Ils étaient dix mille à Chartres contre Macron...
C'est une mini-révolution qui s'est produite hier jeudi 19 janvier 2023 à Chartres, préfecture de l'Eure-et-Loir. La très froide et conservatrice cité où trône la cathédrale s'est réchauffée le temps d'un après-midi, grâce à un défilé d'une ampleur inédite : plus de dix mille manifestants (et c'est la police qui l'a annoncé) ont battu le pavé chartrain pour s'opposer à la réforme des retraites du président-banquier, parti prendre le soleil de la Catalogne.
Je vous l'avoue, participer à cette marche ne m'enchantait guère. Il m'a fallu entrer dans le centre-ville avec mon véhicule bridé à 30 km/h, trouver une place de stationnement à deux kilomètres de la cathédrale, finir à pied pour atteindre la place des Halles sur les hauteurs. Circuler dans l'agglomération chartraine est un défi au quotidien pour les résidents dont je ne fais heureusement plus parti. Chartres, sa magnifique cathédrale, son unique cinéma, sa médiathèque, ses projets immobiliers délirants (le beau-fils du maire est dans le BTP), sa population froide, ses commerces qui ferment les uns après les autres, son désert médical... Il n'y a que la gare qui nous met à une heure de Paris pour apporter un peu de gaieté.
Depuis les confinements, on a une impression d'appauvrissement des passants que l'on croise dans les rues. Beaucoup de SDF, de migrants, de retraités moroses. Peu de touristes sont de retour. Plusieurs restaurants ont fermé. Ici, la convialité n'existe pas, vous consommez dans les bars ou vous circulez.
Bref, voilà votre narrateur présent au milieu d'une foule dense vers 14h30 pour le début du défilé. La plupart des syndicats sont représentés, il y a des jeunes et des moins jeunes, je reconnais et je salue quelques collègues. C'est l'occasion de prendre le poul de notre monde du travail. Un prof de lycée pro venu de Dreux me parle du retour en force de l'apprentissage précoce, de la fin des classements en éducation prioritaire pour les lycées. Un infirmier m'entretient de la misère du centre hospitalier, du turn-over des personnels ; j'échange avec lui sur la maison médicale saturée, cette centaine de patients qui attendaient pour voir le médecin de garde fin décembre. Plus loin des salariées de Carrefour hurlaient aussi leur ras-le-bol ; quelques étudiants étaient aussi présents.
Il est évident que la retraite à 64 ans est la goutte d'eau qui a fait déborder le vase de la souffrance au travail. Marre des salaires bloqués, du logement cher, de la pénurie de médecins, des conditions de vie qui se dégradent depuis une vingtaine d'années et le passage à l'euro.
Nous étions loin de Barcelone, et pourtant l'ombre du président des rentiers planaient au-dessus de nos têtes. Des policiers prenaient quelques photos, ça filmait. Arrivé devant la préfecture, mêmes touristes sur le toit du bâtiment pour nous prendre le portrait. C'est qu'on ne rigole plus avec la sécurité (du pouvoir en place), et qu'il faut prévenir le retour en plus musclé des gilets jaunes. Un anar brandit un drapeau devant les photographes où il est écrit "consomme et ferme ta gueule" : il aurait pu ajouter "du pain et des jeux" pour illustrer le mépris de nos princes envers ce petit peuple, qui a perdu une journée de salaire pour demander le droit de partir à la retraite à un âge décent, afin de profiter un peu de la vie. Tout le monde ne voyage pas en Catalogne...
Puis il faut rentrer, retourner récupérer la bagnole à deux kilomètres. A la sortie de l'agglomération j'en profite pour compléter mon plein de diesel avant le blocage des raffineries la semaine prochaine. Un carburant à presque deux euros le litre... On est loin des soldes du centre commercial de la Madeleine, près de la RN en direction de Rambouillet. Des soldes d'ailleurs prises d'assaut par le prolérariat des cités HLM voisines : chaussures, pantalons, babioles diverses... les clients du Carrefour manquent un peu de couleurs, de la maman entièrement voilée au vieux cultivateur en pull tricoté gris.
Cet article confirme sans doute ce que vous constatez au quotidien : l'appauvrissement, la tiers-mondisation d'une partie du pays qui voit en plus ses droits élémentaires bafoués, dont celui de profiter d'une retraite. Oui, la France macroniste est celle du XIXème siècle, où une minorité de Bernard Arnault monopolisent les richesses au détriment du reste de la population. Le libéralisme de Macron, ce n'est ni la modernité ni l'innovation, c'est au contraire la grisaille et le retour en arrière. Un million de pélerins pour ces premières manifestations, beaucoup plus espérons-le pour les prochaines. Et si cette contestation était aussi une réaction pour exprimer notre droit au soleil espagnol, au bonheur pour le plus grand nombre ?
Le défilé en vidéo youtube :
(je suis filmé parmi mes concitoyens...)
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