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Occident civilisé, Orient barbare

Le 4 février 2012, à Paris, le ministre de l’Intérieur français Claude Guéant a déclaré devant des représentants d’une association étudiante : « Contrairement à ce que dit l'idéologie relativiste de gauche, pour nous, toutes les civilisations ne se valent pas (…). Celles qui défendent l'humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l'égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique ». Ce genre de propos est assez récurrent des Occidentaux lorsqu’ils veulent justifier leurs guerres de conquêtes coloniales et impérialistes, telles que les guerres ouvertes menées actuellement contre les peuples arabes ou afghans, et les guerres sournoises et indirectes menées contre d'autres peuples "orientaux", tels que les Russes.

D’ailleurs, je ne suis pas certain que ce ministre comprend bien ce qu’il énonce, en raison du flou qui entoure le mot « civilisations » (au pluriel), employé en lieu et place du mot « sociétés ». On peut porter un jugement de valeur sur une société et considérer par exemple que la société fédérale allemande est plus estimable que la société nazie. Il n’en va pas de même d’une civilisation ou d’une culture, qui sont partie intégrante de chaque individu. Mais on ne peut trop demander à un ministre de la Police, surtout lorsqu’il est mis en examen pour «  faux  » et «  blanchiment de fraude fiscale  ».
 
Dans ce qui suit, nous reprenons la définition de Wikipédia : ʺL'Occident, ou monde occidental, est un concept géopolitique qui s'appuie généralement sur l'idée d'une civilisation commune, héritière de la civilisation gréco-romaine dont est issue la société occidentale moderne. Son emploi sous-entend également une opposition avec, soit le reste du monde, soit une ou plusieurs autres zones d'influences du monde comme l'Orient, le monde arabe, le monde chinois ou encore la sphère d'influence russe.ʺ
 
C’est quoi, la civilisation ?
 
« Civilisation » est un des termes-clés dans les lexiques de ceux qui étudient les sciences sociales : historiens, politiciens, philosophes, économistes. Bien que d’apparence commune, le mot « civilisation » n’a que trois siècles d’existence en Occident. Il est issu du latin civis, c'est-à-dire citoyen, et de civitas, qui désigne la cité, autrement dit l’ensemble des citoyens. L'édition de 1872 du dictionnaire de l’Académie Française précise : « État de ce qui est civilisé, c'est-à-dire ensemble des opinions et des mœurs qui résulte de l'action réciproque des arts industriels, de la religion, des beaux-arts et des sciences ». Elle ne porte pas de jugement de valeur ni n’établit de comparaison entre différentes formes de civilisations. Dès les premiers jours de l’existence, nous sommes imprégnés par la langue, les bruits, les odeurs, les couleurs et les rituels (religions) de notre culture. Nous ne pouvons nous en défaire mais nous pouvons l’enrichir de notre expérience.
 
« La civilisation est née à Sumer »
 
Les « racines » d'une civilisation sont l'ensemble des facteurs culturels, spirituels, matériels, institutionnels... qui concourent à la construction d'une civilisation et la distinguent des autres civilisations
Il y a 10.000 ans, au Moyen-Orient, tout change brusquement pour l’Homo Sapiens, notre ancêtre commun. Cette vaste région (aujourd'hui l'Égypte, Israël, la Palestine et la Jordanie, le Liban, la Syrie, la Turquie et l'Irak) se couvre à perte de vue de graminées et de céréales. Ses habitants n'ont plus besoin de beaucoup se déplacer pour trouver leur nourriture. Aussi choisissent-ils de se grouper dans de petits villages. Au fil du temps, ils prennent l'habitude de semer des graines près de leurs maisons. C'est ainsi que naît l'agriculture. Les villageois conviennent que dans chaque champ, la récolte appartient à celui qui a semé les graines. Dans chaque village, ils désignent un chef et un conseil pour arbitrer les querelles de propriété. Petit à petit se mettent en place des institutions et des lois semblables aux nôtres. Grâce aux ressources nouvelles et au supplément de confort apportés par l’agriculture, la population de la planète croît rapidement jusqu’à atteindre dix millions d’habitants.
Au bout de quelques milliers d'années, les pluies se faisant plus rares, les agriculteurs du Moyen-Orient se concentrent sur un territoire en forme de croissant que nous appelons pour cette raison Croissant fertile. Dans ce Croissant fertile, de grands fleuves (Nil, Jourdain, Tigre, Euphrate) favorisent l'irrigation des champs et compensent la raréfaction des pluies. Dans leurs vallées vont naître les premières grandes civilisations humaines. Les paysans font appel à des artisans pour leur fournir les outils, les poteries et les vêtements dont ils ont besoin. Ces artisans emploient des outils en pierre polie, d’où le nom de Néolithique (Nouvel Âge de la Pierre) donné à leur époque. Avec la multiplication des artisans, les villages grandissent et deviennent de vraies villes de plusieurs dizaines de milliers d'habitants. Les premières villes apparaissent dans une région appelée Sumer, au sud de l’Irak, autour de la ville actuelle de Bassora.
 
C'est la fin de la Préhistoire et le début de l'Histoire ! « L’Histoire commence à Sumer », dit ’historien Samuel Kramer.
 
1. C'est peut-être pour leurs mythes de la création du monde et de la naissance de la civilisation que les Sumériens sont les plus connus. Le grand apport culturel de ce peuple sur le plan des mythes fondateurs est sans aucun doute la notion de déluge universel. Ces histoires mythiques ont été reprises et adaptées au monothéisme.
 
2. Les Sumériens ont aussi légué à l'humanité les concepts de loi, de gouvernement et de vie urbaine
 
3. On leur doit également un système astronomique et mathématique qui permit de diviser le temps et l'espace en degrés ce qui allait, plus tard, aboutir à nos heures, minutes et à nos unités de mesure linéaire et astronomique, à la semaine de sept jours, et au découpage de l’année en douze mois.
 
4. N'oublions pas non plus la poterie et le développement de la roue à des fins de transport. Ces deux bonds en avant dans les domaines de la vie quotidienne.
 
5. Et enfin, comment passer sous silence LA grande invention sumérienne par excellence : "l'écriture". L'écriture permet à chaque civilisation de traduire sa pensée et d’en assurer la pérennité. Une sphère de civilisation englobe une population reliée par l’Écriture, elle-même relevant le plus souvent de doctrines - révélées ou non, - “axiomatiques” considérées comme fondamentales pour le mode de vie collectif de cette civilisation. « C'est une étrange chose que l'écriture. Il semblerait que son apparition n'eût pu manquer de déterminer des changements profonds dans les conditions d'existence de l'humanité ; et que ces transformations dussent être surtout de nature intellectuelle. La possession de l'écriture multiplie prodigieusement l'aptitude des hommes à préserver les connaissances. On la concevrait volontiers comme une mémoire artificielle, dont le développement devrait s'accompagner d'une meilleure conscience du passé, donc d'une plus grande capacité à organiser le présent et l'avenir. Après avoir éliminé tous les critères proposés pour distinguer la barbarie de la civilisation, on aimerait au moins retenir celui-là : peuples avec ou sans écriture, les uns capables de cumuler les acquisitions anciennes et progressant de plus en plus vite vers le but qu'ils se sont assigné, tandis que les autres, impuissants à retenir le passé au delà de cette frange que la mémoire individuelle suffit à fixer, resteraient prisonniers d'une histoire fluctuante à laquelle manqueraient toujours une origine et la conscience durable du projet. » Claude Lévi-Strauss, Tristes tropiques, 1955. 
Apparue il y a environ 5500 en Irak, l'écriture, base de toute civilisation durable, n'atteindra l'Europe que 3000 ans plus tard. Vers 1500 avant J.C., les Phéniciens, des libano-syriens, inventent l'alphabet. Les Grecs commenceront à l'utiliser vers le 9eme siècle avant J.C. et les Romains des siècles plus tard.
 
Premières doctrines de la civilisation en Europe
 
Dans les manuels contemporains de philosophie et de sociologie, la primauté dans la conception des doctrines de civilisation est le plus souvent octroyée à l’Allemand Oswald Spengler (1880-1936) et à l’Anglais Arnold Toynbee (1889-1975). L’Allemand a exposé ses points de vue dans son œuvre « Le Déclin de l’Occident » (La première partie fut publiée en 1918 et la seconde en 1922). L’Anglais consacra les douze volumes de son « Étude de l’Histoire » (1934-1961) au thème des civilisations. En ces moments de guerres menées par l’Occident contre l’Orient, la propagande occidentale fait souvent référence au sociologue américain Samuel Huntington qui a écrit 1996 son « Choc des Civilisations ». Tous ces travaux relatifs à la civilisation furent écrits et édités au XXe siècle.
 
Et pourtant, les premiers fondements européens de la théorie des civilisations furent établis dès le XIXe siècle en Russie. Ses fondateurs sont N.Y. Danilevski et K.N. Leontiev. Bien entendu, en Occident, les manuels de philosophie, de sociologie et de sciences politiques « oublient » de mentionner ces penseurs russes. Mais le lecteur averti peut constater que toute une série d’idées de Danilevski et de Leontiev furent recopiées sans vergogne par leurs collègues occidentaux, plusieurs décennies plus tard.
 
1- Dans la paire « Danilevski-Leontiev », la priorité en matière d’élaboration d’une théorie des civilisations revient à Danilevski (1822-1885) qui a exposé les idées fondamentales des types historico-culturels (c’est ainsi qu’il désignait les civilisations) dans son œuvre remarquable : « Russie et Europe » (1871). » Appréhendant l’humanité en tant qu’abstraction vide, il voit dans le type historico-culturel l’expression suprême et finale de l’unité sociale. A l’intérieur du cadre du type historico-culturel, il détermine quatre sphères fondamentales, ou sphères d’activités : l’activité religieuse, l’activité culturelle (sciences, arts, industrie), l’activité politique et l’activité socio-économique. La langue est le principe qui se trouve à la source du type historico-culturel et qui l’affermit. Danilevski énumère dix types de civilisations déjà manifestés au cours de l’histoire : égyptien, chinois, assyro-babylonien-phénicien (ou sémite ancien), indien, iranien, juif, grec, romain, sémite nouveau (ou arabe), et germano-roman (ou européen). Il considérait en outre que cette liste n’était pas exhaustive. Certains types de civilisation naquirent mais n’ont pas développé un aspect original ou autonome : ainsi en est-il de l’Amérique du Nord.
 
Disciple et continuateur de Danilevski, Leontiev a encore renforcé la dimension naturaliste de la sociologie de Danilevski. Leontiev compare la société à un organisme vivant. Pour Leontiev, la société ne peut exister sans un pouvoir d’État fort, sinon, elle verse inévitablement dans le chaos et l’anarchie. La condition d’existence d’un État fort est la disposition du peuple à se soumettre à celui-ci. Mais pas à n’importe lequel ; il doit être monarchique. On ne peut se soumettre à l’empereur autocrate (le monarque) et le servir que dans le cas où les gens le reconnaissent en tant qu’ « oint de Dieu ». Et pour pouvoir reconnaître la nature divine du pouvoir de l’empereur et le servir, les gens doivent croire en Dieu et Le craindre. Si le peuple ne craint pas Dieu, la société est condamnée à la désintégration, à la révolution, au chaos et à l’entropie. Le libéralisme est une forme, une manifestation, un signe de cette désintégration. Chez Leontiev, l’image collective de l’homme athée est « l’Européen moyen », une personnalité grise, matérialiste, bourgeoise. Le principal complément apporté par Leontiev à la théorie de la civilisation de Danilevski est la théorie des trois stades d’évolution de la civilisation ; les étapes de la jeunesse, la maturité et la vieillesse.
 
2- Arnold Toynbee définit une « civilisation » comme « un champ intelligible d’études historiques ». Ainsi l’Angleterre a une culture propre, avec sa langue, ses rituels sportifs et sa gastronomie particulière, mais elle ne constitue pas pour autant une civilisation parce que son Histoire est incompréhensible si on ne la relie pas à celle de ses voisins européens. Toynbee n’en admet pas moins des affinités et des passerelles plus ou moins intenses entre les civilisations elles-mêmes. Ainsi considère-t-il que les trois civilisations (occidentale, orthodoxe et islamique) sont issues de ce qu’il appelle le rameau syro-hellénique (pensée grecque et monothéisme oriental).
 
 « La classification de Toynbee, très historique et faisant une large place aux grandes religions, …. fournit finalement une morphologie et une typologie méthodologique du phénomène des civilisations, et conduit à une rare vision de synthèse planétaire de la métamorphose des sociétés auxquelles beaucoup d'historiens rendent encore hommage. » — Roland Breton, Géographie des civilisations, Paris, P.U.F., coll. Que sais-je.‎ 1991.
 
3- C’est en 1993 que l’Américain Samuel P. Huntington publia son désormais célèbre Choc des civilisations. Pour l’auteur, la défaite de l’Union soviétique avait mis fin à toutes les querelles idéologiques, mais pas à l’histoire. La culture - et non la politique ou l’économie - allait dominer le monde.
 
Il en dénombrait huit : occidentale, confucéenne, japonaise, islamique, hindoue, slave orthodoxe, latino-américaine et, peut-être, africaine (il n’était pas certain que l’Afrique soit vraiment civilisée !). Chacune incarne différents systèmes de valeurs symbolisés chacun par une religion, « sans doute la force centrale qui motive et mobilise les peuples ». La principale ligne de fracture passe entre « l’Occident et le reste », car seul le premier nommé valorise «   l’individualisme, le libéralisme, la Constitution, les droits humains, l’égalité, la liberté, le règne de la loi, la démocratie, les marchés libres  ». C’est pourquoi l’Occident doit se préparer militairement à affronter les civilisations rivales, et notamment les deux plus dangereuses : l’islam et le confucianisme, qui, si elles devaient s’unir, menaceraient le cœur de la civilisation. Et il conclue : « le monde n’est pas un. Les civilisations unissent et divisent l’humanité... Le sang et la foi : voilà ce à quoi les gens s’identifient, ce pour quoi ils combattent et meurent ». Netanyahou, G.W. Bush, Oussama Ben Laden, ou Sarkozy auraient pu signer sans mal une telle déclaration.

Le plus ancien théoricien de la civilisation est un Tunisien

Bien avant Auguste Comte ou Jules Michelet, on pourrait faire remonter la première ébauche des sciences sociales à l'œuvre d'Ibn Khaldoun. Né à Tunis en 1332, mort au Caire en 1406, Ibn Khaldoun est le plus connu des historiens arabes. Contemporain de Froissart, de Chaucer et de Pétrarque, il exerça diverses fonctions administratives au Maghreb (l'Occident, en arabe) et en Égypte où il occupa la haute charge de Grand Cadi (juge suprême). Le "Kitâb al-‘Ibar" ou « Livre des Exemples » est une histoire universelle monumentale à laquelle il travailla près de trente ans, et dont l’objet est la civilisation et la société humaine. Ce livre fait de lui non seulement un historien, mais, cinq siècles avant Auguste Comte, l’inventeur de la sociologie.
 
De ce penseur médiéval, Arnold Toynbee dit qu’il a « conçu et formulé une philosophie de l’Histoire qui est sans doute le plus grand travail qui ait jamais été créé par aucun esprit dans aucun temps et dans aucun pays »
 
Dans la "Muqadimma", les Prolégomènes, Ibn Khaldoun est conscient que sa démarche profondément novatrice rompt résolument avec l’interprétation religieuse de l’histoire qui prévalait jusque-là : « Les discours dans lesquels nous allons traiter de cette matière formeront une science nouvelle […] C’est une science ʺsui generisʺ car elle a d’abord un objet spécial : la civilisation et la société humaine, puis elle traite de plusieurs questions qui servent à expliquer successivement les faits qui se rattachent à l’essence même de la société. Tel est le caractère de toutes les sciences, tant celles qui s’appuient sur l’autorité que celles qui sont fondées sur la raison. ».
 
Tout au long de son œuvre, ce premier théoricien de l’histoire des civilisations souligne la discipline à laquelle doivent s’astreindre ceux qui exercent le métier d’historien : « L’examen et la vérification des faits, l’investigation attentive des causes qui les ont produits, la connaissance profonde de la manière dont les événements se sont passés et dont ils ont pris naissance. »
 
Ibn Khaldoun a pour champ d’étude uniquement la partie du monde qu’il connaît, pour y avoir séjourné : Andalousie, Maghreb et Moyen Orient. C’est dans ce cadre restreint qu’il élabore sa théorie cyclique des civilisations rurales ou bédouines (‘umrân badawi) et urbaines (‘umrân hadari). Pour lui, les civilisations sont portées par des dynamiques tribales qui fondent dynasties et empires. Ibn Khaldoun, témoin de la chute du monde musulman à son époque, a introduit, bien avant Leontiev, la notion de cycles. Il a expliqué les conditions de naissance, d’évolution et de ruine des empires. Pour lui, les empires naissent et disparaissent selon un mécanisme primitif : la violence. La violence coloniale a entraîné la chute des empires coloniaux français et britannique. La violence pratiquée par l’Empire américano-sioniste depuis la seconde guerre mondiale (Palestine, Corée, Viet Nam, Afghanistan, Irak, Libye, Syrie, Ukraine, etc.) devrait, selon cette théorie khaldounienne, annoncer la chute prochaine de cet empire.
 
En introduisant le cycle de vie, Ibn Khaldoun fut le premier penseur à avoir l’idée que les  catastrophes dans l’Histoire ouvrent la voie à de nouvelles “histoires”. D’autres penseurs ont une vision linéaire de l’Histoire.
 
La haine de l’Orient dans la culture occidentale
 
Les deux moments mythiques de la fondation culturelle européenne, la Renaissance et les Lumières, ont un point commun : la haine de l’Orient. La date charnière est ici la même qui sert à signer la fin du Moyen Age : la prise de Constantinople par les Turcs (1453), qui correspond aussi à la disparition du dernier émirat musulman d'Espagne (Grenade, 1492). 1492, c’est aussi la découverte de l’Amérique, qui se traduira par le génocide des Amérindiens et par la traite des Noirs.
 
Après la chute Constantinople, le pape Pie II, Enea Piccolomini (1405-1464), se demanda ce qu’allaient devenir les humanités. Il fut le premier à penser que l’Allemagne pourrait relever le gant de la culture humaniste. Dans la pratique, c’est en Italie que les humanistes grecs (des Orientaux orthodoxes) se réfugièrent massivement, contribuant ainsi à l’extraordinaire essor de ce que l’on a appelé l’ « humanisme italien » ou la « Renaissance italienne ». Vu par les historiens des Lumières, le phénomène n’eut ni cette grandeur ni cette beauté. Au contraire. Il peut se résumer ainsi : en 1453, l’Orient (grec) a fondu sur l’Occident romain.
Si bizarre que cela puisse paraître, pour ceux qui nous ont légué leur vision de l’Europe et de la « culture », les Grecs de Byzance n’appartenaient pas plus à l’Occident que les Sarrasins ou les juifs d’Espagne (alors que l'Espagne était alors la pointe extrême occidentale de l'Occident !). Pis encore, selon Condillac, c’est l’afflux de ces Orientaux (les Grecs) indésirables qui a empêché le goût occidental, le goût européen, de se développer en Italie. Pour Condillac et ses contemporains, les Grecs n’étaient pas des Européens, ils étaient des Orientaux (Comme les Russes aujourd’hui, et les Ukrainiens hier). Personne n’accepterait aujourd’hui ce verdict, puisque les Européens occidentaux d'aujourd'hui se sont appropriés la civilisation des barbares orientaux d'hier, les Grecs byzantins. On considère aujourd'hui que l’apport de l’humanisme byzantin à la Renaissance italienne est décisif. 
 
Ensuite, et surtout, les « Grecs » ont été définitivement rapatriés dans la conscience occidentale. Pourquoi ? Parce que les Occidentaux ont, entre-temps, trouvé d’autres « Orientaux » pour exercer leur ostracisme – les Arabes, les Sarrazins, et tous ceux qui leur ressemblent culturellement, les Turcs, les Iraniens, bref tous ces « Musulmans ». Les Occidentaux oublient que tous les Orientaux ne sont pas "mahométans", et que les Orientaux ont été chrétiens bien avant eux.
 
Érigé en père de la vraie Renaissance par Condillac, Pétrarque est le personnage central de l’instauration anti-arabe de l’humanisme occidental. De fait, c’est lui qui, le premier, lance l’idée plus tard reprise par Pie II : assurer la pérennité de l’héritage grec contre ses captateurs arabo-musulmans. Renan, ce singulier père de l’orientalisme, se fait l’écho complaisant de ce qu’il nomme les « violents accès d’humeurs » anti-arabes de Pétrarque, qu’il célèbre, d’ailleurs, comme « le premier homme moderne » (!), pour une attitude intellectuelle d’ensemble où la haine des Arabes tient la première place. Ainsi donc, l’anti-arabisme est la première figure historique du Risorgimento – il y va de l’Italie d’abord : mais il y va aussi de la chrétienté, puisque, pour Pétrarque, le fin mot de la pensée arabe est l’agnosticisme avérroïste, et l’averroïsme est une version médiévale du libertinage (une suite de « blasphèmes, de sophismes, de plaisanteries et de sarcasmes » dirigés contre « la religion chrétienne »). En faisant d’elle un seul et même obstacle au double retour à la Grèce et au Christ, où se rêve la latinité, Pétrarque transforme la pensée arabe en une étrangère absolue, puisque non seulement elle coupe les Latins de leurs racines grecques, mais encore elle détourne les chrétiens de la vraie foi.
 
  Hannibal GENSERIC
 
VOIR AUSSI :
L'Occident sénile. Une autre civilisation s’impose...
Une civilisation se termine et nous devons en bâtir une autre
Barbarie disent-ils…

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16 réactions à cet article    


  • Crab2 27 avril 2015 11:01

    Civilisation supérieure - civilisation inférieure - si c’est la question [ ? ] pour ce faire une idée, suite :

    Suivant le communiqué de Najat Vallaud-Belkacem ( daté du 24 Avril 2015 ) , Il n’est pas fait mention, en contrepartie, d’un enseignement du fait athée ou de l’histoire des philosophes athées depuis l’antiquité ni des philosophies de l’athéisme quand dans notre pays une française et un français sur deux se déclare sans religions – une omission d’autant plus grave qu’à notre époque c’est dans les pays dominés par les musulmans que sont assassinés ou emprisonnés des incroyants

    http://laicite-moderne.blogspot.fr/2015/04/agora.html

    ou sur

    http://laiciteetsociete.hautetfort.com/archive/2015/04/27/agora-5611207.html


    • Hannibal GENSERIC Hannibal GENSERIC 27 avril 2015 11:33

      @Crab2
       Manifestement, vous n’avez pas lu le début de l’article, dans lequel je précise qu’il n’y a pas de jugement de valeur sur une civilisation : il n’y a pas de meilleure ou de pire.

      "D’ailleurs, je ne suis pas certain que ce ministre comprend bien ce qu’il énonce, en raison du flou qui entoure le mot « civilisations » (au pluriel), employé en lieu et place du mot « sociétés ». On peut porter un jugement de valeur sur une société et considérer par exemple que la société fédérale allemande est plus estimable que la société nazie. Il n’en va pas de même d’une civilisation ou d’une culture, qui sont partie intégrante de chaque individu."


    • Diogène diogène 27 avril 2015 11:39

      Vous excellez dans la manipulation de ce que vous faites semblant de dénoncer.

      Votre article estune justification des thèses d’extrème-droite.
      Claude Guéhant ne représente que lui-même (et quelques vieux réactionnaires attardés).
      Pourquoi faire un amalgame ?
      Les courants idéologiques sont variés dans toutes les régions de la planète.
      Les notions d’orient et d’occident portent en elle-mêmes le fruit d’un conflit larvé.
      Cette histoire date de l’empire romain et de la rivalité entre Byzance et Rome.
      De l’eau a coulé dans le Bosphore depuis.
      Et peut-être en Tunisie ?

      • cathy30 cathy30 27 avril 2015 14:21

        La Russie en Orient !

        L’Orient c’est le sud. L’occident c’est le nord. Allez dire à un russe qu’il est oriental, je ne suis pas sûre qu’il prenne ça très bien. La Russie se trouve au nord, et le peuple russe est eurasien. 

        • Allexandre 27 avril 2015 18:17

          @cathy30
          Êtes-vous sûre de bien connaître vos points cardinaux ? La Russie est orientale par rapport à la France. Mais dire qu’elle est au sud ?? Au sud de quoi d’ailleurs ? Vraiment vous les accumulez !!!


        • cathy30 cathy30 27 avril 2015 22:25

          @Allexandre
          Je ne savais pas que la France était le centre du monde !


        • Depositaire 27 avril 2015 14:48

          Article intéressant, mais présentant des lacunes et des interprétations discutables.

          La principale interprétation, à mon sens, est celle qui veut que la civilisation date de Sumer.

          D’ailleurs, il est, quelque part, assez amusant de voir que toutes les recherches effectuées sur la période de Sumer et sur la civilisation, que l’auteur citent, sont d’origine européenne ! Hormis Ibn Khaldun, mais ce dernier quelque peu minimisé car se cantonnant à l’Andalousie, le Maghreb et le Moyen Orient. A croire qu’il n’y a que les occidentaux capables de définir ce qu’est une civilisation. Ce n’est pas dit textuellement, et je veux bien croire que l’auteur n’y pensait sans doute pas, mais le fait même que ce soit implicite en dit long sur le conditionnement subit.

          Mais là où je voulais en venir c’est dans le fait qu’il est considéré comme civilisé un peuple sédentaire qui créé un artisanat, (et non une industrie qui n’est que de date récente et fort peu civilisée puisque basée fondamentalement, non pas sur la satisfaction de besoins humains fondamentaux, mais sur la cupidité érigée en modèle à suivre.), comme si les peuples nomades n’étaient pas civilisés ? Pourquoi le mode de vie sédentaire doit être considéré seul comme référence à la civilisation ? C’est cela que j’appelle des interprétations discutables.

          Pourquoi n’y aurait-il pas eu des civilisations nomades ? Et surtout, pourquoi une civilisation doit-elle suivre un modèle spécifique ? Qu’est-ce qui l’oblige ? On voit bien en filigrane le conditionnement occidental qui veut que toute civilisation doit être sur le même modèle qui est celui qui est devenu celui de l’Occident considéré comme le plus évolué de tous. C’est clairement une interprétation.

          Par ailleurs, compte tenu de l’âge présumé de l’humanité, supposer que dans une période antérieure à Sumer, c’est à dire pas plus de 10 000 ans en arrière, il n’ait pas existé de civilisation digne de ce nom est une prétention assez grossière. Il y a là une grave lacune de la part de l’auteur. Il est très difficile de trouver des éléments probants sur la manière de vivre des peuples qui vivaient il y a des milliers d’années. A plus forte raison si on remonte à des centaines de milliers d’années ; Ils n’avaient, semble t-il, pas laissés de traces matérielles, de vestiges d’artisanat ou autre, ni de cités dont on retrouverait les ruines aujourd’hui, mais s’ils construisaient en bois, et pourquoi ne l’auraient-ils pas fait ? Il serait normal que l’on ne retrouve aucune trace.

          Et si ces peuples avaient un mode de vie simple et n’éprouvaient pas le besoin d’accumuler des tas de choses inutiles, comme aujourd’hui dans notre société de consommation, est-ce que cela en feraient des peuples non civilisés ? Au nom de quoi ?

          La « civilisation » occidentale, au vu et au su des dégâts qu’elle provoque ; si ces peuples de la lointaine antiquité en avait eu connaissance serait considérée par eux comme profondément arriérée et destructrice, une sorte d’anomalie monstrueuse au sein de l’humanité. On comprend bien qu’il est très facile d’inverser la proposition.

          Pourquoi l’écriture, l’artisanat, puis l’industrie seraient les seuls critères d’une civilisation ? Pour l’écriture la raison pour laquelle elle n’est pas plus ancienne tient à un fait pourtant facile à comprendre qui est la transmission orale et, dans le cas de l’artisanat éventuel, l’apprentissage de maître à disciple sur des années pour acquérir le savoir faire. Pourquoi auraient-il eu besoin de l’écriture ? Ces peuples avaient une mémoire extraordinaire que nous avons perdue.

          Quand on traite un tel sujet, intéressant, en lui-même, il faudrait élargir les champs d’investigation et essayer d’avoir une vue beaucoup plus large et se démarquer du conditionnement occidental. Ce qui n’est pas toujours facile.

          Le commentaire de Crab2 me parait tout à fait hors de propos. Il ne traite pas du tout du sujet et ne fait que ressasser son préjugé obsessionnel islamophobe. Cela amène à poser une question sérieuse sur son équilibre psychologique. Mais c’est son problème.


          • César Castique César Castique 27 avril 2015 16:10

            Le Ibn Khaldoun, dont vous nous entretenez, est bien celui qui a écrit :


            « Les Noirs appartiennent aux peuples à caractère bestial. Ce sont des sous hommes anthropophages et leur place est plus proche du stade animal. Les Noirs sont les seuls peuples adaptés à l’esclavage, en raison d’un degré inférieur à l’humanité. » ?


            • César Castique César Castique 27 avril 2015 18:50

              @OMAR

              « Si Ibn Khaldoun a réellement dit ou écrit cela… »

              Je vous renvoie au « Troisième discours préliminaire » et au « Premier climat » de la première partie des Prolégomènes.

              « ..ça serait la preuve que de grands connards, de petits merdeux de racistes… »

              Pour moi, ce n’est la preuve de rien du tout, parce qu’on ne peut rien comprendre du tout au passé si on le place sous l’éclairage des idées, théories et modes d’aujourd’hui.

              « Sinon, je vous laisse imaginer la suite… »

              Désolé, je ne vois pas ce que je devrais imaginer.


            • Gilles Mérivac Gilles Mérivac 27 avril 2015 17:03

              Tout cela, c’est du passé et n’intéresse que les historiens. Les civilisations ont le même destin que les espèces animales, elles représentent une solution à un moment donné et disparaissent quand elles ne réussissent plus à s’adapter.
              Dans la compétition entre les cultures, nous n’avons pas besoin de savoir quelle est la plus brillante ou la meilleure mais simplement laquelle est la mieux adaptée pour sa survie donc laquelle est la plus susceptible d’évoluer dans des conditions difficiles.


              • Allexandre 27 avril 2015 18:19

                @Gilles Mérivac
                Parlez pour vous !!! Vous avez le droit de ne pas être intéressé par le passé. Mais alors, votre compréhension du présent risque de poser problème.... Ce qui est bien le cas d’ailleurs...


              • Gilles Mérivac Gilles Mérivac 27 avril 2015 20:45

                @Allexandre
                Celui qui arrive à comprendre le présent à partir de la lecture de l’article est très fort, je lui tire mon chapeau. Je préfère passer sous silence votre minable petit sous-entendu.


              • Allexandre 28 avril 2015 09:46

                @Gilles Mérivac
                Ca vous arrange !! Mais une fois de plus, vous n’avez rien compris. Ce qui est sûr , c’est que vous devez sacrément bien comprendre le présent !!! J’ai d’ailleurs pu le constater dans un autre article. C’est fort !!


              • Gilles Mérivac Gilles Mérivac 28 avril 2015 18:58

                @Allexandre
                Quelle puissance dans les arguments et quelle force dans les points d’exclamation. Vous devriez en mettre quatre, cela porterait encore mieux.


              • HELIOS HELIOS 27 avril 2015 23:41

                ...article interressant, comme la recette d’une bonne sauce, sauf que l’auteur en décrit les ingrédients sans imaginer une seule seconde qu’ils se melangent ensuite.

                Les mecanismes exclusifs de chacun des concepts exprimés ne traduisent en aucun cas une attitude humaine, qui comme tout le monde le sait, est bien plus complexe et bien plus nuancée.

                Il n’y a pas, comme cela est suggeré, un homo occidentalis et un homo orientalus ou mahometicus. Il n’y a pas plus une religion monoteiste ou pas, dotée de visions spirituelles fondamentales (bonnes ou mauvaises)... il y a seulement des plans de coupe trans-société(ale) où, pour une période donnée, il y a une organisation, armée d’acteurs représentatifs, qui ont orienté cette société. Les autres plans de coupe se mélangent (tous se mélangent) pour permettre a l’homme et sa famille de survivre en bonne intelligence avec l’état de l’art culturel, technique et organisationnel.

                Il n’est pas nécessaire d’immortaliser une masturbation intellectuelle pour deduire que la mouvance des systèmes sociaux et religieux ne respectent pas une rigidité artificielle issu de cerveaux qui veulent tout codifier, cela existe depuis l’origine des temps...
                Il existe seulement une opportunité contagieuse de groupes sociaux qui cherchent a mieux vivre, a exercer leur pouvoir politique, economique ou culturel pour exister... et chacun defendant son beefsteak, defend son modele jusqu’a ce qu’un autre le remplace imposé ou choisi, renouvellant ainsi le « personnel » et tirant la ligne « civilisationelle » comme tweeter entraine les followers de ceux qui s’expriment sur cet outil de communication... et avec les outils disponibles comme ceux cités dans vos exemples (sedentarité, ecriture, monoteisme...)

                Il n’y a pas d’élément plus ou moins qualitatifs, il y a juste une optimisation des moyens pour exister a travers eux.

                Le seul personnage cité qui a apporté un éclairage bien plus opportuniste a la réalité (fumeuse) humaine est bien Hutington avec son choc des civilisations qui exprime, non pas de façon volontaire de la part des peuples leurs orientations différentes entre orient et occident (geographico-culturel), mais un vrai conflit, une divergence dans les choix d’évolution des axes sociétaux.

                Les orientaux favorisent une forme de souplesse, de limites floues, bref une reaction humaine qu’ils sont obligés de payer par une rigidité religieuse - l’homme a besoin de limites - par rapport...
                Alors que les occidentaux, probablement poussés par un developpement technologique deifié, se sont soumis un au systeme legaliste, judiciare disons, bornés et encadres dont la contrepartie est l’effacement du dogme et donc du fait religieux.

                Entre la liberté morale de l’homme occidental et sa loi inflexible matinée de regles infranchissables, et le dogme religieux de l’oriental que la douceur societale qui le baigne, l’affrontement est inévitable et c’est en cela que Huntington a eu raison.

                Alors qu’en est-il ? il faut évidement que les deux cohabitent car on élimine pas la moitié de l’humanité sur une simple décision sociétale. il faut s’adapter et le mélange se fera naturellement, les bouillonnements de la chair humaine se chargeront de faire éclore d’autres tendances ensuite faisant oublier les précédentes.

                En attendant, il est nécessaire de donner un centre, un berceau, une maison a chacune de ces tendances pour que la sélection naturelle se fasse sereinement a travers la volonté de chaque acteur.... et c’est justement cette absence de sanctuaire sociétal, culturel et même civilisationnel qui est attaqué par ceux qui se mobilisent pour détruire le grand destin de l’évolution humaine..
                Et c’est pour cela precisement, que si nous voulons trancender notre triste sort biologique,que nous devons imperativement respecter et faire respecter ces frontieres pour que (reference culinaire encore) l’huile et le vinaigre ne se melangent pas pour que chacun s’apaise, vive ses choix et regarde l’autre avec bienveillance.

                Haro sur les mondialistes donc, ces gacheurs de sauce, ces traitres mais haro egalement sur ceux qui encouragent les migrations déséquilibrant la fragile barque sur laquelle nous sommes enfermés... il faut bloquer la volonté de remplacement de l’ONU, comme la volonté des migrants de venir, autrement qu’a dose homéopathique dans « notre » espace.

                ouf, j’ai du trop manger pour ecrire des choses pareilles ! surtout, que comme je l’ai appris a l’ecole, il faut défendre tout et son contraire en quelques lignes (voir ma première phrase). bon, c’est vrai chaque article a le commentaire qu’il mérite !
                Allez, rien que pour cela je mérite quelques plussages (pour une fois)...


                • julius 1ER 29 avril 2015 08:36

                  …). Celles qui défendent l’humanité nous paraissent plus avancées que celles qui la nient. Celles qui défendent la liberté, l’égalité et la fraternité, nous paraissent supérieures à celles qui acceptent la tyrannie, la minorité des femmes, la haine sociale ou ethnique ».

                  @l’auteur,
                  les perles de Guéant , c’est toujours un grand moment de littérature ....derrière il y en a tout un florilège avec Chauprade, Estrosi,et consorts .....où comment remplir le vide sidéral de leur projet de société en alimentant les haines et les divisions !!!

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