Lire entre les lignes : le Moyen-Orient entre gendarmes américains et arbitre chinois ?
La semaine dernière (mercredi 14 Juin 2023), alors que tous les regards des téléspectateurs étaient orientés vers la tératomachie russo-ukrainienne par les chênes info, le président de l'Autorité palestinienne et de l'État de Palestine Mahmoud Abbas (alias Abou Mazen, 87 ans)) et Xi Jinping (alias Xi Dada, 70 ans) ont tenu une conférence de presse et déclaré que la Chine continuerait à soutenir " la cause palestinienne et à lutter pour recouvrer ses droits nationaux, quels que soient les développements internationaux ", et continuerait surtout à fournir une assistance aux Palestiniens. Déclarations validées par la signature de quatre accords pour améliorer la coopération économique, technique, culturelle et de renforcement des capacités "entre les pays" (la Chine serait-elle demandeuse d'un aide économique, technique, culturelle de la part des Palestiniens ?).
Il faut rappeler, comme chacun sait mais a tendance à l'oublier, que l'État de Palestine (Dawlat Filastin en arabe), est un état souverain "de jure" (loi palestinienne) qui revendique son établissement sur les territoires palestiniens occupés, dont Jérusalem-Est. Ce pays est membre de l'UNESCO depuis 2011 et il a adhéré à l'ONU en 2012 en tant qu'observateur non-membre. Il est reconnu par 136 États dont la France (70,5 % des 193 États membres que compte l'ONU), mais pas par les États-Unis ni Israël, le Canada, l'Australie, l'Allemagne et la Suède, pays économiquement dominants.
Abou Mazen a remercié Xi Dada, rappelé que la Chine est favorable à une solution à deux états entre la Palestine et Israël, et renouvelé son accord pour participer à la tenue de conférences politiques sino-palestino-israéliennes en Chine pour examiner les moyens de faire progresser la paix au Moyen-Orient.
Ce soutien de la Chine à la Palestine n'est pas nouveau. On se souvient que Mao Zedong avait fourni des armes et des aides logistiques à Yasser Arafat dans les années 1960. La Chine a ensuite soutenu les initiatives palestiniennes dans les forums internationaux et voté pour faire de la Palestine un observateur non membre de l'ONU en 2012, et reconnu l'OLP qui a ouvert une ambassade à Pékin en 1974, ainsi que l'État palestinien que cette organisation a déclaré en 1988. Un soutien de poids dans l'"arène internationale".
Aujourd'hui, la "coopération" revêt d'autres formes. La Palestine participera à "la nouvelle route de la soie" et aux nouveaux objectifs affichés par Pékin par trois formules qui expriment, dans un langage codé mais facile à interpréter, les ambitions de "chef d'orchestre" de la chine :
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l'initiative de sécurité mondiale
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l'initiative de civilisation mondiale
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l'initiative de développement mondial
mesures présentées comme le modèle alternatif aux "normes libérales de l'occident" (multilatérales ou bilatérales en fonction de l'orientation du président des États-Unis en poste) en matière de relations internationales.
En fait, les diplomates chinois n'ont pas la prétention de trancher un nœud gordien qui n'en finit pas de se resserrer, mais les dirigeants comptent sur l'effet positif produit dans l'opinion publique internationale par l'espoir affiché d'une paix mondiale pour s'attribuer un succès géopolitique. Une stratégie aux antipodes des faucon atlantistes toujours prêts à en découdre avec les "ennemis de la démocratie" et pour prouver leur volonté de puissance hégémonique. Dominer par la force ou par la solidité des réseaux politico-économiques lentement tissés.
La tactique de la Chine passe par le soutien à l'adhésion à part entière de la Palestine aux Nations Unies en tant qu'état souverain et indépendant, ayant Jérusalem comme capitale, la préservation du statu quo dans les "lieux saints" de Jérusalem et la reprise des pourparlers de paix avec Israël sur la base des résolutions de l'ONU restées lettres mortes.
Mais quelle est la contrepartie dans ce deal ? L'intérêt croissant de la Chine pour la question palestinienne s'inscrit dans son positionnement stratégique concernant le Moyen Orient et ses relations internationales :
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d'abord, la Chine s'appuie sur son succès dans la négociation d'un accord entre l'Arabie saoudite et l'Iran pour étendre la paix régionale partielle qui en est résultée à l'impasse palestino-israélienne actuelle en mettant fin au conflit afin de protéger ses investissements croissants au Moyen-Orient .
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ensuite la Chine vise à devenir le leader mondial dans le rétablissement de la "paix économique" suspendue par l’application des "sanctions" américaines. Tout progrès vers la résolution du conflit palestino-israélien renforcerait cette image de volonté pacificatrice pacificateur en opposition à une politique répressive stérile sinon destructrice.
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enfin, en mettant l'accent sur une question d'égale complexité et importance, la Chine a pour but de contrecarrer la pression occidentale concernant les problèmes du Xinjiang, de Hong Kong, de Taïwan et de l'Ukraine, ce qui est rendu difficile par le contrôle des médias exercé dans les pays membres de l'OTAN, contrôle aussi efficace que celui exervé en Chine par le pouvoir.
Les deux derniers objectifs n'exigent pas nécessairement que la médiation chinoise réussisse à mettre un terme aux conflits, pas plus qu'à officialiser l'existence d'un état palestinien, mais ils sont susceptibles de conforter une image de virtuose de la diplomatie et de la médiation.
En réalité, sur le terrain et non plus dans les couloirs des ambassades, l'occupation et le système militaire de contrôle de la population palestinienne représentent pour Israël des objectifs nationalistes qui se sont radicalisés avec l'arrivée au pouvoir de l'Otzma Yehudit (littéralement, en français, "le parti Force juive") en la personne d'Itamar Ben Gvir. Or, pour négocier, il faut être deux, et ce ne sont pas des pressions diplomatiques ou des incitations commerciales qui feront dévier de leur trajectoire les suprémacistes israéliens.
Ce conflit, contrairement à celui qui opposait l'Arabie saoudite et l'Iran, n'est pas un conflit entre deux états sur un pied d'égalité. C'est entre l'occupé et un occupant qui se sent incontesté (puisque convaincu d'être incontestable) et enhardi par le soutien permanent de l'"Empire". Israël se dirige même vers une nouvelle annexion de terres palestiniennes. La croissance rapide des colonies israéliennes en Cisjordanie occupée a déjà rendu obsolète la solution à deux états.
Néanmoins, pour les palestiniens, l'intérêt croissant affiché par la Chine à leur égard présente des avantages, en faisant avancer les "accords d'Abraham" de 2020 avec plusieurs pays arabes qui ont permis aux États-Unis, en signe de protestation, d'isoler les Palestiniens qui avaient rompu les liens avec le gouvernement américain en 2017 et de réduire leur coordination sécuritaire avec Israël.
Or, dans une récente interview avec CNN, le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahu a déclaré que les négociations avec les Palestiniens n'étaient plus une priorité et que son pays s'en tenait aux accords d'Abraham validés et contrôlés par les États-Unis pourparlers leur application.
Du coup, les Palestiniens considèrent que le leadership des Chinois leur permettront de contrebalancer le soutien évident d'Israël par le américains dans les négociations. Bien que l'Autorité palestinienne (AP) reste dépendante des États-Unis et de ses alliés pour assurer sa survie économique, et alors que Washington augmente la pression sur les Palestiniens en coupant les vivres, le Président Abbas et son administration ont besoin de l'aide économique et du développement de la Chine.
Mais pour le moment, l'aide et les investissements chinois en Palestine restent insignifiants car les questions sur la légitimité nationale de l'AP et les divisions internes parmi les Palestiniens sont des obstacles à tout effort visant à lancer des négociations.
En même temps, l'évolution des relations économiques entre la Chine et Israël est ambiguë, car la Chine est le troisième partenaire commercial d'Israël dans ses échanges internationaux dont le volume est passé de 50 millions de dollars en 1992 à 15 milliards de dollars en 2020, même si la pression des États-Unis sur Israël pour qu'il freine ses relations avec Pékin a infléchi cette tendance. En 2020, Israël a mis en place un comité consultatif pour inspecter les aspects de "sécurité nationale des investissements étrangers", essentiellement pour analyser les accords avec la Chine comme des menaces potentielles pour la sécurité nationale, à la demande des États-Unis. Depuis, les investissements chinois en Israël ont ralenti et continueront de le faire, sapant la capacité de Pékin à utiliser le commerce pour négocier la paix.
Ces réalités pragmatiques signifient qu'il est peu probable que les efforts chinois soient fructueux pour parvenir à la paix entre Palestiniens et Israéliens, ce qui n'empêchera pas Pékin de continuer à poursuivre la médiation entre la Palestine et Israël, ce qui est conforme à ses propres intérêts, même si rien de concret n'est réalisé.
La Chine ne peut pas négocier la paix entre Israël et la Palestine comme elle l'a fait avec l'Iran et l'Arabie saoudite parce que le contexte et les rapports de forces sont totalement différents. Mais une démonstration de bonne volonté est préférable à des sanctions, et beaucoup plus positif pour son image de marque par rapport à la concurrence. Dans la fable, c'est la fourmi qui assure sa propre pérennité alors que l'été est fini et que la cigale se les gèle. Mais vous me direz : le monde n'est pas une fable ! Vous en êtes sûr ?
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