La Russie. Pas du tout au bord de l’effondrement
La Russie a envahi l’Ukraine. Cette nouvelle ne constituera un scoop que pour le lecteur qui aurait hiberné au cours des deux derniers mois. Depuis, l’économie russe est soumise à des sanctions occidentales. Ce travail visera, dans un premier temps, à évaluer leur impact. Nous verrons que si les rétorsions de l’Occident contre Moscou sont effectivement très dures, elles ne s’avèrent pas de nature à conduire à un effondrement rapide de l’économie russe. Cette dernière dispose d’atouts lui permettant de miser sur une certaine forme de résilience qui ne constitue pour autant pas une forme de toute-puissance susceptible d’envisager un retrait dans l’autarcie. A ce propos, la position du pays comme deuxième exportateur de matières premières dans le monde tranche singulièrement avec le caractère radicalement autocentré (« le socialisme dans un seul pays ») de l’expérience soviétique.
Une fois ce constat posé, on discutera de la possibilité très concrète d’un effet boomerang des sanctions pour les économies d’Europe occidentale. Là encore, un vigoureux effort de discernement s’avère absolument nécessaire. Certaines manifestations de la crise ukrainienne, qu’il s’agisse de l’augmentation des prix du gaz, du pétrole ou du blé, constituent indéniablement une exacerbation d’une régulation de l’économie ayant jusqu’ici fait excessivement reposer ses modalités opératoires fondamentales sur le libre jeu des forces de marché (ainsi, notamment, la libéralisation de l’énergie en Europe).
La question des réserves de la banque centrale russe
Pour évaluer la sévérité et l’effectivité des sanctions adoptées contre Moscou, on passera au crible d’une analyse par ratios les réserves de change de la Russie avant les sanctions. Le niveau plancher des réserves de change pour un pays est fixé à trois mois d’importation en termes de taux de couverture. De plus, il est impératif que le ratio des réserves de change corresponde à la totalité de la dette extérieure à court terme. En ce qui concerne le rapport à la dette extérieure totale (tant privée que publique), le ratio minimal des réserves est situé conventionnellement à 40%. Enfin, la part des réserves de change doit également être appréhendée du point de vue de la masse monétaire en circulation.
Pour mémoire, il s’agit de la masse monétaire dite « M2 » qui englobe les pièces et billets en circulation ainsi que les dépôts sur les comptes courants, les livrets d’épargne et les crédits de court terme. Ce ratio constitue un indicateur préventif en cas de déséquilibre de la balance des paiements. Etant donné que M2 vise la liquidité nécessaire à l’achat d’actifs étrangers par les ressortissants du pays en question, le ratio réserves/M2 correspond à la couverture des diverses opérations de transfert d’actifs. La valeur de référence dans ce domaine particulier se situe entre 10% et 20% dans le cas d’un pays ayant opté pour un régime de taux de change fixe. En revanche, le ratio idéal se situera entre 5% et 10% pour les pays se caractérisant par un régime de taux de change flexible de leur monnaie nationale[1].
La Russie disposait de réserves internationales de l’ordre de quelques 600 milliards de dollars en date en janvier 2022. Nous avons intégré dans notre calcul les réserves d’or (133,070 milliards de dollars). L’or est, en effet, le premier actif historique des banques centrales. En ne comptant que les réserves de change en cash résultant du commerce extérieur (soit 455,965 milliards de dollars), le CEIC (), le CEIC (une base de données économiques tenue par une entreprise américaine) statuait que les réserves de la Russie équivalaient à 18,065 mois d’importation en septembre 2021[2]. En reprenant notre chiffre de 600 milliards de dollars, on arrive à 24,8 mois. Les chiffres calculés par l’entreprise américaine CEIC Data mais aussi par l’auteur de cette note proviennent du site de la Banque de Russie[3]. En termes de couverture de ses importations, la Russie démontre une parfaite autosuffisance économique, que l’on choisisse d’intégrer ou non les réserves d’or dans la composition des réserves du pays.
La dette extérieure à court terme de la Russie était de 77,7 milliards d’euros en septembre 2021[4]. La totalité de la dette extérieure est donc couverte par les réserves de change de la Russie, que l’on intègre ou non l’or de la banque centrale dans les calculs. En ce qui concerne la dette extérieure totale, le niveau optimal de couverture est très largement dépassé avec des réserves qui, selon que l’on reprenne ou non dans les calculs la valeur de l’or détenue par la Russie, s’élèvent à 450 ou 600 milliards de dollars. Pour ce qui est de la dette extérieure à long terme, la Banque de Russie nous enseigne que la dette extérieure totale de la Russie était de 478,2 milliards de dollars au 31 décembre 2021[5]. Le ratio de 40% des réserves face à ce montant de dette extérieure est donc dépassé et de très loin. Enfin, si l’on reprend le critère de la masse monétaire M2, on démontrera encore la robustesse de la Russie avant les sanctions. Pour mémoire, la masse M2 russe en novembre 2021 a été estimée, après application du taux de change en vigueur à cette époque, à 831,035 milliards de dollars[6]. Comme le taux de change du rouble est flottant, le ratio entre les réserves et la masse monétaire M2 doit être compris entre 5 et 10%. Si l’on ne reprend dans nos calculs que les seules liquidités de la Banque de Russie en excluant l’or (soit 460,285 milliards de dollars en novembre 2021[7]), on voit que le seuil de 10% est très largement dépassé avec un taux de couverture de plus de 55%. Si l’on intègre l’or de la Banque de Russie dans ce calcul, on aurait obtenu des réserves de l’ordre de 593 milliards de dollars un taux de couverture de 71,36%[8].
Cette belle tenue des réserves aurait, le cas échéant, permis à l’économie russe de tenir face à un choc extérieur majeur comme le déclenchement d’une guerre. C’est cet état de choses que les sanctions contre la Russie ont voulu contrecarrer. Quel est leur impact aujourd’hui sur le niveau des réserves de la banque centrale russe ?
En cette matière, on est bien forcé de reconnaître qu’un recoupement des sources s’avère aujourd’hui plus que nécessaire pour répondre à cette importante question puisqu’elle permet d’anticiper les capacités de résistance, sur un plan strictement économique, de la Russie aujourd’hui en guerre.
D’après le prestigieux Financial Times[9], 25% des actifs de la banque centrale russe étaient détenus par les banques centrales de la zone euro et étaient de ce fait gelés (donc inutilisables par le gouvernement russe). Il est évident que les actifs dont il est ici question correspondent à des titres mobiliers libellés en euros. De surcroît, la traçabilité de ces actifs dans le paysage financier européen est fiable puisque l’eurosystème se caractérise par une consolidation comptable des passifs et des actifs de chacune des banques centrales nationales membres du système au niveau de la BCE. Un gel portant sur 150 milliards d’actifs russes peut donc être retenu sans aucune réserve. Il est, en revanche, plus problématique d’affirmer que 35% des avoirs de la Banque centrale de Russie, puisqu’ils sont libellés en dollars, en euros ou en livres seront d’office détenus par des banques privées occidentales. En effet, il semble que la Banque de Russie a fait très peu fait transiter dans le passé ses actifs par des acteurs de marché en Occident et a, au contraire, privilégié autant que faire se peut une thésaurisation à domicile.
C’est ainsi que la gestion de ses réserves d’or par la Banque de Russie relève du cas d’école. La plupart des banques centrales du monde conservent une grande partie de leur or dans des coffres de la Banque d'Angleterre à Threadneedle Street dans les coffres de la Réserve fédérale de New York non loin de Wall Street,. La raison en est que la City de Londres et New York sont les grands centres du marché mondial de l'or, ce qui facilite l'achat et la vente de lingots. Or, la banque centrale russe a décidé de conserver tout son or au chaud à la maison. Comment imaginer, dès lors, qu’une telle masse d’obligations libellées en euros ait pu se retrouver dans les banques privées européennes si loin de Moscou ?
En fait, la décomposition des actifs de la banque de Russie par le Financial Times n’anticipe pas non plus de manière optimale la présence d’actifs chinois dans les réserves de la Russie et a, au contraire, surévalué la place du dollar et des obligations US à l’intérieur du bilan de la banque centrale russe. Or, en consultant la presse économique japonaise, on peut apprendre que la Russie ne détenait que 5,43 milliards de dollars d'obligations d'État américaines et moins de 1 milliard de dollars d'actions et d'obligations d'entreprises américaines à la fin de 2021[10]. Il s’agit là de moins de 1% des réserves russes. Il est donc hasardeux d’affirmer que l’exposition de la banque russe est très élevée et qu’elle doit régulièrement procéder à des opérations de dépôt de titres américains auprès de banques européennes qui auraient à chaque échéance converti les dollars obtenus contre des euros via une technique dite de swap bien connue des milieux financiers[11]. Nous allons, au contraire, constater que la volonté de dédollarisation des autorités ruses est bien plus affirmée. Elle est liée à l’existence de sanctions depuis le rattachement de la Crimée à la Russie en 2014 mais aussi aux projets d’expansion de l’Otan qui ont toujours été soutenus par le Royaume-Uni. Voilà pourquoi on postulera dès lors que la part de la livre dans les réserves russes doit être aussi faible que celle du dollar.
Lorsque l’on consulte des sources états-uniennes relatives aux réserves russes, on peut relever que ces dernières comptent un bon nombre d’actifs en cash. En voici le détail : 38,6 milliards d'euros (soit 42,43 milliards de dollars au cours du 10 mars 2022), 4,2 milliards de livres sterling (soit 5,5 milliards de dollars), 600,3 milliards de yens japonais (5,14 milliards de dollars), 226,8 milliards de yuans chinois (35,6 milliards)[12] et 132,25 milliards de dollars en or en janvier de cette année[13]. A cela, il convient d’ajouter pour près de 140 milliards de titres obligataires libellés en yuans[14] (et c’est ici que l’on vérifie que certaines sources occidentales sous-estiment dangereusement les titres libellés en yuans dans la composition des réserves russes).
Au total, nous obtenons donc des avoirs détenus en cash ou forme métallique pour plus de 360 milliards de dollars directement disponibles car localisés à l’abri des sanctions en Russie. Il est donc impossible d’estimer que la moitié des actifs de la Russie sont gelés en Europe. En effet, les réserves de change de la Russie s’élevaient, comme nous l’avons vu auparavant, à 600 milliards de dollars. Il reste donc à la Russie au bas mot 60% du montant initial de ses réserves. Il y a à coup sûr 25% de ces actifs bloqués en Europe de l’Ouest après les sanctions. Cela donne un total de 150 milliards de dollars. Il reste donc 90 milliards de dollars d’actifs dont la localisation est aujourd’hui douteuse. En reprenant la clé de répartition mentionnée plus haut pour les actifs clairement localisés, on peut estimer que 60% (360/600) de ces derniers se trouvent en Russie. Donc 54 milliards de dollars.
En appliquant cette méthode, on peut établir que la Russie a conservé, en dépit des sanctions, près de 414 milliards de dollars de réserves sur 600, soit 69% de son volume initial de réserves. A cela, il faut encore ajouter la position de réserve du pays au sein du Fonds Monétaire International qui est de 5,235 milliards de dollars et dont le pays peut clairement disposer à sa guise en cas de crise ainsi que 24,085 milliards de dollars en Droits de Tirage Spéciaux (DTS) auprès du FMI et de la Banque des Règlements Internationaux (BRI)[15]. Pour mémoire, les Droits de Tirage Spéciaux (DTS) désignent un actif de réserve international (donc limité aux banques centrales) créé en 1969 par le FMI dans le but d’augmenter les réserves de change des Etats membres. « La valeur du DTS repose sur un panier de cinq monnaies : le dollar des États-Unis, l’euro, le renminbi chinois, le yen japonais et la livre sterling »[16]. Quant à la BRI, elle a été créée en 1930 dans un but de coordination entre banques centrales. La Russie est et restera membre tant de la BRI que du FMI. Ace titre, elle peut disposer des actifs qu’elle détient dans le cadre de ces organisations. Tant le FMI que la BRI sont des organisations internationales multilatérales qui ne peuvent être tenues à appliquer un programme de sanctions décidé par une partie de ses membres. Pour l’anecdote, on peut d’ores et déjà établir que la Russie ne sera pas exclue de la BRI. En effet, « les pays d'Europe non occidentale critiquent abondamment la surreprésentation du Vieux Continent au sein du conseil d'administration de la BRI, de même que sa localisation à Bâle. Ainsi une mise au ban de la Russie pourrait conduire un certain nombre de pays d'Asie orientale à créer leur propre banque. L'Organisation de coopération de Shanghai est une alliance économico-politique de huit pays, dont la Chine, la Russie, l'Inde et le Pakistan. Ils représentent 50% de la population mondiale et 25% du PIB mondial. Or la plupart des membres de ce groupe ne participent pas aux sanctions contre la Russie »[17].
Au total, la Russie retrouve 29,2 milliards de dollars, certes en raclant un peu les fonds de tiroir mais c’est bien souvent le destin de bien des pays en guerre. Au total, en ajoutant ces montants à ceux établis auparavant, on peut établir que la Russie a réussi à sauver 73,87% de ses réserves. Donc, au total, le pays peut tenir 17,728 mois en se basant exclusivement sur les seules réserves qu’ils a accumulées dans le passé. Attention, nous avons établi ce chiffre en ne travaillant que du côté des actifs. Il faut envisager la question des réserves de la banque centrale en regardant la manière dont le gouvernement russe va chercher à limiter voire éliminer le poids de certains passifs en devises étrangères sur les réserves du pays.
Avant de continuer, on prendra toutefois soin de préciser que la méthodologie adoptée pour évaluer les réserves de la Russie additionne les actifs non-liquides de la Banque de Russie à ceux du Fonds souverain russe. Habituellement, seule la partie dite « liquide »du Fonds souverain est intégrée dans les réserves de change. Cette règle comptable exclut donc les placements effectués par le Fonds souverain. A titre de justification de cette entorse méthodologique, on fera valoir que la priorité la plus importante d’un Etat en guerre ne consiste clairement pas à être présent sur les marchés mais à disposer de la masse d’actifs la plus importante possible afin de s’autofinancer.
Du côté des passifs maintenant
En guise de riposte aux sanctions occidentales, le gouvernement russe a adopté le 7 mars une liste de pays décrits comme « hostiles » à l’égard de la Russie et pour punir ces derniers, a invité les acteurs économiques russes à leur rembourser leurs dettes en roubles quand bien même ils se seraient endettés en dollars ou en euros. Cette mesure n’est insolite qu’à première vue. A y regarder de plus près, elle est assez bien pensée puisque si tous les acteurs russes convertissent leurs dettes en roubles et effectuent leurs remboursements dans leur devise nationale, ils transfèrent, en réalité, le problème de dévaluation du rouble aux banques étrangères. En effet, ces dernières seront placées devant un sérieux problème. Si elles se séparent toutes en même temps de leurs roubles, ces derniers vont se déprécier, ce qui correspond à une perte pour les créanciers de Moscou.
Il s’agit là d’un incitant puissant à ce que les capitaux ne fuient pas trop rapidement la Russie et donc de nature à calmer les pressions sur le rouble. Les passifs de l’économie russe, pour des raisons géopolitiques, sont, depuis des années, essentiellement libellés en euros. Or, qu’a-t-on pu observer sur le front du change rouble/euros depuis l’adoption des mesures de rétorsion de la part des autorités russes ? En date du 14 mars 2022, on observait après une semaine d’application de ces mesures une appréciation du rouble face à l’euro. Le rouble s’était, après une chute initiale très forte après l’annonce des sanctions, apprécié de 17% face à l’euro. En tout état de cause, à la mi-mars 2022, le rouble n’avait certes pas retrouvé son niveau de change d’avant les sanctions face à l’euro mais la saignée semblait stoppée. On constatait la même tendance face au dollar. La valeur du billet face au rouble s’est appréciée de près de 44,14% depuis un mois (en date du 14 mars 2022) mais on notait une progression de la valeur du rouble face au dollar depuis le 7 mars 2022. A cette date, le dollar avait reperdu 22% face au rouble[18].
Dans le même ordre d’idées, la perspective d’une vague de défauts de la part de l’Etat et des entreprises russes pourrait évidemment soulager la banque centrale russe puisque temporairement (mais peut-être pour longtemps), les devises liées à ces remboursements ne sortiront pas du pays. A ce sujet, on n’oubliera évidemment pas de mentionner que la dette publique extérieure à court terme de la Russie s’élevait en septembre 2021 à 77,678 milliards de dollars[19]. On rappellera également que la dette à court terme correspond à un emprunt échéant à moins d’un an dans la très grosse majorité des cas. Si la Russie devait faire défaut sur sa dette extérieure, l’impact de la dette à court terme sur les réserves peut être considéré comme maximal puisque les échéances de cette dette intervenaient dans leur totalité au cours de l’année 2022. Au passage, on peut estimer quantitativement cet avantage pour la Russie. Un montant de 77 milliards de dollars représente 12,83% de 600 milliards de réserves. En récupérant ces devises, la Russie poutinienne porte son taux de conservation des réserves à 86,7% par apport aux 600 milliards de départ.
Si l’on considère à juste titre que la revente des DTS et la liquidation de la position de réserve au sein du FMI constituent autant d’opérations correspondant à des manœuvres de secours à n’envisager qu’en tout dernier recours, on peut calculer que le taux de conservation des réserves par le gouvernement russe s’élevait, à la mi-mars 2022, à 81,87%. En tout état de cause, les réserves de la Russie permettent au gouvernement de tenir le coup pendant 18 mois. On notera, au passage, que ces données chiffrées n’intègrent pas le revenu lié aux exportations de gaz à destination de l'Europe occidentale qui ont fortement augmenté depuis le début de l'invasion. « L'Europe est en fait extrêmement dépendante du gaz russe. En 2021, selon les données de l'Agence internationale de l'énergie (IAE), l'Union européenne (UE) a importé 140 milliards de m3 de gaz de Russie par gazoduc et 15 milliards de m3, sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL). Ces 155 milliards de m3 représentent 45% des importations totales de gaz de l'UE, et presque 40% de sa consommation totale »[20]. L’an dernier, les importations de gaz russe avaient représenté une facture de 12 milliards d’euros pour les Européens. Vu les cours en vigueur et sous réserve d’une modification majeure de ces derniers, la Russie pourrait, toute chose égale par ailleurs, engranger 150 milliards de dollars (ce montant est toujours susceptible d’évoluer vu le caractère quelque peu erratique des cours) du fait de la consommation européenne de gaz cette année. Le scénario d’un effondrement des réserves russes à brève échéance ne semble guère plausible au vu de ces données.
Bien entendu, les sanctions de nature financière ne portent que sur la liberté de disposer de ses réserves par la Banque de Russie. C’est ici qu’interviennent l’interdiction faite aux banques russes de refinancer leurs passifs sur les marchés interbancaires européens, d’une part, et la coupure du système SWIFT (acronyme de Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication), d’autre part. Nous commencerons par cette dernière mesure qui a fait les gros titres de la presse avant d’évoquer la question bien plus épineuse pour Moscou de la rupture programmée entre nos marchés de capitaux et le système financier russe.
En ce qui concerne la rupture avec le réseau SWIFT, on commencera par préciser ce dont il est question. Le réseau SWIFT désigne un système de messagerie interbancaire destiné à faciliter les transactions internationales entre établissements en pratiquant une standardisation des messages. Sur son site, Swift déclare fournir, à « plus de 11 000 organisations bancaires et de titres, infrastructures de marché et entreprises clientes dans plus de 200 pays et territoires, leur permettant de communiquer en toute sécurité et d'échanger des messages financiers d'une manière fiable »[21]. La logique de fonctionnement de Swift est très simple. Chaque banque membre du réseau dispose d’un code d’identification unique, le code BIC. Ce code permet à la banque d’être très facilement identifiée sur la plateforme. Cela signifie que ces messages sont directement authentifiés. Par exemple, un message codé MT103 désigne un virement à partir d’un compte courant et si ce message est signé dans la messagerie par GKCCBEBB, il s’agit invariablement de Belfius. Aucune autre banque dans le monde ne dispose de ce code particulier. Cette standardisation des échanges permet de garantir aux banques participantes la confidentialité des opérations ainsi que la rapidité des échanges d’informations. Au total, il en ressort une diminution importante des coûts de transaction. Ces définitions posées, on peut poser un diagnostic quant à la coupure des banques russes du réseau SWIFT.
Tout d’abord, on fera observer que toutes les banques russes n’ont pas été déconnectées. C’est notamment le cas de Gazprombank (qui est intégralement contrôlée par le géant gazier Gaprom) et de Sberbank, la plus grande banque du pays. On ne dira jamais assez combien l’exclusion de ces deux banques correspond à un état de dépendance de l’Union européenne à l’égard des matières premières russes. Dans le cas de Gazprom, c’est évident. L’industrie allemande serait aujourd’hui à l’arrêt sans les importations du secteur gazier russe. Le gouvernement allemand s’est, bien sûr, engagé à être moins dépendant à l’avenir de Gazprom. Rien n’autorise, en rigueur des termes, à penser que cet objectif ne pourra pas, le cas échéant, voir le jour. Cependant, force est également de constater qu’en l’absence d’importations russes, il y aura une pénurie de gaz l’an prochain au sein de l’Union européenne. Pour ce qui est de Sberbank, on se bornera à constater qu’il s’agit de la première banque russe et que sa couverture relativement importante du territoire national permet de rester en contact avec un maximum d’exportateurs russes de matières premières. En tout état de cause, si ces deux banques avaient été exclues du système SWIFT, les paiements pour le gaz et d’autres matières premières vitales à l’économie européenne auraient été sérieusement compliqués et par conséquent, les approvisionnements se seraient évidemment ralentis. La lenteur accrue des livraisons aurait évidemment orienté davantage encore à la hausse les cours des matières premières.
Ensuite, quelle est la signification réelle de cette interdiction pour le système bancaire russe ? Il faut tenir compte du fait que les établissements bancaires russes disposent de systèmes alternatifs tels que le SPFS (System for Transfer of Financial Messages) mis au point en 2014 à la suite des menaces de coupure lors du premier conflit russo-ukrainien qui avait débouché sur l’annexion de la Crimée. Le SPFS compte aujourd’hui 400 établissements affiliés en Russie, mais également en Biélorussie et en Chine. Or, ces derniers sont connectés avec SWIFT. On peut, dès lors, imaginer un système de paiement qui, via SPFS, effectuerait des paiements aux établissements chinois et biélorusses qui pourraient repasser sur SWIFT. Cela dit, cette obligation de passer par un intermédiaire financier est éventuellement de nature à alourdir les coûts et allonger les délais liés de transaction mais d’un autre côté, la Russie ne sera pas complètement coupée du monde.
Le fait de disposer d’un réseau national autonome rend possible ce type d’intermédiations déguisée et c’est clairement une force dans le chef de la Russie. Si l’on prend, par exemple, le cas de l’Iran, un autre pays maintes fois sanctionné par la communauté occidentale, force est de constater que Téhéran est bien plus démuni en cas de déconnexion de ses banques à SWIFT puisque le pays ne dispose d’aucune plateforme électronique autonome pour ses banques nationales. Il en irait de même pour la Belgique si cette dernière était, cas de figure complètement improbable, victime un jour de sanctions internationales de la part des Etats-Unis. A l’avenir, puisque le Belarus est également victime de sanctions, la Russie dépend entièrement du bon vouloir des autorités chinoises. Or, ces dernières ont confirmé, à la mi-mars 2022, ne pas désirer aider Moscou à contourner les sanctions. Début mars, la secrétaire américaine au Commerce, Gina Raimondo, avait déclaré qu’elle ne disposait d’aucun élément permettant de prouver que des entreprises chinoises envisageaient d'aider Moscou à contourner les sanctions américaines[22]. Et puisque le secteur bancaire chinois est largement étatisé, ces déclarations ne vont évidemment pas dans le sens d’une facilitation des échanges interbancaires pour Moscou.
Il ne restera plus aux banques russes que le retour à la vieille méthode des échanges manuels avec l’extérieur en mettant en place des transactions sans SWIFT via le mail ou le fax. Mais ce type d’opérations suppose que les banques étrangères éventuellement impliquées dans des transactions avec Moscou acceptent en bilatéral de travailler avec la Russie sur cette base. Aux dernières nouvelles, ce devrait être le cas de certaines banques indiennes. En effet, New Delhi a indiqué qu’il comptait augmenter ses importations de pétrole russe. "C’est ainsi que le ministre indien du gaz et du pétrole a déclaré avoir eu des conversations en ce sens avec le gouvernement de la fédération de Russie. Ces discussions incluaient l'assurance, le fret et les modalités de paiement[23]. Il est, pour l’heure, difficile d’appréhender l’impact de ces ventes de pétrole sur les réserves de la Russie. En effet, puisque les sanctions occidentales frappent le pétrole russe, on peut anticiper que les producteurs pétroliers russes devront accorder un rabais plus ou moins important à leurs clients indiens.
En toute objectivité, force est de reconnaître que certaines sanctions sont particulièrement pénalisantes pour la Russie. Ainsi, en est-il de la décision d’interdire d’accès aux marchés européens aux principales banques publiques russes (Sberbank, VTB, Gazprombank, Vnesheconombank, Rosselkhozbank) ? Pour se refinancer en devises, il ne reste plus à ces entités que l’accès à la banque centrale, laquelle ne dispose plus, dans le meilleur des cas, que de 480 milliards de dollars. Or, la dette extérieure nominale des banques et des entreprises russes s'élevait à 381 milliards de dollars[24]. Un financement de long terme auprès de la banque centrale s’avérera à coup sûr bien compliqué à l’avenir. Bien entendu, les banques russes possèdent des actifs à l’extérieur mais puisqu’il leur est désormais interdit de conclure des transactions sur les marchés, elles ne peuvent évidemment pas en retirer des liquidités. Parallèlement, les grandes banques russes multiplient les prêts aux entreprises pour les soutenir en cette période difficile. C’est ainsi que les emprunts aux entreprises octroyés par Sberbank ont augmenté de 12 % depuis le mois de janvier et les prêts à la consommation de 16 %.
Comme les taux d’intérêt en Russie ont été relevés pour tenter de faire face à la fuite des capitaux, et ce alors que les agences de notation dégradaient les passifs des acteurs russes, il existe un risque réel qu’à moyen terme, les crédits de mauvaise qualité se multiplient dans le pays. A terme, cette multiplication des crédits douteux risque de peser sur la solvabilité des banques russes. Cette configuration est d’autant plus problématique que la guerre entraînera une récession de l’ordre de 7% du PIB de la Russie avec le risque qu’une partie de la population surendettée éprouve de plus en plus de difficultés à rembourser les banques du pays. L’accès aux marchés des capitaux chinois revêt, dans ces conditions, un aspect vital pour les banques et l’économie russe. Mais rien n’indiquait, à l’heure où ces lignes étaient écrites (19 mars 2022) que la chose serait aisée car le gouvernement chinois semble vouloir garder ses distances par rapport à ce conflit. Cette situation, si elle perdure, ne simplifiera d’évidence pas la vie du gouvernement russe, lequel doit également faire face à des sanctions dans le domaine des investissements de la part des firmes multinationales.
La pression des entreprises transnationales
La liste des entreprises qui quittent la Russie est à première vue impressionnante. Le récit médiatique en Occident de ces décisions pourrait, à tort, donner à penser que toutes les décisions auront un impact équivalent. Rien n’est cependant moins vrai.
En effet, le départ, par exemple, de McDonald's de la Russie, pour prendre un exemple emblématique à la limite de la caricature, est quasiment négligeable d’un point de vue structurel. On ne comprend, d’ailleurs, pas comment la presse mainstream a pu perdre son temps à commenter, parfois de manière très appuyée, ce type de décisions sans grande importance finalement. On constate déjà le projet de remplacement des points de vente labélisés Mc Do en Russie par une chaîne locale qui s’appellera Oncle Vania. A vrai dire, d’un point de vue technique et opérationnel, remplacer une chaîne de malbouffe par une autre ne représente guère un défi mettant aux prises l’économie russe avec un quelconque besoin d’importer des technologies de pointe.
Il en va tout autrement en ce qui concerne la récente décision des géants de l’aéronautique Airbus et Boeing de ne plus livrer de pièces de rechange ou de garantir les services de maintenance pour les compagnies aériennes russes. L’objectif des deux firmes est clairement de mettre en jeu la sécurité des vols civils. Les appareils des deux compagnies occidentales forment, en effet, la majorité de la flotte d'aviation commerciale russe. Pour 1.000 avions civils en service en Russie, 370 sont des Boeing et 340 des Airbus. « Et la Russie risque de voir se retirer une partie de ces avions : trois quarts d'entre eux appartiennent non pas aux compagnies mais à des loueurs, selon la base de données de la publication spécialisée Aviation Week. Si un quart de ces loueurs sont russes, près de la moitié sont européens »[25]. Pour se prémunir de pertes majeures pour son secteur aéronautique civil, le gouvernement russe a autorisé à la mi-mars 2022 les compagnies aériennes du pays à s'approprier quelque 500 Airbus et Boeing appartenant à des loueurs américains et européens[26]. A plus ou moyen terme, la question du refus de maintenance et de livraison de pièces de rechange pourrait poser problème à l’industrie russe. On peut, avec une partie de la presse spécialisée en France, estimer que « les compagnies russes disposent de stocks bien proportionnés en raison de leur politique douanière assez stricte qui ne permet pas d'opérer à flux tendus. Les compagnies russes pourraient disposer de quelques mois devant elles, peut-être six, même s'il est dur d'évaluer avec précision leurs réserves. Si les sanctions venaient à perdurer, les opérateurs pourront également cannibaliser une partie de leur flotte pour récupérer des équipements »[27].
Autrement dit, d’ici 6 mois, le secteur de l’aéronautique civil russe aura du mal à opérer sans devoir démonter une partie de la flotte du pays. Il est vrai que remonter une filière aéronautique civile en un laps de temps aussi court relève clairement de la gageure. Cette stratégie de cannibalisation de sa flotte civile s’avère, à première vue, comparable à ce qui se produit lorsqu’un pays du Sud global est frappé par des sanctions similaires. Il est, certes, vrai que le secteur aéronautique civil russe a, dans la foulée du démantèlement de l’URSS, particulièrement souffert contrairement à son homologue militaire. En décembre 2021, la Russie s'apprêtait à mettre sur le marché son premier avion moyen-courrier civil conçu et fabriqué à 100 % en Russie depuis l’an 2000. Le retour de la Russie dans l'industrie aéronautique russe continuait à suivre, à cette époque, un lent processus de consolidation. Fin 2001, le holding d'Etat United Aircraft Corporation (UAC), OAK en russe, fusionnait avec les avionneurs Sukhoi et MiG afin de mettre sur pied une seule et unique entité en charge de l'ensemble des programmes aéronautiques civils russes[28]. Il est difficile d’imaginer, dans ces conditions, qu’une production aéronautique civile russe permette une autosuffisance du pays dans le secteur d’ici l’hiver 2023.
Le blocage des échanges avec Airbus et Boeing tel que mentionné auparavant peut donc gêner aux entournures le redéploiement de l’aviation civile russe. Cela dit, les tensions sur l’offre de titane sont susceptibles de ternir à moyen terme les perspectives de croissance de la construction aéronautique. A vrai dire, les effets en retour sur l’industrie mondiale de la guerre en Ukraine et des sanctions visant la Russie concernent tous les métaux. Ainsi en va-t-il du palladium, un métal abondamment utilisé dans la construction automobile et « principalement exporté par la Russie à hauteur d’environ 37% en 2021. Les autres métaux, dont le poids de la production russe dans le monde est indéniable, sont le titane (13 % de part de marché), le platine (10,5 %), l’aluminium (5,4 %), le cuivre (4 %), le cuivre raffiné (3,5 %) et le cobalt (4,4 %). Cette guerre arrive sur un marché des métaux déjà extrêmement tendu. Entre 2020 et 2021, le prix de ces métaux a bondi de 45%. La hausse du nickel est la plus significative avec un prix qui est monté à plus de 100 000$ la tonne avant de redescendre autour des 30 000$ la tonne »[29].
L’exemple de l’aviation civile russe est particulièrement emblématique car il démontre un besoin de transfert de technologie de la part de l’économie russe. Du point de vue des Occidentaux, il s’agit là d’un élément de pression non négligeable, auquel s’oppose, côté russe, une volonté de promotion de productions autonomes dans une volonté de substitution aux importations. Au total, l’économie russe semble s’être lancée dans une course contre la montre pour combler son retard technologique face aux grands centres occidentaux.
C’est à la suite des premières sanctions édictées après l’occupation de la Crimée en 2014 qu’on a repéré une tendance de l’économie russe à la substitution aux importations pour les secteurs concernés. L’industrie alimentaire a été le fer de lance de ce mouvement, et dans une moindre mesure, la chimie de base[30]. Il s’agit là de deux secteurs se caractérisant par une faible intensité en technologies de pointe. L’ampleur des sanctions mises en œuvre cette fois constitue un impressionnant changement d’échelle. Remplacer tous les partenaires occidentaux dans les projets impliquant d’importants apports technologiques n’a rien d’évident. Certes, la Russie dispose de talents et de compétences en termes de capital humain. La chose est indéniable dans un pays qui a vu naître de grands scientifiques tels Dimitri Mendeleïev (chimie) ou encore Sergueï Iliouchine (aéronautique). Il n’en reste pas moins que procéder aux investissements (aéronautique) et capitalisations nécessaires à ce type de substitutions constitue une opération financière particulièrement ardue à l’heure où le pays est coupé des marchés internationaux et alors que les réserves de change de la banque centrale vont devoir porter la quasi-totalité des investissements dans le pays.
Or, en 2021, les investissements représentaient 24,8% du PIB nominal du pays et ce dernier s’élevait avoisinait les 1.500 milliards de dollars US. Donc les investissements s’élevaient à 372 milliards de dollars l’an dernier en Russie[31]. Face à ce montant, il y a 480 milliards dollars de réserves. En formulant l’hypothèse que l’économie russe ne garde plus comme partenaires pour ses importations que les pays non-occidentaux qui ne l’ont pas sanctionnée, elle devra encore financer 60 milliards de dollars d’importations[32] au minimum.
Autrement dit, si la Russie doit maintenir les investissements à leur niveau habituel mais aussi financer des importations en plus de soutenir son système bancaire tout en développant son secteur des technologies de pointe, les réserves du pays risquent vont souffrir. De ce point de vue, la menace de nationalisation ne répond pas aux défis profonds de l’économie russe. En effet, qu’un site de production soit confisqué ou non, l’important consiste à le faire tourner par la suite et cette opération nécessite des capitaux. Ces derniers, s’ils sont prélevés à partir des réserves du pays, vont naturellement diminuer la capacité de résistance dans le temps de la Russie.
Un facteur économique permettant d’atténuer ce choc pour l’économie russe réside principalement dans le fait que toutes les grandes entreprises ne quittent pas la Russie. Cet état de choses accroît les capacités de résilience de l’économie russe. Ainsi en va-t-il de TotalEnergies qui a mis sur pied en Sibérie à plus de 500 kilomètres au nord du cercle polaire (sur la presqu’île de Yamal plus précisément) un immense site de production de gaz naturel liquéfié, avec des partenaires russe et chinois. Il s’agit du premier projet gazier à fonctionner sous de telles latitudes. A vrai dire, la situation actuelle de TotalEnergies représente un cas emblématique de dépendance d’un grand groupe occidental à la Russie. « Grâce à Novatek, dont Total détient 18,9 %, la Russie est déjà devenue l’an dernier le premier pays de production du pétrolier français, représentant avec 290.000 barils par jour près de 13 % du total. Outre Yamal, Total détient aussi avec le groupe gazier russe une partie (49 %) du champ de Termokarstovoye, entré en production il y a un an dans la même région. Yamal lui permettra de monter en puissance, avant le développement espéré d’autres projets avec Novatek. Le groupe russe évoque déjà un projet similaire sur la péninsule de Gydan, à l’est de Yamal, où il détient des licences et où les réserves sont également considérables. De quoi alimenter les rêves d’avenir de Total en Russie »[33]. Ces lignes datent de 2016. Le moins que l’on puisse dire est que la dépendance de TotalEnergies à l’égard de Russie n’a, loin de là, pas diminué avec le temps.
Si la production à partir de la Russie d’énergie liquide (pétrole brut) ne représente que 5% du volume du groupe, celle de gaz est autrement plus importante. En effet, la Russie représente près du tiers de la production de gaz au monde du géant français. Cette part sera naturellement plus élevée encore lorsque le projet d’exportation de gaz naturel liquéfié du site Arctic LNG 2 sera opérationnel (sans doute en 2023). Si l’on mesure l’importance de la Russie au regard de la production de TotalEnergies en Europe et en Asie centrale (il s’agit là de l'essentiel du gaz susceptible d’être acheminé à Europe via des gazoducs), la part de la Russie s’avère décisive pour l’avenir du groupe, avec près de 61% du gaz produit[34]. De surcroît, « lorsque TotalEnergies évalue les flux de liquidités futurs que vont générer la production d'hydrocarbures sur ses différents théâtres d'opération, alors la part de la Russie atteint plus de 20% des cash-flow mondiaux attendus par le groupe dans le futur. Bon moyen d'appréhender la solvabilité et la pérennité d'une entreprise, cet indicateur nous montre que le futur industriel global de TotalEnergies dépend fortement des sites gaziers Yamal et Arctic LNG : les abandonner reviendrait à grever une part extrêmement conséquente des réserves prouvées du groupe, ainsi que de ses revenus futurs »[35]. On comprend, dès lors, mieux la récente décision de TotalEnergies de se priver du pétrole russe « dans les meilleurs délais et au plus tard à la fin de l'année 2022 [36] » (ce qui laisse encore du temps au grand groupe français pour envisager l’avenir dans la perspective d’un éventuel accord entre Moscou et Kiev) afin de calmer les ONG françaises mais sans toucher le moins du monde, en revanche, à son secteur gazier. Concernant ce dernier secteur, " Patrick Pouyanné, PDG de TotalEnergie, s’est montré des plus explicites : « Aujourd’hui, je sais remplacer le pétrole et le diesel russes, c’est pourquoi j’ai pris ces décisions. Mais le gaz russe, je ne sais pas le remplacer. Et les gouvernements européens sont sur la même position en choisissant de ne pas prendre de sanction sur le gaz. Si nous le faisions, nous aurions un problème à l’hiver 2023 et nous devrions rationner les entreprises »[37].
Ce maintien d’investisseurs occidentaux en Russie garantit, en tout état de cause, la permanence de transferts de technologie dans des secteurs clés de l’économie russe. La Russie est donc loin de devenir une nouvelle Corée du Nord et le départ d’une célèbre chaîne de restauration rapide ou de café (au demeurant, infect) n’y changera strictement rien. Et ce ne sont pas les entreprises belges qui diront le contraire puisque la plupart d’entre elles refusent de quitter la Russie[38].
A terme, il restera cependant un souci pour Moscou dans certains secteurs, notamment l’automobile, où des actifs pourraient être nationalisés si la guerre persiste en Ukraine. Par exemple, Renault a, à la fin du mois de mars de cette année, relancé sa production en Russie. Quitter purement et simplement la Russie aurait constitué un important manque à gagner pour un groupe dont le redressement financier n’est pas encore achevé. Le constructeur russe AvtoVAZ a, en effet, représenté 50% du résultat opérationnel de la division automobile de Renault en 2020[39]. Quelques jours plus tard, sous le feu des critiques, la marque au losange a dû finalement se résoudre à suspendre l'activité de son usine de Moscou. Le groupe, dont l'Etat français détient 15 % du capital, affirme par ailleurs « évaluer les options possibles concernant sa participation » dans le constructeur russe AvtoVAZ, qu'il détient, tout en agissant de manière responsable envers ses 45.000 salariés dans le pays. Selon une source au sein du groupe, la réunion du conseil d'administration organisée ce mercredi était prévue depuis plusieurs jours face à une situation devenue intenable. Les critiques à l'encontre de Renault s'étaient encore accentuées (…) avec le redémarrage de la production sur son site moscovite, suspendue fin février après l'invasion de l'Ukraine par les troupes russes »[40]. A cette tuile pour le secteur automobile russe, il faut également ajouter le désengagement de Ford de la fabrication de camions en Russie. Pour ne rien simplifier à la situation compliquée du secteur automobile, il ne suffira pas de nationaliser l’un ou l’autre investisseur étranger pour faire redémarrer la production, encore faudra-t-il disposer de la totalité des composantes nécessaires à la production modèles. En cas de reprise d’AvtoVAZ par un acteur russe, cet aspect est moins problématique puisque seule la production de voitures russes (les modèles Lada Granta et Lada Niva) intégrant une grande part de composants fabriquées sur place est la seule qui a repris sur les chaînes de Russie. Cela dit, la crise des semi-conducteurs va également frapper l’industrie automobile russe mais elle est la seule dans ce cas[41].
Un besoin de refinancement structurel
En laissant de côté cette question technique qui trouvera peut-être une réponse à travers la fondation de groupes équipementiers locaux, il ne faut pas perdre de vue un autre élément défavorable. Pour procéder à ces nationalisations d’actifs tout en ne dilapidant pas ses réserves qui, tant que les sanctions resteront en vigueur, constitueront le gilet de sauvetage du pays, l’économie russe devrait idéalement pouvoir se refinancer de manière structurelle auprès de la Chine. Les choses seraient, dans ces conditions, nettement plus simples pour la patrie de Tourgueniev. De ce point de vue, force est cependant de constater que la solidarité de Pékin sera mesurée. S’il est clair que la Chine continuera à soutenir diplomatiquement la Russie, Pékin, pour autant, ne va pas négliger ses intérêts propres. En d’autres termes, les liens forts tissés sur le plan politique n’augurent en rien d’un soutien économique renforcé de la part de Pékin à son partenaire russe. « Les relations économiques sino-russes ont été ces dernières décennies un processus principalement politique d’échanges de matières premières contre des biens de consommation. Le poids modeste de l’économie russe et sa très faible diversification hors secteur primaire limitent le potentiel de coopération. La Chine, certes friande de minerais et de produits agricoles, a fait de l’enjeu technologique sa nouvelle priorité absolue. Pour ce faire, la priorité devrait aller à l’obtention des savoirs et des produits des économies avancées »[42].
De surcroît, la Chine s’est profondément impliquée dans la mise en œuvre d’un grand projet économique et géopolitique pour l'Eurasie, dans laquelle elle entend se poser en pivot à l'Extrême-Orient d'un vaste réseau commercial qui englobera l’Europe occidentale. Pékin a misé d’importants capitaux dans cette entreprise pour impliquer tout l’ensemble européen de l’Atlantique à l’Oural. Tant la Russie que l'Ukraine font partie de ces routes européennes de la Soie. Puisqu’aujourd’hui, l’Union européenne manifeste une forte solidarité en faveur du gouvernement ukrainien, la Chine ne peut envisager de se tenir aux côtés de la Russie dans un conflit prolongé qui finirait par nuire à son projet des Routes de la Soie.
Face à toutes ces difficultés, le récent projet russe de faire procéder au règlement de la facture gazière des Européens en roubles a fait l’objet de commentaires approximatifs et partiaux de la part des grands prêtres de la pensée unique en économie chez nous. Commençons par examiner toutes les dimensions de ce projet controversé. Tout d’abord, on observera qu’en date du 25 mars, aucun paiement en rouble n’est intervenu. Aussi est-il un peu prématuré pour décréter que cette formule n’aura aucun impact sur les taux de change euros/roubles. De surcroît, on repère déjà un mouvement de récupération du rouble face à l’euro alors même que la facture en gaz des Européens ne se règle pas (encore ?) dans la devise nationale russe.
La tendance est nette, voire carrément limpide.
On observe qu’à compter du jour de l’invasion de l’Ukraine (soit le 24 février 2022) jusqu’à l’introduction des sanctions, le rouble a fluctué de manière contrôlée par rapport à l’euro. Par exemple, le rouble valait 0,109 euros le 23 février et 0,108 le 25 février. Le 27 février, une grosse sanction vient gifler le géant russe. L'Union européenne, le Royaume-Uni, les États-Unis et le Canada décident conjointement que a Banque centrale de la Fédération de Russie ne pourra plus disposer de librement de ses actifs à l'étranger. Le coup de massue est total. Le rouble va alors connaître une véritable descente aux enfers. Le 1er mars, il ne vaut plus que 0,079 euros. Il s’agit là d’une chute de plus de 27% depuis le 23 février. Le 6 mars, un plus-bas est atteint. La devise russe ne vaut plus que 0,06 euros. Par rapport au 23 février, le rouble a donc perdu 45% de sa valeur. Depuis, on observe une remontée constante de la monnaie russe. En date du 25 mars 2022, le rouble valait 0,089 euros et avait repris plus de 48% depuis le 6 mars. Par rapport au taux en vigueur le 23 février, la baisse du rouble n’est plus que de 18,5%[1].
En date du 25 mars 2022, on assistait donc à une remontée du rouble face à l’euro depuis environ deux semaines sans que les importations de gaz en Europe soient réglées avec des roubles. Autrement dit, plutôt que d’estimer qu’une modification des contrats jamais entrée en vigueur n’aura aucune influence sur le taux de change à l’avenir, il semble plus factuel de constater, d’une part, que le change du rouble face à l’euro s’est déjà amélioré et d’autre part, sur la base de ce constat, anticiper qu’une décision politique obligeant nos pays à se fournir en roubles devrait logiquement contribuer à renforcer cette dynamique[2]. En effet, ce qui a jusqu’à présent poussé le rouble à la hausse a trait à un facteur passé longtemps inaperçu chez nous.
Depuis l’invasion de l’Ukraine, la Banque centrale de Russie a injecté 38 milliards de dollars en partie afin de défendre le cours du rouble depuis l’invasion de l’Ukraine. Le 18 février 2002, les réserves de la Russie s'élevaient à 643,2 milliards de dollars. En date du 25 mars 2022, elles avaient plongé au niveau à 604,4 milliards de dollars. Ce mouvement de revente de devises s’explique par le service de passifs en devises (jusqu’à présent, la Russie n’a pas fait défaut sur sa dette extérieure) et une volonté de soutenir le rouble[3]. On prendra soin de remarquer qu’à la fin du mois de mars, le Premier ministre russe Mikhail Mishustin a déclaré que le pays autoriserait les détaillants à importer des marchandises sans l'autorisation du titulaire de la marque. Cela signifie donc, en d’autres termes, qu'un importateur russe pourrait acheter, par exemple, des vêtements de marque dans un autre pays et les importer en Russie, sans avertir au préalable l'entreprise détentrice de la marque. Il s’agit là d’une pratique qui remonte à l’époque soviétique et qui connue sous le nom d'« importations parallèles ». Ces dernières, quoiqu’illégales, sont tolérées par les autorités. Le ministère de l'Industrie et du Commerce doit encore établir la liste des importations parallèles acceptées. Evidemment, le financement de ces importations nécessite la mobilisation des devises.
Pourtant, le gouvernement russe, outre un sévère contrôle des capitaux qu’aurait, d’ailleurs, mis en place n’importe quel pays soumis à des sanctions d’une telle ampleur, encourage au rapatriement de capitaux par ses ressortissants fortunés qui craignent plus ou moins tous de se retrouver un jour ou l’autre sur liste noire. Cet afflux résultant de la prolongation de cette loi d’amnistie fiscale pourrait, d’ailleurs, permettre à la Russie d’échapper, pour l’heure, au défaut de paiement. Pour situer l’importance de la question du rapatriement des capitaux, on soulignera que la Russie est, en effet, un créancier net sur les marchés internationaux. La valeur de ses avoirs extérieurs dépasse la valeur de ses dettes contractées à l’étranger. Le total des actifs extérieurs des Russes, en septembre 2021, s'élevait à 1.620 milliards de dollars contre 1,18 milliard de dollars de passifs à l’extérieur. L'accumulation d'avoirs extérieurs nets a été favorisée par la hausse des prix du pétrole et des métaux, qui a porté l'excédent du compte courant en 2021 à 120 milliards de dollars, soit plus de 7 % du PIB[4].
Pour l’heure, les dollars et les euros réexpédiés par les oligarques ne sont pas encore intégralement changés sur la place de Moscou. Ils dorment sur des comptes multidevises. De là à penser qu’ils ne soutiendront jamais le cours du rouble, il n’y a qu’un pas, qu’il ne faut surtout pas franchir.
La reprise du rouble ne correspond, en effet, pas exclusivement à un soutien artificiel des autorités russes à leur devise nationale afin de permettre l’importation des biens de luxe occidentaux par la classe moyenne. Si la position de la balance des paiements s'améliore à l’avenir, le cours du rouble en sortira raffermi. En analysant les données sur le trafic des pétroliers, l'Institute of International Finance (IIF) estime que les recettes d'exportation de pétrole de la Russie en mars totaliseront 12,3 milliards de dollars. Il s’agit là d’une hausse très significative par rapport au même mois l’année dernière étant donné que les prix de l'énergie grimpent en flèche. De surcroît, même si une marge de tolérance s’applique pour quelques biens de luxe, on peut s’attendre à une importante diminution des importations cette année tant et si bien que certains experts entrevoient un doublement de l'excédent du compte courant autour des 220-230 milliards de dollars par rapport à 2021[5]. Si ces prévisions se concrétisent, nul doute que les oligarques finiront par convertir en roubles une plus grande partie de leurs avoirs rapatriés. Evidemment, le plus tôt sera le mieux pour le gouvernement russe et c’est ici qu’intervient le récent arrangement pour faire de la dépendance européenne au gaz russe un élément de soutien du taux de change du rouble.
Aux cours des dernières semaines, le Kremlin aurait proposé un ingénieux montage financier à ses clients situés sur le territoire de l'Union Européenne. Plutôt que d’exiger de ces derniers qu’ils paient en roubles, il leur sera désormais demandé d’ouvrir un compte en roubles auprès de Gazprombank, la banque du grand groupe gazier russe. Les paiements sur ces comptes seront effectués en euros comme auparavant. Gazprombank convertira ensuite ces devises en roubles à la bourse de Moscou. Auparavant, Gazprom était tenue de liquider 80% du volume de ses devises. Evidemment, les nouvelles dispositions auront pour conséquence une augmentation de 20% des réserves en euros de la Banque de Russie.
On comprend donc mieux pourquoi après l’annonce par Vladimir Poutine de ce projet de règlement du gaz en rouble, la devise russe a regagné 7% face au dollar. En définitive, derrière cette volonté de « roublisation » de la facture gazière des Européens, il y a l’idée du gouvernement russe d’attirer toujours plus de devises des oligarques qui, en voyant le rouble grimper, estimeront que leurs actifs seront mieux protégés à l’avenir s’ils sont convertis dans la devise nationale. Un cercle vertueux d’appréciation de la devise russe pourrait alors s’installer petit à petit. Cette question est importante pour que le commerce bilatéral entre la Russie et la Chine dans les monnaies respectives des deux pays puisse se développer comme le souhaitent clairement Pékin et Moscou[6]. Pour le dire familièrement, si personne ne veut plus du rouble dans le monde, pourquoi les Chinois accepteraient-ils d’être payés dans cette devise ? C’est là une conséquence des sanctions à laquelle le gouvernement russe devait répondre. L’hypothèse d’un commerce entre les deux pays ne passant plus par le dollar comme unité de compensation apparaît, au contraire, renforcée du fait de l’appréciation du rouble[7]. Peut-être cet état de choses ouvre-t-il d’ailleurs la porte à ce que des pièces et intrants importés d’Europe ou des Etats-Unis indispensables pour les industries russes puissent à l’avenir provenir de Chine.
En tout état de cause, les relations commerciales entre les deux géants progressent. « Si la Chine a connu un tassement de ses exportations en janvier-février 2022, puisqu'elles n'ont progressé que de 16,3% sur un an (un rythme inférieur à l'an dernier où elles avaient bondi de 60,6% au cours de la même période), elles grimpent fortement vers la Russie selon des chiffres publiés par les Douanes chinoises. Sur les deux premiers mois de 2022 en effet, les ventes du géant asiatique vers son voisin russe ont bondi de 41,5% sur un an, sans que le détail des produits concernés ait été précisé »[8]. Si le raffermissement du rouble se maintient à l’avenir, certains groupes étrangers risquent d’être assez surpris car il se pourrait peut-être qu’ils soient nationalisés en roubles, si du moins le conflit militaire en Ukraine perdure, puisque c’est précisément dans cette devise que les capitaux vont de plus en plus s’accumuler en Russie. Cette tendance est telle que la Bourse a commencé à refonctionner à Moscou dès le jeudi 24 mars après un mois de gel des cours. La progression de l’indice de référence du marché moscovite a progressé jusqu’à 12% au cours de cette journée un peu folle[9].
Bref, l’économie russe est loin de se décapitaliser alors qu’elle est coupée des flux de capitaux mondiaux. Du point de vue de l’évolution des taux de change, la possibilité d’une nationalisation en roubles des actifs des grands groupes qui se retirent du pays peut exercer un effet de balancier et compenser la hausse du cours du rouble qui résulterait du paiement de la facture gazière de l’Europe. En effet, on peut anticiper que lorsque Renault ou d’autres groupes recevront leurs indemnités en roubles, ils chercheront à convertir ces derniers. Evidemment, en raison des sanctions qui frappent la Russie, la place du rouble sur les marchés des changes est des plus limitées. Un soutien de la BCE qui consistera en une certaine forme de réactivation du marché des changes devra peut-être organisée pour éviter que les trésoreries de nos groupes soient un peu trop chargées en roubles dont la conversion est quasiment impossible hors de la Russie au point que l’on peut estimer que la devise russe est devenue une devise de facto inconvertible. Restons cependant prudents. Pour l’heure, le Kremlin a posé une stratégie visant à permettre au rouble de se stabiliser à un niveau équivalent à celui d’avant l’invasion de l’Ukraine. Lorsque cet objectif sera atteint (mais nous n’en sommes plus loin), il ne faudra, par contre, pas s’étonner de voir la question des dédommagements en roubles des grands groupes internationaux se poser.
En tout état de cause, la compréhension côté occidental du projet russe de règlement de la facture gazière en rouble de la part des « nations hostiles » a permis de mettre en évidence un certain nombre d’approximations chez les commentateurs de référence. Les réseaux sociaux sont, c’est bien connu, devenus les bistrots de notre époque. De ce point de vue, Facebook peut vraiment faire figure de café du commerce et Twitter de Jockey Club évidemment plus huppé. Il n’en reste pas moins que tous les comptoirs du monde, quels que soit la classe sociale qui habituellement les fréquente, doivent éponger une quantité astronomique de stupidités[10]. C’est ainsi qu’il était parfaitement faux d’écrire, spécialement lorsque l’on est désireux de mettre en avant, par exemple, sa qualité de doctorant au prestigieux MIT de Boston[11], que techniquement, la modification de devise de règlement des contrats gaziers ne changeait en rien en ce qui concerne la facturation du gaz russe puisque les Européens allaient continuer à payer en devises leur gaz à Gazprom mais que cette dernière devrait, pour satisfaire aux exigences pour le coup singulièrement anti-oligarques du Kremlin, liquider davantage de devises au bénéfice de la banque centrale. Cette proposition est doublement fausse.
Primo, Gazprom n’est pas une entreprise détenue par des oligarques. En effet, 50,2% du capital de cette société anonyme appartient au gouvernement russe. Secundo, l’idée de Moscou a toujours été de mettre les marchés occidentaux sous pression en démontrant la dépendance des Européens au gaz russe. On en voudra pour preuve la manière dont les leaders européens se sont mis à dénoncer à l’unisson une rupture de contrat dans le chef des autorités russes. En effet, les contrats conclus avec Gazprom mentionnent bien une devise de référence. Et donc si les Européens s’estiment grugés, libre à eux de dénoncer les contrats passés avec les Russes et de se passer, par conséquent, du gaz de ce pays. Et donc retour à la case départ. En effet, la dépendance de l’Europe est, comme nous l’avons vu, telle que lorsque les leaders du Vieux Continent ont évoqué une éventuelle rupture des termes des contrats de fourniture, les prix ont recommencé à grimper sur le marché amstellodamois.
C’est ainsi que l'annonce du gouvernement russe a ravivé les craintes en Europe quant à la continuité des approvisionnements russes. Les contrats à terme sur le gaz ont gagné jusqu'à 9,8 % le jeudi 24 mars 2022, après avoir clôturé en hausse de 18% la veille. Pour fixer définitivement les notions, si l’on doit évidemment repérer dans la décision russe une indéniable rupture des termes des contrats, cette dernière n’est pas forcément synonyme d’une volonté de contourner les sanctions puisque le périmètre d’application de ces dernières ne couvre précisément PAS le secteur du gaz, et ce, à la demande de l’Allemagne depuis le début des hostilités.
En tout cas, les autres producteurs de gaz ne disposent pas des capacités de satisfaire les besoins européens à court terme. L’année dernière, l’Europe a consommé 150 milliards de m3 de gaz russe. Les Etats-Unis peuvent suppléer cette année pour un volume de 15 milliards de m3.
Or, l’objectif de la Commission européenne est de trouver une alternative pour 50 milliards de m3 russe cette année. Il en manque donc 35 milliards et le Qatar n’est sans doute pas en mesure de remplacer le gaz russe en Europe du jour au lendemain. Au début de mois de février de cette année, une vidéoconférence a réuni le président et l'émir du Qatar, le cheikh Tamim bin Hamad Al-Thani. A cette occasion, le pétromonarque a déclaré au président des Etats-Unis que « le volume de gaz dont l'Union Européenne a besoin ne peut être remplacé par qui que ce soit unilatéralement, sans perturber l'approvisionnement d'autres régions du monde. La sécurité énergétique de l'Europe nécessite un effort collectif de la part de nombreuses parties »[12]. La situation est à ce point dramatique que la Belgique doit se préparer à l’éventualité de pénuries cet hiver. En outre, l’Europe n’est pas équipée pour un tel glissement vers le gaz liquéfié. En effet, les ports et les installations de regazéification en Europe (Royaume-Uni inclus) ne peuvent traiter que 19 milliards de mètres cubes par mois. Ils gèrent actuellement environ 8 milliards de m3 par mois, ce qui signifie qu'ils pourraient prendre 11 milliards de m3 supplémentaires par mois[13]. Nous sommes donc très loin de compenser intégralement les importations de gaz russe, du moins pour l’heure.
Voilà pourquoi le SPF Économie a mis en place un plan de communication correspondant à différentes niveaux d’alerte. « La phase 6 se déclenche si le délestage s'avère insuffisant et que des "manques réels" de gaz se font sentir. Le conseil à la population s'élargit alors aux alternatives en matière de chauffage et de cuisine »[14]. Pour l’heure, il ne faut pas céder à la panique puisque nous sommes toujours en situation normale d’approvisionnement. Cependant, Jean-François Carenco, le président de la Commission de régulation de l'énergie (CRE) en France, tirait la sonnette d’alarme et pointait, à la fin du mois de mars, la possibilité réelle de pénuries d'énergie durant l’hiver 2022-2023 et invitait les Français à économiser le gaz et l’électricité[15]. On verra vite qui des rassuristes belges ou des pessimistes français aura finalement raison.
La dépendance de l’Europe occidentale au gaz russe est bien réelle. Il s’agit là d’une indéniable source de revenus pour la Russie. Si l’on ajoute à ce fait la position créditrice de la Russie à l’égard du reste du monde alors que les comptes des Russes à l’extérieur pourraient être bloqués, il en résulte un flux monétaire susceptible de soutenir le cours du rouble. Cette stabilisation du cours de la devise russe est la condition sine qua non pour qu’un commerce bilatéral dans leurs monnaies nationales puisse voir le jour entre Pékin et Moscou. Les tendances actuelles en ce domaine sont positives, ce d’autant que la Russie dispose encore des cryptomonnaies pour contourner les sanctions.
Nous nous sommes jusqu’à présent bornés à détailler l’impact non négligeable, mais pas non plus cataclysmique, des sanctions adoptées contre la Russie. Nous allons, à présent, nous intéresser aux effets en retour des sanctions sur l’économie mondiale.
Ils ne sont pas insignifiants. Loin de là. C’est ainsi que la Russie est devenue, après la disparition de l’URSS, un acteur économique central au sein de l’économie-monde contemporaine.
Des répercussions mondiales et de long terme
Les commentateurs avides de comparaisons historiques un peu rapides en arrivent à qualifier la guerre en Ukraine à un retour de la Guerre froide. Ils omettent, cependant, de préciser que l’insertion de la Russie post-soviétique au sein du commerce international s’avère bien plus importante que celle de feu l’URSS. Les chiffres sont, de ce point de vue, particulièrement éloquents.
Après une phase d’augmentation au cours des années 1970, « la part des pays occidentaux dans le commerce extérieur de 1'U.R.S.S. a chuté de 33,6 % en 1980 à 23 % en 1986 »[16]. Il est vrai toutefois que l’URSS a accru sa dépendance au commerce international avec les pays occidentaux. Cette dernière représentait 0,97% de la richesse produite par l’économie russe en 1955 (ce qui correspond à une situation de quasi-autarcie) pour arriver à 4,93% en 1976[17]. On note également qu’à la fin des années 1960, les exportations soviétiques ne représentaient que 2% du commerce mondial[18]. Après une phase de timide ouverture et de progrès relatifs durant la deuxième moitié des années 1970, la part de l’URSS dans le commerce international a continué à stagner. Au total, « entre 1969 et 1977, la place du commerce Est-Ouest dans le commerce mondial a progressé légèrement (dans les exportations de l’Ouest elle passe de 2,8 à 3,1%, dans les importations de 2,6 à 2,7%). En fait, ce gain a été acquis de 1969 à 1973 et s’est ensuite stabilisé »[19].
Le commerce Est-Ouest a ensuite marqué le pas suite à l’entrée en crise du centre capitaliste lors du choc pétrolier de 1973. En réalité, à cette époque, la récession à l’œuvre au sein des grands pays industrialisés s’est soldée par une stagnation du commerce mondial. Puisque les Etats centraux voyaient leur PIB diminuer, le commerce mondial dans lequel ils étaient surreprésentés à l’époque avait tendance à être également affecté.
La disparition de l’URSS va conduire la Russie à intensifier ses échanges avec l’extérieur. A ce sujet, on repérera un lien de causalité évident entre la planification soviétique très centralisée et un rejet du commerce international organisé selon des règles adoptées dans un cadre réglementaire multilatéral.
« La planification centrale du commerce extérieur renforçait très certainement le bilatéralisme de la politique commerciale soviétique. En effet, les directives centrales qui déterminaient tant le niveau que la direction des flux commerciaux étaient formulées séparément pour chaque pays. L'élaboration des objectifs quantitatifs du plan du commerce extérieur par pays facilitait l'exécution des accords bilatéraux qui déterminaient le niveau de commerce entre les partenaires concernés. Le monopole du commerce extérieur rendait aussi particulièrement aisée la pratique des prix discriminatoires qui tentait d'égaliser le coût marginal de production avec le revenu marginal des exportations pour chaque pays, séparément. La discrimination, pour des raisons aussi bien politique qu'économique, pourrait donc être facilement pratiquée par le gouvernement soviétique. Pour toutes ces raisons, et malgré l'accord de principe initial de l'U.R.S.S. à convoquer une conférence pour créer une organisation internationale du commerce sous les auspices de l'O.N.U., le Kremlin refusa de participer à la Conférence de Londres (1946), aux négociations de Genève (1947) et à celle de La Havane (1947) et se tint à l'écart du système de commerce multilatéral durant la période 1947-1954. Le gouvernement soviétique préféra également ne pas accéder au Fonds monétaire international (FMI) et à la Banque internationale de reconstruction et de développement (Banque mondiale), bien que les statuts de ces deux organisations tinssent compte des exigences exprimées par l'U.R.S.S .à Bretton Woods (1944) »[20].
Par la suite, les suites de la déstalinisation ont certes conduit l’URSS, que ce soit, d’ailleurs, sous Khrouchtchev ou Brejnev, à désirer acquérir de nouvelles technologies à l’Ouest afin d’accroître la productivité des facteurs et donc augmenter le pouvoir d’achat de la population. C’est à cette époque, par exemple, que le constructeur automobile russe Lada-AvtoVAZ s’associe à Fiat pour produire la célèbre Lada 2101 qui est sortie des usines russes à plus de 17 millions d’exemplaires entre 1970 et 1988.
Pourtant, on n’hésitera pas à qualifier cette ouverture commerciale de conditionnée en raison du fait que l’URSS n’est jamais devenue membre du GATT (General Agreement on Tariffs and Trade, en français : accord général sur les tarifs douaniers et le commerce). Ce dernier, qui est l’ancêtre de l’Organisation mondiale du Commerce (OMC), visait à libéraliser progressivement les échanges à travers des abaissements de droits de douane sectoriels qui liaient ipso facto tous les membres de l’organisation. Pour l’URSS, un tel système aurait pu signifier un démantèlement de ses politiques de planification industrielle. Avec l’abandon des plans quinquennaux de planification, la Russie va faire acte de candidature à l’OMC et au bout de dix-huit ans de négociations, va en devenir le 156ème membre le 22 août 2012.
Depuis l’effondrement de l’URSS, la Fédération de Russie est devenu un acteur majeur du commerce mondial. En 2018, la Russie était le 15ème pays au monde pour ce qui est de ses exportations. Le volume total des exportations dans le monde s’élevait alors à 19.000 milliards de dollars et le montant des exportations russes (449 milliards de dollars ne représentait que 2,3% de ce total. A titre de comparaison, la Belgique était, à la même époque, le 12ème exportateur mondial et couvrait 2,4% du total des exportations mondiales[21]. On pourrait, sur la base de ces chiffres, croire que la Russie n’est pas très présente dans le commerce international. Il faut toujours se méfier des apparences car il n’en est, en fait, rien.
Si l’on scrute les exportations de matières premières de la Russie, on change, en fait, complètement d’échelle. En 2020, la Russie était le deuxième exportateur mondial de pétrole (11% du brut exporté à cette époque) derrière l’Arabie saoudite (17,2% du volume global des exportations de brut[22]). Aujourd’hui, les grands accords permettant la fixation des prix de l’or noir revêtent systématiquement le format OPEP+. Ce dernier correspond à une structure de décision conjointe entre les 13 pays de l'OPEP (Organisation des Pays Exportateurs de Pétrole), c’est-à-dire l’Algérie, l’Angola, l’Arabie Saoudite, les Emirats arabes unis, l’Equateur, l’Iran, l’Irak, le Koweït, la Libye, le Nigeria et le Venezuela ainsi que 10 autres pays producteurs aujourd’hui coalisés (Azerbaïdjan, Bahreïn, Brunei, Kazakhstan, Malaisie, Mexique, Oman, Russie, Soudan et Soudan du Sud). Cette configuration montre une place centrale dans le chef de la Russie en ce qui concerne l’or noir.
En effet, un grand nombre de pays dans ce groupe élargi entretiennent des relations plutôt cordiales avec la Russie. Passons rapidement en revue ces liens.
En ce qui concerne le Kazakhstan, on rappellera que le gouvernement de ce pays, alors qu’il était, au début de cette année, confronté à une importante vague de contestation, a pu compter sur le soutien de la Russie. Cette dernière a dépêché une partie de ces forces militaires afin de sécuriser les infrastructures essentielles dans le but de « normaliser la situation » et aider à « rétablir l'ordre dans le pays »[23].
Le Kazakhstan a produit 91,9 millions de tonnes (Mt) de pétrole brut en 2018. Kashagan, la cinquième plus grande réserve au monde, devrait jouer un rôle majeur dans la future production pétrolière du pays, avec une production projetée de 450.000 barils par jour d'ici 2025 et de 955.000 barils par jour d'ici 2040[24]. Vu ces données, on imagine l’intérêt économique pour Moscou d’une présence accrue dans ce pays. Voilà pourquoi, bien sûr, l'aide militaire russe dispensée à l’occasion de la répression du mouvement de contestation kazakh était assortie de conditions.
C’est ainsi que la Russie a fait pression sur le Kazakhstan pour qu'il accepte des normes pétrolières et gazières harmonisées qui permettent à Moscou de fixer les prix des exportations de gaz vers la Chine. « Les contrats de gaz canalisé ne suivent pas la même logique de marché que le pétrole mais (…). Moscou peut dicter les prix d'exportation du gaz du Kazakhstan comme l'OPEP+ fait son prix du pétrole. Alors que la Russie augmente ses propres exportations de gaz vers la Chine grâce à deux pipelines [sibériens], le pays est en capacité de surclasser l'approvisionnement lointain du Kazakhstan avec un accès plus rapide aux centres de population de l'Extrême-Orient de la Chine »[25].
Pour ce qui est de l’Azerbaïdjan, les choses sont encore plus claires. C’est ainsi que le Président de l'Azerbaïdjan Ilham Aliyev et son homologue ruse Vladimir Poutine ont signé à Moscou le 22 février de cette année une déclaration commune concernant « l’interaction d’alliance » entre les deux pays. Aux termes de cette déclaration, Bakou et Moscou affirment que « la Fédération de Russie et la République d'Azerbaïdjan se déclarent prêtes à tenir des consultations urgentes en cas de situation qui, de l'avis de l'une des Parties, pourrait constituer une menace pour la paix, perturber la paix ou affecter les intérêts de sécurité de l'une des Parties, ainsi qu'en cas de menace de survenance d'une telle situation, aux fins de son règlement »[26].
Bref, un partenariat stratégique existe entre l’Azerbaïdjan et la Russie. Cet approfondissement des relations entre les deux pays a pour origine l’intervention de l’armée russe dans le vieux conflit du Nagorno-Karabakh qui oppose l’Azerbaïdjan à l’Arménie depuis l’éclatement de l’Union soviétique.
A l’intérieur de l’OPEP, la Russie dispose de vieux et fidèles soutiens. A l’ONU, lors du vote qui condamnait l’invasion de l’Ukraine par la Russie, on a observé que les pays qui étaient gouvernés par un mouvement de libération nationale (Algérie, Afrique du Sud, Angola et Mozambique) se sont abstenus. Deux de ces pays, l’Angola et l’Algérie sont membres de l’OPEP.
On vérifiera au passage que Russie n’est pas aussi isolée que ce que l’on veut bien croire par chez nous. Voici l’opinion à ce sujet de Tanguy Struye de Swielande, professeur de relations internationales (UCLouvain-CECRI) : « Si l’on en croit certains observateurs, la Russie de Poutine est aujourd’hui isolée sur la scène internationale. Pourtant, si l’on s’arrête sur le vote à l’Assemblée générale, on constate alors que cet isolement est loin d’être acquis : 141 pays ont certes condamné l’invasion russe, mais 5 pays ont voté contre cette condamnation, et 35 pays, dont la Chine et l’Inde notamment, se sont abstenus. En d’autres termes, 40 pays n’ont finalement pas condamné cette intervention, sans parlé de ceux qui, bien que l’ayant condamné, n’imposent pas de sanctions. L’unanimité est donc bien loin d’être une réalité »[27]. Il sera, dans ces conditions, très difficile pour les occidentaux de faire pression, par exemple, sur l’OPEP pour que cette dernière augmente sa production afin de faire baisser les cours et ainsi soulager nos économies.
En réalité, la place de la Russie dans le commerce international des matières premières va constituer le ressort d’une crise mondiale induite par les sanctions. Avec des rentes de ressources naturelles représentant 10,7 % de son PIB en 2017, la Russie était le deuxième plus grand producteur de matières premières au monde, et les carburants représentaient plus de la moitié des exportations de marchandises de la Russie »[28]. Un examen de la dynamique spécifique à cette crise constituera le propos du point suivant.
Des répercussions mondiales et de longue durée
Les prix de l'énergie et des matières premières, y compris le blé et autres céréales, ont fortement augmenté, ce qui a renforcé les pressions inflationnistes antérieures résultant des perturbations des différentes chaînes d'approvisionnement et du rebond de la pandémie. Ce choc de prix exerce déjà un impact profond et se diffuse dans le monde entier, exerçant une forte pression sur les ménages pauvres pour qui la nourriture et le carburant représentent une part plus élevée de leurs dépenses de consommation.
Evidemment, plus le conflit en Ukraine durera et plus les dommages économiques seront dévastateurs. Les sanctions contre la Russie auront également un impact substantiel sur l'économie mondiale et les marchés financiers. Par endroits, la crise crée un choc négatif à la fois sur l'inflation et sur l'activité, dans un contexte de pressions déjà élevées sur les cours. Les prix de certains des produits parmi les plus essentiels (aliments, carburants, plastiques, métaux) grimpent à des niveaux supérieurs à ce que de ce que de nombreux acheteurs peuvent réellement dépenser.
La détérioration du pouvoir d’achat est toujours susceptible de se traduire à un certain moment par une contraction de la demande si les tendances inflationnistes contraignent les consommateurs à réduire leurs dépenses. Bien sûr, si ce mouvement de hausse des prix s’amplifie, il est susceptible de faire rebasculer dans la récession des économies déjà secouées par la pandémie et la guerre. Ce type de scénario semble, pour l’heure, s’installer à tous les niveaux des procès de production. C’est ainsi que la flambée des prix du gaz naturel contraint les usines de céramique en Chine à réduire de moitié leurs activités. La raréfaction du produit fini issu de ces usines nourrit à son tour une spirale inflationniste.
Dans le même ordre d’idées, on note que de plus en plus d’entreprises de transport routier aux Etats-Unis envisagent de suspendre leurs opérations car elles ne peuvent tout simplement plus répercuter entièrement la hausse des coûts du diesel auprès de leurs clients. Aux quatre cois du monde, les aciéries utilisant des fours à arc électriques réduisent leur production vu la hausse vertigineuse des coûts de l'électricité montent en flèche.
Cette réduction des quantités contribue à rendre l’acier plus onéreux sur les marchés avec un impact de hausse des coûts pour tous les utilisateurs en aval sur la chaîne de valeur[29]. Les producteurs de marchandises intégrant de l’acier sont, dès lors, contraints de revoir leurs prix à la hausse.
En ce qui concerne les marchés mondiaux d’aliments, les tendances sont bien connues. La Russie est entrée en économie de guerre. La distribution des revenus dans ce pays implique fort logiquement ce type de décisions en cas de dégradation brutale à prévoir du pouvoir d’achat des Russes.
A ce sujet, on rappellera que la concentration des richesses au sein de la Russie post-soviétique est particulièrement marquée. 1% de la population russe concentre près des trois quarts (74,5%) des richesses nationales et les 10% les plus riches détiennent 89 % des biens tandis que 60% des Russes gagnent à peine de quoi se nourrir et se loger. Ni aux Etats-Unis ni en Chine, les inégalités ne sont aussi fortes[30].
Dans ces conditions, la sécurité alimentaire d’un pays comme la Russie n’a donc rien d’évident en cas de fortes tensions. Voilà pourquoi le gouvernement russe a pris la décision d’interdire jusqu’au 30 juin les exportations de blé vers les pays de l'Union économique eurasiatique (UEEA), à l’exception du Bélarus.
L'UEE unit économiquement la Russie au Kazakhstan, au Bélarus, à l’Arménie ainsi que le Kirghizstan[31]. Pourtant, on voit les prix flamber à l’échelle mondiale, c’est-à-dire en dehors de la zone à laquelle s’applique cette restriction, comme le prouve le graphique suivant. Cette explosion des cours met davantage en cause la spéculation que les tensions géopolitiques en Ukraine.
En y regardant de plus près, on voit même que c’est à partir de la sortie du confinement que les prix se sont remis à grimper. Il est vrai que la récolte de l’été 2021 ayant été moins bonne que prévu, une pression à la hausse sur les prix était déjà perceptible et explicable. Cependant, la spéculation, sans qu’elle soit à la base de l’emballement des cours, a fortement amplifié les tendances haussières.
A la base de ce phénomène, il y a l’immense création monétaire qui a constitué la réaction majeure des banques centrales face aux risques de déflation liée à la pandémie lorsque l’économie mondiale a été mise en pause au mois de mars 2020. A l’époque, tant la FED que la BCE se sont lancées dans de vastes programmes de rachats de dettes publique et privées. On désigne ces programmes sous le vocable de politiques d’assouplissement quantitatif. Cette politique monétaire a également permis aux États d’émettre des obligations à taux réels particulièrement bas sur le marché primaire. Les banques en étaient, en effet, particulièrement friandes puisqu’elles étaient certaines de pouvoir les revendre ensuite aux banques centrales sur le marché secondaire. De cette façon, elles étaient assurées de pouvoir se refinancer à bon compte.
Cet apport de liquidités va permettre aux marchés d’actions de se relever après la terrible chute du premier trimestre 2022. Le 12 mars 2020, 24 heures après que la l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ait déclaré que le monde connaissait une pandémie, les bourses du monde entier entraient en crise. Paris (-12%), Madrid (-14%) et Milan (-17%) accusaient le coup. A Londres et New York, les indices baissaient, pour leur part, de plus de 10%. Contrairement à la crise de 2008 qui avait vu une bulle spéculative contaminer l’économie réelle, ici, le risque était beaucoup plus sérieux car c’est l’arrêt de la production qui conduisait les indices boursiers à s’écraser. En tout état de cause, l’absence de production matérielle dans l’industrie (à commencer par les ateliers chinois) mettait l’économie mondiale au bord d’une déflation comparable à celle des années 1930.
C’est, d’ailleurs, tout ce que l’on pouvait, légitimement écrire à chaud en janvier 2020. Les gouvernements ont donc agi et on ne répétera jamais à ce propos à quel point il y avait urgence. Au début du mois d’avril 2020, les actions de la zone euro avaient, par exemple, perdu près de 25% de leur valeur depuis la mi-janvier. A la mi-avril, la chute dépassait les 35%[1].
La politique d’expansion monétaire des banques centrales est donc tombée à pic pour les marchés (lire spéculateurs). C’est ainsi qu’en avril 2021, un an après l’annonce du grand confinement, les marchés boursiers ont battu des records. Cette belle tenue a précisément pour fondement explicatif le niveau des liquidités mises à leur disposition par les banques centrales. A cette époque, le CAC 40 à Paris a dépassait de plus de 60 % son précédent pic de 2007[2]. Aux Etats-Unis, l’indice S&P 500 a connu une progression de 26% en 2021. Seules les années 2013 et 2019 avaient été meilleures avec des hausses de l’ordre de 30%[3].
A la fin de l’année 2021, une dynamique particulière a caractérisé les marchés de matières premières. En ce qui concerne le pétrole, une crise était prévisible depuis longtemps, faute d’investissements et de travaux d’exploration de la part des grandes firmes du secteur suite à la baisse des cours intervenue à partir de 2014-2015[1]. Dans ces conditions, le rebond rapide de l’économie mondiale en 2021, portée, d’ailleurs, à bout de bras par les impressionnants plans de relance aux États-Unis, ne pouvait que se traduire par une montée des cours de l’or noir, vu le volume de liquidités se trouvant sur les marchés. Pour le gaz, ce sont davantage les difficultés géopolitiques avec la Russie qui ont servi de catalyseur à une activité spéculative de grande ampleur, du moins en Europe.
En ce qui concerne les autres matières premières (par exemple, le cuivre), l’année 2020, vu la plongée des cours, s’est traduite par une diminution de la production de l’ordre de 2,6%. La récupération de l’extraction ne s’est pas effectuée au même rythme que le redressement des secteurs qui utilisaient du cuivre. Les cours ont donc connu une belle progression tout au long de l’année 2021. En tout état de cause, le manque de contrôle des banques centrales sur les acteurs privés de la finance a contribué à amplifier les tensions sur les marchés de matières premières.
Face aux risques d’autoalimentation de la vague inflationniste, les banques centrales semblent de plus en plus déterminées à restreindre leurs politiques monétaires. Pour la Fed, la manœuvre est enclenchée tandis que la BCE, vu la situation en Ukraine, se ménage du temps pour réagir. La politique d’augmentation des taux pourrait cependant casser la dynamique de récupération des marchés et plus largement, le retour de la croissance économique. Moins de croissance pour moins d’inflation donc mais il se pourrait que cette équation ne fonctionne pas. En effet, la politique du zéro Covid en Chine risque de gripper davantage encore les flux sur les chaînes de valeur. Au total, l’inflation restera élevée, principalement sous la pression des cours élevés de l’énergie au moins jusque l’été 2023, avec une croissance en berne.
Les politiques de remontée des taux et de diminution d’apport de liquidités pourraient donc s’avérer finalement contreproductives pour combattre l’inflation mais seraient, en revanche, bien en mesure de casser la reprise. Nous serions alors en situation de stagflation. La stagflation est un mot-valise résultat de la superposition des concepts de stagnation et d’inflation. Il y a stagflation lorsque le taux de croissance du PIB est stagnant ou est en légère récession pendant que dans le même temps, l'inflation est importante. La conjonction d’une faible croissance de la production et d’une forte inflation contraint les entreprises à faire face à des carnets de commande dont la progression est nulle (voire négative) alors que les coûts de production augmentent. Il en résulte une diminution de leur rentabilité.
Osons une question qui ne relève nullement, en dépit des apparences, de la provocation. Et si l’augmentation du chômage qui résultera de la décélération de la croissance économique était au fond l’effet recherché par les banques centrales alors qu’elles s’apprêtent à réduire leurs largesses ?
La progression du chômage fait, en effet, mécaniquement pression à la baisse sur les salaires via l’augmentation de l’armée de réserve industrielle. Cette dernière correspond à un concept issu des travaux de Marx, lesquels assigne une fonction économique aux travailleurs inemployés, celle précisément d’être surnuméraires par rapport à la population employée dans le procès global de production. En effet, puisque dans la société capitaliste, l’allocation du travail comme facteur de production s’effectue via un marché sur lequel, par définition, les travailleurs sont en concurrence les uns avec les autres, plus la masse des chômeurs est élevée, plus les salariés vont se résigner à se montrer raisonnables et donc ne pas exiger d’augmentations de salaires en lien avec les gains de productivité.
En provoquant un mouvement récessif de ce type, ce que visent les banques centrales de pays tous passés au néolibéralisme à la fin des années 1970, c’est, en réalité, une montée du chômage qui permettra de faire pression à la baisse sur les salaires[2]. Cette baisse relative de la rémunération du facteur travail permet, en cas de montée inflationniste des prix, d’éviter que les salariés n’exigent des augmentations de salaires pour maintenir leur pouvoir d’achat et qu’en retour, les entreprises augmentent leurs prix de vente pour protéger leurs marges. En réaction, les salariés pourraient alors remonter au créneau pour exiger une amélioration de leurs salaires. Au total, l’inflation risque de s’autoalimenter. Afin de prendre le contre-pied de cette évolution possible, les banques centrales misent donc sur la casse des conquis salariaux et une détérioration du pouvoir de négociation, tout relatif au demeurant, des salariés.
Ce n’est évidemment pas la seule possibilité dont disposent nos gouvernements. Pour maintenir l’inflation à un niveau soutenable sans pour autant toucher à la croissance, la fiscalité des entreprises, et spécialement du secteur financier, devrait pouvoir évoluer de façon à permettre de taxer les surprofits résultant de l’augmentation des prix. Le taux de marge des grandes firmes serait ainsi plafonné temporairement. En tout état de cause, les entreprises belges ne s’en plaindront pas puisqu’elles ont, pour plus de la moitié d’entre elles, augmenté leurs dividendes en 2021.
Pour la plupart des entreprises cotées à Bruxelles, « on peut même parler de grand cru. Les bénéfices totaux des entreprises cotées sur Euronext Bruxelles affichent un bénéfice record de 21,4 milliards d’euros, contre 10,4 milliards en 2020, au moment où la pandémie frappait notre pays et le reste du monde de plein fouet, paralysant des pans entiers de l’économie. Depuis, près de quatre entreprises sur cinq ont réussi à améliorer leur résultat net »[3]. Pour rappel, l’Echo est le quotidien financier économique s’adressant au patronat et aux cadres du Sud du pays. Il y a donc fort peu de chances que l’auteur de cet article soit un vilain marxo-populiste désireux d’en terminer avec l’organisation capitaliste de la production.
A côté de cette taxation des surprofits de guerre, il y a également lieu de revoir la politique européenne de l’énergie dans ses fondements. A l’avenir, davantage de contrats de long terme avec les fournisseurs de l’Union européenne devront être conclus car le recours croissant aux contrats journaliers ne permet pas d’assurer une stabilité des prix. Si l’on ajoute à cet élément le fait que les objectifs de diminution de rejet de CO2 sont formulés sans que parallèlement, une politique de rénovation du bâti par les pouvoir publics ait été concrètement mise en œuvre, on peut sans difficulté anticiper, faute de moyens financiers alloués par les pouvoirs publics, un niveau élevé des prix de l’énergie. Voilà pourquoi le pouvoir d’achat des travailleurs est et restera une question fortement conflictuelle dans les années à venir. Et pas qu’ici d’ailleurs. L’évolution des cours du blé risque, comme il y a une dizaine d’années, de constituer le terreau favorable à des émeutes du pain dans le Sud global.
Un monde nouveau est peut-être en train de naître sous nos yeux. Il va de soi que le retour de la guerre entre pays voisins en Europe n’est évidemment pas sans rapports avec cette importante modification des relations internationales. D’un point de vue davantage socioéconomique, la remise en cause des mécanismes d’allocation des richesses reposant sur l’ajustement spontané de l’offre et de la demande et la libre concurrence devrait entraîner une modification des règles du jeu de la mondialisation des flux de marchandises et de capitaux.
A terme, nous pourrions assister à un mouvement de sortie de la mondialisation des échanges, conçue depuis la chute du mur de Berlin comme une américanisation du monde. Cette rupture s’accompagnera d’une multipolarisation du monde. Cette hypothèse, si elle se concrétisait, verrait émerger une architecture des relations internationales structurée autour de plusieurs grandes puissances, dont la Chine. Le monde construit autour du monopole d’influence des Etats-Unis serait alors définitivement derrière nous.
Puisse cette transition s’effectuer pacifiquement. Ce n’est pas gagné…
[1] Annick Berger, « Va-t-on bientôt manquer de pétrole ? », Capital, édition mise en ligne le 25 juin 2020. Url : shorturl.at/EGLQZ. Date de consultation : 3 avril 2022.
[2] Karl Marx, Le Capital, tome 3, chapitre 25.
[3] Serge Mampaey, Plus de la moitié des entreprises belges augmentent leur dividende », L’Echo, édition mise en ligne du 4 avril 2022. Url : https://bit.ly/3DI0XW3. Date de consultation : 4 avril 2022.
[1] Tobias Adrian et Fabio Natalucci, La crise de la COVID-19 menace la stabilité financière, FMI, le 14 avril 2020, Url : https://bit.ly/3uWIXmO. Date de consultation : 1er avril 2022.
[2] Bastien Bouchaud, « Les géants du CAC 40 ont dégagé des profits record de près de 160 milliards d'euros en 2021 », Les Echos, édition mise en ligne le 18 mars 2022.
[3] Vildana Hajric & Emily Graffeo, Three Monster Years for the S&P 500 Set a Towering Bar for January, Bloomberg, édition mise en ligne du 31 décembre 2021. Url : https://bit.ly/3DDIU3j. Date de consultation : 4 janvier 2022. Le graphique dressé par cette source ne permet pas de remonter au-delà de 2012.
[1] Wise, convertisseur de devises, taux de change rouble/euro, Url : shorturl.at/rEGIN. Date de consultation : 25 mars 2022.
[2] Interview d’Eric Dor, Le gaz russe payé en roubles ne change rien pour les devises, L’Echo, édition mise en ligne le 24 mars 2022. Url : shorturl.at/rsuU6. Date de consultation : 24 mars 2022.
[3] Phil Rosen, Russia's foreign currency and gold reserves have plunged by more than $38 billion since the Ukraine war began, Russian central bank says, Markets Insider, 31 mars 2022. Url : https://bit.ly/3x14ZI3. Date de consultation : 2 avril 2022.
[4] Gian Maria Milesi-Ferretti, Russia’s external position : Does financial autarky protect against sanctions ?, Brookings Institution, édition mise en ligne le 3 mars 2022. Url : shorturl.at/fxyAS. Date de consultation : 24 mars 2022.
[5] Bloomberg, Putin May Collect $321 Billion Windfall If Oil and Gas Keep Flowing, édition mise en ligne du 1er avril 2022. Url : https://bloom.bg/38pq18W. Date de consultation : 3 avril 2022.
[6] Mrugank Bhusari and Maia Nikoladze, Russia and China : Partners in Dedollarization, Atlantic Council. Date de mise en ligne : 18 février 2022. Url : shorturl.at/sxD07. Date de consultation : 20 février 2022.
[7] Bloomberg News, China Move to Boost Yuan-Ruble Trading Meets Dire Liquidity, édition mise en ligne du 11 mars 2022, Url : shorturl.at/nzHT6. Date de consultation : 13 mars 2022.
[8] La Tribune, Les exportations chinoises vers la Russie explosent : "les perspectives de coopération future sont immenses" (Pékin), édition mise en ligne du 7 mars 2022. Url : shorturl.at/fxyAS. Date de consultation : 27 mars 2022.
[9] La Libre Belgique, Des magnats russes gagnent 7,5 milliards d'euros après l'ouverture de la Bourse de Moscou, édition mise en ligne le 24 mars 2023. Url : https://www.shorturl.at/shortener.php. Date de consultation : 25 mars 2022.
[10] Les adeptes de réseaux sociaux désireux, en passant de Facebook à Twitter, de trouver une herbe plus verte en seront pour leurs frais. Bien des twittos, hélas, mettent davantage en avant des arguments d’autorité liés à leur CV, et donc indirectement leur héritage social et culturel pour l’immense majorité d’entre eux, que le contenu logique de leurs propositions. Partant, la qualité intellectuelle de ces dernières peut parfois laisser à désirer.
[11] Compte Twitter d'Antoine Lévy, doctorant au MIT (Boston), échange twitter du 26 mars 2022. Url : shorturl.at/diBC6. Date de consultation : 26 mars 2022.
[12] The Arab Weekly, Qatar says Europe may need international help if Russia cuts gas, édition mise en ligne le 2 février 2022. Url : shorturl.at/bqwD4. Date de consultation ; 12 février 2022.
[13] Euractiv, Europe can only partially replace Russian gas, édition mise en ligne le 28 janvier 2022. Url : shorturl.at/ipDY1. Date de consultation : 1er mars 2022.
[14] MATHIEU COLLEYN, « La Belgique se prépare à des difficultés d'approvisionnement de gaz naturel », L'Echo, édition papier des 26, 27 et 28 mars 2022.
[15] Sharon Wajsbrot, « Energie : l'heure de la mobilisation générale pour éviter le black-out »in Les Echos, édition papier du 28 mars 2022.
[16] Andreff, Wladimir, « La réforme soviétique du commerce extérieur » in Revue française d'économie, volume 4, n°3, 1989. p. 71
[17] Kostecki Maciej, « L'U.R.S.S. face au système de commerce multilatéral » in Revue d’études comparatives Est-Ouest, vol. 10, 1979, n°3. p.89.
[18] Kostecki Maciej, op.cit, p.84.
[19] Lemoine Françoise, « Le déclin du rôle de la Communauté Economique Européenne dans les échanges Est-Ouest » in Cahiers du CEPII, Quatrième trimestre, 1979, p.90.
[20] Kostecki Maciej, op.cit., p.80.
[21] WorldBank, Exports of Goods and Services, Global Ranking, 2018. Url : shorturl.at/fBFLY. Date de consultation : 17 mars 2022.
[22] World’s Top Exports, Crude Oil Exports by Country (2020). Url : shorturl.at/rsFGI. Date de consultation : 22 mars 2022.
[23] Max Seddon, Vladimir Putin vows to stop ‘colour revolutions’ after sending troops to Kazakhstan, Financial Times, édition mise en ligne du 10 janvier 2022. Url : shorturl.at/gsHSX. Date de consultation : 23 mars 2022.
[24] Agence Internationale de l’Energie (AIE), Kazakhstan energy profile, Country report, April 2020. Url : shorturl.at/istS7. Date de consultation : 23 mars 2022.
[25] Paddy Ryan, By intervening in Kazakhstan, Russia strengthens its hand in China’s energy market, Atlantic Council, édition mise en ligne le 20 janvier 2022, Url : shorturl.at/gDFZ8. Date de consultation : 30 janvier 2022.
[26] AGENCE D’INFORMATION D’ETAT DE L’AZERBAÏDJAN (AZERTAG), Déclaration sur « l'interaction d’alliance entre la République d'Azerbaïdjan et la Fédération de Russie », texte mis en ligne le 23 février 2022 (point . Url : https://azertag.az/fr/xeber/france-2026058. Date de consultation : 27 février 2022.
[27] Carte Blanche de Tanguy Struye de Swielande, professeur de relations internationales (UCLouvain-CECRI), spécialiste des grandes puissances, « Et si Poutine avait déjà gagné… », La Libre Belgique, édition du 4 mars 2022.
[28] Arne Melchior, Russia in world trade : Between globalism and regionalism in Russian Journal of Economics 5(4), 2019, p.358.
[29] David R Baker, Allison Smith & Sheela Tobben, A World That’s More Expensive Is Starting to Destroy Demand, Bloomberg, édition mise en ligne le 27 mars 2022. Url : shorturl.at/mzHJL. Date de consultation : 29 mars 2023.
[30] Isabelle Mandraud, La Russie, palme d’or des inégalités extrêmes, Le Monde, édition du 14 janvier 2017.
[31] Food and Agriculture Organization of the United Nations (FAO), La Fédération de Russie interdit les exportations de blé, de maïs et d'autres céréales vers l’Arménie, le Kazakhstan et le Kirghizistan jusqu’au 30 juin 2022, article mis en ligne le 15 mars 2022. Url : https://rb.gy/mskryk . Date de consultation : 20 mars 2022.
[1] Cédric Achille MBENG MEZUI et Uche DURU, Détenir des réserves de change excédentaires ou financer l’infrastructure. Que doit faire l’Afrique ?, Banque Africaine de Développement, working paper No 178 – Juin 2013, p.5.
[2] Ceic Data, Russia Foreign Exchange Reserves : Months of Import, Url :https://www.ceicdata.com/en/indicator/russia/foreign-exchange-reserves-months-of-import, date de consultation : 23 janvier 2022.
[3] Bank Of Russia, International Reserves of the Russian Federation (End of period), url : https://cbr.ru/eng/hd_base/mrrf/mrrf_m/. Date de consultation : 23 janvier 2022.
[4] Ceic Data, Russia External Debt : Short Term, Url : https://www.ceicdata.com/en/indicator/russia/external-debt-short-term. Date de consultation : 23 janvier 2022.
[5] Bank of Russia, Estimate of External Debt of the Russian Federation as of December 31, 2021.
Url : https://www.cbr.ru/eng/statistics/macro_itm/svs/ext-debt/# : :text=External%20debt%20of%20the%20Russian%20Federation%2C%20according%20to%20the%20Bank,the%20beginning%20of%20the%20year. Date de consultation : 23 janvier 2022.
[6] Ceic Data, Russia Money Supply M2, Url : https://www.ceicdata.com/en/indicator/russia/money-supply-m2. Date de consultation : 23 janvier 2022.
[7] Bank Of Russia, International Reserves of the Russian Federation (End of period), idem.
[8] Ibid. Calculs propres.
[9] Claire Jones, Joseph Cotterill, « Russia’s FX reserves slip from its grasp », Financial TImes, édition en ligne du 28 février 2022. Url : shorturl.at/iCKZ3. Date de consultation : 4 mars 2022.
[10] Jeff Pao, « China media goads Russia to use CIPS over SWIFT », Asiatimes, Url : shorturl.at/bruUX. Edition mise en ligne du 1er mars 2022. Date de consultation : 9 mars 2022.
[11] Christopher Marsh (blog), Senior Adviser Exante Data (New York), Historical Freeze of Russia's Central Bank Reserves, Money : Inside and Out, 28 février 2022. Url : shorturl.at/juHWY. Date de consultation : 10 mars 2022.
[12] US News, Factbox-Is Russia's National Wealth Fund Deep Enough to Counteract Sanctions ?, Url : shorturl.at/muR47. Date de publication : 2 mars 2022. Date de consultation : 10 mars 2022.
[13] CeicData, Russia Gold Reserves 1993 – 2022. Url : shorturl.at/hyABY. Date de consultation : 8 mars 2022.
[14] Bloomberg, Russia May Own $140 Billion Worth of Chinese Bonds, ANZ Says, 1er mars 2022. Url : shorturl.at/dwzGV. Date de consultation : 11 mars 2022.
[15] Bank Of Russia, International Reserves of the Russian Federation (End of period), idem.
[16] Fonds monétaire international (FMI), Fiche technique : Droit de tirage spécial (DTS), 9 août 2021. Url : shorturl.at/fiBCF. Date de consultation : 10 mars 2022.
[17] Herman Matthijs, Professeur de finances publiques à l'UGent et à la VUB et membre du Conseil supérieur des finances, « La Russie peut toujours compter sur la Banque des règlements internationaux », Trends-Tendances, 1er mars 2022. Url : shorturl.at/vxKV8. Date de consultation : 11 mars 2022.
[18] Capital, convertisseur de devises (euro/rouble et dollar/rouble), Url : https://www.capital.fr/devises/cours/USD/RUB et https://www.capital.fr/devises/cours/EUR/RUB (Date de consultation : 14 mars 2022).
[19] Bank of Russia, External Sector Statistics, Gross External Debt Position of the Russian Federation : Short-Term Remaining Maturity, Url : https://www.cbr.ru/eng/statistics/macro_itm/svs/. Date de consultation : 14 mars 2022.
[20] La Tribune, « Ukraine : les pays européens continuent d’importer massivement du gaz russe », édition mise en ligne du 15 mars 2022. Url : shorturl.at/swP89. Date de consultation : 15 mars 2022.
[21] Swift, A propos de SWIFT, Url : https://www.swift.com/fr/swift-en-francais. Date de consultation : 15 mars 2022.
[22] Bloomberg, China Says It Wants to Avoid U.S. Sanctions Over Russia’s War, 15 mars 2022. Url : shorturl.at/gqxGU. Date de consultation : 16 mars 2022.
[23] Mujib Mashal, India says it’s in talks with Russia about increasing oil imports, New York Times, édition mise en ligne le 15 mars 2022. Url : shorturl.at/fDGKS. Date de consultation : 16 mars 2022.
[24] Bank of Russia, External Sector Statistics, Url : https://www.cbr.ru/eng/statistics/macro_itm/svs/. Date de consultation : 19 mars 2022.
[25] Trends-Tendances, « Ni pièces de rechange ni maintenance, un coup de massue pour l'aviation russe », édition mise en ligne du 3 mars 2022. Url : shorturl.at/fhnpK. Date de consultation : 21 mars 2022.
[26] Bruno Trévidic, « Moscou confisque pour 10 milliards de dollars d'avions loués à des Occidentaux », Les Echos, article mis en ligne le 14 mars 2002, Url : shorturl.at/fzBIK. Date de consultation : 21 mars 2022.
[27] Léo Barnier, « L'étau se resserre encore autour de l'aviation civile russe, lâchée par Boeing et Airbus », La Tribune, édition mise en ligne le 3 mars 2022, Url : shorturl.at/wFNU4. Date de consultation : 21 mars 2022.
[28] Bruno Trévidic, « L'aéronautique russe poursuit sa consolidation pour rattraper Airbus et Boeing », les Echos, édition mise en ligne le 2 décembre 2021, Url : shorturl.at/ivEM0. Date de consultation : 18 mars 2022.
[29] Emmanuel Hache économiste-prospectiviste à l’IFP Énergies nouvelles, « Métaux russes : le casse-tête chinois des industriels » in Polytechnique insights LA REVUE DE L'INSTITUT POLYTECHNIQUE DE PARIS, Url : shorturl.at/cfyM8, texte mis en ligne le 23 mars 2022, date de consultation : 23 mars 2022.
[30] Jacques Sapir, La substitution aux importations en Russie, 5 juin 2016.Url : shorturl.at/goGY0. Date de consultation : 20 mars 2022.
[31] Ceic Data, Russia. Url : shorturl.at/wFIQW. Date de consultation : 20 mars 2022.
[32] Observatory of economic complexity (OEC), Russia, Imports 2019, Url : shorturl.at/hzMWX. Date de consultation : 21 mars 2022.
[33] Anne Feitz, « Dans le Grand Nord russe, le projet gazier géant de Total sort de terre », Les Echos, édition mise en ligne le 22 mai 2016, Url : shorturl.at/euvCX. Date de consultation : 23 mars 2023.
[34] Amélie Canonne, Maxime Combes et Nicolas Haeringer, Quels sont les intérêts de TotalEnergies en Russie ?, Aitec (Association internationale de techniciens, experts et chercheurs), texte mis en ligne le 20 mars 2022. Url : shorturl.at/fpFRT Date de consultation : 23 mars 2022.
[35] Amélie Canonne, Maxime Combes et Nicolas Haeringer, Ibid.
[36] Lucas Mediavilla, « TotalEnergies en Russie : pourquoi le groupe recule sur le pétrole (mais reste dans le gaz) », L'Expansion, édition mise en ligne du 23 mars 2022. Url : shorturl.at/jkozH. Date de consultation : 25 mars 2023.
[37] Novethic, GUERRE EN UKRAINE : TOTALENERGIES RENONCE AU PÉTROLE RUSSE, MAIS RESTE PRÉSENT DANS LE GAZ, texte mis en ligne le 23 mars 2022, Url : shorturl.at/buIK6. Date de consultation : 24 avril 2022.
[38] L’Echo, édition papier du 18 mars 2022.
[39] Jasper Jolly and Sarah Butler, op.cit.
[40] Florian Maussion, « Guerre en Ukraine : Renault prépare son retrait de Russie », Les Echos, édition mise en ligne du 23 mars 2022, Url : shorturl.at/oBCN4. Date de consultation : 23 mars 2022.
[41] la Tribune, Avtovaz (Renault) reprend sa production en Russie, BMW sera moins rentable à cause du conflit en Ukraine, édition mise en ligne en date du 16 mars 2022, Url : shorturl.at/wzJLS. Date de consultation : 17 mars 2022.
[42] Francois Chimits, Jacob Mardell (Tribune), Chine-Russie : « Pour le Parti communiste chinois, l’objectif de développement économique et de stabilité reste la priorité absolue », Le Monde, édition mise en ligne du 19 mars 2022, Url : shorturl.at/dvBY3. Date de consultation : 21 mars 2022.
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