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Les Anges du Stritouère

Je ne savais pas ce qu’était « Off-White », marque de vêtements et accessoires « de rue » ou streetwear, jusqu’à ce que, passant devant la fière église parisienne de la Trinité dans le neuvième arrondissement, je me sois piqué les yeux d’art marchand(t).

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Une pub géante sur l’échafaudage de l’église en phase de rénovation enfonce la marque dans les yeux du badaud en long, en large et en travers. L’affiche met en scène un quartette d’outre-tombe qui l’épie de son haut pour lui refiler de la frusque à prix coûtant (cher) dans toutes les nuances de gris. De la série noire au blanc cassé.

Adieu ciel bleu, adieu les cloches. De ses hauteurs brouillées, le Marketing vous dépêche ses anges maussades, vêtus ma foi comme vous et moi, pour vous chanter son cantique rappé : « Believe me ! ». Nous aurons des anges comme ceux-là jusqu’en 2024, a dit Le Parisien.

 

Il y a une échoppe qui vend Off-White, près des Tuileries. Deux ou trois étages égayés par le même type d’officiants solennels en activité relative. S’ils vous suivent de près, croyez-les : ils ne vous rateront pas. Quand on se balade en stritouère (parlons patwa) dans une boutique de stritouère, on se fait soupçonner de street life et de street probity, que voulez-vous.

 

Le « streetwear » c’est en fait ce que presque tout le monde porte dans les rues des villes. Tailleurs, vestons, manteaux artistement boutonnés, gabardines, robes de printemps qui volent au vent, volants, dentelles, broderies, petites laines soyeuses, taffetas, velours, tergal, finitions scrupuleusement mignotées ?… Du passé.

Je, tu, il, elle, nous portons en cheminant du stritouère, pas cher, confortable, synthétique, cousu par des petites mains parfois toutes petites dans de lointaines contrées. Affirmer sa différence ? Impossible, il y faut les moyens ou mettre la main à « la patte ». Hors des rues, dans les clubs privés, dans les logis de luxe, à domicile avec une machine à coudre, les gens sont parfois élégants avec originalité. Mais toi, street-untel ? Enfile ta salopette (1500 € chez Prada Men. Off-White n’habille pas les prolos).

C’est Tati qui s’est reconverti, direz-vous, mais dans les beaux quartiers. Noblesse oblige, hey.

Oh yeah, mais il y a une petite nouveauté depuis l’irruption de cette affiche géante.

Le Refuge, le Dispensateur de Parole, le Consolateur des Affligés, le Palais des encens, la Galerie d’Art gratuit, le Lieu de toutes vos ferveurs et du pardon de vos péchés, la Tribune du prédicateur, ce n’est plus l’église au cœur du village.

Et même plus la Télé, délogée par les réseaux sociaux.

C’est Off-White.

Baskets à 400 €.

Un client sceptique (commentaires Google) :

 « J'ai du mal avec l'idée de streetwear à prix d'or qui est un non-sens... »

Ailleurs :

« Nous attendons depuis plus de 30 minutes. Le vigile laisse passer des étrangers...  ».

Comment ça, des étrangers ? Supposons, sur visionnage de films d’avant 1980 que le non-étranger à Paris soit un Blanc en état de marche (donc pas cassé). « Étrangers » les clients parce qu’ils ne seraient pas de teinte exactement neige, comme la marque ?

Que nenni. Le client qui fait la queue éclaircit le mystère : s’il vous brûle la politesse, c’est parce que le coupeur de file « a bien sûr de l’argent de suite  ». Et comment le sait-il, le vigile ? Il lui a fait les poches ? Non pas lui, pas encore. Il sait tout parce que le coupeur de file porte un beau costume bien coupé qui respire la carte Gold.

Google encore, à propos du magasin :

- Quel est prix du sweat à capuche le moins cher ? 

- Je ne sais pas, mais c’est très cher.

- Si tu ne peux pas le revendre dans ton quartier, n’essaie même pas de l’acheter.

Ah donc il s’agit d’acheter pour revendre dans son quartier…

Encore un truc américain.

À l’origine, c’est la chose d’un certain Virgil Abloh, surgi de Chicago comme Obama.

« Virgil Abloh, fils d’immigrés ghanéens, inaugure en 2009 un espace à mi-chemin entre la galerie d’art et la boutique de mode et de design, à Chicago. Baptisé RSVP Gallery, ce lieu attire alors la jeunesse américaine en quête d’une dose de « cool ». Repéré par le rappeur Kanye West, Virgil Abloh intègre vite son cercle rapproché et devient son « directeur artistique ».

Pour vos dévotions dorénavant, allez vous recueillir aux rayons du mag, qu’une initiée décrit ainsi sur les commentaires Google : « Belle boutique, typiquement Off-White : basique et industrielle. Vêtements, accessoires, baskets, lunettes de soleil, accessoires pour la maison...  ».

Tous articles bientôt en vente dans l’église de la Trinité (no, no, fèque niouze et rigolade !), à l’étal sur l’autel, servis par des officiants et chaisières tout pénétrés de leur mission. Leur degré d’amabilité dépendra de votre générosité à la quête. Petites gens à Visa prolétarienne, s’abstenir : nous voulons de l’or contre nos fils tramés.

Le regard vitreux des néo-bedeaux vous renverra rapidement à votre place assignée : la rue. Vous voulez vous faire oublier sur les bancs du fond avec votre monnaie blanc cassé ? Il n’y a plus de bancs, comme dans le métro. Allez, dehors. Dehors, pécheurs impénitents ! Le diable ne veut pas de vous. Allez à Dieu, donc.

Ce qui est un bon conseil, après tout.

 

Off-White, figurez-vous que c’est une marque de frustes frusques dans la tradition fringuaise, genre Dior ou Yves-Saint-Laurent d’Après : elle s’adresse aux riches étrangers et aux moyennes gens qui, accablés sous le poids de la servitude du col-blanc (plutôt blanc cassé en fin de journée, le col) voudraient ressembler au saltimbanque, à l’oiseau qui voltige d’un bord à l’autre, d’un gîte à l’autre, qui picore dans la rue sans souci du lendemain. Le col-blanc lié de partout s’envisage équilibriste, voyageur, navigateur solitaire, cow-boy « far away, far away from home... » et from taf. Échappé du réseau ou plutôt de la toile d’araignée.

Mais il est raisonnable, le client. Son deux-pièces et son emploi ont quelques avantages qu’il ne délaissera pas. Far away far away from chôme, voilà sa prière quotidienne tandis que, tourné vers le Levant, il déglutit en toute hâte son expresso matinal.

Plus tard, serré dans le RER ou coincé sur le périphérique, il y réfléchit à deux fois.

 

Dieu merci, il existe des ramasseurs de rêverie sur boulevard périphérique qui de l’impalpable font leur pelote mohair. Tu veux être un oiseau, petit ? Tiens pigeon, voilà du grain à moudre. Tu veux valser sur la corde raide, exécuter la double culbute, sans filet, bel acrobate des aurores blanc cassé ? Mais comment donc !

Buy me, jeune madame, c’est moi qui t’achète ! Tu feras partie du Club. Quand c’est la mode qui s’en mêle/s’emmêle, il faut marcher avec son temps sur souliers «  out of office  » au prix avril de 475 €. Pense printemps !

 

Ms DRH ne savait comment se chausser pour trouver son prince. « Bousculant les conventions du monde du luxe  » comme dit Le Monde, elle s’échappe des tours de La Défense. Les conventions bousculées et ses soupirants Tinder hurlent à la mort, mais rien n’y fait.

Vite, chez Off-White ! C’est un p’tit cordonnier, c’est un p’tit cordonnier, qu’a eu sa préférence lonla, qu’a eu sa préférence.

 

Ms DRH rêve.
La vie de migrant, quelle liberté. En chaussant ses pantoufles, elle sera libre. Tel cet elfe émigrant aux mille tours de rue qui se déplace sur l’échiquier au gré des dameurs de pions.

Mettez-vous à la place de cet homme des impasses :

Vous achetez une paire de baskets blancs à Barbès, vous leur collez une petite étiquette presque authentique d’une marque courue, vous vendez le tout à la sauvette à un vrai marcheur en besoin dans les couloirs du métro. Le soir-même, la paire de baskets aura pris un ton blanc brisé et même rayé. Off white, très tendance. Et hop , un bon trente pour cent dans la poche.
Ms DRH trouve son elfe sublime. Quand il aura réussi, elle l’épousera.

 

Le client d’Off-White n’est pas le patron mais il fera comme si. Il n’est pas une lumière mais se situe en marge du réverbère. Pas un fantôme mais un être à peine plus lourd que l’air, tout transparent. « I support sport for change » crie ce rebelle via son T-shirt. (Je soutiens le sport pour que ça change).
Une façon comme une autre de pratiquer l’omerta et soutenir la spéculation.

 

Les mannequins d’Off-White, qui portent l’image de la marque, se veulent impitoyables autant qu’hédonistes. Ils sont Le Parrain dans sa fleur. Mais comment pourraient-ils payer cash les slim pants à 1000 € ? Maman travaille en crèche pour un smic. L’argent pour la daronne, c’est le boulot, c’est le loyer, c’est les courses et ça ne se jette pas aux corbeaux, fussent ils blanchis à la javel.

Heureusement qu’il y a le deal, qui paie tant qu’on ne se fait pas gauler, c’est à dire en fait pas trop longtemps.

 

Ainsi donc, le dealer viendrait en off chez Off-White blanchir son pognon off. Comme l’art contemporain, sa paire de lunettes fumées en plastique a une valeur d’échange. Il est admis qu’elle vaut 390 €, même si son prix de revient est de 3 €. Il pourra toujours échanger les besicles contre un gros paquet de foin qui rend bête, le jour venu. Les sapes et les accessoires, ce sont les économies du dealer.

Du coup, mama décide de chômer. Pourquoi se fatiguer à torcher des gosses ? Elle n’en regardera que mieux les séries Netflix. Elle est désormais bien fournie en baskets blancs, beige, gris. Elle porte un joli foulard d’inspiration Chicago à plus de 300 €. Les tons de sa vie un peu sombre ont viré à l’off-white et son humeur au white spirit.

 

Soyons justes, les vêtements de Virgil Abloh revus et corrigés par la France sont attrayants dans l’ensemble. Sinon on ne se bousculerait pas pour les acquérir.

Il nous reste la petite touche de style.

 

Feu Virgil Abloh, qui prenait comme un hommage le fait d’être copié sans copyright a vu rouge quand la contrefaçon lui a fait perdre une bonne marge de profits. Les gens ne voyaient pas trop la différence entre ses capuchons de marque et ceux du petit voisin. Alors évidemment...

 

La recette anti-copie, c’est la haute qualité. Et la haute qualité, c’est l’aboutissement de toute une culture, de multiples savoir-faire, d’une intelligence d’artiste et du travail magnifique d’un peuple armé de ses deux mains ; libre de créer, de s’organiser, de fonder sa marque et sa famille.

Vous géants radieurs d’entreprises artisanales, confineurs à seringues fermant les ateliers et les boutiques, masquant et déprimant élèves et professeurs, fabricants de chômeurs et de crétins, empêcheurs, escamoteurs, substituteurs et filouteurs d’artistes, profiteurs et saboteurs de savoir-faire, employeurs d’anciens patrons réduits au salariat, magiciens de la spéculation abstraite, vous oubliez que vous n’êtes pas du tout nécessaires. Que nous voulons vous ôter de nos chandails qui partent en loques, de nos têtes, qui grattent ; de nos pays qui sombrent.

Qu’il fut un temps où vous n’existiez pas.

Ah le confinement, ça en a jeté des entreprises désespérées dans le giron des spéculateurs ! Vous cherchez un plombier ? Il faudra dorénavant en passer par un groupe, largement pourvu en BET conseil de gestion, conseil financier, coaches, administrateurs de fonds, agitateurs de vocabulaire ésotérique et semi-patoisant, juristes, calculateurs de marges occupant toute la page ! Le plombier ? Leur salarié au smic ! Le smic c’est encore trop ? Par ici les migrants !

Toi client grugé-tondu, tu protestes ? J’ai une armée d’avocats et peut-être quelques juges dans la poche !

Alors Off-White, c’est Bernard Arnault 100 % ?

 

« En août 2019, José Neves, propriétaire de Farfetch, a acheté New Guards Group, l'organisation mère d'Off-White pour 675 millions de dollars. En juillet 2021, la marque Off-White est rachetée par LVMH, rejoignant ainsi le groupe de luxe français de Bernard Arnault  ».

 

Citons un tout petit commentaire anonyme, ici traduit de l’anglais, sous une interview de José Neves :

«  Sa société s’est rempli les poches avec des milliards de fonds d’investisseurs, aujourd’hui effacés. » 

 

Bernard Arnault, voilà qui sonne français. Alors pourquoi nous parler en angliche sur affiche, et désacraliser les façades d’église ? Notre-Dame de Paris, ce n’a pas été suffisant ?

Quatre clampins sans charme ni caractère ni métier, qui tirent la tronche du haut des cieux, c’est bien la France  ?

Tout se passe comme si c’était désormais José Neves qui nous bonimente, et même pas en portugais.

Virgil Abloh, le concepteur originel d’Off-White est décédé bizarrement à un âge improbable en 2021, comme tant d’autres cette année-là. Du cœur.

« Toute la famille LVMH s’associe à moi pour dire sa profonde tristesse. Tous, nous pensons à ceux qui l’aimaient. » a déclaré Bernard Arnault, président du groupe LVMH, propriétaire de Louis Vuitton dont Virgil fut directeur artistique.

Sans doute qu’il avait fait son temps.


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8 réactions à cet article    


  • Brutus paparazzo 24 avril 2023 09:58

    on a les dieux qu’on peut


    • Bendidon ... bienvenue au big CIRCUS Bendidon ... voila l’Ankou ! 24 avril 2023 14:25

      Vu le nombre de réactions c’est plutot Street EMPTY
       smiley


      • lisca lisca 26 avril 2023 07:30

        @Bendidon ... voila l’Ankou !
        Oui c’est bizarre cette absence de réactions.
        Ainsi que l’avalanche de réactions sous des articles très moyens et sans aspérité, dont les auteurs semblent être des écrivains abonnés, plutôt prolifiques, autorisés, sans grand intérêt. Ils servent malgré tout de rideau à grosses impressions criardes masquant le bon acteur sur la scène, celui qui vous fera rire ou pleurer. On le voit, on l’entend cet acteur en écartant le rideau. La censure verra l’imprimé criard et, rassurée, passera son chemin.
        Il est vrai que les sujets abordés n’intéressent pas forcément une majorité d’agoravoxiens.
        Pourtant certaines de mes contributions sont pas mal lues, très partagées sur le temps long. D’autres semblent bloquées par des lgébétistes. Qui parmi eux, pourquoi ? Mystère.
        Ceci étant, comme l’a dit le professeur Raoult, on trouve sur Agoravox d’excellentes informations et d’excellents articles, en faisant le tri. Merci aux rédacteurs dévoués et bénévoles qui ne se découragent pas. Courage aux auteurs et commentateurs bloqués, empêchés, radiés par plus bête ou moins honnête qu’eux.


      • martinez 24 avril 2023 17:37

        « il nous reste la petite touche de style » 

        En tout cas cet article n’en manque pas. Bravo !


        • lisca lisca 26 avril 2023 07:31

          @martinez
          Merci ! smiley


        • lisca lisca 28 avril 2023 09:04

          Précision à rajouter : la robe représentée sur l’affiche est plus intéressante, en vrai dans la vitrine, que sur l’affiche.

          Off-White c’est en fait de la haute couture. C’est bien fait, bien cousu, bien présenté. Haute qualité. Et donc c’est cher, pas de mystère. Le concept reste bizarre et l’église ne mérite pas un échafaudage commercial.

          Si cette marque plaît aux étrangers, ma foi... Tant mieux.

          Mais je trouve que Paris manque de touristes en ce moment. Dommage.

          Quant à Virgil Abloh, qu’il repose en paix.


          • lisca lisca 22 juin 2023 11:12

            Ici le successeur de Virgil Abloh, Pharrell Williams, à l’occasion de la "Fashion Weekf en salle de défilé ;

            Essayez d’en faire autant smiley

            https://www.rtl.fr/culture/medias-people/diaporama-fashion-week-de-paris-pluie-de-stars-au-premier-defile-de-pharrell-williams-pour-vuitton-7900276971


            • lisca lisca 22 juin 2023 11:17

              https://www.rtl.fr/culture/medias-people/diaporama-fashion-week-de-paris-pluie-de-stars-au-premier-defile-de-pharrell-williams-pour-vuitton-7900276971

              Message tronqué, ci-dessus. A l’occasion de la Fashion Week, Pharrell Williams a utilisé le Pont-Neuf un soir comme salle de défilé.

              Il paraît qu’il avait invité des tas de célébrités américaines. Si quelqu’un a assisté à l’événement...

              En tout cas, Obama n’est pas venu, ni sa femme non plus.

              Voilà qui est étonnant.Sa femme était là pourtant, le jour de l’incendie de N-D de Paris. C’est qu’elle n’en rate pas une, cette folle de mode.

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