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Accueil du site > Tribune Libre > L’archéologie : une science humaine & sociale
#85 des Tendances

L’archéologie : une science humaine & sociale

L'année 2023 a été riche en découvertes pour l'archéologie française. Lors de travaux de consolidation des fondations médiévales de la basilique de Saint-Denis, les ouvriers ont mis au jour la présence de bâtiments antérieurs à la basilique et 200 sépultures au cœur d'un ancien cimetière mérovingien et carolingien. Une soixantaine de sarcophages en plâtre, avec pour certains de décors moulés, recélaient des restes métalliques confirmant des distinctions sociales et la présence d’une aristocratie. En Irak, la mission menée par l'archéologue Pascal Butterlin (université Paris I Panthéon-Sorbonne) a permis la découverte d'un taureau ailé assyrien en albâtre de 4 mètres pour un poids de 18 tonnes. Cette créature semi-divine aussi appelée Lamassu a été découverte à l'emplacement de l'ancien village de Khorsabad à 15 kilomètres au nord de Mossoul.

Au VI° siècle avant notre ère, le dernier roi babylonien, Nabonide ordonne des campagnes de fouilles destinées à retrouver les grands monuments édifiés sous ses prédécesseurs et ainsi s'attirer les grâces des Dieux. Un siècle plus tard, l'historien grec Thucydide fait remarquer que : « l'histoire de l'humanité ne doit pas s'écrire seulement à partir des écrits laissés par les générations précédentes ». Au XV° siècle, les papes qui veulent redonner à Rome toute sa splendeur diligentent de grands travaux d'urbanisation. Le Colisée a été transformé au fil du temps en carrière de pierres ! Les vestiges des monuments découverts sont déblayés, restaurés. Au XVI° siècle les cabinets de curiosités sont à la mode et les personnalités fortunées collectionnent les objets anciens de valeur (statues, bijoux) ou appartenant au monde de l'art. Le premier musée archéologique est ouvert en 1784 dans la ville d'Arles.

Les premières fouilles archéologiques d'envergure sont entreprises en 1738 à Herculanum et à Pompéi dix années plus tard, où tout fut enseveli sous plusieurs mètres de cendres relâchées par le Vésuve en l'an 79. Bonaparte lance la campagne d'Egypte en 1798, parmi ses armées 150 ingénieurs artistes et scientifiques. De nombreux monuments sont répertoriés et explorés. Champollion déchiffre en 1822 les hiéroglyphes gravés dans la pierre de Rosette. Henry Rawlinson déchiffre en 1851 l'écriture cunéiforme apparue en Mésopotamie il y a 5000 ans. En 1871 Heinrich Schiemann consacre sa fortune à rechercher la cité de Troie (Grèce) après avoir lu Homère. Tous les savants pensent que ce récit datant du VII° siècle avant notre ère est une fiction. Les fouilles vont permettre de découvrir neuf villes superposées ! De nombreux objets en or et argent datent de plusieurs milliers d'années avant Troie !

Nos ancêtres choisissaient l’emplacement de leur campement en fonction des ressources qu'offraient le milieu : eau, gibier, poisson, terrain fertile, ensoleillement, présence de bois ou de tourbe pour alimenter le feu, protection des vents dominants, des animaux sauvages, contre des agresseurs. Le paysage actuel est la conséquence et le résultat de l’histoire passée entre l’homme et son milieu. Les constructions, les arasements, les cultures, les aménagements ont contribué à modifier le terrain. La recherche d'un site archéologique en tel endroit plutôt qu'en tel autre repose souvent sur des textes anciens, la reprise d'anciennes fouilles, une légende, une rumeur locale (camp César), la toponymie, une découverte fortuite lors de travaux d'aménagement ou la construction d'un parking souterrain.

Jusqu'en 1941 les chantiers de fouilles ne faisaient l'objet d'aucune réglementation. Un accord entre le propriétaire du terrain et le fouilleur suffisait, à l’exception cependant des monuments historiques relevant de la loi du 31 décembre 1913 (protection du patrimoine). Depuis la loi du 27 septembre 1941, quiconque veut entreprendre des fouilles doit obtenir une autorisation. « Nul ne peut effectuer sur un terrain lui appartenant ou appartenant à autrui des fouilles ou des sondages à l'effet de recherches de monuments ou d'objets pouvant intéresser la préhistoire, l'histoire, l'art ou l'archéologie, sans en avoir au préalable obtenu l'autorisation. La demande d'autorisation doit être adressée au préfet de région ; elle indique l'endroit exact, la portée générale et la durée approximative des travaux à entreprendre. Dans les deux mois qui suivent cette demande et après avis de l'organisme scientifique consultatif compétent, le ministre chargé de la culture ou le préfet de région accorde, s'il y a lieu, l'autorisation de fouiller ; il fixe en même temps les prescriptions suivant lesquelles les recherches doivent être effectuées ». La Sous-direction Archéologie a été créée en 1981.

Le secteur retenu, encore faut-il en vérifier les potentialités. Les archéologues disposent de la photographie aérienne à moyenne altitude (500 à 1000 m) puis à basse altitude (150- 300 m). En 1926, le R.P Poidebard survol les régions à la recherche de la route de l'ambre reliant l'Espagne, l'Allemagne avec la Chine. Le drone tend de plus en plus à supplanter l'avion pour le survol de surfaces inférieures à une dizaine de kilomètres carrés. La prise de vue est effectuée en lumière rasante (matin ou le soir) sous des angles différents (descente en spirale de l'aéronef) pour en délimiter les contours (ombres portées et d'absorption) et les perspectives (lignes de fuite) redressées à l'ordinateur. La photo-numérique en fausses-couleurs, infrarouge et la thermographie apportent des informations supplémentaires, tandis que le LiDAR (Light Detection And Ranging) ou télédétection par laser permet de s'affranchir de la canopée ou de la végétation afin de mettre en évidence des constructions hors sol (archéologie du bâti).

Les images satellitaires ont révélé 17 pyramides, un millier de tombes et 3 000 bâtiments égyptiens. Google Earth, lancé en 2011, a permis la découverte, en Europe, d'une centaine de sites inconnus datant de l’âge de Bronze répartis sur plus de 150 km. « Les structures, dont beaucoup sont identifiées pour la première fois, se cachaient à la vue de tous. Beaucoup sont invisibles depuis le sol parce qu'elles ont été labourées presque à plat après des décennies d'agriculture intensive ou qu'elles ont été détruites à l'époque préhistorique  ».

Si la présence de rosiers, de ronces ou d’orties témoigne d’une occupation humaine, les axes de communication (terrestre ou fluvial) reflètent les échanges entre les populations. Les anomalies du sol (couleur, texture, relief, déplacements) et les incidents topographiques sont de précieux indicateurs. Une motte de terre ceinte d’un anneau peut très bien correspondre au fossé d’une motte féodale (10 000 en France). Un micro relief révéler des fondations. Le moindre relief retient les sédiments déplacés par le vent ou la pluie, et toute rupture de pente formant un ressaut peut correspondre à un ancien mur et une dépression dissimuler parfois un fossé comblé. Un ancien fossé, une ancienne tranchée, un boyau, une sape ou une cheminée d’aération comblé retient l’humidité plus longtemps et favorise la croissance des végétaux. L’herbe surmontant le fossé est plus haute que les herbes environnantes. À l’inverse, s’il s’agit de pierres enfouies ou d’anciennes fondations, l’herbe sera moins élevée au-dessus des parties construites. Les murs arasés constituent un obstacle à la pousse des végétaux, les racines ont du mal à s’enfoncer dans le sol pour y puiser l’eau et les éléments nutritifs nécessaires à leur croissance. En hiver, après une chute de neige, celle-ci fond plus rapidement sur les murs ou les fondations enfouies. La présence d’humidité draine par capillarité la neige qui s’affaisse et souligne les zones retenant l’humidité.

La zone à prospecter fait l'objet d'un relevé topographique (théodolite), laser 3 D, puis quadrillée (carroyage) et parcourue par les archéologues équipés de détecteurs de métaux (ferreux et non ferreux) - d'un résistivimètre (passage d'un courant électrique dans le sol, un mur diminue la résistance tandis qu'un fossé humide l'accroît) - magnétomètre (anomalies du champ magnétique) - micro gravimètre - radar de sol, et sondée avec une tarrière et/ou en forçant dans le sol une tige métallique sous un angle inférieur à 30° et ainsi mettre en évidence la présence des hétérogénéités dans le sol. Des carottages viennent parfois compléter les sondages. Les intervenants emploient : débroussailleuse, pelle mécanique, pioche, marteau de géologue, truelle, spatules, pinceau, grattoirs, tamis, et les archéologues s'entourent, selon le site : d'anthropologues, paléontologues, urbanistes, géologues, spécialistes de la civilisation concernée. Des surprises ne sont jamais à exclure. En 2012 les archéologues ont découvert un squelette de mammouth en fouillant un site romain en Seine et Marne !

Le plus petit élément ou détail peut aider à reconstituer l'histoire du site et de ses occupants passés, mais de nombreux mystères demeurent. Des détectoristes (fouilleurs) anglais ont découvert en 2023 un dodécaèdre en bronze d'origine romaine enfoui dans un champ proche du village de Norton Disney (Lincolnshire). Ces figure géométrique à douze faces, dont une face porte un trou circulaire en son centre remontent généralement du IIᵉ au IVᵉ siècle après J.-C. Les archéologues n'ont pas percé le mystère de ces objets dont la plupart ont été découverts au nord de l'Italie, en France, Belgique, Allemagne et au sud des Pays-Bas. Les archéologues ont avancé une quarantaine d'hypothèses sur leur usage : pratiques religieuses ou rituelles, arme, jouet, bougeoir... « D'après le nombre de pièces trouvées, la qualité des matériaux et le processus de fabrication coûteux, il est évident que ces dodécaèdres n'étaient ni des objets d'occasion que l'on pouvait acheter à tous les coins de rue, ni des objets extrêmement rares ».

L'archéologue remonte le passé en interprétant les couches de sédiments et ou laissées par les activités humaines. La stratigraphie, science empruntée à l'étude des fossiles, permet de hiérarchiser les éléments les uns par rapport aux autres à condition qu'il n'y ait pas eu de glissement de terrain (ère glaciaire). Quand un objet ou artefact apparaît, il n'est pas relevé immédiatement. Toute la couche dans laquelle il est situé doit être interprétée, fouillée, photographiée à côté d'une échelle de représentation, ses coordonnées relevées sur la fiche d’accompagnement et consigné dans le cahier de fouille numérisé. Les éléments fragiles sont consolidés avant d'être relevés ou font l'objet d'un moulage. La thermoluminescence des objets qui ont été exposés au feu (poterie, pierre d'un foyer) permet la datation sur plusieurs centaines de milliers d'années. La dendrochronologie fixe la date d'une partie en bois d'après le nombre de cernes de croissance (un cerne par an), maximum 6.000 ans. La datation au carbone 14 s'applique aux os, enveloppes calcaires (œufs, coquillages), graines, bois, charbon de bois (peintures rupestres) jusqu'à 40.000 ans. La méthode potassium-argon permet de remonter à trois millions d'années !

Les études en archéologie sont assurées par des universités, l'Ecole du Louvre et l'Ecole des hautes études en sciences sociales. Les postes à pouvoir dans la fonction publique, emplois contractuels, vacataires sont parcimonieux. Par contre, des missions de fouilles sont accessibles aux bénévoles, inscription sur le site du Ministère de la culture. L'archéologie c'est permettre à tout un chacun de se réapproprier une partie de son passé. Pour Roger Agache « Nous pensons que l'on doit considérer comme " archéologique " toute structure obsolète. On se préoccupe pas assez de ce passé immédiat qui disparait sous nos yeux. (...) Les vestiges du colossal mur de l'Atlantique, les rampes de lancement de V1, les grandes bases militaires de l'arrière, avec leurs systèmes de communication et de stockage, ne sont-ils pas aussi dignes d'intérêt qu'un camp romain ? ». Une correction, une précision, une remarque ? 

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7 réactions à cet article    


  •  C BARRATIER C BARRATIER 18 avril 16:53

    tres bon article

    Je n’ai effectué que des fouilles (autorisées par Jean Combier à l’époque), et des decouvertes sur l’ommme de Néanderthal et l’homo sapiens. Près de St Martin d’Ardeche. 

    Je n’aurais pas su écrire un article si complet


    • Brutus Brutus 18 avril 17:28

      @C BARRATIER

      Vous avez donc participé à des fouilles de paléontologie. Ce n’est pas tout à fait pareil que l’archéologie. Ce sont deux disciplines qui s’appuient sur les fouilles et l’examen d’objets témoignant de la vie passée, mais le paléontologue se consacre aux fossiles des êtres vivants (animaux, humains, végétaux...) alors que l’archéologue se concentre sur les restes et les objets témoignant d’une activité humaine (outils, vestiges, tombes, ossements...).

      Mais bon, on va pas pinailler, c’est plus « scientifique » que l’histoire, en tous cas, m^me si les découvertes donnent lieu à des théories qui se trouvent anéanties quelques années plus tard par de nouvelles mises au jour qui contredisent la thèse précédente. Par exemple, les polémiques autour de Lucy ou autour du Trésor de Vix n’ont pas fini d’alimenter les querelles de clochers.


    •  C BARRATIER C BARRATIER 19 avril 18:28

      @Brutus
      Merci pour ces précisions


    • Parrhesia Parrhesia 18 avril 18:02

      Grand merci à l’auteur pour cet article exceptionnel qui, non seulement témoigne de la persistance de l ’intérêt pour un passé qui a fait de nous ce que nous sommes mais encore, nous extrait de la tristesse affligeante de notre information quotidienne .


      • Rinbeau Rinbeau 18 avril 20:47

        Que penser par exemple de la cohabitation Pompéi et Camorra.. Trop beau pour être honnête ! D’ailleurs il se pourrait très bien que l’on exhume la Pompéi ensevelie par le Vésuve en 1631 puisque avant cette date Pompéi et Herculanum figurent sur de nombreuses cartes géographiques.. Et plus du tout après.. Cherchez l’erreur !

        En fait tout ce qui est retenu des découvertes archéologiques doit impérativement coller avec le récit officiel de l’histoire.. Dans le cas contraire c’est considéré comme tout simplement impossible.


        • Et hop ! Et hop ! 20 avril 01:35

          Beaucoup d’affirmations fausses :

          « Les premières fouilles archéologiques d’envergure sont entreprises en 1738 à Herculanum et à Pompéi dix années plus tard »

          Il y en a toujours eu des voyages et des fouilles archéologiques, par exemple pour rester à l’époque moderne, Nicolas Claude de Peiresc (1580-1637) , a tombe de Chilpéric à Tournai en 1653, l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres a été créée en 1663, il y en a eu pendant la Renaissance, pendant les Croisades, et même sous l’Antiquité, beaucoup de princes et de monastères collectionnaient des « antiquités ».

          «  L’archéologie c’est permettre à tout un chacun de se réapproprier une partie de son passé. »

          Rien de plus faux, les résultats de l’archéologie peuvent profiter à tout un chacun, mais elle ne peut être pratiquée que par très peu de gens, c’est une activité très spécialisée, nécessitant beaucoup de technicité, d’expérience, d’érudition et de fortune. Les fouilles et les interprétations faites par des amateurs détruisent les informations.


          • xana 22 avril 16:00

            Bon article, Gérard Desmaretz. Merci.

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