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3. Il n’y a pas de violence gratuite : Donjons ou dragons ?

 L’agglomération de Tokyo capte trente millions d’âmes, comme on disait dans les manuels de géographie d’antan. A peu près la moitié de la population française. La criminalité, certes importante, n’a pourtant rien de comparable avec celle de Detroit (USA), d’Istanbul (Turquie), de Palerme (Italie) ou de Clichy sous bois (France). Surtout, la violence sans objet, dite « gratuite » reste rarissime. Pourtant, le sort quotidien du « japonais moyen » - encore une expression statistique qui déshumanise l’individu -, n’est pas à désirer. On pourrait avancer plusieurs explications, mais je m’en tiendrai à une et son contraire. La ritualisation du lien social, la « théâtralisation » de la vie en commun, et, en contrepartie, le « statut » de l’individu isolé, qui, lui aussi, s’intègre à des règles communément admises. En quelque sorte, « chacun à sa place », sous la lourde chape d’un ordre culturel qui vient de loin, fait de soumission et de hiérarchie.

Au Japon, pour ne pas créer de la concurrence déloyale, on cumule les revendications que l’on exprime, en forme de grève, le même jour de l’année et de manière rituelle. Le samedi soir, patrons et cadres se saoulent la gueule ensemble, ce qui permet aux seconds de traiter de tous les noms le premier, chose « oubliée » lundi matin. Dans les boites de nuit, un énorme miroir permet à tous de contrôler ses gestes et de danser « comme tout le monde ».  Je me rappelle, lors d’un de mes voyages officiels, qu’à l’entretient du ministre avec le chef de l’opposition, était présent un responsable du gouvernement, qui, tranquillement, prenait des notes. « C’est la règle » nous a-t-on indiqué face à l’attitude offusquée de notre ministre.

Cette promiscuité quasiment endogamique de tous avec tous, ce mimétisme social, ces codes non écrits qui régissent même la pègre et le crime organisé, sont pour un « occidental » synonyme de l’enfer de Dante, et c’est exactement ainsi que perçus le monde japonais. Il faut lire les écrits de l’intellectuel féodal Mishima pour comprendre pourquoi Australiens, Britanniques, Américains et Chinois qui ont subi (à des degrés divers) les horreurs de l’armée impériale, n’arrivent toujours pas, un demi siècle plus tard, à extorquer des regrets (et encore moins de condamnations) de la part des autorités japonaises : condamner les actes d’un sergent sadique au Philippines c’est condamner l’empereur.

Comme le souligne très justement Hannah Arendt, « le premier théoricien de l’intimité fut Jean Jacques Rousseau ». Mais, contrairement à ce qui est communément admis, « ce dernier ne se révoltât pas contre l’oppression de l’Etat mais plutôt contre l’intrusion de la société dans un for intérieur » de chacun. Ayant agit au sein de cette société (et très peu cultivé son jardin), Jean-Jacques Rousseau considère par ailleurs « que l’intimité comme le social ne sont que des modes subjectifs de l’existence ». Dans son cas, « tout se passe comme si Jean-Jacques se révoltait contre un homme appelé Rousseau » (Hannah Arendt, Condition de l’homme moderne).

Ainsi, et sans vouloir être binaire, se pose la question : le donjon, place fortifiée et organisée où chacun est à sa place sous une autorité incontestable et des codes implacables, comme ceux prévus par Platon supprimant totalement le domaine privé, ou les dragons solitaires et crachant le feu d’une désolation venue d’ailleurs, incomprise et provocatrice comme les paroles du Cyrénaïque Aristippe de Cyrène qui voudrait tout ramener au plaisir ?  

Une fois encore revenons au sujet, qui n’est pas la violence, mais une partie de celle-ci, celle qui reste inexplicable, incomprise et que l’on nomme, faute de mieux, de « gratuite ». En soulevant une autre question : cette violence inexpliquée pour les uns l’est-elle pour les autres ? A mon sens, il y a autant de violence paroxystique faite à l’homme durant une cérémonie d’ikebana, tant le rituel impose à ce dernier de s’abstraire de son objectif (créer un bouquet de fleurs), que d’envoyer, sans raison apparente, un cocktail Molotov sur la voiture de son voisin, aussi démuni que soi.  (A suivre)


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8 réactions à cet article    


  • frugeky 20 avril 2010 09:45

    Si j’ai bien compris (mais c’est loin d’être sûr)
    Il n’y a pas de violence gratuite
    C’est la société qui génère la violence
    Dans une société de culture identique (le Japon) la violence est moins anarchique que dans une société qui mélange les cultures ? (cf L’élégance du hérisson)


    • Cipango 20 avril 2010 12:07

      Bonjour,
      La tradition sociale japonaise peut nous sembler particulièrement difficile à vivre et il est vrai que cette tradition pèse sur certains japonais. Toutefois, il y a certains avantages à vivre dans ce genre de milieu. Par exemple, étant donné que chaque comportement est codifié, il est assez aisé d’éviter les gaffes. Tout le monde peut ainsi s’intégrer sans trop de difficulté. De plus, ce trop plein de codification est souvent contre balancé... par de nouveaux codes. Ainsi, le Karaoke n’est pas un simple moment où l’on chante devant son patron ou ses amis : ce type d’évènement sert souvent de pretexte pour cassser certains codes et désamorcer des situations de tension.
      Pour ce qui est de la violence, il est en effet constaté que la violence dite gratuite n’est pas très courante (bien qu’en hausse). Cela n’est pas seulement dû à la tradition communautaire japonaise mais aussi à la présence de la mafia japonaise qui a ses propres lois. Non seulement cette mafia peut récupérer certains membres violents de la société, mais surtout, elle constitue un facteur policier de quartier. Il n’est pas rare que la police coopère avec les Yakuzas pour retrouver certains criminels. Bref, si un individu veut braquer un magasin, il risque fort de se retrouver avec un clan Yakuza sur le dos, et ils ne font pas de cadeaux.
      Cependant, la situation a évolué avec l’arrivée d’autres mafias sur le territoire et l’évolution de la mafia japonaise qui devient moins codifiée et plus brutale,


      • saint_sebastien saint_sebastien 20 avril 2010 12:49

        il n’y a pas de violence gratuite , juste des jeunes qui se comportent comme des enfants de 5 piges , mais avec un corps d’adulte.
        Ils n’ont aucune maturité , aucune limite , et comme on vole un doudou dans un bac à sable, ils vont vous tabasser pour un oui pour un non , juste parce qu’ils ne savent pas s’exprimer autrement.
        Le problème est la à mon avis , en France en tout cas.
        Au japon la criminalité est différente et institutionnalisée ( mafia , corruption ).
        il n’y a plus vraiment de « milieu » structuré en France comme dans les années 70-80, avec ses regles et ses lois , les bandes d’aujourd’hui sont des meutes anarchiques , le seule fait qui soulage est qu’ils n’ont aucun respect entre eux , et pour eux mêmes , c’est la seule consolation qu’on peut avoir , qu’ils se bouffent le plus rapidement entre eux.


        • chapichapo 20 avril 2010 13:39

          Vous plaisentez ?
          il n y a pas plus normatif et codifie que la vie dans une cite immigree.
          Le meme cretin qui refusera d’enlever sa casquette a l’ecole n’aura aucune peine a enlever ses chaussure quand il va a la mosquee a l’ocasion d’un mariage ou autre.

          le meme jeune qui va taguer un train peter les vitres du hall rentre chez ses parent et ne s’amuse meme pas a deplacer le napperon kitsh sur la tele.


          Parmi les jeunes franchement desocialises, genre punk a chien, vous ne trouverez a peu pres que des ’’blancs’’. Vous ne verrez pratiquement jamais un jeune arabe avec les cheveux long et un treillis crado.

          Les codes sociaux, vestimentaires, culturels, musicaux, ideologique sont d’une homogeneite a faire peur. De louss des bois a roubais, ce sont les meme jeunes avec les meme vetement qui ecoutent le meme rap, pensent la meme choses de la police, des ’’sionistes’’, et des blancs en general.

          La distinction entre ’’ce qui se fait et ce qui ne se fait pas’’ est infiniment plus forte dans ces banlieue que dans le reste de la population. Simplement vous n’avez pas pris la peine de connaitre ce qui se fait et ne se fait pas dans ces cites la.

          vous voyez de l’anarchie dans un univers que vous ne comprenez pas exactement le regard porte sur les ’’ barbares’’.



        • ObjectifObjectif 20 avril 2010 18:26

          @ l’auteur :

          Je ne sais pas si vous avez lu mon post sur votre article précédent, avec un lien vers le petit livre « les 4 accords toltèques ». Car la réponse à votre question y figure : ce sont les émotions « stockées » qui entrainent des réactions « réflexes » si un nouvel évènement les réactivent.

          Si vous avez une blessure purulente au bras, cachée sous vos vêtements, toute personne qui vous touche le bras recevra certainement un coup.

          Les blessures émotionnelles, cachées, provoquent aussi des réactions disproportionnées et incompréhensibles pour les autres.


          • antonio 20 avril 2010 20:22

            @ ObjectifObjectif,

            Arrêtez de faire de la pub pour cet ouvrage. Ce qui y est dit (d’après ce que vous en expliquez) ne présente rien de nouveau sous le soleil ! C’est connu depuis longtemps, longtemps...Et si ce « bréviaire » à lui tout seul permettait de résoudre la violence dite « gratuite », Morbleu ! ce serait un best-seller et dans les banlieues, on se coucherait sagement quand les poules !!!


            • ObjectifObjectif 21 avril 2010 21:33

              « Arrêtez de faire de la pub pour cet ouvrage. »

              Merci pour cet ordre très dictatorial : depuis quand vous permettez-vous de dire aux autres ce qu’ils doivent faire et ne pas faire ?

              Cet ouvrage parle exactement du sujet abordé par l’auteur : il me parait naturel d’en parler, ne serait-ce que pour vérifier s’il le connait.

              "Ce qui y est dit (d’après ce que vous en expliquez) ne présente rien de nouveau sous le soleil ! C’est connu depuis longtemps, longtemps...« 

              Personnellement, j’en ai entendu parlé il y a 2 ans seulement et par le bouche à oreille : donc pas si connu que cela.

               »Et si ce « bréviaire » à lui tout seul permettait de résoudre la violence dite « gratuite », Morbleu ! ce serait un best-seller et dans les banlieues, on se coucherait sagement quand les poules !!!"

              Entre comprendre et savoir faire, il y a comme une différence...

              Pourquoi parlez-vous des banlieues ? Vous pensez que les émotions et les violences ont lieu seulement dans les banlieues ?


            • antonio 21 avril 2010 09:11

              Le peu que je connais du Japon ne m’a jamais donné envie de vivre dans ce pays ( j’ai apprécié, entre autres, le court roman d’Amélie Nothomb : « Stupeur et tremblements » ) et votre article confirme mon intuition.

              Selon Hannah Arendt (que je n’ai pas lue ) ,« Rousseau se révolta plutôt contre l’intrusion de la société dans un for intérieur ».
              Eh bien, cette phrase me fait songer à ce qui se passe depuis quelque temps dans notre société à savoir l’étalage impudique de la vie privée dans la presse écrite, à la télévision ( « vedettes » du cinéma, du sport, hommes politiques, etc...) A noter que M. Nicolas Sarkozy a su « s »engouffrer « dans la brèche en étalant complaisamment son idylle avec Carla Bruni ( ah, les photos du voyage en Egypte ! ) A souligner que Ségolène Royal a  »innové « dans ce sens en acceptant de se faire photographier à la clinique avec son enfant nouveau-né alors qu’elle était ministre, il y a plus de quinze ans de cela.
              Chacun, M. ou Mme Toulemonde, peut venir à la télévision parler de ses problèmes intimes
              ( je songe entre autres aux émissions de Delarue, de Mireille ??? ----j’ai oublié le nom ! !----
              et à bien d’autres encore.)
              A cela s’ajoute, me semble -t-il , quasiment une volonté institutionnelle de contrôler nos états d’âme, nos réactions psychologiques  : vous pouvez être sûr qu’à chaque évènement
               » traumatisant « est mise en place une cellule de soutien psychologique . ( récemment encore lors des inondations en Vendée : franchement, je me suis demandé s’il s’agissait de soutenir les sinistrés ou de leur faire avaler la pilule de la destruction programmée de leurs maisons )
              Il y a presque des injonctions ( notamment pour les enfants ) : parler, exprimer son ressenti, etc, on nous rabâche en boucle qu’il  » faut faire son deuil -« .
              La remarque qui va être la mienne maintenant risque de susciter des hurlements mais tant pis, c’est plus fort que moi : la pratique systématique de la » cellule de soutien psychologique« 
              me fait songer à ce qui se passait en URSS » au plus beau « du régime communistes : combien d’opposants ont été mis de force dans des hôpitaux psychiatriques ?
              Et j’y pense maintenant, songez que l’on appelle cette intervention » CELLULE « de soutien psychologique !

              Cette mise sur la place publique du privé, de l’intime, me fait peur. Pour moi, c’est une forme de totalitarisme qui se met en place.

              Voyez comment dans les régimes politiques inféodés à l’islam, l’individu est contrôlé puisqu’il n’existe que comme membre de la communauté, la »oumma " , l’assemblée des croyants.

              A bien réfléchir, je n’aime pas la société japonaise : je préfère une société où il y encore des dragons qui soufflent feu et flammes.

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