La 5ème République, une république de « factieux » - Suite N° 2 -
Les 28 et 29 mai 1957, le Radical Gaston Monnerville et René Coty prennent langue avec de Gaulle, à St-Cloud. Le Général énonce ses conditions. Elle sont exigeantes : les pleins pouvoirs pendant deux ans, et procédure d’investiture accélérée.
De Gaulle y va à la hussarde et Coty, le 29 s’incline, déjà acquis au projet gaullien. Coty envoie un message au Parlement les informant que constitutionnellement, pas de discussion possible, il fait appel au Général, et que, par voie de conséquences, il démissionnerait de la Présidence, si les parlementaires se dressaient contre et lui refusaient la confiance.
Le 29, toujours, dans la soirée, en compagnie de Coty, de Gaulle peaufine son intronisation.
30 mai, des discussions ont lieu entre chefs de groupe avec le Président Coty, tandis que Guy Mollet et Maurice Deixonne1 se rendent à Colombey pour confirmer leur ralliement.
La SFIO et les groupes parlementaires socialistes grincent des dents devant leurs chefs de file. La partie du ralliement des troupes socialistes n’est pas gagnée. Mais finalement aux termes de tractations interminables, les socialistes acceptent l’investiture du Général, ce sera du donnant-donnant.
31 mai, le Général de Gaulle reçoit tous les chefs de partis, sauf les communistes. Il détaille son programme, en prenant soin de taire ses véritables intentions concernant l’Algérie, pour ne pas se mettre à dos « les amis de l’Algérie française et les adversaires du pouvoir personnel ».
Le lobby gaulliste peut être satisfait. Le 1er Juin, la composition du cabinet est officielle. Pierre Poujade, amèrement déçu (à la tête de 40 députés), ne figure nulle part.
Président du Conseil et Ministre de la Défense Nationale |
Général de Gaulle |
Ministre d’État |
Guy Mollet, Pierre Pflimlin, Félix Houphouet Boigny, Louis Jacquinot |
Ministre Délégué à la Présidence du Conseil |
André Malraux |
Garde des Sceaux, ministre de la Justice |
Michel Debré |
Affaires étrangères |
Maurice Couve de Murville |
Intérieur |
Emile Pelletier |
Armées |
Pierre Guillaummat |
Finances (*) |
Antoine Pinay |
Education Nationale |
Jean Berthoin |
Travail |
Paul Bacon |
France d’Outre-Mer |
Bernard. Cornut-Gentille |
Sahara (*) |
Max Lejeune |
Travaux Publics, Transports et Tourisme |
Robert Buron |
Industrie et Commerce |
Edouard Ramonet |
Agriculture |
Roger Houdet |
Construction |
Pierre Sudreau |
Anciens combattants et victimes de guerre |
Edmond Michelet |
Postes, Télégraphes et Téléphone |
Eugène Thomas |
Nous remarquons que le « Sahara » demande à lui seul, tout un Ministère. Quel était le but de cette étrangeté ?
Antoine Pinay, est choisi pour ses liens avec la « Bourgeoisie de l’argent ».
Quelques ténors parlementaires ont été écartés, qui, au lieu de s’interroger, sur cette surprenante composition y allaient de leur soutien au général. En effet, manquaient Bidault, Soustelle et Morice. Leur éviction permettait au camp de l’indépendance de l’Algérie, d’agir sans freins.
Soustelle, pourtant soutenait le Général, plus tard il reviendra sur ses positions, regrettant amèrement de lui avoir accordé sa confiance.
1e Juin : débat d’investiture.
De Gaulle n’avait jamais caché son mépris pour les parlementaires. Avec une certaine répugnance, il se fit violence pour monter à la tribune et faire une déclaration, de courte durée, puis il céda sa place au perchoir à Guy Mollet pour convaincre les parlementaires de la pertinence d’un tel projet de Gouvernement.
2 Juin, De Gaulle fut investi. (329 voix conte 250), avec les pleins pouvoirs.
50 socialistes, les communistes, les mendéristes (Mendès-France), 20 radicaux et 1 seul député national, Me Isorni, refusèrent la confiance à de Gaulle.
En 1946, la constitution de la IVeme avait été votée – contre de Gaulle – et en son absence.
12 ans plus tard, il réclamait à son tour une Constitution à sa mesure.
Tout un aréopage de courtisans se bousculait pour « lui serrer la main » avec empressement.
De Gaulle n’a jamais été un Démocrate. Il ne s’est jamais caché, non plus d’aspirer à un pouvoir fort « qu’abhorraient la grande majorité des parlementaires ».
Les pouvoirs constituants :
En 1940, les pouvoirs constituants avaient accordé à Pétain les pleins pouvoirs, le Parlement, après la défaite de la France contre l’Allemagne nazie, dans l’affolement général, abandonnait sa mission qu’il tenait du peuple, à « l’homme providentiel ».
18 ans plus tard, ils reproduisaient le même schéma par manque de courage, manque d’unité, remettant entre les mains d’un nouvel « homme providentiel », sorti du chapeau d’un lobby, tous leurs pouvoirs qu’ils tenaient du peuple.
Mais cela mérite tout de même une explication. Par quel miracle, de Gaulle arrivait à ses fins, alors qu’il était quasiment oublié deux ans plus tôt ou « haï » en raison de son acharnement à « éliminer » tous ceux qui lui faisaient obstacle ?
La question coloniale, d’abord. La crainte de voir s’écrouler l’Empire avaient poussé les Français à plébisciter ce dernier, dont la campagne avait été en grande partie axée sur la préservation de l’Empire et le règlement de la question algérienne, alors qu’il ne pensait qu’à brader l’Algérie et les possessions de la France en Afrique.
La Conquête de l’Indochine, un siècle plus tôt, avait donné lieu à des tribulations et aventures financières glauques et plutôt sales, comme le « scandale de « Ferry-le-Tonkinnois » surnommé ainsi par les pamphlétaires. Le trafic des piastres, la guerre du Rif, qui couvrit des tripatouillages dans les années 1925. Derrière ces scandales, les puissances financières qui ne faisaient pas mystère de leur cupidité. Tant que tout allait bien, la Bourgeoisie allait de l’avant, avec toujours plus d’appétit.
Or, la défaite de Dien Bien Phu et la guerre d’Algérie, sonnaient pour elle, le tocsin de toutes leurs espérances. Il fallait changer de braquet. Par un volte-face mué par la préservation de leurs intérêts, les forces de l’argent se mirent à soutenir l’idée de l’indépendance de l’Afrique, Algérie comprise. Bien sûr que cela ne venait pas de De Gaulle, lui-même, bien que par ses prises de contact avec les Anglais, en 1940/41, les Américains, il se préparait un destin, et creusait son sillon.
Gilles Martinet, dans « France observateur » journal progressiste (de gauche) écrivait : « Les milieux d’affaires et les technocrates encouragent de Gaulle contre les ultras ( les pro-Algérie française), et non point les ultras contre de Gaulle ».
Les affairistes de tous poils misaient sur de Gaulle pour deux choses : son appartenance à la bourgeoisie conservatrice et traditionnelle catholique, et son prestige auprès des Français. Les banquiers et le lobby gaulliste mirent habilement sur pied une publicité où de Gaulle – leur instrument néo-colonial - acquérait suffisamment de lustre pour berner la population et les parlementaires. Se débarrasser de l’Empire, pour en créer un autre, plus judicieusement, moins remuant, moins contestataire, autant de la part des populations colonisées que des populations européennes vivant dans les colonies. Créer un nouvel Empire néo-colonial sur les décombres de l’ancien. Bien plus rentables, avec comme dirigeants de ces futures nations souveraines des marionnettes ajustables aux idées et aux actes des trusts, des grandes sociétés. Mais il fallait en passer par l’abandon de la France de son Empire, et ça, ce n’était pas gagné. Alors, aller à la rencontre des Africains, et leur promettre l’indépendance, à une seule condition : ne jamais couper le cordon ombilical avec la France, lier chaque pays d’Afrique devenu souverain par un pacte de « subventions généreuses et éternellement renouvelables, un interventionnisme dans les affaires internes africaines, au plan de la monnaie, des grands travaux, des aménagements, de la culture, etc.
Cela les liait à jamais. La France serait généreuse envers les « amis africains », c’est-du-moins ce que laissait entendre les « investisseurs » qui se pressaient dans le sillage de de Gaulle.
Mais qui en seraient les premiers bénéficiaires ? Dans quelles poches ces milliards de Francs en jeu atterriraient ? Les grandes sociétés industrielles et financières, chargées de ces travaux… futurs.
La IVeme république était frileuse quant à une politique hardie d’investissements étrangers. Impuissante contre le séparatisme africain. Elle redoutait l’impopularité.
Le lobby gaulliste lui, allait de l’avant, au pas de charge, et travaillait dans l’ombre au changement de régime. Il ne misait certainement pas sur un Mendès-France qui plein d’illusions avait vu ses espérances lui passer sous le nez, au profit d’un képi étoilé.
Jacques Chaban-Delmas, son chef de cabinet ?
Henri Ulver ?2
Maurice Lemaire ? 3
Christian Fouchet ? 4
Diomède Catroux ? 5
Raymond Schmittlein ?6
Le Général Koening ?
Le lobby gaulliste les trouvait un peu « croulants ».
De Gaulle représentait pour les « 200 familles », le prétendant idéal. On ne peut s’empêcher de faire un parallèle avec le « 18 Brumaire » où Bonaparte se livrait au « clan des financiers ».
Le colonialisme économique.
C’était la forme la plus hypocrite, dangereuse, et de loin. Si les idées du Général pouvaient paraître un peu « confuses », il avait l’art d’entretenir le mystère, personne ne connaissait « ce que le patron pensait réellement ».
Durant 10 années de retraite à Colombey, il avait consolidé sa doctrine.
Son confident Roger Stéphane (déjà évoqué dans mon précédent article), était au fait des grandes lignes de sa doctrine. Et comme Roger Stéphane était la bouche et les oreilles des 200 familles, et particulièrement de Georges Pompidou, Directeur Général de la Banque Rothschild, il eût été difficile de faire croire que les trusts n’étaient pas au courant de la « doctrine » gaullienne : le largage de l’Algérie et des possessions africaines.
Deuxième hypothèse : Roger Stéphane fut-il l’inspirateur (inspiré par d’autres), de De Gaulle en lui soufflant les bonne idées des Trust. Entre les idées de Roger les « bons tuyaux », celles des trusts et de De Gaulle, difficile de croire au hasard.
« La Révolution d’Alger » (événements de mai 1958), si elle s’essoufflait, les grandes espérances des amis de Roger, tourneraient court.
Il fallait désigner le « leader » pour canaliser la foule à Alger vers de Gaulle. C’est Delbecque et Neuwirth qui furent « parachutés » en Algérie, deux Parisiens qui ne connaissaient pas l’Algérie, qui s’occupèrent de l’homme du 18 Juin. Parmi les « conjurés », une majorité de militaires adhéraient dans l’enthousiasme. Mais le plus insolite dans la démarche fut la présence de Neuwirth, ni militaire, ni Pied-noir, ni fonctionnaire d’Afrique du Nord. Personne ne se posait la question de savoir pourquoi la présence de Neuwirth, l’homme de confiance de la puissante industrie des « Textiles du Nord ».
.../...
1 Maurice Deixonne : Député SFIO
2Henri Ulver : Ministre du cce et de l’industrie sous le gvt Mendes-France.
3Maurice Lemaire : Député des Vosges.
4Christian Fouchet : Diplomate
5Diomède Catroux : Député du Maine et Loire,( ne pas confondre avec le Général Catroux.)
6Raymond Schmittlein : Ministre de la Marine marchande.
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