Déluge dans l’Aude : réchauffement ou non ?
La submersion de villages comme Villegailhenc, Trèbes, Puichéric est-elle due aux restes de l’ouragan Leslie ou à la variation haussière des températures moyennes ? D’ordinaire ces noms sont synonymes de rocaille, de paysages intenses et de soleil. Pourtant après cet épisode méditerranéen de type cévenole, c’est la désolation.
S’adapter
Selon France bleu il est tombé l’équivalent de trois mois de pluie en quelques heures dans la nuit de dimanche à lundi – soit à peu près au moment où les restes de Leslie rejoignaient une perturbation atlantique au-dessus des Pyrénées. Les images (clic pour agrandir dates et heures y figurent) de la première série montrent l’évolution de la masse nuageuse de Leslie sur la péninsule ibérique.
Celles de la deuxième série illustre l’évolution radar des précipitations entre le 14 et le 15 octobre. L'épisode cévenole est massif. Les météorologues qui se sont exprimés semblaient incertains : les restes richement humides de Leslie se sont-ils joints à la fois à la perturbation atlantique et aux remontées maritimes de l’épisode cévenole ? Cela expliquerait la masse d’eau phénoménale qui est tombée dans la nuit de dimanche à lundi. Toutefois la jonction n’est pas formellement validée par les services météo français.
Sur C dans l’air lundi, ni les intervenants ni les témoignages d’habitant ne faisaient référence de manière étayée à des crues passées. Le réchauffement a bien sûr été évoqué, avec ceci de bien : le message est qu’il faut s’adapter, améliorer les systèmes d’alerte à la population, construire les maisons autrement. On le sait depuis Vaison-la-Romaine il y a 25 ans.
Cataclysmique
Les propos sur C dans l’air étaient dans « l’urgence de dire » le présent, et de l’insérer dans une histoire future du climat. Pourtant ce n’est pas du tout nouveau.
Construire et urbaniser en tenant compte des données météo locales, reforester, éviter les zones piégeuses, est dans les esprit depuis longtemps. Il est cependant possible qu’on assiste à un effet du réchauffement. C’est d’ailleurs ce qu’on déjà vécu les habitants de ces régions dans le passé : subir le réchauffement d’alors.
Car à la fin du XIXe siècle le réchauffement durait déjà depuis 200 ans, soit depuis la fin du petit âge glaciaire.
Le Smmar, Syndicat des milieux aquatiques, relève quelques crues historiques dans la région de l’Aude et de Limoux et Carcassonne.
Par exemple en 1820, 43 maisons furent détruites. En 1891 le niveau de l’eau a atteint entre 7 et 20 mètres à Limoux. On déplora sept victimes. En 1930 Trèbes était déjà touchée : « Dans l’Aude, en février et mars 1930, les pluies et crues ont provoqué la mort de plus de 1000 personnes et des milliards de dégâts. Le Canal du Midi est coupé en deux. » Et sur les journées particulières des 2 et 3 mars 1930 : « La crue est qualifiée de « cataclysmique ». L’Aude atteint 5 m à l’étiage. Dans l’Aude et les Pyrénées-Orientales, la crue fît 38 morts et des milliards de dégâts. »
Érosion
Le Smmar a établi une petite liste non exhaustive des grandes crues du passé, disponible ici en pdf. Un autre site, Hal archives-découvertes, complète cette liste et présente en quelques pages les conditions topographiques et météorologiques particulières qui génèrent cette mousson provençale.
Les habitants connaissent des crues cataclysmiques depuis des siècles. C’est la région qui le veut. Les vents marins filent dans le couloir qui va vers Carcassonne et Toulouse, entre Pyrénées et Montagne noire. La Montagne noire et les monts du Minervois prolongent les monts des Cévennes au sud-ouest du Massif central.
Le mécanisme météorologique est que cet air, chargé d’humidité en automne par l’évaporation de la Méditerranée chaude, bute contre les montagnes et s’élève en nuages convectifs massifs. Et retombe en trombes d’eau et orages dantesques sur la même zone pendant des heures.
Ces épisodes sont connus. Ils ont toujours existé. Certains d’entre eux sont très puissants, d’où le surnom de mousson provençale. Cet épisode-ci sera peut-être celui du siècle. Ou pas : il reste 82 ans pour qu’un épisode centennal se produise. Ou millennial.
Peut-être serait-il utile de proposer aux journalistes et intervenants en tous genres un digest historique. L’Histoire donne du recul et permet de sortir de la tyrannie de l’instant. Il serait aussi utile de rappeler que les cataclysmes sont nécessaires à la vie, autant par le brassage d’air et d’eau des ouragans, que par l’érosion des montagnes qui fournissent les plaines fertiles en nutriments, etc.
Chance
Pour être au clair voici ce que dit Wikipedia du phénomène méditerranéen ou cévenole :
« Un épisode méditerranéen est un phénomène météorologique particulier du pourtour méditerranéen, producteur d'intenses phénomènes orageux, et en particulier de fortes lames d'eau convectives. On peut même parler d'une séquence orageuse singulière, pendant laquelle une série d'organisations orageuses plus ou moins sévères se succèdent sur une zone donnée pendant 12 à 36 h, avec des cumuls de pluies journaliers très importants, souvent égaux à quatre ou six mois de pluies en seulement 12 ou 36 h. Dans les épisodes les plus violents, on peut même arriver à l'équivalent d'une année de pluie en seulement 24 h. Par sa saisonnalité, sa fréquence, et sa virulence, on peut le comparer aux phénomènes de moussons et aux cyclones tropicaux, puisqu'on en observe régulièrement à la même époque, avec une fréquence interannuelle très variable. »
Alors, cet épisode météorologique, ce déluge : réchauffement ou pas ? Peut-être, et si c’est le cas la part en reste secondaire par rapport aux conditions topographiques et météorologiques spécifiques de cette région. Si l’on regarde les crues, bien que moins documentées techniquement qu’aujourd’hui, certaines dans le passé ont été probablement pire que celle de lundi.
Cela ne plaide pas pour les alarmistes. La variation climatique actuelle peut-elle réchauffer la Méditerranée et augmenter les épisodes ? Oui si l’été est très ensoleillé et peu venteux, mais cela pouvait possiblement se produire même à la période du petit âge glaciaire, qui connut des années chaudes dans cette séquence froide. Donc ce n’est pas un marqueur indiscutable.
Nous manquons tellement de recul, de statistiques, de connaissances ! Je ne peux marcher pour le climat avec toute ma ferveur, comme lors de ces antiques processions religieuses. Je ne peux que dire : ne paniquons pas, l’urgence me paraît être une mauvaise méthode. Elle nous décervèle. Adaptons-nous avec intelligence.
Le réchauffement est une chance autant qu'un risque.
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