L’Ere du Geek
Le 19 Janvier 2012, suite à une opération de grande envergure menée par le Département de la Justice des Etats-Unis, le site hébergeur Megaupload ferme ses portes virtuelles, et son créateur, répondant au pseudonyme de Kim Dotcom, est placé derrière les verrous, eux bien réels. En résultèrent une allégresse générale et médiatisée de la part du Federal Bureau of Investigation, de la Maison Blanche, des comités occidentaux de surveillance du web, de l’Elysée et des dirigeants du monde dit libre de manière générale. Il me faut, devant ces faits précis, réagir sur plusieurs fronts.
Premièrement, il m’apparait comme évident que monsieur Kim Dotcom n’est pas un être vil et dangereux. Je ne saurais cautionner son penchant pour l’excessif qui lui a été permis grâce à son projet : son manoir, ses voitures de luxe, restent du domaine de l’exagéré. Mais, au-delà, est-il une réelle menace pour la société ? A en juger par les réactions dont je parlais précédemment du FBI qui a mis fin à son règne, il faut croire que oui.
Pourtant, Kim ne faisait de mal a personne, son programme de partage de fichier permettait un transfert simple et efficace, et j’ai moi-même fait partie du flot de millions de ses utilisateurs. Que de bourrades dans le dos, que de congratulations, de vivas et de félicitations pour l’arrestation de ce dangereux psychopathe. J’attends de voir le jour où les services spéciaux mettront un véritable terme aux actions des vrais criminels, qui sont, pour le coup, un danger pour la société : je parle ici des cartels mexicains, des innombrables mafias qui régissent la traite des femmes et des enfants pour nourrir les réseaux de prostitution et de pédophilie, les revendeurs d’armes, qu’ils soient légaux ou non, les pontes de la drogue et autres joyeusetés de ce genre. Mais proposez à un agent du FBI ou des Services Spéciaux de n’importe quel pays d’aller se frotter à ces messieurs, allez exiger de vos représentants qu’ils luttent efficacement contre de tels groupes, et l’on vous traitera d’utopiste.
J’ose croire encore que certains aspirants à ces métiers de la lutte contre le crime aient le projet de combattre ces ennemis, mais j’imagine que la réalité du terrain les rattrape bien vite. Toujours est-il qu’aujourd’hui, les vrais méchants courent impunément dans les rues, et que les plus inoffensifs des malfaiteurs prennent pour les autres. Il est d’autant plus cocasse de constater que les seuls capables de causer du tord à ces malfaiteurs sont justement des hackers de haut vol, vivant à la limite de la légalité mais créant une pression non négligeable sur ces groupes que la Loi n’inquiète plus.
Deuxièmement, je veux faire suite au débat sur la question du partage sur la Toile, et sur celles des droits d’auteurs, de la protection d’une œuvre, et de la défense de la culture en général. Pour les plus anciens d’entre nous à avoir profité du net comme outil d’accès libre à la culture musicale et visuelle, souvenons-nous de Napster, plateforme d’échange et de partage de fichiers musicaux à utilisation gratuite, une révolution à l’époque. Ce service a fonctionné de 1999 à 2001, et qui a fatalement été fermé par décision de justice pour les mêmes raisons que l’on connait aujourd’hui.
Fort de cet exemple, et tirant les leçons des erreurs de Napster, apparurent de 2000 à 2005 KaZaA, et depuis 2002 eMule, qui sont ou ont été des hébergeurs d’œuvres musicales, télévisuelles, cinématographiques et photographiques. Pendant plusieurs années, ils ont su se dérober à la justice qui aura moins fait pour leur perte que l’obsolescence de leur système, aujourd’hui rattrapé par la vitesse et le répertoire que proposait Megaupload.
Entre temps, nous découvrions aussi les Torrents, dont le principal acteur était le site PirateBay, fermé lui aussi en avril 2009, mais qui subsiste encore aujourd’hui, plus discret qu’auparavant, à l’instar d’eMule. Et c’est là où je veux en venir : quand bien même la Justice fera fermer des sites de ce genre et enfermer leurs responsables, d’autres, plus malins et aguerris prendront leur place et proposeront de meilleurs systèmes. Preuve en est, Megaupload est désactivé, ça ne m’a pas empêché de continuer à télécharger, ce que j’admets sans vergogne étant donné que, possédant à l’heure actuelle pas moins de six cent soixante-dix DVDs ainsi qu’une bonne douzaine de séries complètes que j’ai obtenus en toute légalité, j’estime avoir largement payé ma taxe à Hollywood et au CNC réunis. Comme le dit si bien le personnage Alec Hardisson, campé par le talentueux Aldis Hodge (photo ci-dessous) dans la série Leverage, « Nous vivons l’ère du Geek ! » Nous trouverons toujours une solution. Et c’est sur cette transition que je fais le rapprochement avec le débat de la défense de la culture dont notre cher Président veut se faire le promoteur.
Je pars du constat que la vie du français moyen n’est pas des plus simples, même s’il y a plus à plaindre. Mais il fait face à une réalité pas franchement réjouissante, et la musique, les films, les séries qu’il « consomme » font office de traitement palliatif à cette réalité, l’alternative ultime étant l’alcool et le football à la télé. Réjouissant ! Sauf qu’en règle générale cette réalité-là ne lui permettrait pas de s’offrir un tel traitement, s’il devait le payer au prix normal. Logique donc, qu’il se rabatte sur le piratage, qui, soyons honnête, n’a jamais empêché un seul artiste de manger à sa faim ou de partir à Bora Bora de temps en temps.
Le postulat est clair : à partir du moment où une œuvre est rentabilisée pour son auteur, et qu’elle circule sur le net, elle doit être libre d’accès. Mais non. La défense de la culture, selon nos gouvernants, ce n’est pas permettre une ouverture culturelle, c’est simplement s’assurer que seuls ceux qui sont prêt et capable de payer en soient les détenteurs exclusifs. Plutôt que de solliciter un regain de créativité, on enferme les gens dans la tristesse de leur existence où la musique et l’émotion sont devenues de trop.
Et, d’ici quelques années, il deviendra obligatoire de payer pour consommer l’air que nous respirons, et nos chers gouvernants de se battre pour la défense de l’air pur.
(NB : pour des raisons techniques cet article est paru "en retard", de nombreuses autres infos sur megaupload et l'arrestation de KDC ont depuis été révélées)
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