvient d’Alice Miller qui disait il y a plusieurs décennies déjà « … je ne vois pas quelle signification positive on pourrait trouver au terme « éducation. » C’est dans « C’est pour ton bien ». Un autre prof dans le même contexte dira : « Je les adapte à quoi ? » Il était bien évident de constater que dans cette partie du monde une fois encore l’intelligence avait pris le pouvoir. Les profs ne sont pas ici juchés sur des certitudes, ils se confrontent aux questionnements les plus profonds, ils doutent eux-mêmes et s’en ouvrent, nous livrant par bribes des pans entiers de leur dure réalité. Il n’y avait là à s’exprimer dans le débat après le film, pratiquement que des femmes.
Pari risqué, pari gagné !
Quel étonnant moment que cette « Université d’été des enseignants et de l’éducation » qui s’est déroulé cette fin d’été à la Cartoucherie de Vincennes du 26 au 28 aout 2019. Nous n’étions pas loin de 400 inscrits au premier jour, après j’ai trouvé le chiffre de 600 et encore après 700, je ne sais combien de participants sont venus finalement, il y avait du monde, plus de 200 tous les jours. Pour plus de détails on peut regarder là et là. Ce moment s’est construit dans le contexte de contestation des réformes Blanquer et du blocage des notes du bac du printemps, par la mobilisation de profs qui ne souhaitent pas que les changements dans l’éducation se décident sans eux. Triste état de nos corps intermédiaires. En tout cas coup de chapeau aux organisateurs, décider ça en juillet et arriver à ça fin août, bravo. En deux clics j’étais inscrit pour 1 €, le tarif n’était pas exagéré, en deux autres la solidarité entre éducateurs avait parlé, j’avais un lit chez l’habitant pas loin de l’évènement, gratuit évidement !
Violence et Service National Universel (SNU)
Il y avait en plus de la salle de ciné, trois pôles : « Enseigner », « Dialoguer », « Lutter » où toute la journée sous des barnums qui nous mettaient à l’abri des rayons d’un soleil brûlant, ça parlait. C’est au pôle « Lutter » que la parole était la plus vive, les témoignages les plus poignants, les énergies les plus grandes, l’émotion la plus forte, c’est à ce pôle que nous avons parlé du SNU. Et là il y a bien des problèmes. J’ai entendu lors de cette table ronde : « on parle de violence à longueur de temps », « il y a tout un tas de gosses qui ont envie de se retrouver du bon coté du bâton » Le groupe est très critique pour ne pas dire totalement opposé à cette nouvelle mesure. On entend : « C’est une mise au pas du secteur associatif », « une subordination financière des associations et des syndicats », « que veut dire l’engagement s’il est obligatoire ? ». Il est question d’un collectif national contre le SNU animé par l’Union Pacifiste de France un texte à signer est en préparation.
« Le social est d’essence sacrée » Roland Gori dans les hauteurs et profondeurs
Roland Gori évoque d’emblée l’appel des appels au moment de sa présentation. Il dit que « la liberté c’est la possibilité d’agir » Citant Simone Weil il dit que : « le lieu de la décision va passer de l’être, du professionnel, au mode d’emploi de la machine ». Il parle de la « Théologie entrepreneuriale » D’Emmanuel Macron « auto entrepreneur de lui-même ». Parlant des violences policières il évoque Hannah Arendt qu’il citera plusieurs fois : « là où la force est utilisée, l’autorité à échoué ». Il parle de Freud et des trois métiers impossibles : « éduquer, gouverner, soigner ». Il pose qu’ « éduquer et gouverner sont indissociables ». Il dit que les hauts fonctionnaires connaissent le monde des affaires et le monde des média et qu’ « il n’y a pas d’autorité sans récit ». Il évoque le merveilleux conte d’Andersen : « Les habits neufs de l’empereur » disant que « l’habit aujourd’hui c’est la communication, c’est ça le pouvoir, c’est nous qui l’habillons, c’est imaginaire mais c’est efficace ». Roland Gori dit que : « Le social est d’essence sacrée ». Le pouvoir est efficace parce qu’il y a croyance. Rien qui ne soit traversé par la fiction…l’Etat n’est rien si l’on ne croit pas à la puissance de l’Etat… Pour lui Blanquer « veut éliminer les humanités, il veut éliminer tout ce qui n’est pas fonctionnel », Roland Gori qui a beaucoup lu, beaucoup étudié s’appuyant sur des références multiples nous rappelle qu’il y a de la substance politique dans chacun de nos métiers et nous atteignons les profondeurs : « le pouvoir fait écran à la mort, c’est pour cela qu’on l’aime… nous avons besoin de croire en un autre parce que c’est trop difficile d’être seul ». Il cite Jacques Elull et nous éclaire sur la distinction à faire entre connexion et relation. C’est bien la relation l’important ! or : « On n’a pas le temps de nouer des relations … il y a de plus en plus de robots à l’hôpital… des formations qui déshumanise le personnel…il faut faire vite »
Entre parents et profs, un profond fossé à combler.
Le moment de réflexion sur la relation parent-enseignant à été particulièrement riche. Il a bien démarré, sur la mode du débat inversé, l’animatrice a après avoir brièvement présenter les invités en tribune, donné la parole à la salle pour que nous puissions poser des questions. Une maman dit : « En voyant la tête des parents qui entrent dans l’école pour une réunion, j’ai l’impression de voir tout de suite ceux qui étaient des élèves en échec » On entend que les parents doivent se « sentir invités » or « l’école c’est une porte fermée » « Les parents se remettent d’eux-mêmes dans une posture d’élève, ils ont un respect immense des enseignants…ils ont peur », « les équipes enseignantes ont du mal à ouvrir la porte de l’école, on l’ouvre quand on a besoin d’eux c’est un grand tort » Un prof ajoute « les portes sont plus ouverte dans le primaire que dans le secondaire » « dans les ZEP les parents sont singulièrement absents »
8 décembre 2019 marche des mamans de Mantes la jolie pour l’anniversaire du 6.
Nous avons vécu le témoignage très poignant de Yessa Belkhodja, porte-parole du Collectif de défense des jeunes du Mantois et maman d’élève complètement choquée par ce qui c’est passé le 6 décembre à Mantes la Jolie. Elle nous a raconté ce qu’elle a vécu cette terrible journée qui a marqué des milliers de gens localement et des centaines de milliers ou des millions de par le monde, via la vidéo, tant c’était insupportable de voir des adolescents à genoux, humiliés par une République sensée les protéger et les aider à grandir. Des images qui nous ont renvoyé au Chili de 73. Elle décrit les faits en détail… « élèves à genoux de midi à 17h … on a clairement voulu faire un exemple… le plus jeune avait 12 ans… la plupart sont du Val fourré contrôlés au faciès, fouillés, ils sont habitués… sur les 151 interpellations il n’y a pas eu de poursuites… de nombreuses familles n’ont pas été prévenues… les conditions de garde à vue ont été abjectes… L’IGPN a dit qu’il n’y avait pas eu de comportement déviant... » Elle conclu qu’on « a porté atteinte à la dignité de nos mômes, on veut qu’ils aient une réparation. » Souvenons nous que cette affaire avait révélé une certaine France bien incarnée par Ségolène Royal qui a dit : « ça ne leur a pas fait de mal à ces jeunes… ». Maintenant ces femmes engagées pour le respect de leurs enfants préparent la marche des mamans pour la justice et la dignité du 8 décembre. Elle s’appelle ainsi parce qu’il n’y a pas de père dans le collectif. De la salle j’ai entendu que ça venait du « traitement colonial du problème des cités »
Et l’écologie ?
Deux organisations étaient là, « Enseignants pour la planète » qui est née dans le sillage de la création d’ « Extinction rébellion France » et « Youth for climat » Ici aussi on le dit : « Il y a du retard sur le sujet dans le monde des enseignants… il y a une grande vacuité de l’institution sur le sujet… on a une école quasiment climatosceptique… notre institution n’est pas au niveau ». J’entends : « Qu’est-ce qu’on peut dire aux élèves pour qu’ils ne tombent pas dans le désespoir ? ». Là je me permets une incise, il ne faut surtout rien leur dire, juste leur donner la possibilité de s’exprimer et pas seulement dans les rues le vendredi mais aussi dans les établissements et les quartiers dans le débat. A une prof qui s’inquiète du peu de choses dans les programmes sur l’écologie, son inspecteur lui répond : « mais madame ça c’est votre vision du monde ». Une personne dit : « parlons de climatonégationisme et non de climatoscepticisme. Des profs parlent de « hors programme » pour aborder ces questions. Un participants rappelle que les esclavagistes disaient que « l’économie ne survivrait pas à l’abolition ». Le site Notre planète info est recommandé par plusieurs enseignants qui l’utilisent. Un prof dit : « Il y a beaucoup de jeunes aujourd’hui qui ont envi e de s’engager… mais rien dans les manuels et rien sur les métiers d’avenir qui sont occultés au lycée ». « Les élèves ont des niveaux très différents à propos de la conscience écologique ». Il sera question de l’éco-anxiété beaucoup d’élèves y sont sensibles. Un parent dit : « le coté artistique, le coté expression est très important. L’art fait réfléchir ». Une intervenante dit que « la crise écologique nous invite à redéfinir ce qu’est une éducation réussie. Ça dépasse le contenu des enseignements c’est la finalité même de l’éducation que ça réinterroge ». « On peut leur donner la parole sous la forme du débat » dit une maman. Certains élèves disent que c’est le soleil qui grossit, d’autres que c’est le soleil qui se rapproche de la Terre… « Les élèves ont beaucoup de choses à dire » dit une élue. « Je ne suis pas très connecté à la nature » un prof. Un autre : « les jeunes veulent agir pour le climat, nous pouvons leur donner les moyens d’agir ».
Prendre conscience, s’émanciper, se doter des moyens d’agir
L’éducation populaire avait sa place dans le programme et fort heureux, on pourra juste regretter que la table ronde qui lui a été consacrée s’est déroulée dans une forme des moins innovantes… dommage ! Toujours est-il que ça a été un moment riche qui en particulier a permis de reposer les trois piliers qui font de l’éducation populaire un aspect essentiel de notre action pour l’éducation. Le premier pilier de l’éducation populaire c’est la conscientisation. C’est de se rendre compte soi-même et d’aider les autres à se rendre compte. Le deuxième c’est l’émancipation, parce que c’est une évidence toutes et tous nous sommes sous influence et accéder à la liberté est le travail d’une vie et on sais bien que ce ne sera pas suffisant. Le troisième pilier c’est de donner le pouvoir d’agir.
Ambitieuse, joyeuse, optimiste, déraisonnable et bienveillante
Moi, pas prof, qui y est allé sans connaitre personne, je m’y suis senti bien durant ces trois jours. Je me suis surpris à penser que ce n’est pas le thème des discussions qui en définitive était la raison de mes choix d’aller à tel ou tel atelier. Je vais là ou la méthode employée pour le débat est bonne et aussi là où la parole est libre et sincère. Là où c’est vivant en fait. Il y en a eu des moments vivants ces trois jours. Il faut dire que c’était dense. L’appel pour l’université d’été évoqué plus haut se terminait ainsi « Elle doit être ambitieuse, joyeuse, optimiste, déraisonnable et bienveillante. » Ainsi venant de l’animateur de la table ronde sur le SNU j’ai entendu « à propos de l’antimilitarisme, je ne suis pas très armé » cela m’a fait sourire, je ne sais pas si c’était volontaire… Ils m’ont bien plu ces profs dans leur diversité d’appartenance, dans leur légèreté et leur gravité. Nous pouvons nous le dire, des vestiges de l'honneur de la France se trouvent dans cette partie de notre corps social. En plus c’est bien, ça continue, ils vont se retrouver entre « Primaire, secondaire, supérieur, personnel, parent, élèves » à la bourse du travail le 16 octobre, c’est bon la diversité, c’est riche et ça nourrit l’intelligence collective, moi si je n’avais pas autre chose ce jour la, j’irai. On apprend tellement dans ce monde où l'on parle de l’éducation.
A suivre
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