Faut-il craindre un retour du Baise-en-ville ?
Baise-en-ville n.m. invariable - 1934 ; de baiser au sens de « posséder sexuellement » et en ville « hors de chez soi ».
Familier : petite valise, sac de voyage qui peut contenir ce qu’il faut pour passer la nuit hors de chez soi.
Source : Grand Robert (à ne pas confondre avec l’asperge qui fréquente le zinc de l’Angélus)
Les quadras en costume en pinçaient pour ce carré de cuir de vachette, jugé commode pour se rendre au bureau, tout comme au VRP pour régler l’addition du cinq-à-sept à l’hôtel du Cheval blanc.
Plus besoin de trimballer la gamelle, les grandes firmes fournissaient les rouleaux de tickets pour le Self d’entreprise.
Bien sûr, les récalcitrants avaient toujours table ouverte chez Michel, dont la carte affichait invariablement : oeuf mayo, andouillette frites, crème brûlée, café calva et l’addition, sans oublier la petite partie de 4/21, avant de reprendre le turbin. A noter que le Calva était par tradition aux frais du perdant.
Pour les solitaires, il y avait toujours les parties de flipper au café du coin.
Pardi ! deux heures à tuer, ça pouvait donner des idées...
Alors, mieux valait ne pas trop s’encombrer d’accessoires superflus.
Là, je vous parle d’un temps où les mains libres avaient encore de quoi faire, bien avant les Lois Roudy et Aubry donc.
Pour autant, ce petit bout de cuir à lanière fut injustement brocardé, ringardisé, "poujadisé", au plus fort de sa gloire.
J’use du mot "injustement" à dessein, en vous invitant à une petite séance de rétropédalage. Suivez moi, jeune homme...
70, c’était l’époque du libertinage qui allait de pair avec l’expansion d’une certaine classe sociale : les cadres, des salariés qui n’explosaient pas les records de productivité d’aujourd’hui.
Deux heures à tuer pour des garçons fringants en pleine force de l’âge incitait à bien des vices.
Les secrétaires étaient jolies, nombreuses et pas farouches. J’ai encore en mémoire ce bellâtre qui emballait au rythme d’une intérimaire par semaine grâce à une R8 Gordini équipée d’arceaux de sécurité.
La place Marcel Sembat, anesthésiée à l’heure de midi, était devenue son Nurburgring, l’anneau des cocus pour ainsi dire.
Il est vrai qu’à l’époque, l’as du volant était tendance auprès de l’intermittente de chez Pigier.
C’est lui qui lança la mode du baise-en-ville dans la boîte.
On embauchait plus tôt qu’aujourd’hui, à l’heure même où les équipes de nuit taquinaient l’andouillette au Géveor, avant de regagner leur HLM tout confort.
Sitôt la GS remisée au parking, les jeunes loups de chez IBM se retrouvaient dans l’ascenseur chargé d’effluves, Pino Sylvestre et Fabergé de rigueur.
Tandis que l’employée de chez Socotex s’éclipsait par l’escalier de service après avoir passé un dernier coup de Britax sur les combinés téléphoniques, ces messieurs venaient instinctivement babiller devant une rangée de distributeurs automatiques Campaneo.
Ici, pas encore d’open-space, seulement une enfilade de petits bureaux, prévus pour deux ou trois employés. Un peu en retrait, près de la broyeuse, se tenait le pool des secrétaires et des télexistes.
La journée venait à peine de commencer et il allait falloir tuer le temps, un sport auquel les novices étaient rapidement initiés par leurs aînés.
Et là, pas de connexion internet pour entretenir la libido des employés, seulement des machines à boule de chez IBM (on n’est jamais mieux servi...), que seul deux ou trois employées hautement qualifiées savaient réamorcer, en cas d’impérieux besoin.
Bref, la journée s’écoulait, indolente... et ce petit sac adultérin s’avérait bien pratique pour y glisser une brosse à dent et quelques Pasteur pour régler la note d’hôtel, en cas de nécessité mâle.
Un succès bien éphémère il est vrai....mais tout le monde s’en fichait, du moment qu’on passait du bon temps, dans la gaudriole et la bonne humeur...
Certes, vu de ce nouveau siècle, il est facile de gloser sur un accessoire depuis longtemps has been et sorti de la mémoire collective.
Alors, définitivement ringard ?
Pas si sûr.... la mode est - dit-on - un éternel recommencement.
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