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Accueil du site > Tribune Libre > Kundera alias Elitiste
#23 des Tendances

Kundera alias Elitiste

Né le 1er avril 1929 à Brno dans l'ancienne Tchécoslovaquie et mort le 11 juillet 2023 dans le 7e arrondissement de Paris, Milan Kundera est un poète romancier, essayiste et dramaturge naturalisé français.

Exilé en France en 1975 après avoir été censuré et exclu du Parti communiste tchécoslovaque en 1970, il est déchu de sa nationalité. Elle lui est restituée en 2019. Il obtient la nationalité française le 1er juillet 1981, peu de temps après l'élection de François Mitterrand. Milan Kundera écrit ses premiers livres en tchèque et utilise exclusivement le français à partir de 1993.

Né, cinq ans après la mort de Kafka, Milan Kundera est aussi une écrivain tchèques célèbres.  Bien que Kafka et Kundera partagent des racines culturelles et des préoccupations sur l'aliénation et l'oppression, leurs styles, contextes historiques et thématiques divergent de manière significative. 

Kafka (1883-1924) un inconnu célèbre, dont j'avais parlé la semaine dernière, est associé à un style sombre et absurde, caractérisé par une atmosphère oppressante et des situations bureaucratiques labyrinthiques, plus centrées sur l'absurde. Ses œuvres explorent des thèmes tels que l'aliénation, la culpabilité, l'absurdité de la vie, et la lutte contre des forces anonymes et impitoyables. Il utilise un langage clair et direct, mais avec des situations et des événements qui semblent déconnectés de la logique ordinaire. Sous l'influence initiale de son père, il a vécu à Prague au tournant du XXe siècle, une période marquée par des tensions politiques et culturelles dans l'Empire austro-hongrois. Il écrit en allemand et fait partie de la minorité juive germanophone de Prague. Il ne veut pas être lu dans la postérité.

Milan Kundera (1929-2023) combine la réflexion philosophique, l'ironie et la politique contemporaine. Un début de vie sous le régime communiste en Tchécoslovaquie, il témoigne de l'invasion soviétique de 1968. Emigré en France en 1975, il écrit principalement en français depuis les années 1990. Ses œuvres reflètent la lutte entre l'individu et les forces politiques oppressives, tout en intégrant une perspective plus large sur l'histoire et la culture européenne. Son style mélange fiction, essai et réflexion philosophique. Ses romans sont souvent ponctués de digressions philosophiques et de méditations sur l'art, la politique et l'existence humaine. Sur un ton souvent ironique et un sens du comique pour traiter de sujets sérieux, ses thèmes récurrents incluent l'identité, la mémoire, la sexualité, l'humour, et les implications de l'histoire sur la vie personnelle. Il veut être lu pour témoigner de son époque.

L'histoire de Kundera

En 1929, il nait à Brno en Tchécoslovaquie (devenue Tchéquie depuis 1993), Milan Kundera est issu d'une famille où l'art et la culture sont considérés comme importants. Son père, est un célèbre musicologue et pianiste. Il apprend très tôt le piano. La musique tient une place non-négligeable dans sa vie et dans son œuvre. Après des études secondaires à Brno, Milan Kundera entame en 1948 des études de littérature et d'esthétique à la faculté des lettres de l'université Charles de Prague. Il change d'orientation au bout de deux semestres et s'inscrit à l'académie du cinéma de Prague.

En 1947, comme communiste convaincu, il est inscrit dans la branche jeunesse du Parti communiste (PCT) et accueille avec enthousiasme, le coup de Prague en , qui voit le PCT prendre le pouvoir en Tchécoslovaquie avec le soutien de l'Union soviétique. Il incite son père à s'y inscrire aussi. « Vers 1948, moi aussi […] j’ai exalté la révolution. Le communisme m’a captivé autant que Igor Stravinsky, Pablo Picasso et le surréalisme. Moi aussi, j'ai dansé dans la ronde. C'était en 1948, les communistes venaient de triompher dans mon pays, et moi je tenais par la main d'autres étudiants communistes", reconnait-il. Son premier texte imprimé est un poème dédié « À la mémoire de Pavel Haas  », son professeur de musique, assassiné à Auschwitz.

En 1950, il commet un acte considéré comme délictueux sur une carte postale, en guise de plaisanterie : « Vive Trotsky ! ». Il est exclu du parti. Envoyé faire son service militaire comme ouvrier mineur à Ostrava. De façon à la fois directe et métaphorique, il écrit "Le Livre du rire et de l'oubli" et "Les anges".

En 1952, ses études sont interrompues à la suite d'« agissements contre le pouvoir ».

En 1953, son premier livre, "L'Homme, ce vaste jardin" est un recueil de vingt-quatre poèmes lyriques dans lequel il essaie d'adopter une attitude critique face à la littérature dite de « réalisme socialiste » mais vu du point de vue marxiste.

Il donne des cours sur « l’histoire de la littérature mondiale » et sur la « théorie du roman » à la faculté de cinéma.

En 1955, il publie "Le Dernier Mai", un livre de poésies consistant en un hommage à Julius Fučík, héros de la résistance communiste contre l'occupation de l'Allemagne nazie en Tchécoslovaquie pendant la Seconde Guerre mondiale. Il est réintégré dans le parti communiste en 1956.

En 1957, son roman "Monologues" est un recueil de trente-six poèmes de poésies d'amour dans lequel il rejette la propagande politique et accentue l'importance de l'authentique expérience humaine d'inspiration rationnelle et intellectuelle.

Dans "La Plaisanterie", il développe son thème majeur : "l'impossibilité de comprendre et de contrôler la réalité".

 En 1968, "Le Printemps de Prague" est la période entre l'avènement d'Alexandre Dubček commencée en janvier et l'invasion soviétique en . Kundera en fait remonter l'origine au scepticisme et à l'esprit critique tchèque, qui aboutissent à ce que, depuis 1960, le régime devient « une dictature en décomposition » mais aussi une situation très favorable à une intense création culturelle. Dans l'atmosphère de liberté du "Printemps de Prague", il écrit "Risibles amours", recueil composé de plusieurs nouvelles qui parlent des relations intimes humaines au travers du dysfonctionnement de la parole vues comme des messagers de l'anti-totalitarisme. L'invasion soviétique d' met fin à la période de liberté d'expression des médias et plonge la Thécoslovaquie dans un néo-stalinisme jusqu'en 1989, à la chute du communisme. Avec les thèmes de l'identité, de l'authenticité et du phénomène de l'illusion, la question principale devient "comment les faits se changent de manière insaisissable en leur contraire". Ses histoires se déroulent dans la société tchèque du stalinisme tardif pour témoigner de la réalité de cette époque. En France, mai 68 ajoute un mouvement révolutionnaire mais il le qualifie de « lyrique qui met en cause ce qu'on appelle la culture européenne et ses valeurs traditionnelles ».

En 1970, à cause de ses prises de positions publiques, il est à nouveau et définitivement exclu du parti. Il perd son poste d'enseignant à l'Institut des hautes études cinématographiques de Prague et ses livres sont retirés des librairies et des bibliothèques. Malgré tout, il continue à écrire pour le 4e Congrès de l'Union des écrivains tchécoslovaques

En 1973, il reçoit le prix du jury "Médicis étranger" en France, ce qui lui permet de s'installer temporairement en France. Valéry Giscard d'Estaing fait pression pour qu'il obtienne un visa permanent.

En 1976, ayant écrit "La Valse aux adieux", il pense qu'il n'écrira plus de romans. Le seul soutien qu'il a de l'étranger est celui de son éditeur français, Claude Gallimard, qui vient le voir de temps à autre, et d'amis français dont il reçoit les lettres. Leur insistance amène Kundera à accepter de venir vivre en France, qu'il considère comme son « second pays natal ». "La vie est ailleurs" est une forme de catharsis dans lequel il confronte son passé de communiste avec sa place en tant qu'artiste libérateur de de son passé. "La Plaisanterie" parle des conséquences imprévues d'une blague innocente dans un contexte politique répressif.

Comme la plupart des intellectuels, Kundera est espionné par la police secrète de son pays. L'ouverture des archives après la chute du régime communiste en Tchécoslovaquie montre qu'il est resté sous surveillance de la StB, les services de renseignements tchécoslovaques, pendant son séjour en France.

En été 1975, avec sa femme Véra Hrabankova, il quitte en voiture la Tchécoslovaquie pour la France avec l'autorisation d'y séjourner pendant « 730 jours ». Kundera s'installe dans la cité bretonne en bordure du centre de Rennes qu'il juge « vraiment moche ». Il y enseigne, en tant que professeur invité, en littérature comparée à l'université Rennes-II jusqu'en 1979, année où il est élu à l'École des hautes études en sciences sociales à Paris. Cette même année, la nationalité tchécoslovaque lui est retirée.

, François Mitterrand lui octroie la nationalité française, en même temps qu'à l'écrivain argentin Julio Cortazar. Cette période de la vie de Milan Kundera revient sur le devant de la scène médiatique, lorsque le magazine tchèque "Respekt" publie, en octobre 2008, un document sorti des archives d'un commissariat de police de Prague. Procès-verbal d'interrogatoire daté du  selon lequel Milan Kundera aurait dénoncé Miroslav Dvořáček, jeune déserteur de l'armée tchécoslovaque passé à l'Ouest puis revenu à Prague, pour être condamné à vingt-deux ans de prison dont il effectue quatorze dans de dures conditions. Le document est retrouvé en 2008 dans l'Institut tchèque d'études des régimes totalitaires. Kundera nie catégoriquement les faits et se dit très choqué par de telles accusations. Il reçoit le soutien de l'ancien président tchèque Václav Havel et de l'historien tchèque Zdeněk Pešat. Plusieurs écrivains à la notoriété internationale s'associent pour le défendre et expriment leur « indignation devant une telle campagne orchestrée de calomnie ». pendant lequel, les écrivains manifestent publiquement, leur désaccord total avec la ligne politique des dirigeants du parti soviétique. Revirement de Kundera. Il y participe activement et prononce un discours important tout en considérant que le mai 68 parisien est radicalement différent du Printemps de Prague qui est un mouvement sceptique sur le plan politique, tout en valorisant la culture traditionnelle à l'encontre de la culture soviétique. Il procède à une révision de la traduction du roman de Marcel Aymonin, qu'il trouve un peu trop baroque. À partir de ce travail, qui concerne aussi d'autres romans, il considère que le texte français révisé a une valeur égale à celle du texte tchèque. Il s'est senti particulièrement outragé en apprenant que des éditions considèrent son attitude comme un déni de sa relation avec la France.

En 1984, "L'insoutenable légèreté de l'être" (voir plus bas)

Dans les années 1990, les livres qu'il écrit directement en français sont jugés décevants par certains critiques qui les trouvent trop secs. Ce malentendu aboutit, en 2000, à ce que la traduction espagnole de "L'Ignorance" soit publiée avant le texte français. "Le Livre du rire et de l'oubli" évoque cette période des « petits boulots » indiquant notamment qu'il a gagné de l'argent en établissant des horoscopes et qu'il a même pu en publier dans un magazine pour jeunes, sous le pseudonyme "Elitiste". Il met alors à profit ses compétences musicales, comme il l'écrit dans la préface à une pièce de théâtre américaine de "La Plaisanterie", jouée «  avec un groupe de musiciens ambulants dans les tavernes d'une région minière ».

Il écrit notamment en 1981 la pièce en trois actes Jacques et son maître en hommage à Jacques le Fataliste et son maître de Denis Diderot.

En 1990, le roman "L'Immortalité" se présente comme une méditation sur le statut de l'écrit dans le monde moderne où domine l'image. Il dénonce la tendance contemporaine à rendre toute chose superficielle, facilement digérable. Kundera réagit face à cette attitude en construisant délibérément ses récits de manière qu'ils ne puissent être résumés facilement.

Pour la première fois de sa vie, Kundera peut écrire librement, la censure n'existant plus. Sachant qu'il n'écrit que pour des traducteurs, son langage se trouve radicalement simplifié. Paradoxalement, le fait qu'il soit interdit de publication dans son pays lui procure un sentiment de liberté.

Dans son article "Milan Kundera", Boris Livitnof éclaire "la dérision et la pitié" sur la manière d'agir du gouvernement tchèque en écrivant : «  Ce n'est pas l'écrivain qui tourne le dos à son pays. Mais c'est son pays qui met l'écrivain hors-la-loi, l'oblige à la clandestinité et le pousse au martyre. »

La langue française maîtrisée, il se lance dans la correction des traductions de ses livres. Les éditions Gallimard indiquent qu'entre 1985 et 1987, les traductions de ses livres "La Plaisanterie", "Risibles amours", "La vie est ailleurs", "La Valse aux adieux", "Le Livre du rire et de l'oubli", "L'Insoutenable Légèreté de l'être", sont entièrement revues avec la même valeur d'authenticité que les textes tchèques d'origine. Milan Kundera soutient qu'il a dit tout ce qu'il avait à dire et qu'il n'écrirait plus de romans.

Réexamen de son passé communiste et dénonciation à travers des thèmes comme l'oubli ou l'idéal de créer une société communiste mais du point de vue de l'Ouest.

En 1993, Kundera termine son premier roman écrit en français, "La Lenteur" qui suit "L'Immortalité", une critique de la civilisation de l'ouest de l'Europe. Il compare la notion de lenteur, associée à la sensualité dans le passé mais aussi un acte qui favorise la mémoire, à l'obsession de vitesse du monde contemporain.

En 1995, "L'Identité", tout comme "La Lenteur", sont des œuvres de maturité comme roman d'amour en rendant hommage à l'amour authentique, à sa valeur face au monde contemporain qui est le seul qui puisse nous protéger d'un monde hostile et primitif. Il examine inlassablement l'expérience humaine et ses paradoxes dont le malentendu amoureux en est le canon.

En, son Œuvre, en deux volumes, entre au catalogue de la Bibliothèque de la Pléiade dans la prestigieuse collection des éditions Gallimard. Kundera n'a autorisé cette publication de ses œuvres complètes qu'à la condition qu'elle ne comporte aucune note, préface, commentaire, ni appareil critique en dehors d'une biographie de l'œuvre. Le roman "La Fête de l'insignifiance" est considéré comme une synthèse de tout son travail inspirée par notre époque qui est drôle parce qu'elle a perdu tout sens de l'humour.

Sa biographie officielle dans les éditions françaises se résume à deux phrases : « Milan Kundera est né en Tchécoslovaquie. En 1975, il s'installe en France. »

Le , l'ambassadeur de la République tchèque en France, au nom de son pays, lui restitue sa citoyenneté tchèque. Le certificat qui officialise cette décision lui est remis par Petr Drulák (cs), le jour même, lors d'une cérémonie privée à son domicile.

En 2000, pour "Les Testaments trahis", il reçoit le prix Herder et le grand prix de littérature de l'Académie française.

En 2001, le prix mondial pour l'ensemble de son œuvre, Cino-Del-Duca en 2009 et le prix de la BnF en 2012. Son nom est plusieurs fois cité sur les listes du prix Nobel de littérature sans pourtant l'obtenir. Son œuvre est traduite dans plus de quarante langues.

En , à l’occasion de ses 80 ans, un colloque lui est consacré à Brno, sa ville natale, signe que les passions qui s'étaient déchaînées à la suite de l'affaire Dvořáček, révélée en 2008 par le magazine Respekt, se sont apaisées48.

Le il meurt dans le 7e arrondissement de Paris, à l'âge de 94 ans, des suites d'une longue maladie. Ses obsèques ont lieu dans la plus stricte intimité, suivies par sa crémation. Ses cendres ont été remises à sa veuve et seront rapatriées à Brno, où ils seront inhumés à la mort de celle-ci.

L’œuvre de Milan Kundera accorde une place centrale à la question du hasard : « Tantôt énigme à déchiffrer, tantôt facteur responsable de rencontres ou d’accidents, il est autant un ressort narratif qu’un élément central de la démarche ludique de l’auteur. »

Dans d'autres pays que la Tchéquie et la France, Kundera est considéré comme un écrivain majeur.

L'humour de Kundera ou le rire aux éclats

« La Plaisanterie », « Risibles amours », « Personne ne va rire » ou encore « Le jour où Panurge ne fera plus rire », tous titres de romans, de parties de romans ou d’essais attestent que le rire est une préoccupation majeure de l’auteur. 

La définition kundérienne du rire : "Pour Rabelais, la gaieté et le comique ne faisaient encore qu’un. Au XVIIIe siècle, l’humour de Sterne et de Diderot est un souvenir tendre et nostalgique de la gaieté rabelaisienne. Au XIXe siècle, Gogol est un humoriste mélancolique : « Si on regarde attentivement et longuement une histoire drôle, elle devient de plus en plus triste », dit-il. L’Europe a regardé l’histoire drôle de sa propre existence pendant un temps si long que, au XXe siècle, l’épopée gaie de Rabelais s’est muée en comédie désespérée de Ionesco : « Il y a peu de chose qui sépare l’horrible du comique ». L’histoire européenne du rire touche à sa fin. Contre toute attente, le rire s’avère pluriel. Le terme « éclat » est en effet polysémique. Au singulier, il renvoie à la lumière, au sublime ; au pluriel, il désigne des fragments, en l’occurrence des fragments qui s’agencent pour raconter l’histoire européenne du rire, comme les tesselles d’une unique mosaïque. 

Citations de Kundera :

  • "L'humour est l'ivresse de la relativité des choses humaines avec le plaisir étrange issu de la certitude qu'il n'y a pas de certitude"
  • "Les vrais génies du comique ne sont pas ceux qui nous font rire mais ceux qui dévoilent une zone inconnue du comique"
  • "L'homme souhaite un monde où le bien et le mal soient nettement discernables car est en lui le désir inné et indomptable, de jueger avant de comprendre"  

La plume actuelle de Thomas Gunzig qui fait des prévisions pour l'été, tiendra-t-elle la distance avec l'humour tchèque ?

C'est à vous de juger http://vanrinsg.hautetfort.com/media/00/00/3021569558.MP3

 

Réflexions du Miroir

"L'insoutenable légèreté de l'être"

Ce livre de Kundera est publié pour la première fois en France en 1984.

Il m'a permis de me faire une idée de son auteur dont j'ignorais la production livresque. J'ai lu le livre en prenant des notes qui sont intégrées dans ce qui suit. 

Résumé :  http://vanrinsg.hautetfort.com/media/01/02/1216113306.MP3

Selon Parménide, la légèreté est positive, le poids est négatif. Kundera affirme au contraire que la légèreté est ambigüe, à la fois positivité par la liberté qu'elle apporte et négativité par le poids de la vacuité de la vie libertine de Sabina.

L'intrigue, qui se situe à Prague en 1968, s'articule autour de la vie des artistes et des intellectuels, dans le contexte de la Tchécoslovaquie lors du Printemps de Prague, suivi par l'invasion du pays par l'URSS.

J'ai parlé de cette invasion dans le billet "Le Printemps de Prague" 

Dans le roman de Kundera, Tomas est un chirurgien tchécoslovaque. Intelligent et séduisant, il mène une vie de libertin et ressent un profond vide intérieur. Ambiguïté dont il se débat avec ses propres contradictions et ses sentiments pour Tereza qui finissent par le hanter.

Celle-ci est sa jeune épouse, serveuse puis photographe à Prague. C'est une femme douce et fidèle qui incarne la morale sociale, prônant l’amour pur.

Sabina, maîtresse de Tomas, est une artiste peintre. Femme indépendante et rebelle, elle rejette les conventions sociales et s'engage dans des relations sans attaches. Elle représente la légèreté et la modernité.

Franz, intellectuel idéaliste genevois, amant de Sabina, politiquement engagé et en constante quête de la vérité, se débat avec des dilemmes moraux. Englué dans un mauvais mariage, il représente la pesanteur et l'attachement à l'ancien monde.

"L'Insoutenable légèreté de l'être" traite de plusieurs thèmes, et place, au centre de tout, des personnages incarnant de grandes idées et idéaux. Parmi eux, Tomas oscille entre le libertinage et l'amoureux passionné, se trouve dans un dilemme entre Tereza qui brigue l'amour pur et lourd et Sabina qui poursuit la légèreté.

Kundera analyse d'abord le concept nietzschéen de l’éternel retour. Sans lui, la fugacité des choses est une circonstance atténuante pour l'homme. «  Peut-on condamner ce qui est éphémère  où au contraire, dans le monde de l’éternel retour, dans lequel chaque geste porte le poids d’une insoutenable responsabilité. Si l’éternel retour est le plus lourd fardeau, la vie, sur cette toile de fond, peut apparaître dans toute sa splendide légèreté »

Le héros, Tomas, se reproche son indécision, mais se dit finalement que c’est normal de ne pas savoir ce qu'il veut car «  on n’a qu’une vie et on ne peut ni la comparer à des vies antérieures ni la rectifier dans des vies ultérieures.  » Il se répète un proverbe allemand : «  Une fois n'est pas coutume » et conclut que « ne pouvoir vivre qu’une vie, c’est comme ne pas vivre du tout.  »

Légèreté et pesanteur fondent le livre en deux chapitres. Ces concepts, analysés par la remise en question des critères du Parménide pù le lourd est négatif, le léger positif, ne sont pas strictement allégoriques. Sans valeur définitivement attribuée, les personnages s'interrogent successivement sur leur ambiguïté.

Sabina poursuit une quête de la légèreté et de la liberté sentimentale et idéologique. Tomas est plus ambigu. S'il a un goût certain pour les aventures dites « légères », il évite les liaisons durables et veut plutôt saisir l'immensité du monde. Il est pris dans une dualité constante. Il ne pourrait pas en finir avec ses amitiés érotiques, mais dans son cœur il n'y a de la place que pour Tereza avec sa pesanteur attachée à des êtres et principes moraux.

Tomas est chirurgien au sein de la République socialiste tchécoslovaque. Marié avec Tereza, il fréquente Sabina. Leur vie est bouleversée en 1968 au moment du Printemps de Prague et de ses suites.

Tereza apporte la sécurité du communisme, attaché à la patrie, à la famille, à la sécurité dans le but de cacher sa faiblesse intérieur dans un rêve aux antipodes de la force symbolique présentée à l'extérieur. Avec elle, Thomas a un bel amour mais pénible et fait de compassions. 

Sabina apporte l'infidélité, la liberté et un amour qui donne le vertige, le mensonge intelligible opposé à la vérité incompréhensible. 

En parallèle, l'invasion russe de 1968 est vécue comme une tragédie, un réveil, une fête de la haine dans une étrange euphorie de l'habitude, de la normalité et du puritanisme ancestrale en synchronisme avec un couple d'amants bornés et anachroniques. 

La transposition en politique de l'amour entre les êtres, n'est pas une erreur d'interprétation.

Les extrêmes marquent la frontière au delà de laquelle la vie prend fin dans un désir de mort déguisé. La beauté involontaire est le dernier stade d l'histoire de la beauté opposée à l'austérité née d'un projet humain avec la sympathie de Cuba, de la Chine dans une illusion révolutionnaire qui se joue à l'échelle du risque, du courage , des livres interdits, de l'occupation et des blindés sans parfum romantique. La beauté se cache derrière la toile du décor.

La légèreté devient parfois insoutenable au regard de la lourdeur du destin. Selon Kundera, c'est le cas en Occident, au contraire des Soviétiques, qui eux sont d'une telle gravité qu'ils en sont ridicules. Après s'être plutôt concentré sur la gravité dans "La Plaisanterie", Kundera se concentre sur une dichotomie entre la légèreté et la pesanteur.

«  Le kitsch, par essence, est la négation absolue de la merde au sens littéral comme au sens figuré en excluant de son champ de vision tout ce que l'existence humaine a d'essentiellement inacceptable. »

Définir comme un voile de pudeur, ce que l'on rejette sur la merde de ce monde, est utilisé par toutes les grandes idéologies sous les formes de « kitsch catholique, protestant, juif, communiste, fasciste, démocratique, féministe, européen, américain, national, international. ». Il s'oppose par le doute et l'homme qui interroge au royaume du kitsch totalitaire où les réponses sont données à l'avance par les autorités qui excluent toute question et réponse nouvelle. L'antithèse de sens apparaît entre le doute de Tereza sur le fait que Tomas soit heureux et le fait qu'il se trouve dans une maison banale avec l'envie d'une vie nouvelle en forme de cliché.

La critique de Kundera stationne dans la correspondance entre l'être et l'oubli entre ce qui est beau et 100 % acceptable. Par conséquent, il est très artificiel par le biais des manipulations artistiques.

« L’être humain, guidé par le sens de la beauté, transforme l’événement fortuit comme une musique de Beethoven ou un mort dans une gare, en un motif qui va ensuite s’inscrire dans la partition de sa vie.  »

La musique lourde de Beethoven, associée à ses souvenirs, a donc une signification différente pour chacun dans une partition qui définit son identité et ses relations avec les autres.

«  Tant que les gens sont plus ou moins jeunes et que la partition musicale de leur vie n'en est qu'à ses premières mesures, ils peuvent la composer ensemble et échanger des motifs, mais, quand ils se rencontrent à un âge plus mûr, leur partition musicale est plus ou moins achevée, et chaque mot, chaque objet signifie quelque chose d'autre et de plus grave dans la partition »

Les couples jeunes coécrivent leurs partitions et renforcent ainsi leur amour. En revanche, si deux adultes se rencontrent à un âge plus avancé, ils auront de grandes difficultés à s'accorder sur la partition de l'autre.

C'est pourquoi le couple de Franz et Sabina sont confrontés à des malentendus : les différents concepts qu'ils utilisent ont une signification différente sur leur partition respective.

Capture d'écran 2024-06-25 111308.png

Kundera illustre ce point précis dans le chapitre "Petit Lexique de Mots Incompris". Pour lui, la vie est comme une partition musicale en s’appropriant chaque concept, événement ou objet et en l’associant, à sa propre expérience.

Il apparaît ici comme profondément pessimiste sur les rapports amoureux.

Capture d'écran 2024-06-26 111729.png

A notre époque, la confrontation des deux idéologies de l'Orient russe et de l'Occident se superpose comme Kundera l'a vécu dans les mêmes termes en 1968. Le choix entre vivre en groupe dans un zoo soviétique s'oppose à la jungle occidentale avec le soucis de conserver sa liberté par le travail libéral.

L'état du monde d'aujourd'hui se retrouve dans une volonté d'étendre l'Europe avec plus de membres  http://vanrinsg.hautetfort.com/media/00/00/2598250516.MP3.

Voir toujours plus grand et plus haut ne va-t-il pas à l'encontre du nationalisme radical ? 

Allusion


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22 réactions à cet article    


  • Réflexions du Miroir Réflexions du Miroir 27 juin 12:18

    Bonjour,

     Je signale que ce billet est une préversion courte (souvent mal positionnée avec des espaces blancs et des images sur lesquelles, il faut cliquer pour les voir). Je n’avais pas encore terminé la lecture du livre de Kundera.

     La version complète et définitive apparaitra demain matin sur mon site.


    • Laconique Laconique 27 juin 12:50

      Thank you for this very substantial article. Criticizing communism is not always easy in our country. Kundera was a very witty man, in the secular tradition of french spirit.


      • Réflexions du Miroir Réflexions du Miroir 27 juin 13:02

        @Hello Laconique, 
         Thanks. I tried to understand the spirit of Kundera mixing love and politics matters.
         As I just said.when I lauched this article I was sstill reading the book and even with this long text, there is still many things to add..
         It will be done tomrrow 
         Have a nice day smiley 


      • SilentArrow 27 juin 14:27

        @Réflexion du mirroir

        Bon article.

        J’ai lu « L’insupportable légèreté de l’être » il y a très longtemps. Un ami m’avais prêté la version en anglais.

        Je vais voir si je peux télécharger d’autres de ses livres.

        Vous pourriez aimer aussi « Le brave soldat Chvéïk » de Jaroslav Hasek, un autre écrivain Tchèque. Lecture en ligne gratuite ici. C’est un pdf, il suffit donc de le sauvegarder à partir du navigateur pour le télécharger.


        • Réflexions du Miroir Réflexions du Miroir 27 juin 15:27

          @SilentArrow bonjour,
            Après le romancier Kundera....
            De Kundera, j’en avais entendu parlé mais je n’avais jamais lu de lui.
            Comme c’est le plus connu de ses livres, je me suis lancé et j’ai beaucoup appris.
            J’ai pris énormément de notes pendant la lecture ;
            Merci pour les conseils.
            


        • Réflexions du Miroir Réflexions du Miroir 27 juin 16:25

          @Réflexions du Miroir
          Après l’écrivain Kafka, le romancier Kundera...

          voulais-je dire...


        • Xenozoid Xenozoid 27 juin 17:03

          @Réflexions du Miroir

           `

          Milan Kundera on Franz Kafka (1979)

          In 1979 the Czech novelist Milan Kundera published a short essay about the works of fellow Czech and Prague inhabitant, Franz Kafka. The essay was titled Somewhere Behind.

          Throughout it Kundera uses the adjective ‘Kafkan’, which seems perverse of either him or the translator, because everyone else in the English-speaking world talks about the ‘Kafkaesque’.

          Four elements of the Kafkaesque

          Anyway, Kundera sets out to define what the ‘Kafkaesque’ consists of, and comes up with :

          1. It describes a world which is an endless labyrinth which nobody can escape or understand, run according to laws nobody remembers being made, which no longer seem to apply to humans.

          2. K.’s fate depends on a file about him which has been mislaid in the Castle’s vast and inept bureaucracy. Kafka’s world is one in which a man’s life becomes a shadow of a truth held elsewhere (in the boundless bureaucracy). Kundera says this notion of a supra-human realm begins to invoke the theological.

          In his opinion this dualism led early commentators to interpret Kafka’s stories as religious allegories, not least Kafka’s friend and executor Max Broad, who saw his friend as a deeply religious writer. Kundera disagrees because this view ‘sees allegory where Kafka grasped concrete situations of human life’. I certainly agree that many of the scenes, especially in The Trial, are imagined and described in great and lucid detail.

          He also makes the interesting point that when Power deifies itself it automatically produces its own theology. Thought-provoking…

          3. The punished seek the offence, want to find out what it is they have done. Worse, the punished become so oppressed by the sense of their own guilt, that they set about finding what it is they have done wrong, so that Joseph K. sets out to review every word, thought and deed from his entire life. The punished beg for recognition of their guilt.

          4. When Kafka read the first chapter of The Trial to his friends everyone laughed including the author. Kafka takes us inside a joke which looks funny from the outside, but in its core, in its gut, is horrific.

          la suite ici


        • Xenozoid Xenozoid 27 juin 17:09

          @Xenozoid

          1. Il décrit un monde qui est un labyrinthe sans fin dont personne ne peut s’échapper ni comprendre, fonctionnant selon des lois dont personne ne se souvient qu’elles ont été établies et qui ne semblent plus s’appliquer aux humains.

          2. Le destin de K. dépend d’un dossier le concernant qui a été égaré dans la vaste et inepte bureaucratie du château. Le monde de Kafka est un monde dans lequel la vie d’un homme devient l’ombre d’une vérité détenue ailleurs (dans la bureaucratie sans limites). Selon Kundera, cette notion de royaume supra-humain commence à invoquer le théologique.

          Selon lui, ce dualisme a conduit les premiers commentateurs à interpréter les histoires de Kafka comme des allégories religieuses, en particulier l’ami et exécuteur testamentaire de Kafka, Max Broad, qui considérait son ami comme un écrivain profondément religieux. Kundera n’est pas d’accord, car ce point de vue « voit l’allégorie là où Kafka saisissait des situations concrètes de la vie humaine ». Je suis tout à fait d’accord pour dire que de nombreuses scènes, en particulier dans Le procès, sont imaginées et décrites avec beaucoup de détails lucides.

          Il fait également remarquer que lorsque le pouvoir se déifie lui-même, il produit automatiquement sa propre théologie. Cela donne à réfléchir...

          3. Les punis recherchent l’offense, veulent savoir ce qu’ils ont fait. Pire encore, les punis sont tellement oppressés par le sentiment de leur propre culpabilité qu’ils se mettent en quête de ce qu’ils ont fait de mal, à l’instar de Joseph K. qui entreprend de passer en revue chaque mot, chaque pensée et chaque acte de sa vie entière. Les punis supplient qu’on reconnaisse leur culpabilité.


        • Xenozoid Xenozoid 27 juin 17:22

          @Xenozoid
           `Les punis supplient qu’on reconnaisse leur culpabilité.`

           2024 Julian assange


        • Xenozoid Xenozoid 27 juin 18:20

          @Xenozoid

          La société totalitaire, surtout dans ses versions les plus extrêmes, tend à abolir la frontière entre le public et le privé ; le pouvoir, en devenant de plus en plus opaque, exige que la vie des citoyens devienne entièrement transparente. L’idéal de la vie sans secret correspond à l’idéal de la famille exemplaire : le citoyen n’a pas le droit de cacher quoi que ce soit au Parti ou à l’Etat... (p.110)

           Les poètes n’inventent pas les poèmes
          Le poème est quelque part derrière
          Il est là depuis très longtemps
          Le poète ne fait que le découvrir


        • Réflexions du Miroir Réflexions du Miroir 27 juin 22:58

          @Xenozoid gied evening,
           Thanks for haing presenting your comment (or article) in both languages.
            I didn’t do it before.
            At the begining of this article, I mentioned the bigest differences between Kafka en Kondera. 
            I guess that Kundera hilself was knowing had his own opinion of his predecessor.  


        • Géronimo howakhan Géronimo howakhan 27 juin 14:32

          The unbearable lightness of beings...

          le titre suffit à nous décrire..« insupportable » ,comme impossible à supporter..


          • Réflexions du Miroir Réflexions du Miroir 27 juin 15:28

            @Géronimo howakhan
              D’accord, mais il faut justifier les paroles.
              C’est loin d’être aussi aisé.


          • Géronimo howakhan Géronimo howakhan 27 juin 18:25

            @Réflexions du Miroir

            Salut, certes, mais il est de ces évidences n’est t’il pas ? smiley


          • Réflexions du Miroir Réflexions du Miroir 27 juin 23:02

            @Géronimo howakhan
             Bien sûr qu’il y a un lien. Le rappel de ce qu’a écrit Kundera, arrive au bon moment avec ce qui se passe actuellement en France et opportun à répéter..
             Demain matin, dans le billet final, j’en parlerai à la fin de l’article. 



            • WIMG 27 juin 19:07

              @Géronimo howakhan
              « mais il est de ces évidences n’est t’il pas ? »
              « isn’t it ».... la pédanterie de celui qui cite - mal - la traduction anglaise du titre de l’ouvrage… LOL
              mais "naître = mourir »


            • Dudule 27 juin 15:45

              Il me semble que vous avez interverti « La plaisanterie » et « Le livre du rire et de l’oubli » dans votre compte rendu. C’est « La plaisanterie » qui fait le récit romancé des déboires de Kundera après qu’il ait écrit une carte postale ironique, et qui est un de ses premiers romans.

              j’ai beaucoup aimé « La plaisanterie » et le « La Valse aux adieux », j’ai moins accroché sur « L’insoutenable légèreté de l’être » et « Le livre du rire et de l’oubli ». Il faudrait peut être que je les relise, je les ai lu il y a longtemps, et on évolue.


              • Réflexions du Miroir Réflexions du Miroir 27 juin 16:29

                @Dudule bonjour,
                  Merci pour cette remarque.
                  Je le corrigerai dans mon billet définitif de demain matin.
                  C’est vrai, on oublie en évoluant.
                  J’ai le même problème au sujet de la mémoire.
                  C’est pour cela que je suis conservateur et que ma bibliothèque est presque toujours remplie.
                  Ce livre, je l’ai emprunté à la bibliothèque du quartier.
                  Ils ont plus de place que j’en aurai jamais. 


              • Réflexions du Miroir Réflexions du Miroir 28 juin 10:52

                Bonjour à tous,

                  Si cela intéresse d’aller plus loin, ce matin est paru la version complète et réactualisée de ce billet

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