Laïc, c’est le hic
Un monde qui sans le dire ouvertement se retrouve, dans les faits et dans les statistiques, de moins en moins laïc, sera-t-il toujours aussi ouvert et prêt à accepter l’autre, qui ne pense pas comme tout le monde, qui met les compteurs à zéro et qui refuse de laisser penser les autres à sa place ? Comment cette laïcité pourra-t-elle survivre ?
Dernièrement, une affiche placardée sur un kiosque prônait la réconciliation entre les religions et appelait les fidèles à un meeting organisé dans le but louable d’exprimer la solidarité et la tolérance entre tous les mouvements de pensées.
Le quartier multiculturel dans lequel je me trouvais nécessite très certainement une telle initiative d’apaisement dans les temps troublés que nous connaissions du côté idéologique.
Mon "A fleur de peau" exprimait déjà cette tendance de manque de communion.
Où était donc le « lézard », cette fois ?
Les instances religieuses de toutes confessions étaient invitées à se rencontrer, mais, en dernière position, en plus petits caractères et comme si l’on se demandait si c’était nécessaire, à la fin de la liste des invités, on trouvait un appel destiné aux laïcs, très discètement, en se rappelant in extremis qu’il y avait "autre chose".
Reflet exact de ce que représente aujourd’hui la laïcité dans nos pays démocratiques d’Occident. La France, pays laïc dans l’âme de la République, l’est pourtant en surface également. Les idées défendent bien sûr cette volonté de neutralité, mais il n’en demeure pas moins vrai que les églises ne désemplissent pas le dimanche.
Je n’irai pas jusqu’à chercher une situation de parallèle ailleurs. Je n’aime pas être déçu.
Dans le passé, encore, avec "Le ciel pour horizon", j’avais eu le plaisir de faire part en trois parties de mon rapport avec les cultes et avec la religion catholique en particulier, que je connais le mieux.
L’ouverture d’esprit et la tolérance ne s’inventent pas, elles se construisent par la réflexion et la raison. On n’aime pas, par défaut, être contré dans son idéologie et on est prêt à s’offusquer à la moindre poussée de neutralité avouée.
Il n’y a pas si longtemps, Hugo Chavès, devant le parterre de l’Onu, n’a pas hésité à débuter son discours par un signe de croix remarqué et ostensible comme s’il était normal d’afficher son appartenance à une religion aux yeux de tous les pays de la Terre.
Régulièrement, Georges Bush annonce fièrement la "couleur" à chaque incident de parcours de son mandat de président en priant celui qui apporterait, selon lui, secours et assistance dans ses décisions en lui donnant force et courage.
Le 26 janvier dernier, l’abbé Pierre, paix à son âme, a été pleuré et honoré par des funérailles nationales à Paris. Il le mérite. Sa vie a été exemplaire. Il était devenu l’icône rassemblant riches et pauvres, religieux et laïcs. Mais, c’est néanmoins sous le "chapeau" de l’Eglise que cet événement a pu prendre une telle ampleur. En serait-il de même pour tout autre volontaire laïc dévoué à faire le bien autour de lui ? Aurait-il eu les honneurs dont il a réellement joui et qu’il aimait visiblement en dehors de la protection de l’Eglise ? Réflexion iconoclaste ou réflexion morale ? A chacun de mettre le veto qu’il veut. L’historien Gilles Dal rappelait que si on l’applaudit, on en oublie beaucoup d’autres bienfaiteurs plus discrets qui sont parvenus à des résultats moins éclatants mais aussi sensibles. (Il cite Pierre Laroque, fondateur de la Sécurité sociale française). Les médias ont donné le commentaire selon lequel "il" aurait été content d’avoir tout ce monde autour de lui. Je dirai que je n’en suis pas si sûr. Son humilité l’aurait empêché de penser ainsi.
Cette semaine, revoilà les caricatures qui reviennent à l’actualité avec un procès contre le journal Charlie Hebdo qui avait continué la publication. Oui, il y a eu une dérive et oui, une réaction était normale.
Est-ce qu’il fallait aboutir à de telles extrémités ? Ce débat n’a pas encore trouvé son épilogue ou, du moins, n’a pas été conclu par un calumet de la paix. Indiens d’Amérique, je vous aime !
Le fait de prendre du recul et l’acceptation de l’autodérision sont, dit-on, des preuves de sagesse.
La laïcité, au milieu de toutes ces manifestations de ferveur, n’a pas vraiment droit de parole.
Son pire défaut est de ne pas montrer de couleur bien définie. Comment la définir ? Une liberté de conscience ? Ne subventionne aucun culte ? Respect des croyances mais sans donner la sienne.
En Belgique, la laïcité doit à un réel combat sa reconnaissance.
En France, la commission Machelon met de côté la laïcité en ne réunissant que les relations des cultes avec les pouvoirs publics. Sous des idées d’impartialité, d’égalité citoyenne, on ne parle pas de moyens juridiques ou économiques clairement identifiés pour la partie laïque de la population. La présentation du projet semble pourtant porter la laïcité républicaine comme principale intéressée. L’Etat assure ou devrait le faire en garantie, par souci d’intégration des frontières entre "public" et "privé". L’esprit républicain devrait protéger une égalité de pouvoir en recherchant la pacification, la solidarité en rejetant toute trace de fanatisme, d’intégrisme, de dogmatisme, d’obscurantisme ou de fondamentalisme.
Peut-on vivre sans religion, sans Dieu ?
La réponse est selon chacun.
La Chine est un exemple flagrant d’absence. On ne croit pas en Dieu et depuis cinq mille ans d’histoire. Confucius n’est pas un Dieu, le confucianisme est une école de sagesse, pas une religion.
Agnostiques, athées, philosophes du concret plus terre à terre doivent se cacher.
L’athée serait celui qui voterait "non" à l’existence d’un Dieu et l’agnostique, sans opinion, qui s’abstiendrait de voter.
Le nihilisme n’est pas à suivre car il ne veut rien sinon tout abolir, tout casser sans aucune morale.
Une vue à la Spinoza est certes plus productrice de progrès pour l’humanité.
Des mystères de notre existence et de la vie sont reconnus de tous. Pas d’explication avant très longtemps, si jamais on y arrive.
Pourquoi faut-il absolument y accrocher un autre nom et lui afficher l’étiquette "Dieu, propriété privée" ?
Le "parler neutre" n’est pas trop apprécié. On ne brûle plus les gens exempts de foi religieuse, on les ignore.
Certains scientifiques, n’ayant pas trouvé les raisons ultimes à toutes leurs découvertes apportées par le raisonnement et les études, se réfugient même dans la philosophie religieuse. Pas de contre-indication. Bien sûr.
Il vaut d’ailleurs toujours mieux avoir plusieurs clés à son trousseau. De flèches pour son arc, pas vraiment.
En point d’orgue et de ralliement, la tolérance devrait être la mère de la sagesse. La refuser, s’est se tromper amèrement à cause de l’amertume qui ne manquerait pas de se muer en silence.
Pour raison d’équité, l’espoir de sortir de cet anonymat ne serait, pour les laïcs, que justice.
En plus, ils ne prennent pas trop de place, ces oiseaux rares sans foi et ils ne sont pas chers : pas d’églises, ni de mosquées, ni de temples à édifier et à entretenir. Une école avec cours de morale intégral.
En odeur de "sainteté" pour ce microcosme, la nature dans toute sa splendeur a des titres de noblesse et de vénération. Un ciel bleu, une mer irisée dans la tourmente, un paysage de verdure, un soleil en feu, un arc-en-ciel, voilà leurs couleurs, leurs drapeaux. Heureux d’y être, d’être vivant dans un décor de fêtes perpétuelles, ce sont ses désirs intimes, très simplistes mais non simplets de celui qui s’est greffé dans le cerveau cette étincelle de morale laïque.
Ils sont simplement contents que l’esprit humain ait pu se développer à la force de la volonté de l’homme, pour en apprécier en finale le résultat tout en beauté de notre planète bleue. Le respect de celle-ci est bien sûr partagé avec d’autres, mais son culte est plus platonique, plus précieux aussi car il constitue son credo unique et les raisons de ses prêches.
Certains osent aller plus loin et parle de combat politique. En France, vingt-sept associations (nationales et régionales) de défense et de promotion de la laïcité ont décidé de réunir leurs forces pour rallier plus de monde et apporter un meilleur écho. Une loi de 1905 ouvrait déjà la voie vers un schisme entre politique et religion en apportant la liberté de conscience, d’expression, de critique et poussant le délit de blasphème dans l’obsolète. La séparation de l’Etat et des églises n’est pourtant pas totale et n’a pas encore gravi la moindre marche au niveau national et international. L’affrontement arrive souvent entre les communautés d’obédience différente. La domination du plus fort, du "parti" le mieux implanté dans les consciences prend ensuite la suprématie et s’organise pour s’attirer le plus de couverture sur les pieds. Dogmes et injonctions monoculturelles, monobloc surgissent de cette congrégation. Une échéance électorale est souvent le meilleur moment pour s’affirmer et remettre en cause l’existence d’une autre pensée. Certains religieux ne cachent pas leur prosélytisme. Ils considèrent les laïcs comme des ennemis », avec la promotion du radicalisme.
En Belgique, il existe aussi un « Centre de l’action laïque ». Le financement des cultes n’est pas étranger aux projets qui ont été présentés par les candidats à l’élection de mars dernier à la recherche de valeurs communes libre-exaministes. D’après le message diffusé de ce côté-là, voiles et représentations religieuses n’auraient pas leur place dans l’espace public en même temps que le créationnisme. Le « cahier des charges des écoles » avec son enseignement doit être mis en relation avec le financement réactualisé avec la mission de service public citoyen. L’évangélisation des grandes villes lancée l’année dernière par l’Eglise catholique peut être interprétée comme une étape dans la marche inverse.
En Algérie, celui qui ferait une publicité contraire à l’islam se verrait condamné d’après la loi.
Aux Etats-Unis, seuls 2% se disent athées, 4% agnostiques d’après des statistiques qui datent de juin 2005. "The Church of the Non Believers" ne fait pas beaucoup recette et difficile de se reconnaître dans la marée adverse.
Les laïcs en réseaux, par leurs actions, revendiquent un espace-temps de liberté le plus large possible.
Pour le laïc, n’appartenir à personne, se retourner contre soi-même pour toute erreur de parcours, ce sont ses libertés, assumées avec précaution et plénitude sans aucune vocation, mais comme seul choix de vie. La nature ou l’homme avec un grand « H » sont des visions comme les autres qu’il ne faut pas sous-estimer.
Alors, conclusion : le dialogue pur et dur avec les croyants laïcs, mais toujours pacifique, avec des compromis bien promis. Cela pourrait faire qu’il n’y ait plus de « hic » ensuite.
Pour finir cet article et pour faire tout "à l’envers", si on incluait un commentaire d’une lectrice bien dans la note de l’article avec le sel et le poivre nécessaire. Je lui avais promis une suite à "Le ciel pour horizon". Je ne vous dis pas de qui il s’agit. L’humilité naturelle qui la caractérise m’empêcherait de la dévoiler. Mais elle avait, néanmoins, sa place ici.
Alors, voilà sa réaction à chaud, épidermique, avant l’heure :
"J’ai l’impression que le « vrai » laïc aujourd’hui n’existe plus ! Il y a autant de croyances en ce domaine, qu’il y a d’êtres humains pour les interpréter à la manière qui leur convient le mieux à un moment donné et sur un sujet précis !
Finalement qui détient la vérité ? Ceux qui pensent que laisser certains choix au commun des mortels est meilleur que de décider pour eux ? Ceux qui estiment que chacun est libre de penser et d’interpréter sa manière de penser ? Celui qui se dit non-croyant, mais qui doit jurer sur la Bible, dans un tribunal, est-ce un exemple d’une justice laïque ?
N’appartenir à aucun « mouvement » de pensée nous « cantonne » la plupart du temps, à paraître comme des marginaux, des originaux, pour des chrétiens ou des infidèles pour des islamistes !
« -Pour l’amour du ciel, reviens ici ! » « Pour l’amour de Dieu, ne faites pas cela ! » Des phrases pas très laïques ! « Nom de Dieu ! »
La tolérance ? Ce mot me dérange ! Car malheureusement « être toléré » c’est déjà être dans un certain déni pour quelqu’un ! Cela fait un peu : Vous pouvez restez ici, mais nous vous prions de vous taire ! Surtout, ne pas déranger !
Je crois que celui qui revendique la laïcité, dérange les passionnés, les fous de Dieu !
On nous balance, en direct, des funérailles télévisuelles quand elles sont chrétiennes mais pour les autres ? La télévision est-elle laïque ?
Sujet très intéressant, brûlant même et comme d’habitude, tu as déjà sorti les points essentiels, le décor est planté, les acteurs présentés, alors laisse les langues se délier...”.
L’Enfoiré,
Citations :
"L’église ne reconnaît qu’une sorte de laïcs : les siens.", Carl Dubuc
"La chance est la forme laïque du miracle", Paul Guth
" La bonne foi est une vertu essentiellement laïque, que remplace la foi tout court.", André Gide
"Ce qui manque le plus à l’instruction laïque, c’est qu’elle n’enseigne pas à mourir.", Remy de Gourmont
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