La mort en face
Hier j’ai vu la mort en face. Elle avait les traits d’un jeune homme de 25 ans. Elle venait de jeter sa voiture dans un car.
Le bus ayant fini sa course dans une vigne, c’est lui que j’ai aperçu en premier.
Le moteur tournait encore mais les passagers étaient déjà tous dehors. Certains assis en état de choc contemplaient la terre grasse sous leurs pieds. D’autres, valises au pied et portable en main étaient déjà en train de rechercher un moyen pour rejoindre leur destination. Rentraient-ils chez eux, partaient-ils en vacance ? Impossible de le savoir bien sûr.
Le chauffeur, incrédule, restait figé devant l’avant de son véhicule, regardant fixement ce qu’il restait de sa roue avant gauche, celle qui normalement se trouvait juste sous ses fesses. Ses fesses qui venaient d’avoir vraiment chaud un peu plus tôt. Aurait-il était percuté par un de ces SUV à la mode ou une camionnette qu’il serait encore coincé dans son poste de pilotage.
Continuant à progresser au pas, vu le flux de voiture à cette heure de sortie de classe et de bureaux, je doublais deux voitures garées en vrac sur le bas-côté apparemment intactes et inoccupées quand soudain :
Un tas de métal tordu qui avait dû être bleu quelques minutes plus tôt était posé en équilibre instable sur le talus. Tourné vers moi, le conducteur restait prostré, les yeux et la bouche grand ouverts à la recherche d’un dernier souffle. Du sang sur le crâne, du sang sur le front, du sang dans les yeux, du sang sur les joues, du sang sur la bouche. Partout, du sang partout.
A l’extérieur de la carcasse compressé par un César cynique, un bon samaritain lui tenait la main tout en tentant vainement de le réconforter.
Mais déjà les klaxons derrière m’intimaient l’ordre de rentrer dans le rang, de respecter ma place dans le trafic et surtout de laisser les autres profiter du spectacle à leur tour. Ou bien étaient-ils juste impatients de rentrer chez eux, ignorant du drame en train de se jouer sous mes yeux ?
Comment savoir ?
J’ai continué ma route, continué mon chemin, repris le cours de ma vie tout en sentant intérieurement qu’un autre était en train d’achever la sienne sur ce ruban de bitume craquelé.
De longues minutes plus tard, j’ai croisé la caravane des secours. Une ambulance des pompiers ouvrait la route sirène hurlante, talonnée de près par une voiture du SMUR. La police les suivait à distance bien entendue.
Le lendemain, quelques lignes sur les pages intérieures d’un quotidien local clôturait l’affaire : Un jeune homme était mort hier soir.
Il ne reste plus de lui qu’une croix orange sur la chaussée à l’endroit précis ou son existence a basculé dans le néant. Une maigre trace qui disparaitra à la première pluie.
Quelques réflexions
Voici d’abord le texte du « journaliste » copié sur le site du journal relatant l’accident :
Un terrible accident s’est produit lundi 6 septembre peu avant 17 h sur la route d’Avignon, à la sortie de Bagnols-sur-Cèze. Un choc frontal entre un véhicule et un bus a causé le décès d’une personne de 25 ans, qui était dans la voiture. Dix passagers du bus ont été légèrement blessés. Les pompiers de Bagnols, Roquemaure et Pont-Saint-Esprit et le Smur de Bagnols se sont rendus sur place, ainsi que les forces de l’ordre.
On peut s’apercevoir de l’indigence de l’enquête, aucune mention du nom du disparu, aucune analyse des causes de l’accident, une habitude que prennent de plus en plus les médias de nos jours, un fait brut, souvent truffé d’erreur. Ce n’est pas grave, on corrigera éventuellement plus tard. C’est ce qui c’est passé ici. la première mouture de la brève n’indiquait pas la bonne commune, ni le bon endroit, ni l’age de la victime, ni son état.
Et surtout, on ne donne aucune suite. Le journal aurait pu revenir sur les faits le lendemain, expliquant l’enchainement tragique ayant abouti à la collision : un dépassement trop optimiste, un écart de trajectoire, une casse mécanique, un malaise. Mais rien, c’était hier, autant dire il y a un siècle pour l’immédiateté d’internet.
Les commentaires à la suite de l’article auraient sans doute permis d’en savoir plus, les lecteurs corrigeant bien souvent les erreurs et approximations des rédacteurs, mais la censure est passé par là ! Fermeture de l’espace de discussions sans préavis et sans explications.
Un autre facteur, politique celui-là, aurait pu être évoqué. La caserne des pompiers était précédemment installée sur la commune de Bagnols sur Cèze. En d’autre temps les premiers secours auraient pu être là en dix minutes.
Au lieu de ça, la caserne a été déménagée sur une autre commune. Commune dont le maire est par le plus grand des hasards président du SDIS du coin. Résultat : les pompiers ont dû faire 10 kilomètres supplémentaires plus la traversée complète de l’agglomération, totalement congestionnée à cette heure par les cars scolaires et la sortie du boulot.
Aurait-il pu sauver une vie ? sûrement pas, mais quelque part les chances de survie de ce jeune homme ont été réduites.
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