P.S. - Loi Travail : fin de partie ?
Près de trois mois après la première journée de mobilisation contre cette loi scélérate dite loi Travail, après un million 350 mille signatures exigeant son retrait, après une énième journée de mobilisation, après un premier passage en force à l’assemblée nationale et malgré de multiples tentatives de la part du gouvernement pour diviser le mouvement avec l’abandon du barème des indemnités prud’homales pour séduire la CFDT, ou la promesse de la généralisation de la Garantie jeunes, chacun semble camper sur ses positions. Le chef du gouvernement affirme haut et fort qu’il ne lâchera rien et que la loi passera. Les grévistes avec la C.G.T., F.O. et Sud exigent toujours le retrait de la loi. Pourtant le dénouement semble proche et le débat se concentre enfin sur ce qui est le cœur de la loi : l’article 2 avec sa devenue célèbre inversion de la hiérarchie des normes. Sous l’imposture de la démocratie d’entreprise, par le fractionnement des enjeux, entreprise par entreprise, on enferme les salariés dans des dilemmes cornéliens : perdre son emploi ou accepter des baisses de salaire ou une augmentation du temps de travail. Dans cette affaire le parti faussement socialiste, en dépouillant les travailleurs de la protection du code du travail se disqualifie totalement. En s’acharnant dans la défense de cette loi, Manuel Valls, Monsieur 5 % aux primaires de 2011, sera le fossoyeur de ce parti qui avait pris son envol à Epinay en 1971.
Il reste à construire une alternative qui porte à nouveau l’espoir de tous ceux que la machine libérale exclut, appauvrit et fragilise.
LA LOI TRAVAIL OU LA FIN DU DROIT COLLECTIF.
« Ce qui me fait pleurer, devant cette situation que nous vivons, c’est que j’ai l’impression d’assister en France à la fin de ce qu’on a appelé le mouvement ouvrier. Quand j’ai vu la première version du projet de loi, j’ai eu l’impression que tout ce qui a été fait et gagné pendant 50 ans à été perdu. On parle d’inverser les normes, tout ceci a l’air de détails techniques mais c’est pas des détails techniques. Vous avez en ce moment un pays qui sort avec beaucoup de difficultés de ce qu’on a appelé le monde industriel. Il ne sait pas très bien dans quel autre monde on va entrer mais on sait ce qu’on a gagné à l’époque industrielle et soudain on nous le fout en l’air et c’est tout à fait inacceptable. » Alain Touraine France Culture le 29/05/16
Le rapport de subordination est au cœur d’un droit du travail qui consacre juridiquement la dépendance économique du salarié et la dissymétrie du rapport de pouvoir entre le propriétaire du capital et le travailleur. C’est la reconnaissance de cette subordination qui a permis aux organisations syndicales de construire, au fil de l’histoire sociale, l’encadrement de ce pouvoir de l’employeur par la Loi. Ainsi Le code du travail écrit tout au long de l’histoire du mouvement ouvrier a pour finalité de faire du salarié non pas un objet ou » la chose » d’un propriétaire ni son collaborateur exclusif mais quelqu’un qui vend une capacité de travail dans le cadre d’un univers social bien défini. « Privilégier aujourd’hui « l’accord d’entreprise », et lui donner une force juridique, compte tenu de la faiblesse, voire de l’inexistence de la présence syndicale dans l’entreprise, compte tenu du chômage de masse et de l’angoisse qu’il génère, compte tenu de la pression de la concurrence qui s’exerce sur les entreprises et donc sur les salariés, inverser la hiérarchie des normes ( art. 2 du projet de loi ) revient à » désocialiser » l’emploi et le travail, et à engendrer une société du travail sans règles, sans liens, ni humains, ni politiques. » (« Le salarié n’est pas un objet » )
C’est parce que cet article deux est le cœur de la loi Travail que celle-ci n’est pas amendable ni par le gouvernement, ni par le mouvement ouvrier. Seul le retrait de cette proposition de loi permettrait d’ouvrir de nouvelles négociations. Le patronat ne s’y trompe pas comme en témoigne les dernières déclarations de Pierre Gattaz qui affirme haut et fort qu’il ne faut surtout pas toucher à cet article 2. ( lien ) Pour discréditer le mouvement social, il n’hésite pas à employer des propos outranciers envers la CGT : » Faire respecter l’Etat de droit, c’est faire en sorte que les minorités qui se comportent un peu comme des voyous, comme des terroristes, ne bloquent pas tout le pays. Certains de leurs agissements relèvent du pénal. Quand le syndicat du livre-CGT empêche la parution de quotidiens au motif que ceux-ci ont refusé de publier le tract de monsieur Martinez, il me semble que l’on est dans une dictature stalinienne. C’est très grave. » (Le Monde du 30/05/16 ). C’est bien parce que l’enjeu est, au nom de la compétitivité internationale, de dépouiller les travailleurs de leurs droits fondamentaux pour réduire leurs salaires et aggraver leurs conditions de travail que, face à l’ampleur du mouvement social, le ton monte. Face aux grèves à répétition qui menacent la sérénité nécessaire pour l’Euro 2016, la panique s’installe au sommet du pouvoir et du parti socialiste. Fini le temps du mépris et de la ringardisation du mouvement, il faut lâcher les chiens de garde et attiser la haine et la violence. Aujourd’hui l’heure n’est plus à la négociation mais bien au rapport de force entre deux mouvements antagonistes où chacun est sommé de choisir son camp. Mais dans cette ultime bataille entre le mouvement ouvrier et le capital il y aura au moins une victime collatérale, le Parti dit Socialiste.
LA MORT DU PARTI FAUSSEMENT SOCIALISTE.
Dans cette lutte et quelle que soit l’issue de ce conflit majeur le parti faussement socialiste y laissera sa peau et ce n’est pas l’émergence irréelle sur la scène politique de Macron avec l’ indécente marche à travers la France de ce Marie Antoinette 2.0 du libéralisme et ses rencontres particulièrement rugueuses avec la réalité du terrain social qui y changera quelque chose. Le parti faussement socialiste, de compromissions en compromissions avec l’idéologie libérale et l’oligarchie, n’a cessé de s’ embourber au fil des années dans les marais de la confusion et du mensonge idéologique. La trahison de François Hollande qui en 2012 affirmait encore que son ennemi était ni plus ni moins que la finance et qui s’achève avec cette scélérate loi Travail a sonné la dernière heure de ce parti.
Jusqu’à présent et depuis plus de trente ans, en France, les résultats électoraux ont fait se succéder alternativement des gouvernements de la droite et de la gauche. Les uns comme les autres sont tout autant libéraux et s’échinent à respecter, avec plus ou moins d’ardeur et de conviction, les injonctions que dictent les grandes institutions internationales pilotées par des experts acquis à l’économie libérale. Seule les distingue une empathie plus ou moins affichée avec les victimes des coupes budgétaires des restructurations et autres délocalisations. Cahin-caha, un pas du pied droit, un pas du pied gauche, dans un environnement international acquis à la mondialisation des échanges, après la chute du mur de Berlin, les gouvernements successifs détricotent les lois sociales qui tenaient encore en laisse l’hégémonie du capital sur le travail, en feignant d’adoucir ces sacrifices par plus de droits et de libertés donnés à l’individu dans la conduite de sa vie privée. La droite libérale dans le souci de ne pas se séparer de son électorat le plus conservateur sous traitant à cette gauche mondaine le soin de mener à bien le volet culturel et sociétal de cette révolution. Le dernier acte de cette longue marche idéologique a eu lieu avec la loi sur le mariage pour tous. En échange la gauche de gouvernement faisait profil bas ou mezza voce sur les réformes économiques. Mais le matador Valls dans son empressement a fait voler en éclat cette belle distribution des rôles en s’affirmant plus libéral que les libéraux de droite a contribué à accélérer la disqualification de ce parti faussement socialiste aux yeux des travailleurs et de toutes les victimes de la doctrine libérale.
Si le mouvement d’ampleur contre la loi Travail a accéléré la sortie définitive du parti d’Epinay du terrain de l’émancipation et de la critique de ce monde du capitalisme global il n’a pas permis encore l’émergence d’une alternative politique réellement , capable de s’attaquer à ce « fait social total » (1) qu’est le capitalisme globalisé tant dans sa dimension économique que sociétale.
Certes le mouvement Nuit Debout tente encore, laborieusement et dans la confusion, d’esquisser un autre monde ; mais il est à craindre que cette épure ne reste à l’état de brouillon dont peut être un mouvement politique comme celui lancé par J.L. Mélenchon s’inspirera. Il faudrait réussir à gagner la confiance de l’ensemble des victimes de cette dictature soft, où chacun et livré à lui même et ne voit dans autrui qu’un potentiel ennemi ou concurrent, et pouvoir rassembler et se donner les moyens de construire une alternative radicale au système actuel. « Il faut cesser de s’obstiner à ne voir dans le capitalisme qu’un pur et simple système économique conduisant à répartir de façon inégalitaire la richesse collectivement produite ». Il faut s’attaquer aussi « au culte de la croissance illimitée, l’aliénation des consommateurs, la mobilité géographique et professionnelle incessante, la destruction méthodique de la vie en commun dans les villes et les campagnes, l’abrutissement médiatique généralisé, la transgression morale et culturelle permanente. » ( J.C. Michéa « Les mystères de la gauche » ).
Bref s’il est nécessaire de corriger son caractère le plus inhumain et dévastateur que sont les inégalités de plus en plus criardes, cela ne suffira pas pour rendre ce système supportable.
Ce mouvement radical devra aussi cesser définitivement de ne vouloir parler qu’au monde restreint de ses sympathisants et militants aguerris, il devra être capable de s’adresser à tous ceux qui aujourd’hui, tout en étant victimes des politiques néolibérales, votent à droite, à gauche, Front National ou s’abstiennent, pour porter un programme politique réellement fédérateur dans un cadre démocratique refondé qui pose les bases d’une réelle alternance aux politiques actuelles pour construire les bases d’un autre monde.
A suivre….
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(1) » Les mystères de la gauche – De l’idéal des lumières au triomphe du capitalisme absolu » J.C. Michéa – Editions Climats- Page 54
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