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Les cycles Kondratieff dans le remodelage de la configuration politique et économique du monde

 Nombreux sont les débats aujourd’hui sur le « cycle Kondratieff », qui d’ailleurs soulèvent à juste raison la question sur le sens des crises financières. La question sur le « cycle Kondratieff » est d’une importance capitale pour l’avenir du monde. Elle donnerait sens non seulement à l’existence de l’homme mais aussi à la flèche du temps humain.

 Qu’en est-il de cette « humanité qui se débat » dans ce mouvement sans fin de l’histoire. Une histoire constituée à la fois de développements et de régressions, d’avances et de reculs. A l’image même des cycles économiques, une phase ascendante suivie d’une phase descendante, et ainsi de suite. Au point qu’aujourd’hui, le progrès du monde ne se comprend plus, « avance-t-on ou régresse-ton ? » Les temps passés sont-ils meilleurs que ceux qui viennent. Et à cette question cruciale du sens de la flèche du temps, que se pose la question : qu’apporte l’approche de Nikolaï Kondratieff sur les crises économiques longs récurrents émise il y a 90 ans sur le sens de l’histoire ?

 

 1. Une incroyable dynamique de l’accélération du Temps. L’approche de Kondratieff

 

 Il faut rappeler seulement il y a un peu plus d’un siècle, les hommes se transportaient sur des carrosses tirées par des chevaux, ou utilisaient des charrettes pour transporter leurs marchandises. Le cheval, l’âne, à dos d’homme ou des attelages sur des hommes, y compris la navigation par la rame ou les voiles ont été les moyens privilégiés pour les déplacements et les voyages. Il n’y avait pas d’autres moyens, et après d’incroyables péripéties faites de découvertes scientifiques dans tous les domaines, inimaginables à l’époque, et d’applications sur le terrain du progrès, de guerres meurtrières qui ont au contraire accéléré le progrès et y ont concouru bien plus à l’évolution du monde, une démographie à peine perceptible qui s’est transformée aujourd’hui en menace au point que les Etats adoptent des moyens pour diminuer le flot des naissances. Le monde fit connaissance de l’automobile, de l’avion subsonique à l’avion supersonique, de l’énergie nucléaire, des vols spatiaux, la révolution dans la médecine, et aujourd’hui la toile mondiale d’Internet. La face du monde s’est vue radicalement changée par toutes ces avancées scientifiques et techniques que c’était inimaginable à l’époque, que le monde allait devenir ce qu’il est. Jusqu’à l’atterrissage le 18 février 2021 de la sonde américaine Perseverance sur Mars, suivie, trois mois plus tard, du rover chinois Zhurong qui s’est posé lui aussi sur Mars, le 15 mai 2021.

 N’est-ce pas une accélération de l’histoire en un peu plus d’une centaine d’années et d’une vitesse qui n’a pas son égal par le passé. En 3000 ans, le monde n’est entré réellement dans la modernité que depuis un peu plus d’un siècle ; depuis 1900, il faut le dire, le XXe siècle a été une véritable rupture avec les siècles passés ; un « siècle de transition » entre les environ 3000 ans passés et les mille ans à venir, le XXIème siècle préfigure déjà des changements intenses, considérables dans le comportement de l’humanité sur tous les plans.

 Précisément, cette incroyable dynamique de l’accélération du temps a été partiellement théorisée sur le plan économique par Nicholas Kondratieff, dès les années 1920. Ancien révolutionnaire russe, adjoint au ministre du ravitaillement des gouvernements, économiste brillant, il a pu observer que le capitalisme évoluait de manière cyclique. Une phase d’expansion économique est suivie d’une une phase longue de dépression, et le cycle de nouveau recommence, ce qui sous-tendrait que la phase de dépression porte en germe la phase d’expansion, i.e. la crise étant le moyen par lequel le capitalisme se réorganise. Cette thèse « contredisait déjà la théorie marxiste » qui affirme que la crise provoquerait la chute du mode capitaliste. La théorie sur les cycles lui valut d’être condamné par le régime soviétique au Goulag puis fusillé en 1938. A l’époque, le système soviétique était allergique à toute théorie qui remettait en cause l’idéologie marxiste d’où sa condamnation par le régime russe de l’époque.

 Malgré ses contradicteurs, le quatrième cycle de Kondratieff (1945-1992) – de nombreux économistes adhérèrent à la théorie de N. Kondratieff – fait ressortir la débâcle économique de l’Union soviétique. Elle cessa d’exister en décembre 1991. L’économiste russe a eu une vue prémonitoire. Cependant, l’histoire ne ment pas, tout événement qui surgit constitue une pierre dans l’édifice historique qui ne cesse de se construire, et se déconstruire pour encore se reconstruire. Le régime communiste a été une « aporie nécessaire de l’histoire » que le capitalisme a vite refermée comme une brève parenthèse de l’Histoire.

 La théorie de Kondratieff, en termes purement économiques, décrit une phase ascendante qui s’accompagne d’un excès d’investissements et donc l’octroi de crédits par les banques (création monétaire) qui provoque une hausse des prix. D’autre part, une phase ascendante fait généralement intervenir de nouveaux acteurs dans les échanges économiques, ce qui se traduit par une opposition d’intérêts et de concurrence, affectant les coûts sur les produits. La création monétaire et l’inflation qui en résulte qui provoquerait le resserrement monétaire (hausse des taux d’intérêt par les banques) ralentirait la production. Il s’ensuit un point de rupture durant lequel l’activité économique décline rapidement. La baisse des prix due à un excès de l’offre et à une baisse de la demande enclenche la phase de retournement. La crise apparaît au grand jour. Ce n’est qu’après que la phase dépressive ait expurgé ses excès que le cycle peut recommencer au cours duquel de nouveaux moteurs dans l’innovation économique apparaissaient. Moteurs qui n’existaient pas dans le cycle passé.

 Ainsi, si des phénomènes se répètent régulièrement sous l’influence de facteurs endogènes, et donc si le passage de la phase A à la phase B est endogène, causée par le déclin du taux de profit, le passage de la phase B à la phase A dépend pour sa part de causes exogènes qui n’avaient aucune raison de se produire nécessairement. Mais l’histoire confirme que le cycle qui revient ne procède pas à l’identique, que des causes exogènes entrent à la fois dans une nouvelle configuration du champ économique que dans le redressement durable qui permettent de renouer avec une nouvelle phase d’expansion longue.

C’est dans cette optique que Kondratieff semble identifier des cycles récurrents tous les 40 à 60 ans, en prenant pour référentiel la fin du XVIIIe siècle, époque jugée comme posant les assises d’une histoire économique structurée de l’humanité. Avant cette date, il n’y avait pas pour ainsi dire une économie à l’échelle-monde. Il fit ressortir à partir de cette date trois cycles longs :

Le premier cycle est daté de 1789 à 1849. La phase A a duré jusqu’en 1814, la phase B jusqu’à la fin du cycle.

Le deuxième cycle de 1849 à 1896. La phase A a duré jusqu’en 1873, la phase B de 1873 à 1896 qui fut l’époque de la Grande Dépression (déflation et dépression).

Le troisième cycle de 1896-1945. La phase A a duré jusqu’en 1920, la phase B jusqu’en 1945. Pour le dernier cycle, il ne voit pas la fin du fait de sa déportation et son exécution.
 

2. Les cycles, un écheveau où les crises sont des « instruments » pour faire aboutir l’histoire

 

 La plupart des économistes ne considèrent pas la théorie de Kondratieff comme suffisamment fiables. Les auteurs soviétiques qualifient cette théorie « d’erronée et de réactionnaire » (Encyclopédie citée par Eric Bosserelle, 1994, p.22). Ernest Mandel rejette l’idée de cycle systématique d’une cinquantaine d’années. Pour lui, les cycles sont influencés tant par la baisse tendancielle du taux de profit que par la lutte des classes qui module, de manière originale et à chaque fois différente, la durée du cycle (Mandel, 1980 et 1997, chapitre 4). Paul Samuelson parle de « science-fiction », il a changé néanmoins d’opinion ensuite. Joseph Stiglitz, dans ses récents Principes, déclare que le « terme de cycle suggère une certaine régularité qui n’existe pas dans la réalité ». Et si l’économie « fluctue », c’est de « façon permanente » (Stiglitz, 2000, p.465 et 673).

 Les critiques émises par les économistes, on ne peut en disconvenir, sont fondées. Il y a réellement un problème de normes de rationalité dans la théorie de Kondratieff, une norme exigée d’ailleurs pour toute théorie émise, et, pour qu’elle soit admise, le Kondratieff demande dans les débats un large consensus. Cependant, s’il ne recueille pas un large consensus, le Kondratieff ressort à chaque fois qu’une crise économique ne se résout pas rapidement. Présentant des singularités inexpliquées, les ressemblances avec les crises passées plus ou moins formelles, le cycle long, ou pour certains économistes des « ondes longues », demeure une énigme ; le sens de la crise qui resurgit reste toujours inexpliquée.

 Pour la compréhension des phénomènes de crise, ne faut-il pas sortir des explications classiques y compris des réfutations et critiques de la théorie de Kondratieff, et aborder le cycle comme l’a vu l’économiste russe non comme un simple processus cyclique récurrent, mais comme un phénomène qui se déploie et interagit dans le développement même de l’histoire. Le caractère cyclique des crises ne sont pas seulement une évolution périodique des prix et des crédits (une phase à la hausse, une phase à la baisse), mais un écheveau où les crises sont des « instruments » pour faire avancer l’histoire. Dans le sens que l’histoire d’aujourd’hui n’est pas l’histoire d’hier, et l’histoire de demain ne sera pas l’histoire d’aujourd’hui. Donc l’histoire de l’humanité avance selon une évolution qui s’inscrit dans le « continuum du temps », et c’est la raison pour laquelle les crises économiques sont ce qu’elles sont parce qu’elles sont complexes et appartiennent à ce « continuum temporel », dont on ne peut considérer que des parties et par abstraction. 

Même si les banques ont joué un rôle essentiel dans les crises, elles ne peuvent être seules au centre de l’explication. Parce que la question se poserait pourquoi les banques ont joué ce rôle en relâchant à l’excès le crédit. Pourquoi, au début du cycle, le dérèglement du système n’a pas été observé ? Ce n’est que lorsque l’excès du crédit est porté à son comble et la spéculation qui a suivi et a tendu les ressorts économiques à l’extrême pour que le retournement de la situation qui s’est opéré devenait inévitable. Le système dopé « artificiellement » ayant atteint ses limites ressemblait à une corde tendue qui rompait. (limite atteinte de la résilience du système).

 En réalité, dans toute crise économique majeure, il y a une « herméneutique » qui joue dans son développement, et son avènement a par conséquent un sens. On ne peut prendre argent comptant que c’est la « poussée spéculative des marchés boursiers et le relâchement des banques » qui sont les causes « essentielles » de la crise. Certes, le lien de causalité est certainement vrai sur un plan purement économique et financier comme la sanction prise par la Banque centrale pour arrêter la spirale spéculative. Bien que la Banque centrale soit la première responsable dans la crise puisqu’elle l’a « architecturée » par sa politique ultra-expansive, et elle était obligée de « procéder » à une reprise, une relance par la baisse des taux d’intérêt directeurs et ses injections massives de liquidités, il reste cependant que ce mouvement de cause à effet n’explique pas pourquoi le retour périodique des crises, une causalité de récurrence qui devient en plus énigmatique, une « fatalité » ; ce qui revient à dire que la Banque centrale ne pouvait agir autrement et donc que suivre les « oscillations du balancier économique et surtout « historique » qui régit le monde ».

 Il est évident qu’il y a une nécessité d’aller au-delà de la crise. Qu’il est nécessaire de procéder à une étude dépassant les critiques sur les cycles Kondratieff, en les replaçant dans leur contexte historique. Partant du principe que ce sont les peuples qui entreprennent, qui travaillent, qui spéculent, qui luttent, qui s’opposent… entrent en guerre, et tous ces événements qu’ils provoquent participent dans la marche de l’histoire.

Aussi peut-on dire que la science économique se fait par eux et pour eux, que la crise économique est avant tout une crise des peuples, une crise qui marque une rupture dans leur évolution, et c’est tout cela qu’il faut considérer pour tenter de comprendre le phénomène des crises. Dans le sens hégélien, une phase dépressive vient contredire une phase expansive pour se résoudre par son « dépassement ». Donc, les cycles de Kondratieff qui sont décriés par les économistes peuvent être une approche tangible pour l’explication des crises économiques dans le développement de l’histoire.

 Si on y fait appel aujourd’hui, et qu’un débat de nouveau sur le Kondratieff mobilise des économistes, c’est que le niveau de connaissance atteint par la science économique aujourd’hui n’est pas à même de satisfaire la raison humaine. Et la raison humaine est raisonneuse par essence, elle cherche à comprendre et tout procédé, combien même il est herméneutique, et aucun hermétisme ne pourrait la rebuter sauf s’il ne s’inscrit pas dans la dialectique de la raison.

 

3. Les causes exogènes reviennent à chaque fois sur les causes endogènes pour changer le cours de l’histoire-monde

 

 La crise que traverse le monde aujourd’hui, depuis 2020, avec l’irruption de la pandémie du Covid-19 et la guerre en Ukraine qui a encore bouleversé l’économie mondiale, surtout avec la hausse des cours énergétiques et alimentaires, et ont fait envoler l’inflation, et la « langueur » de cette nouvelle phase, doit nous interpeler pour nous interroger sur les nouveaux phénomènes que véhicule cette crise.

Depuis 1929, il n’y a pas réellement eu de progrès dans la compréhension des crises économiques et les conséquences qu’elles entraînent en matière d’emploi, de baisses de production, d’investissements, de hausses de déficits budgétaires, d’endettement, amenant les Etats de plus en plus à un repli sur soi.

 Si le troisième cycle 1896-1945 et le quatrième cycle 1945-1992 se sont complètement achevés, le cinquième cycle n’est encore qu’à la phase A qui s’est achevée en 2014, et nous nous trouvons transportés dans la phase B, tout compte fait, cette période n’est-elle pas de nouveau qu’une « Grande Phase de transition » de l’histoire de l’humanité.

Il est possible qu’aujourd’hui encore, le monde se trouve dans une bifurcation de l’histoire. D’autre part, si on analysait très brièvement le troisième cycle 1896-1945, et ses deux phases ascendantes et descendantes, on s’apercevrait que les deux phases n’ont pas été uniformes. La phase A qui va de 1896 à 1920 est traversée par une période de croissance avec un point de rupture en 1914 (déclenchement du Premier conflit mondial), entraînant une décroissance économique mondiale. La phase B qui va de 1920 à 1945 est elle aussi marquée par une période de croissance dans les années 1920 avec un point de rupture en 1929 (le krach de Wall Street) et la Grande dépression qui suivit dans les années 1930,à l’issue de laquelle un autre point de rupture a surgi en 1939 et a rompu le système-monde, qui s’est trouvé plongé dans un Deuxième conflit mondial.

A la fin de la Deuxième Guerre mondiale, s'est opéré un bouleversement de l'architecture géopolitique du monde ; elle a complètement changé avec le début de la décolonisation du monde ; à la fin des années 1980, le nombre d’États-membres de l’ONU passent de 53 nations à 154 nations ; l'ONU compte aujourd'hui 193 pays membres.

 Ceci pour montrer qu’il y a réellement une idée de progrès historique dans la succession des cycles comme on le constate dans l’évolution du monde. Ce qui signifie que les événements qui ont surgi au cours des phases des différents cycles portent en eux une dynamique positive dans la marche du monde.

Précisément cette dynamique qui a changé la face du monde avec plus de 100 nations devenues indépendantes entre dans le processus du quatrième cycle Kondratieff 1945-1992. Il présente, comme les cycles précédents, deux phases distinctes. La phase A que l’on qualifie communément les « Trente glorieuses » ; elle va de 1945 à 1973. La datation n’est évidemment qu’une approche. On peut attribuer la fin de la phase A en 1971 avec le déclenchement des crises monétaires et la décision unilatérale américaine de suspendre la convertibilité du dollar en or à cette date. Il est évident que le problème se trouve surtout dans les conséquences et le retournement du cycle qui a commencé avec le premier choc pétrolier en 1973 ; les pays arabes, lors de la quatrième guerre israélo-arabe, avaient quadruplé le prix du pétrole tout en maintenant le dollar monnaie de facturation de leurs exportations de pétrole.

 Ce processus historique qui n’était pas prévu mais cependant entrait dans la dynamique du monde, il prenait date depuis les accords de Bretton Woods, en 1944, qui ont fait du dollar la monnaie mondiale jusqu’en 1971, seule monnaie convertible en or jusqu’à la convertibilité des monnaies européennes en 1958. Mais juste, après 1944, un autre événement est venu dans un certain sens conforter le dollar-or, lui donnant en quelque sorte une « assurance de survie ». En effet, la rencontre du 14 février 1945 sur le croiseur USS Quincy (CA-71) entre le roi Ibn Saoud d’Arabie saoudite et le président des États-Unis Franklin Roosevelt, de retour de la conférence de Yalta, en Crimée, scella le pacte du Quincy entre la première puissance mondiale et le premier exportateur de pétrole du monde.

A la fin des années 60, le système monétaire international basé sur le dollar-or va montrer ses limites ; les pays européens et le Japon devenaient de plus en plus réticents dans leurs commerces avec les États-Unis qui le réglaient avec des dollars qui ne correspondaient plus à la valeur de 35 dollars l’once d’or, change arrêté par les accords de Bretton Woods. Enregistrant des déficits commerciaux qui sont devenus structurels dès la fin des années 1960, les États-Unis finançaient leur surplus d’importation de biens et services par la création monétaire (planche à billet).

Face au refus des pays d’Europe qui exigeaient de l’or pour leurs échanges de biens et services au lieu des dollars, les États-Unis, ne pouvant plus les satisfaire, ont mis fin, le 15 août 1971, à la convertibilité du dollar en or. Leur stock d’or qui a fortement baissé avait atteint une ligne rouge. Ces crises monétaires entre les États-Unis et le pays d’Europe découlaient en fait de l’évolution du monde, de 1944 à 1971 ; des formidables bouleversements géopolitiques en lien avec la décolonisation pratiquement entière du continent africain et d’une grande partie de l’Asie.

Les crises monétaires entre les États-Unis et l’Europe étaient en fait d’essence mondiale. Le dollar-or du système de Bretton Woods n’a pas pris ni ne pouvaient prendre en compte la configuration future du monde. Les Deux Guerres mondiales, dans l’esprit des décideurs américains, et le système Bretton Woods conçu par le secrétaire au Trésor américain de l’époque, Harry Dexter White, limitaient les accords aux seuls partenaires européens, le reste du monde ne comptait pas, il était colonisé ou ceux qui ne l’étaient comme les pays d’Amérique latine, ils dépendaient des monnaies occidentales, donc largement dominés sur le plan monétaire.

Se comprenait alors sur le plan historique le pacte du Quincy avec l’Arabie saoudite, l’avènement du « pétrodollar » permettait de nouveau aux États-Unis de répercuter leurs déficits commerciaux sur les pays du reste du monde. Les pays d’Europe et le Japon qui refusaient les dollars américains entre 1971 et 1973 ou mettaient des conditions puisque le dollar n’était plus adossé à l’or, le système de change fixe est passé au système des changes flottants, se sont trouvés obliger à acheter massivement des dollars US pour régler leurs importations pétrolières en provenance de l’Arabie saoudite et des autres pays arabes. Tous les pays du cartel pétrolier, l’OPEP, se sont alignés sur l’Arabie saoudite, exigeant aussi des dollars US pour la vente de leur pétrole. 

De nouveau, le dollar, en tant que monnaie de facturation du pétrole, devenu le « pétrodollar » aura une mainmise presque absolue sur le système financier et monétaire international. Avec une nuance cependant, les pays d’Europe, en tant qu’émetteurs de monnaies internationales, les principaux pays tels le Royaume-Uni, l’Allemagne de l’Ouest, la France, et le Japon, une puissance asiatique qui s’est hissée au deuxième rang mondial, après les États-Unis, ont aussi latitude d’user de la planche à billet (création monétaire), selon leur taille et leur poids sur le système financier et monétaire international. Et ce sont les marchés monétaires qui règlent entre les monnaies occidentales leur taux de change. Sauf que lorsque les États-Unis répercutent leurs déficits extérieurs sur les pays du reste du monde, les pays d’Europe et le Japon, pénalisés par la hausse des prix du pétrole (chocs pétroliers), ont, en tant qu’émetteurs de monnaies internationales, une parade, la création monétaire, pour répondre à leurs déficits commerciaux. En clair, ils répercutent leurs déficits sur les pays du reste du monde.

En réalité, que les États-Unis, les pays d’Europe et le Japon monétisaient leurs déficits extérieurs, cette monétisation ex nihilo était utile pour les économies africaines, asiatiques et sud-américaines, ces pays ont besoin et toujours de monnaies internationales. Le problème qui s’est posée à l’époque, c’était la hausse de l’inflation due aux émissions monétaires désordonnées par les puissances occidentales ; chaque puissance cherchait à sauver son économie.

 

4. La formidable « herméneutique dynamique positive » de la marche de l’humanité.

 

 Que peut-on dire de cette partie de l’histoire ? Elle montre simplement que l’évolution économique du monde est rationnelle ; toute crise, tout retournement d’une situation politique et économique donnée est liée à une transformation de l’architecture mondiale. L’avantage du cycle de Kondratieff est qu’il porte sur une période suffisamment longue, où la transformation du monde est une réalité, le monde n’est pas figé. Comme, on le constate, avec l’irruption de nouveaux acteurs dans l’après-guerre 1945. Aussi peut-on dire qu’aux causes endogènes se sont greffées des « causes exogènes ». Précisément, ce sont les facteurs exogènes qui, tout en influant très fortement à la fin de la phase A, vont de nouveau peser sur la phase B du quatrième cycle au point qu’ils provoqueront encore un « remodelage de la configuration économique et politique du monde ».

Pour ne rappeler que l’avènement de la république islamiste d’Iran qui a entraîné deux guerres, la guerre Irak-Iran et la guerre Afghanistan-Union soviétique, et le relèvement du taux d’intérêt directeur de la Banque centrale américaine (Fed) qui a provoqué un « endettement mondial ». Pour ce dernier, un simple relèvement d’intérêt de 10% à 20% en 1980, à l’époque, décidé par l’argentier américain Paul Volcker (1979-1987) a provoqué un véritable désastre sur les trois continents (Afrique, Asie et Amérique du Sud) ; le désastre débouchera par la paupérisation des peuples sur l’émergence d’une nouvelle reconfiguration du monde ; l’Union soviétique cessera d’exister en décembre 1991 ; de nouvelles républiques de l’ex-URSS et la Russie émergeront dans cette phase B du quatrième cycle économique, comme ce qui s’est passé après la fin du troisième cycle Kondratieff, l’après-1945 ont complètement transformé l’architecture géopolitique du monde.

C’est dire que le Banquier central américain Paul Volcker qui lui ne faisait que combattre l’inflation à deux chiffres dans les années 1970, et combattaient en même temps les Banquiers centraux européens et japonais – il faut le dire que l’enjeu se jouait sur la prééminence sur la donne monétaire sur le plan mondial –, ne savait pas en fait que l’histoire dans sa décision de relever le taux d’intérêt directeur de la Fed avait déjà donné le la à la marche de l’histoire de l’humanité. Il y a donc une formidable « herméneutique dynamique positive » qui se jouait dans le développement de la marche de l’humanité.

Dans une prochaine analyse, nous terminerons le processus du quatrième cycle Kondratieff en montrant que les causes exogènes jouent toujours, et entameront le cinquième cycle de Kondratieff. Et nous sommes aujourd’hui dans la phase B du cinquième cycle économique mondial. Qu’en sera-t-il de la phase B ? Et après la pandémie Covid-19, et la guerre en Ukraine en cours sur laquelle tous les regards sont braqués, que préfigure-t-elle ?

Ce n’est pas du tout évident aujourd’hui sur ce qu’il en ressortira. Y aura-t-il des rebondissements géostratégiques comme les cycles économiques passés ? Une nouvelle reconfiguration de la carte politique et géopolitique du monde est possible. L’Occident passera-il la main à la Chine ? La Russie en ressortira-t-elle victorieuse du bras de fer avec l’Europe et les États-Unis, sur l’Ukraine ? La Russie et la Chine resteront-elles des alliés face à l’Occident ? L’Occident et la Russie pourraient-ils de nouveau se rapprocher et la guerre en Ukraine n’aura été qu’un processus nécessaire pour leur faire prendre conscience qu’ils gagneront en s’alliant plus qu’en s’opposant. Comme cela a été naguère entre l’Allemagne et la France.

 Un constat cependant, force d’admettre que, dans les cycles économiques, ce sont « les causes exogènes qui reviennent à chaque fois, directement ou indirectement, pour donner aux causes endogènes un nouveau souffle à la marche du monde, et ce faisant à l’économie mondiale. Par le truchement des cycles économiques, les situations s’éclaircissent, rebondissent pour de nouveau baissent et se stabilisent. Qu’en est-il réellement de ces phénomènes qui interagissent par saccades dans l’évolution de l’humanité ?

 Aussi peut-on dire que la science économique s’est aujourd’hui beaucoup enrichie de concepts et d’histoire économique, qu’un temps long est passé, que le monde n’est plus à la traction par le cheval ou par l’âne, le temps des charrettes et des carrosses pour le transport des hommes et des marchandises est passé. L’homme est à l’ère des TGV, des avions supersoniques, de l’énergie nucléaire, des sondes posées sur la Lune, sur Mars, la prospection des espaces interplanétaires, l’homme doit mieux appréhender les failles du système économique mondial, et bousculer si nécessaire les concepts admis d’autant plus que l’histoire est là, elle lui offre suffisamment de recul pour qu’il creuse, qu’il s’efforce à comprendre le sens de la marche du monde.

 Mis à part les cycles courts de Juglar, Kitchin, il n’existe pas d’autres théories qui traitent un sujet aussi éminemment important que le cycle économique long. Sorti du « voile économique », le cycle économique long peut offrir une meilleure vision comparative, une meilleure compréhension de l’évolution économique et politique du monde.
 

Medjdoub Hamed
Auteur et chercheur spécialisé en Economie mondiale,
Relations internationales et Prospective

 


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1 réactions à cet article    


  • pasglop 1er juin 2023 20:50

    Je me demande ce que Kondratieff aurait pensé du trilemne de Rodrik...

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