Nouvelle offensive des Talibans de l’anglais !
Une brève de l'AFP sur un rapport du CNESCO (Conseil national d'évaluation du système scolaire) a donné lieu aux habituels clichés et à des reportages sur le bonheur de commencer l'anglais dès la maternelle ! Prélude à l'annonce de mesures par le Ministre de l'Éducation nationale (EN), dans quelques jours.
Ce fut l'occasion de voir en action le pire du journalisme, clichés habituels et simple illustration du dogme, sans aucune réflexion sur le fond du sujet (cf. L'Obs.)
La précédente offensive date de septembre 2018, à l'occasion d'un rapport que nous avions étudié en détail ici-même. Celui du Cnesco ne fait que reprendre les mêmes propositions.
Faisons un bref historique. L'idée de faire de l'anglais une matière obligatoire, au même titre que le français, les maths ou l'histoire-géo, date d'au moins 15 ans (le rapport Thelot le préconisait déjà). L'anglais aussi universel que les maths ou la géographie ! Ce serait lui reconnaître implicitement un statut de langue de l'UE, voire de langue de communication mondiale.
Mais, pour tenir compte de réticences prévisibles, la réforme du primaire (2007) avait prudemment été appelée "initiation « aux » langues" ! Quelques idéalistes qui n'avaient pas lu entre les lignes.. proposèrent effectivement ici ou là une autre langue, souvent dans les régions frontalières, parfois grâce à des intervenants extérieurs, des parents d'élèves. Mais ces bricolages locaux ne tinrent pas longtemps, il fut vite évident que, structurellement, l'anglais seul serait possible au primaire à 95% (chiffres officiels indisponibles...) Mais, of course, c'est la faute des parents !
Parallèlement, le même processus était en marche à l'échelon européen, un soutien permanent à l'anglais camouflé par le mantra du multilinguisme ! Car quelle est la langue de l'Union européenne ? Le multilinguisme, disent les textes et les naïfs, la traduction basée sur trois langues de travail, disent les autres. Non : si ceux qui travaillent à Bruxelles parlent souvent français ou allemand, dans les institutions et organismes de coopération européenne, c'est l'anglais qui règne seul (à l'exception du juridique).
Depuis plus de dix ans, les intérêts et lobbys en faveur de l'anglais travaillent à ce que ce soit irréversible et officialisé. (Par exemple, avec le programme Erasmus mundus dont l'immense majorité des cours destinés aux étrangers hors UE sont en anglais, sinon aucune chance d'obtenir l'agrément.)
École primaire ou UE, tout s'est fait insidieusement, pas à pas, sans débat, sans étude technique (rapport temps/bénéfice), sans vote ! Simplement par un rapport de force, comme au bon vieux temps du colonialisme où chaque empire imposait sa langue – rien de nouveau sous le soleil de la démocratie, fût-elle européenne ! On peut se demander si cette reconnaissance implicite de l'anglais n'est pas une sorte de tribut inconscient, une contrepartie au fait que le français est la seule langue qui garde un rôle important dans l'UE – à défaut d'être premier, soutenons le premier et soyons deuxième !
Sans préjuger des annonces du ministre, le lobby pro-anglais est donc en passe de réussir, même en France dont la langue rayonne bien au-delà de sa diaspora, sans que les « experts » et les médias se soient jamais interrogés sur la légitimité de l'anglais dans ce rôle, sur les fondements scientifiques de cet apprentissage précoce, sur la privation de liberté que représente l'obligation précoce d'une langue étrangère.
La plupart des parents ne se rendent pas compte du problème parce qu'ils savent que l'anglais est roi dans certains domaines professionnels (finance, ingénierie notamment), qu'ils y voient une chance pour leurs enfants, et parce qu'ils ignorent que l'on peut faire autrement. La plupart auraient choisi l'anglais, s'ils avaient eu à choisir... Ils ignorent qu'« experts » et médias déforment les faits, mentent ou manipulent, plus ou moins consciemment.
Quelques points doivent être rappelés sans lesquels tout débat est tronqué :
D'abord arrêtons toute hypocrisie : cessons de parler du « niveau en langues », de l'enseignement DES langues au primaire. Il ne s'agit que du niveau en anglais et seulement en anglais !
Les comparaisons défavorables sont faites avec les pays nordiques (Danemark, Suède) - pays dont la langue n'a pas de rayonnement international, qui enseignent à la fac EN anglais, et dont la langue n'actualise plus le vocabulaire technique : voulons-nous cela en France ?
Comparer l'apprentissage scolaire à l'apprentissage en immersion familiale ou à des pays bilingues est une manipulation.
L'anglais n'a d'autre légitimité que celle des rapports de force, une situation coloniale, qui fait que depuis toujours les empires ont imposé leur langue.
Si l'on se basait sur des études, des expériences, des critères techniques comme le rapport coût/bénéfice, difficulté/résultat, l'anglais serait un des plus mauvais choix comme langue européenne, en raison de sa phonétique complexe, irrégulière (les voyelles changent de prononciation, aucune règle phonétique, taux de dyslexie plus élevé). L'espagnol ou l'italien sont bien plus réguliers, et l'espéranto plus régulier et plus facile à apprendre.
On vante la diversité dans tous les domaines et on veut faire de nos enfants des spécialistes qui commençent l'anglais à 6 ans ! Le primaire est l'âge de la découverte, non de la spécialisation.
Le seul avantage de l'apprentissage précoce est l'aptitude musicale (ici phonologique) des enfants.
« Alors qu'il serait utile d'initier les jeunes enfants à la "phonologie" (étude du langage par les sons) », poursuit le Cnesco (Le Point). Oui, tout à fait, mais pourquoi se limiter à la phonologie de l'anglais ?
Pour profiter de cette aptitude, une autre organisation scolaire est possible : une intitiation aux sons et alphabets étrangers, par exemple comment prononcer différentes langues de l'UE . C'est le principe du projet EVLANG, qui avait déjà été expérimenté dans diverses écoles francophones. Après quoi, en 6e, classique choix d'une ou deux langues vivantes.
Un schéma type Evlang est moins coûteux, plus simple structurellement (pas nécessaire de former des milliers d'instits à un anglais « fluent », but qui s'annonce utopique et inflationniste)
On peut commencer jeune et ne pas atteindre un niveau « fluent », et réciproquement commencer tard et atteindre un excellent niveau (cf. mes précédents articles pour des détails sur ce point).
Quid de la liberté ? Doit-on choisir sa ou ses langues étrangères, ou doit-elle nous être imposée ? Qu'on soit pro-UE, sceptique ou contre l'UE, le fait que l'identité française se délite au sein d'une structure plus ou moins fédérale est inévitable. Il y a dix ans, l'idée d'imposer l'anglais à la maternelle eût soulevé un tollé ; maintenant, on le présente aux infos comme le bonheur suprême pour les boutchous ! Que ne dirait-on pas si l'on imposait le chinois ou le russe à la maternelle ! « Quoi ? On fait des expériences avec nos petits ? »
L'anglais première langue n'est pas la garantie d'une belle carrière comme l'espèrent nombre de parents, surtout si tout le monde en sait un peu. L'école ne peut concurrencer une certaine élite qui va aux USA ou en GB chaque été. Inversement, dans le commerce, par exemple, il est plus avantageux de connaître un peu de la langue du pays (par exemple en Amérique du Sd ou en Chine).
Le véritable enjeu de ces multiples rapports et propositions est l'anglais à lécole primaire. Attendons de voir quelles mesures vont être prochainement annoncées.
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