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Accueil du site > Tribune Libre > Ladies and gentlemen, the Rolling Stones : cinquante ans de dandysme (...)

Ladies and gentlemen, the Rolling Stones : cinquante ans de dandysme rebelle

 C’était le 12 juillet 1962, au début des fabuleuses sixties. Ce jour-là, il y a tout juste cinquante ans aujourd’hui, le plus grand groupe de l’histoire du rock’n’roll, The Rolling Stones, donnait, devant un public en délire, son premier concert. Cela se passa, au grand dam de l’establishment anglais, à Londres, dans un petit club, déjà mythique à l’époque, nommé « Marquee ».

Depuis lors : un demi-siècle de « satisfaction », avec une avalanche de tubes planétaires, pour Mick Jagger et sa bande (Keith Richards, Bill Wyman, Charlie Watts, Ron Wood), de géniaux déjantés, tous défoncés à l’acide ou à l’héroïne. Quelques-uns de leurs plus incisifs riffs électriques sont là pour nous le rappeler, sans équivoque et même très explicitement : « Brown Sugar », « Sister Morphine ».

L’un des fondateurs du groupe, Brian Jones, ne fit d’ailleurs pas long feu, ravagé par l’alcool et miné par la drogue. Il mourut, dans la nuit du 2 au 3 juillet 1969, noyé dans sa piscine, après avoir ingurgité un de ces cocktails explosifs, à l’âge de 27 ans seulement, comme ces autres musiciens cultes et icônes du pop-rock que furent Robert Johnson, Jimi Hendrix, Janis Joplin, Jim Morrison, Kurt Cobain et Amy Winehouse : « sex, drugs and rock’n’roll » diront ceux qui voudront expliquer ainsi cette attitude extrême, défiant jusqu’à la mort bien plus que la vie, de ces nouveaux maudits, à l’instar autrefois d’un Rimbaud ou d’un Lautréamont, des temps modernes. A moins qu’il ne faille plutôt parler là, comme le fit Artaud à propos de Van Gogh, de « suicidés de la société ».

Car c’est bien là ce qui distingue les Rolling Stones de leurs rivaux de toujours, les Beatles : cet aspect profondément rebelle, plus encore qu’insolent (à l’image de leur logo semblant tirer la langue au monde entier), où la « rock attitude » la plus provocante confinait parfois, aux dires de la société d’alors, à l’outrage aux bonnes mœurs. Ce n’est d’ailleurs pas un hasard si leurs frasques de « débauchés à cheveux longs », comme ils étaient traités alors, les conduisirent parfois aussi, en ces turbulentes années-là, en prison, tout comme, un siècle plus tôt, un certain Oscar Wilde, qui fut, pour cette jeunesse aspirant à la liberté (« My Generation », revendiquait, toutes guitares saturées, un autre historique « rock band » en ce temps-là, les Who), un modèle avant la lettre.

Preuve en est - peu de gens l’ont remarqué - que cet immortel auteur du Portrait de Dorian Gray trône, telle une figure tutélaire, sur la pochette du plus légendaire des albums des Beatles : Sergent Pepper’s Lonely Hearts Club Band, sorti en 1967.

C’est dire si ce rock tel que l’incarnèrent des groupes comme les Beatles et, surtout, les Rolling Stones, s’avère, également, une expression, par-delà ses excès comportementaux, du dandysme moderne et contemporain : Rebel Rebel chantait David Bowie, dandy aussi sophistiqué que décadent, au temps du très androgyne et endiablé Ziggy Stardust.

Mais le diable lui-même, après tout, n’est-il pas, à en croire La Bible, un ange à la fois rebelle et déchu, sinon dépravé ?

Ce fut d’ailleurs là l’un des tubes les plus sulfureux, forcément très controversé à cette époque encore pudibonde où il envahissait les « hit parade » londoniens et newyorkais, des Stones : Simpathy for the Devil.

LA REVOLTE DES DANDYS

Cet aspect rebelle du dandysme, Albert Camus l’analyse particulièrement bien dans un des chapitres, emblématiquement intitulé la révolte des dandys, de son Homme révolté. Il y écrit : « Le dandy crée sa propre unité par des moyens esthétiques. Mais c'est une esthétique de la singularité et de la négation. (…). Le dandy est par fonction un oppositionnel. Il ne se maintient que dans le défi. (…). Le dandy (…) se forge une unité par la force même du refus. (…). Le dandy ne peut se poser qu'en s'opposant. (…). Sa vocation est dans la singularité, son perfectionnement dans la surenchère. Toujours en rupture, en marge (…). Il joue sa vie, faute de pouvoir la vivre. Il la joue jusqu'à la mort, sauf aux instants où il est seul et sans miroir. »1

Cette révolte des dandys, esthètes à l’âme foncièrement rebelle depuis que Nietzsche proclama « la mort de Dieu » en son Gai Savoir et autre Ainsi parlait Zarathoustra, apparaît donc tout d’abord, sur le plan sociopolitique, comme une forme de contestation par rapport à l’ordre établi, aux préjugés moraux tout autant qu’aux impératifs religieux, aux conventions sociales tout autant qu’aux normes familiales : « Que ces hommes se fassent nommer raffinés, incroyables, beaux, lions ou dandys, tous sont issus d'une même origine, tous participe du même caractère d'opposition et de révolte. »2, affirme Baudelaire dans Le Peintre de la vie moderne.

Ainsi le dandysme, cette « esthétisation de soi » par où l’être tend à faire de son existence une œuvre d’art vivante, selon l’aphorisme phare de Wilde en ses très corrosives mais jubilatoires Formules et maximes à l’usage des jeunes gens (« il faut soit être une œuvre d’art, soit porter une œuvre d’art »), est-il aussi, aux dires de Baudelaire, un acte de résistance, le plus délicieusement subversif qui soit, face à l’émergence, au sein du monde moderne, de nouvelles formes de barbarie.

LE CULTE DU MOI : DISTINCTION ET SINGULARITE

Baudelaire va, cependant, plus loin. Car, partant de cette définition générale, il confère alors au dandysme ses caractéristiques les plus saillantes et particulières - le culte du moi, avec ses deux prérogatives que sont la distinction et la singularité -, anticipant là jusqu’aux traits spécifiques qu’en donnera ensuite Wilde : « Qu'est-ce donc que cette passion qui, devenue doctrine, a fait des adeptes dominateurs, cette institution non écrite qui a formé une caste si hautaine ? C'est avant tout le besoin ardent de se faire une originalité, contenu dans les limites des convenances. C'est une espèce de culte de soi-même, qui peut survivre à la recherche du bonheur à trouver dans autrui (…) ; qui peut survivre même à tout ce que l’on appelle les illusions. C'est le plaisir d'étonner et la satisfaction orgueilleuse de ne jamais être étonné. Un dandy peut être un homme blasé, peut être un homme souffrant ; mais, dans ce dernier cas, il sourira comme le Lacédémonien sous la morsure du renard. »3

LE DANDY : UN ÊTRE LIBRE, LIBERTIN ET LIBERTAIRE

Le dandy, un virevoltant mais gracieux agitateur d’idées, pour reprendre le slogan d’une grande marque de librairie française. Mieux : l’anticonformisme incarné, doublé d’une révolte par l’élégance. Le summum, en somme, de la pensée libertaire, fût-elle en ce cas, comme le spécifie Michel Onfray dans sa Politique du rebelle (judicieusement sous-titrée Traité de résistance et d’insoumission), « infusée par une mystique de gauche »4, laquelle, poursuit-il, « peut très bien fonctionner sur le mode artistique »5.

Le dandysme, ou le rejet, définitif et sans concession, de toute autorité, du moins celle qui prétendrait intenter à son impérieux sens de l’individualisme : « Et il faut noter que c’est parce que l’Art est cette forme d’individualisme intense que le public essaie d’exercer sur lui une autorité qui est aussi immorale que ridicule, aussi corruptrice que méprisable. »6, lance Wilde, en cette utopie révolutionnaire et même anarchiste qu’est L’âme de l’homme sous le socialisme, à la face de ses contemporains.

Et pour cause, enchaîne-t-il : « L’art est individualisme, et l’individualisme est une force qui dérange et qui désintègre. »7 !

Michel Onfray, dans sa Politique du rebelle, commente, non moins opportunément : « Le dandy vise le sublime. La politique libertaire aspire au même type d’objectif : l’assomption de l’individu artiste réagit contre l’effondrement des particuliers vers les bas-fonds où triomphent les vertus et les valeurs bourgeoises. (…). Le dandysme théorise la revendication de garanties multipliées pour l’expression de l’individualité et la souveraineté des monades. »8

C’est dire, comme le réputa Camus en son Homme révolté, si le dandy, en effet, « ne se maintient que dans le défi » et si, mieux encore, il « ne se pose qu’en s’opposant » !

Car c’est aussi cela, effectivement, un dandy : un aimable et charmant contestataire, vaguement anarchiste… un « anar » de luxe. Mieux : le plus sophistiqué et chevaleresque des actes de résistance face au conformisme ambiant, ce dogmatisme guindé, cancérigène pour l’intelligence, que l’on appelle la « pensée unique » ou encore, pour employer un néologisme bien de chez nous, la « bien-pensance » !

Wilde, dans son Âme de l’homme sous le socialisme, l’avait déjà dit et redit, y mettant à mal cette sacro-sainte notion d’ « autorité » qu’il abhorrait, lui l’insoumis jusqu’au trépas, par-dessus tout : « ‘Qui veut être libre, a dit un grand penseur, doit refuser d’imiter.’ Et l’autorité, en transformant les gens en imitateurs, crée parmi nous une variété très grossière de barbares au ventre plein. »9 Admirable de noblesse d’âme, ce haut chant de liberté.

Honni soit qui mal y pense !, énonce la célèbre devise anglaise. Raison pour laquelle Onfray peut encore écrire : « Enfin, cynique, dandy et libertin, le libertaire s’affiche aussi en romantique, car il se sait engagé dans un combat de Titans, où il perdra tout, fors l’honneur. »10

Car le dandy, en effet, est, par essence et même quintessence, un être libre, libertin et libertaire : magnifique triptyque, que ni Mick Jagger ni Keith Richards ne contrediront certes, bien au contraire, sur ce très subversif point.

Bon anniversaire, donc, à ces dandys (bien plus que papys) du rock : « clap your hands, dandy on the rocks » !

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1 Albert Camus, L’Homme révolté, Paris, Gallimard, Folio Essais, 1951, p. 71-72.

2 Charles Baudelaire, Le Peintre de la vie moderne, in Œuvres complètes, II, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1976, p. 711.

3 Ibid., p. 710.

4 Michel Onfray, Politique du rebelle (Traité de résistance et d’insoumission), Paris, Grasset, Biblio Essais, 1997, p. 224.

5 Idem.

6 Oscar Wilde, L’Âme de l’homme sous le socialisme, in Œuvres, Paris, Gallimard, « La Pléiade », 1996, p. 946.

7 Ibid., p. 948.

8 Michel Onfray, Politique du rebelle, op. cit., p. 226.

9 Oscar Wilde, L’Âme de l’homme sous le socialisme, op. cit., p. 942.

10 Michel Onfray, Politique du rebelle , op. cit., p. 231.

 

DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

*Philosophe, auteur de « Philosophie du dandysme » (PUF), « Le dandysme, dernier éclat d’héroïsme » (PUF), « Oscar Wilde » (Gallimard) et « Le Dandysme - La création de soi » (Bourin Editeur).


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7 réactions à cet article    


  • Micka FRENCH Micka FRENCH 13 juillet 2012 07:38

    De l’Ecossaise....

    Dommage que ce groupe soit mort en 1968 avec le licenciement collectif de Brian Jones et de l’inégalable pianiste Ian « STU » Stewart, les deux créateurs des Stones avec Mick Jagger.

    Avant 68, les Stones ont fait de la musique.
    Après 68, ils ont fait de l’argent.................

    Voir mes articles par ailleurs sur le sujet dans « 20 minutes ».
    Je ne vais pas tout me retaper, non plus !!!!

    Micka FRENCH sur le Web...
    http://Mickafrench.unblog.fr


    • Micka FRENCH Micka FRENCH 13 juillet 2012 07:43

      De l’Ecossaise...

      Zut, raté !

      Ne cherchez pas mes articles sur « 20 Minutes ».
      C’est en fait sur le « Huffington Post »...

      So sorry............................................

      Micka FRENCH


    • 65beve 65beve 13 juillet 2012 08:39

      Bonjour chers tous,

       Si on s’attache à la musique plutôt qu’à l’aspect je dirais qu’il en va des Stones comme de son épouse.
      Les 25 premières années c’est de l’amour.
      Les 25 suivantes, c’est de l’habitude.

      Le tournant eut lieu dans les 80’s - Celui qui s’en est rendu compte (et qui s’est tiré) c’est le fabuleux Bill Wyman.

      Quand aux vrais dandys, juste pour le fun c’est ici :
      http://www.youtube.com/watch?v=r-HnShCa12k

      cdlt

      PS : J’adore les Stones depuis toujours, j’ai même acheté le teeshirt noir avec la langue rouge...


      • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 13 juillet 2012 12:24

        Robert Johnson pop rock ?Il est mort en 38, et jouait blues !



          • asterix asterix 13 juillet 2012 20:14

            Bonjour Daniel,

            Heureusement que tu es là pour nous rappeler, sous un angle inusité, les 50 ans des Stones. En ce vendredi 13, nos compatriotes belges francophones - certains sans s’en rendre compte - ont perdu en capitulant devant le flamingantisme puisque la Chambre vient de voter la scission de BHV.
            Dans moins de 50 ans et sans doute dans 26 mois, nous nous en mordrons tous les doigts puisque nous avons donné un blanc-seing à l’occupant.
            Bruxelles, capitale de l’Union est dorénavant entourée de Flandre sans avoir demandé aux habitants ce qu’ils voulaient faire de leur chez-eux. Un déni de démocratie et une capitulation devant les désiderata d’un fascisme de moins en moins larvé.

            Malgré ton excellent article qui m’apporte du baume au coeur, i can get now satisfaction...


            • 65beve 65beve 13 juillet 2012 22:30

              A l’auteur.

              78% de votes négatifs.
              C’est trop injuste.
              I can’t get no satisfaction !
               smiley

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