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L’Occident face à ses ambitions perdues ? Après la Syrie, le nouveau monde multipolaire

Habitué à se croire encore investi d’une « mission » civilisatrice, l’Occident semble essuyer un échec à la face du monde, avant même que de montrer ses muscles stratégiques gonflés de droits de l’Homme. Impréparation, précipitation, reculade, l’arrogant donneur de leçons de morale offre le visage d’un Goliath s’excusant par avance de ses actes prochains d’autorité supposée, tout en promettant de limiter ses audaces. A moins qu’il ne s’agisse d’y renoncer habilement à l’occasion d’un nouveau Traité ou Protocole de désarmement ? Eviter le chaos en sortant par le haut au regard de l’Histoire.

 

Qu’il puisse encore y avoir des « guerres justes » recouvre une civilisation primaire. La réponse envisagée au drame de la guerre civile en Syrie relève d’un temps que les moins de vingt ans ne doivent jamais connaître. La démocratie supposée sauvera t-elle la face in extremis en renvoyant ses « ambitions » devant ses institutions de représentation nationale ou organisations internationales, devant ses opinions publiques. Devant ses peuples ?

Le maître américain du monde est donc retourné devant son Congrès après avoir opportunément pointé du doigt un intolérable dépassement de ligne rouge, fondé sur l’usage d’armes chimiques.

 

Au cœur même de la poudrière du monde, les enjeux sont multiples. La nature même de l’intervention interroge (au sein d’une guerre civile). Les précédentes offensives estampillées « droit d’ingérence » n’ont pas eues les suites rêvées. Des frappes militaires ne feraient qu’ajouter des victimes supplémentaires aux plus de 100000 déjà effectives. Comme premier constat gardons que le nain politique Européen n’est plus, à moins que cela n’annonce la chute du vieux géant Occidental ? Ou le retour à une juste humilité face au Monde.

La Russie revient en force, tranquille. Le suivisme habile de la Chine recouvre une montée en puissance pleine d’avenir. L’Iran veille.

 

L’opposition à l’usage des armes chimiques remonte ainsi au temps de la SDN (Société des Nations), époque durant laquelle un protocole d’interdiction des gazs asphyxiants et armes bactériologiques fut adopté à « Genève 1 » en 1925. L’on songe donc aujourd’hui à la réunion prochaine de « Genève 2 » pour réaffirmer ces mêmes limites.

Comme le long conflit Iran/Irak (1980-1988) n’aura pas été sans transgresser les interdits, une résolution datant du 26 Août 1988 fut établie. Elle autorisa le Secrétaire Général de l’ONU à enquêter plus aisément sur tout usage supposé de telles armes de terreur. En Mai 2013 la France et l’Angleterre firent appel à cette résolution pour que Kofi Annan fasse ses investigations. La présence d’enquêteurs le 21 Aout dernier dénonça ainsi l’usage de telles armes par Hafez El Assad. Notons qu’en 1993 la plupart des pays du monde signèrent la Convention sur l’utilisation des armes chimiques, à l’exception notoire de la Syrie.

 

Cette Historique interroge plus encore sur les gesticulations subites Occidentales. Le conflit actuel ne relève pas d’une nouveauté ou d’une surprise réelle, pas plus que la question des armes de terreur. Le doute installé face au « passif » mensonger relatif aux armes de destruction massive de feu Saddam Hussein (et quelques mensonges durant la guerre au Kosovo) pèse encore. Le fait même de s’en remettre aux résultats définitifs des inspecteurs de l’ONU ajoute à la sensation de confusion Occidentale. Le Roi est déjà nu ?

 

Le maître du monde, le président Américain, a donc fait marche arrière. Au niveau de la morale, ce ne serait pas la première fois. Guantanamo recèlerait bien des offenses ou brèches faites aux nobles principes volontiers avancés par l’Occident, tout entier vendu au « dieu » de l’Argent. Le « modèle » Occidental prétendu devoir être imposé au Monde entier compte toujours plus de millions de miséreux, Occident s’affichant notamment au niveau environnemental comme un territoire sans foi ni loi. Cet Occident là peut-il encore intervenir sur des questions de morale internationale ? Outre le regard de l’Histoire, la nature même de cette intervention en Syrie pose question.

 

Pour peu que l’on reste attaché au principe fondamental de la souveraineté nationale, étant entendu qu’il n’y a jamais eu ici bas de guerre propre, que l’opposition Syrienne n’est pas sans compter des hordes de terroristes fanatiques, le pouvoir Syrien ne garde-t-il pas quelque légitimité dans ce qui reste une guerre civile ? D’aucuns affirment en outre que le président Hafez El Assad n’aurait jamais en personne autorisé l’usage de telles armes, qu’il s’agirait d’initiatives personnelles de gradés militaires zélés ou dénués de toute conscience morale.

 

Alors que le géant de papier vertueux occidental tangue jusque dans ses rodomontades mal assurées, le peuple Syrien vit un long calvaire. Qu’il s’agisse de nourriture ou de soins médicaux le désastre est là. Alep l’incarne de façon emblématique.

 

L’avenir reviendra à la table des larges négociations conçues par Kofy Annan il y a plus d’un an.

 

Le président américain trouvant son nouvel Eldorado de mission en Asie craint manifestement d’avoir plus à perdre qu’à gagner au Moyen Orient.

Et si les démocraties retrouvaient un peu de leur superbe en se soumettant au choix de leurs parlements ? Le régime hyper présidentiel exigerait des dirigeants exceptionnels pour être viable et efficace, plus encore en temps de guerre. L’intervention Occidentale traduirait-elle un ultime sursaut d’une civilisation à bout de souffle, pour s’être beaucoup trahie elle-même toutes ces dernières années ?

 

La condamnation la plus radicale de l’utilisation d’armes chimiques étant acquise, bien qu’altérée à plusieurs reprises depuis 1925, la Syrie n’incarne-t-elle pas une réaffirmation de souveraineté nationale appelée à se répandre ?

 

Sans nier l’inacceptable que recouvre l’usage d’armes chimiques, qu’un pays puisse posséder plus de 1000 tonnes de telles armes (selon les services secrets français), que plus de 1400 personnes (dont 426 enfants) y aient perdues la vie, que la planète renferme autant d’armes nucléaires dans les rangs même d’un Occident prétendant à sauver le monde, oui, tout cela est pour le moins inacceptable.

Qu’il puisse y avoir des « guerres d’ingérence » au nom de la morale et du droit internationaux ? Que la vérité puisse être manichéenne ? Que le « modèle » Occidental soit le seul possible ? Le conflit actuel interroge plus largement toute la communauté internationale.

 

Le conflit interne à la Syrie voit donc une opposition éclatée se confronter à un pouvoir se comportant comme dans un temps politique révolu. L’offensive Occidentale quasi morte née dans une marche arrière ne solde-t-elle pas déjà l’échec d’une solution armée, qui ne saurait en être. La civilisation ne se trouve t’elle pas plus que jamais auparavant placée face à ses responsabilités ?

 

Les armes ont-elles encore vraiment à parler alors que la survie même de la planète en tant que surface « viable » est en question ? Non, élargir ainsi le débat n’est pas hors de propos. Les crimes contre l’Humanité seraient divers et variés, se produisant aussi en Occident. Comment « frapper » suffisamment les consciences ? Le biais militaire ne résout rien.

 

Une « frappe chirurgicale » ou pas ? Le Conseil de Sécurité de l’ONU se heurtera de toute façon à un veto de la Russie, la Chine prolongeant assurément la même obstruction, à moins qu’il ne s’agisse d’un rappel à l’ordre, celui de la souveraineté nationale, en temps de guerre civile.

Alors compter sur l’Assemblée Générale des Nations Unies, qui elle, peut passer outre le positionnement du Conseil de Sécurité ? Rien ne dit qu’elle serait favorable aux deux tiers (seuil requis) à une intervention armée, surtout lorsqu’elle émane des Occidentaux. Gardons comme piste seconde que le G20 se réunira avant le Sénat Américain. Les tergiversations ou reculades de dirigeants Occidentaux ne sont pas sans fragiliser de fait toutes les consultations institutionnelles. Les dirigeants Occidentaux souhaitent-ils encore y trouver un soutien à des interventions militaires ? Revenir à la table des négociations initiées par Kofi Annan sauverait aussi la face des Occidentaux.

 

Les opinions ? Si le soutien de la Ligue Arabe parait acquis, les peuples du Monde Arabe sont majoritairement opposés à des attaques. Si l’Allemagne, l’Espagne, et tant d’autres pays constituant le nain politique Européen, se font assez discrets, c’est bien que l’option armée ne reçoit aucun appui populaire Occidental réel.

 

Vraiment, une « guerre juste » ? Des interventions sans l’aval des peuples ? La démocratie viendra-t-elle s’afficher en nouvelle défaite Occidentale, prolongeant les étranges marches arrières Anglaises et Américaines. Il n’est pas exclu que le président français gagnera à consulter les Assemblées, même si la Constitution lui laisse une totale liberté d’action.

Le désastre diplomatique est patent. Le retour en force de la Russie aussi. Une autre victoire se prépare-t-elle en silence au détriment des gesticulations Américano-Européennes ? A moins qu’il ne s’agisse d’une grande redistribution prochaine des cartes planétaires.

 

Qui a vraiment intérêt désormais à cette ingérence dans une guerre civile en plein cœur de la poudrière du Monde ?

 

Au conflit Israélo-palestinien, conjointement à la menace d’un Iran accédant à l’arme nucléaire, sans oublier plus d’un millions de réfugiés Syriens frappant aux portes du Liban et de la Jordanie, en pleine confrontation entre Sunnites et Shiites, le tout situé dans un rapport de force entre l’Occident et l’Orient…à tout cela, est-il sensé d’ajouter cette étrange « frappe » à finalité vertueuse ou dissuasive ? Real politique ?

 

Ce qui se dit dans cette séquence outrepasserait-il l’usage réel ou supposé d’armes chimiques ? Qu’est-ce qui se joue réellement autour de la Syrie ? Un droit d’ingérence dans une guerre civile ? !

 

Oui, reprendre des négociations internationales s’impose comme la seule issue réelle possible, en élargissant la problématique à toutes les armes de « destruction massive » (Atomique, Chimique, Bactériologique) présentes dans le monde. Le « Genève 2 » réaffirmant les protocoles passés constitue la seule « sortie par le haut ».

Prétendre à une victoire Occidentale dans l’hypothèse d’un embrasement en chaîne après une telle entrée en matière Anglo-Américano-Française ? Sans le soutien des peuples ou des opinions ? L’Occident vient-il de permettre un monde nouveau prochain suite à ses reculades successives ?

Les prétendus « maîtres du monde » auraient donc à retrouver partout sur la Terre le respect de la souveraineté nationale, tenant compte de la volonté des peuples, reprenant l’initiative d’un nouveau protocole relatif aux armes de terreur. Que l’Occident cesse enfin de s’autoriser ce qu’il interdit aux autres ?

 

Oui, la voie ouverte par Kofy Annan était la bonne. Une réunion recevant également l’Iran, la Russie et la Chine, la Ligue Arabe, l’Europe, doit être mise en place au plus tôt sous le haut patronage de l’Assemblée Générale des Nations Unies. Cette Assemblée devra elle même être soumise à une nouvelle répartition des intervenants et de leur influence.

 

Le supposé « gouvernement mondial » conçu pour reposer essentiellement sur les Etats Unis et l’Europe n’est plus. Le désarmement indispensable, portant premièrement sur les armes de terreur, ne pourra se faire sans une prise en considération plus égale de toutes les nations, dans le respect de leur souveraineté. La « troisième guerre mondiale » tant redoutée ou fantasmée, parfois évoquée en arme ultime de dissuasion générale pour toute l’Humanité, pourrait alors définitivement cesser d’être même, une hypothèse.

 

Si la Syrie devra trouver les mots face à la Communauté Internationale, osant les engagements définitifs attendus, les Occidentaux se devront en retour de ne plus s’attribuer une « mission » à laquelle ils ne sont plus légitimes de prétendre. Plusieurs « modèles » de civilisation peuvent et devront cœxister, à moins qu’ils ne se succèdent. Que les armes parlent ou pas en Syrie, une grande mutation semble engagée. Voir l’Occident commencer par reculer, même pour mieux sauter (espérant en la dimension la plus réduite et neutre de ce terme), voilà qui fera l’Histoire. Vers un Monde nouveau ?

Pour avoir renoncé peu à peu à ses valeurs les plus essentielles au pied de l’ultra libéralisme, le « cercle vertueux » Occidental se serait en effet désagrégé. En s’abandonnant à la « main invisible » du « dieu » unique de l’Argent il aurait perdu une grande part de sa crédibilité internationale en matière de droits de l’Homme. Les frappes militaires envisagées, puis retardées, traduisent un vieux réflexe de maître moralisateur du monde qui a fait son temps.

Le Monde sera multipolaire. Ce passage par la Syrie pourrait bien initier la fin d’une Histoire. Puisse-t-elle se dérouler sans que les armes parlent, trop.

 

Guillaume Boucard


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