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Accueil du site > Tribune Libre > Poésie et journalisme : incompatibilité ?

Poésie et journalisme : incompatibilité ?

La désaffection de la presse pour la poésie m’a, depuis longtemps, posé question, d’autant que toutes les parutions qui m’ont été accordées, hors du contexte évidemment particulier des publications dédiées, ont toujours rencontré un vif succès auprès du public.

Cette situation me semble absurde, d’autant plus absurde que la télévision et Internet se sont emparés de l’investigation, aux dépens de la presse écrite. La place de plus en plus grande que celle-ci donne à la culture dans ses colonnes confesse en quelque sorte sa déroute.

Agrippa d’Aubigné, Victor Hugo, pour ne citer qu’eux, ont consacré des vers inoubliables à la politique et à l’actualité de leur temps. Clément Marot se faisait volontiers un thuriféraire compétent et malicieux pour vivre... Plus récemment, le fameux Corbeau d’Edgar Allan Poe a construit sa réputation grâce à sa diffusion dans les gazettes américaines.

Il m’apparaît comme une évidence que les journaux, qui traversent depuis longtemps une crise majeure, n’ont pas su s’adapter à la concurrence des nouveaux médias. Le retour à une écriture plus élaborée, plus sensible et personnelle, notamment poétique, devrait leur permettre de reconquérir un large public.

Les précédentes propositions que je leur avais faites dans ce sens n’ont rencontré qu’une opposition vaniteuse et polie. Indifférence ou circonspection, au regard d’une telle ambition ? J’ai donc voulu prouver aux rédactions l’intérêt de ma démarche, en adoptant cette fois une stratégie différente, moins conventionnelle.

Depuis le 29 avril, j’envoie tous les jours un poème, composé sur un sujet d’actualité, à cinq journalistes sélectionnés dans la hiérarchie de leur organe : Sylvie Kaufmann, directrice de l’information au Monde, Marie Guichoux, rédactrice en chef à Libération, Alexis Brézet, directeur de la rédaction au Figaro, Catherine Tardrew, grand reporter au Parisien, et Philippe Bouvier, chroniqueur au service politique de France-Soir.

J’ai choisi le sonnet régulier, pour son aspect attractif et directement identifiable, sa concision et son formalisme rigoureux, autant que pour l’éventail d’expression très large qu’il procure. Après avoir fait une revue de presse à la radio et sur Internet, je choisis un thème de l’actualité politique, culturelle, scientifique ou internationale, pour produire un poème original que je soumets à leur appréciation avant la levée du courrier, en prenant soin de l’affranchir avec un timbre de collection pour attirer l’œil de mon correspondant.

Il semble que la mauvaise réputation des journalistes français ne soit pas une vue de l’esprit, puisque je n’ai relevé encore aucune réaction de la part de l’un, de l’autre, ou de l’un de leurs collègues. J’imagine le chemin tortueux que suivent en ce moment mes commentaires poétiques dans les salles de presse, créant la délectation chez les uns, et la stupéfaction chez les autres, sans préjuger toutefois de leur destination. Je crois cependant que ce projet pourrait à terme être couronné de succès, si je parviens à le conduire jusqu’au moment où mes correspondants, ou leurs supérieurs hiérarchiques, auront pu se forger une opinion et prendre finalement une décision.

Il y a cependant, à mon avis, une incongruité dans la fonction d’un homme ou d’une femme de média, de rester obstinément sourd aux propos qu’on lui adresse, et quel que soit le message. S’il s’agissait d’un quidam, je penserais immédiatement que mon correspondant est malpoli. Il s’agit là d’autre chose.

Je crains que, dans ces conditions, toute tentative d’établir un dialogue entre celui qui met l’information en forme -on se souvient des protestations de certains acteurs envers le sort que la presse a réservé à leur campagne référendaire - et celui qui la reçoit, ne paraisse vaine, et que le destin de notre fameuse presse d’exception ne soit, à plus ou moins long terme, scellé :

 Ne lis plus jamais les odes, mon fils,
 Lis les indicateurs de chemin de fer : ils sont pareils !

 

Voici quelques exemples :

 

 

Les nouveaux chantiers présentés par le premier ministre.
Le Figaro, 28 octobre 2005.
Villepin met le public à l’heure du privé.

Et c’est un vieux serpent de mer qui fait surface
Lors de la conférence à laquelle a pris part
Notre Premier ministre, haranguant la plupart
Des représentants de la presse en face à face.

Afin de retrouver un système efficace,
Il faut organiser des agents le départ
Et fournir à l’État un rigoureux rempart
Pour tracer des desseins que sa dépense efface.

Mais la raison de ce chantier monumental
Est de donner du grain à moudre à son rival,
Dont l’ambition s’exprime aujourd’hui sans complexes.

Il énumère en fait peu de projets concrets
Pour rendre la confiance aux citoyens perplexes,
Assurément sans illusions sur ses attraits.

 

Amiante : l’État et les industriels accusés.

 

 

 

 Libération, 27 octobre 2005.

Amiante : un rapport sénatorial juge l’État « responsable ».

Le Figaro, 27 octobre 2005.

Sonder, haver, extraire... Il faut tirer sans cesse
Les trésors enchâssés dans le sol. C’est moral
Et c’est le lot de tous, pour vivre, en général,
Que de créer sans rémission de la richesse.

Et si la gemme, au jour finalement confesse
Le caractère hideux d’un poison viscéral,
On devrait condamner le méchant minéral
Et qu’aux regards déçus, alors il disparaisse !

Mais le prix du travail inspire à nos actions
La folle obstination qui convient aux passions,
Et contient avec soin tout souci de prudence.

À la fin, de combien faudra-t-il retrancher
Le montant des dégâts causés sans réticence
Aux profits empochés en vain et sans broncher ?

 

Les étudiants européens critiquent les cités U françaises.

 

 

 

 Le Figaro, 26 octobre 2005.

Etudiants Erasmus : ma cité U va craquer.

Libération, 26 octobre 2005.

Dans un grand bâtiment, roide et rébarbatif,
Des couloirs gris aux murs lépreux, une cellule :
C’est ici qu’elle vit, comme dans une bulle !
On dirait d’une sœur, l’ermitage oblatif...

Bien sûr, elle aimerait séjour moins primitif,
Mais elle est étudiante, errante libellule,
Et ne détient que le savoir qu’elle accumule
Au fil de longs cursus, avec un objectif :

Plus tard le jour viendra, où tous ses sacrifices
Seront récompensés. Enfin les bénéfices
De ses renoncements pourront être tirés.

Car elle exercera des fonctions estimables,
Et ses talents seront très bien rémunérés,
En supportant des conditions de vie aimables.

 

 

 


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3 réactions à cet article    


  • Jean Hautepierre (---.---.38.122) 2 novembre 2005 23:10

    Je salue l’idée de Philippe Gras. Associer poésie et actualité comble un vide dans la presse actuelle. Il suffit pour le prouver de rappeler que Raoul Ponchon a écrit durant des années des poèmes sur l’actualité, publiés dans la presse. C’est donc une tradition pleine de sens à laquelle M. Gras s’attache à donner une nouvelle vie.

    Jean Hautepierre


    • Jean-Paul Tisserand (---.---.163.138) 3 novembre 2005 07:48

      Félicitations à Philippe Gras pour cette bonne idée ! La poésie a toute sa place dans la presse, et il est bon de le rappeler - surtout quand elle suit parfaitement l’actualité, comme c’est le cas ici.

      Jean-Paul Tisserand


      • Vincent Gallot (---.---.3.225) 3 novembre 2005 09:43

        tout d’abord, bravo à Philippe Gras pour cette entreprise qui restera gravée dans la culture... ça y est, c’est écrit et bien écrit en plus !! Je pense que ce style journalistique mérite mieux que d’etre publié sur du papier froissé... Souvent, j’ai honte de voir que la presse française, protégée par un système unique en europe, en arrive à se saborder elle même, parce qu’elle se complait dans son vieillissement... n’oublions pas qu’elle se lit aux toilettes, chez le médecin ou dans le train, c’est là son seul intéret ?? du balais !! place au renouveau du média de masse Ce style journalistique « néo-classique ?? » a sa place dans les nouveaux médias, non ??

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