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Contre la peine de mort et ses indignations sélectives : « One Law For All »

Dans la nuit du 21 au 22 septembre dernier était exécuté par injonction létale, dans un pénitencier de l’Etat américain de Géorgie, Troy Davis, un jeune noir accusé du meurtre, en 1991, d’un policier blanc, mais que tout portait à croire, faute de preuves matérielles et de témoins fiables, innocent.

 Le monde entier, l’opinion publique comme la presse internationale, s’était alors ému, très justement, de cet horrible et cruel sort que cette justice aussi barbare qu’aveugle avait ainsi réservé à ce malheureux devenu, bien malgré lui, le symbole planétaire de la lutte contre la peine de mort. D’aucuns, dont ma modeste personne, fustigèrent même, en cette funeste circonstance, le président des Etats-Unis, Barack Obama, dont ils estimèrent le silence, face à ce supplice de Troy Davis, indigne, par-delà son impuissance constitutionnelle en matière de procédure judiciaire, de son prix Nobel de la paix. Dont acte !

Certes aurons-nous ainsi accompli là jusqu’au bout, dans la mesure de nos faibles moyens et fût-ce en vain, ce qu’exigeait, en ce douloureux cas, notre conscience d’homme et de femme épris de justice tout autant que d’humanité. Et, pourtant, les opposants résolus à la peine de mort que nous sommes auront-ils failli, sur le plan moral, ailleurs.

Car le même jour, quasiment au même moment, mais dans l’indifférence générale et en un oubli d’autant plus indécent, était exécuté, dans un autre pénitencier d’un autre Etat américain, le Texas, un autre condamné à mort : Lawrence Brewer, un jeune blanc, membre de l’infâme et très raciste Ku Klux Klan, accusé, en 1998, d’un meurtre particulièrement odieux, qu’il a par ailleurs toujours revendiqué, à l’encontre d’un citoyen noir.

Certes sont-ce là, avec l’innocence avérée de Troy Davis et la culpabilité attestée de Lawrence Brewer, deux cas de figure, au regard de la justice, extrêmement différents, voire opposés. Il va de soi, en outre, que notre aversion pour l’intolérable racisme idéologique de Brewer est totale, inversement proportionnelle, en quelque sorte, à cette compassion humaine qui nous a vu mobilisés, à grands renforts d’articles, de pétitions et de manifestations, en faveur de Davis. Mais il n’empêche : l’opposition à la peine de mort, quant à elle, ne peut souffrir, en tant que règle universelle et principe absolu, d’aucune exclusive, ni hiérarchie. Et, ce, aussi difficile cela soit-il à admettre parfois, comme dans le cas des pires criminels (voir l’abominable affaire Dutroux, en Belgique), pour notre conscience.

Ainsi est-ce d’une très fautive, arbitraire et inacceptable, indignation sélective dont nous avons fait preuve là, nous les abolitionnistes, en nous battant si intensément pour Troy Davis, mais en ignorant complètement, en même temps, Lawrence Brewer.

C’est également le cas pour les condamnés à mort d’Iran, où, l’année dernière, nous nous insurgions mondialement, certes très justement là aussi, contre la lapidation de Sakineh Mohammadi-Ashtiani, jeune femme accusée d’adultère ainsi que de l’assassinat de son mari, tandis que nous nous taisons tout aussi massivement, aujourd’hui, sur le non moins problématique cas d’un adolescent de dix-sept ans à peine, Alireza Molla Soltani, pendu en place publique, pour le meurtre d’un athlète relativement connu dans son pays, il y a tout juste une semaine. Et - « mea culpa », en ce qui me concerne - je pourrais multiplier ainsi, à l’envi, les exemples.

Telle est l’impérieuse raison – un « impératif catégorique », comme dirait le grand Emmanuel Kant – pour laquelle les partisans de l’abolition de la peine de mort se doivent, en plus d’obéir à leur conscience, de lutter partout, dans quel que pays et sous quel que régime que ce soient, pour une seule et même loi pour tous, aussi objective qu’impartiale, sans distinction aucune ni discrimination, positive ou négative qu’elle soit, d’aucune sorte : « one law for all », comme le clame haut et fort le « comité international contre la peine de mort et la lapidation », dont le siège est à Londres.

Quant à Barack Obama, président d’une nation, les Etats-Unis d’Amérique, se situant à la très déshonorante troisième place (juste après la Chine et l’Iran, mais bien avant ces dictatures militaires ou religieuses que sont la Corée du Nord et l’Arabie Saoudite) de ce très macabre peloton de tête au regard de cette criminelle peine capitale, il est temps, s’il veut encore justifier un tant soit peu son prix Nobel de la paix, qu’il se décide enfin à se prononcer courageusement, comme le fit François Mitterrand, il y a trente ans déjà, en France, contre ce genre, particulièrement inique et rétrograde, de châtiment : c’est là, de par le monde, l’un des grands et vrais combats, au seul mais beau nom des droits de l’homme et de la femme, de ce XXIe siècle… pour une meilleure - c’est à espérer - humanité ! 

DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

*Philosophe, écrivain, auteur notamment de « La Philosophie d’Emmanuel Levinas » (PUF) et porte-parole, pour les pays francophones, du « Comité International contre la Peine de Mort et la Lapidation » (« One Law For All »), dont le siège est à Londres.


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9 réactions à cet article    


  • Jean-Pierre Llabrés Jean-Pierre Llabrés 30 septembre 2011 11:17

    À l’auteur :


    Dans votre légitime combat contre la peine de mort, qu’avez-vous fait pour vous opposer à l’exécution de Saddam Hussein et de ses affidés ? Que faites-vous contre l’exécution d’anonymes en Iran, Arabie Saoudite, etc. ?

    • Jean-Pierre Llabrés Jean-Pierre Llabrés 30 septembre 2011 14:49

      Addendum :

      Claude Juillet et Christophe Rayé étaient jugés pour le meurtre d’un couple d’homosexuels enterrés vivants en 2009 au bord de la Loire.

      L’avocate générale avait demandé la réclusion à perpétuité assortie d’une
      peine de sûreté de 22 ans contre Claude Juillet. Contre son complice Christophe Rayé, 39 ans, la magistrate avait requis 30 ans de prison, dont 20 ans de sûreté.

      Les deux accusés du meurtre ont été
      condamnés ce jeudi à Bourges à une peine de 30 ans de réclusion criminelleLa cour d’assises du Cher n’a prononcé aucune peine de sûreté à l’encontre de Claude Juillet, 55 ans, et Christophe Rayé, 39 ans.

      Pas cher payé... 


    • minidou 30 septembre 2011 17:19

      Il parait clair que l’abolition ne peut être que l’aboutissement d’un processus civilisationnel, il est évident que dans un pays comme la Saoudie, où l’on exécute pour sorcellerie encore en 2011, avec la bénédiction d’une majorité de citoyens, l’appel à l’abolition doit avoir un caractère risible.
      Dans les pays développés, au moins au niveau politique, avec des institutions plus solides, USA, Japon, mais aussi Iran, ce type d’appel a plus de chances d’être entendu.


    • Francis, agnotologue JL 1er octobre 2011 09:40

      Je ne vois pas en quoi, le fait de ne pas se mobiliser pour les exécution de crapules avérées entache le combat abolitionniste ?!

      Llabrés ci-dessus m’a déjà traité à ce sujet, de ’Ponce Pilate’. Je lui ferai remarquer que Ponce Pilate était probablement le premier agnostique de l’histoire.

      Les partisans de la peine de mort passent par pertes et profit l’exécution d’innocents ; les abolitionnistes font la même chose pour la vie qu’on ne prend pas aux assassins : qui est barbare ? Qui est civilisé ? Les barbares ont-ils le droit de se conduire comme des assassins ? Non ! Et les abolitionnistes sont dans leur rôle quand ils ne se mobilisent pas pour les assassins.

      Le contraire serait grotesque, nous ne sommes pas sectaire, nous les abolitionnistes.


    • Francis, agnotologue JL 1er octobre 2011 09:43

      J’ajoute que les motivations des partisans de la peine de mort qui nous interpellent à ce sujet ne me paraissent pas honnêtes : ce serait pain béni pour eux, si l’on faisait tant de bruit pour les assassins ; ça leur donnerait une magnifique tribune pour répandre leur idéologie sanguinaire.

      Voilà, c’est dit !


    • pissefroid pissefroid 30 septembre 2011 11:48

      Dans un discours de jean Rostand contre la peine de mort, la phrase finale était :

      « il nous plaît d’affirmer notre respect total de la vie, en disputant celle d’un seul homme, et coupable »

      C’était à la fin des années 60 et cette phrase résonne toujours dans ma tête (entendu dans une émission de radio).


      • minidou 30 septembre 2011 16:58

        La question qu’il faut se poser n’est elle pas la suivante : s’il n’y avait que des cas Brewer, (crime atroce, preuves tangibles, aveux ) la peine de mort ne serait-elle pas justifiée ?
        Il y a deux types d’opposition à celle-ci :
        - L’opposition philosophique : tout homme peut trouver la rédemption, quel que soit son crime, et il est immoral de commettre un assassinat légal.
        - L’opposition pratique : dans les fait l’application de la peine de mort est toujours inégale et subjective, donc injuste. Un meurtrier simple, mais avec des preuves solides, mérite-t-il plus la mort qu’un multi-criminel horrible contre lequel on a que des preuve indirectes. Si on ajoute à cela la possibilité d’erreur, de mensonge, de duplicité de la police ou des juges, on voit que la peine de mort peut très difficilement être juste.
        Personnellement, je pense que certaines personne méritent la mort sans aucun doute, je n’ai pas d’opposition philosophique à celle-ci. Par contre je sais que celle-ci, dans sa globalité, est souvent injuste, voire criminelle dans le cas de l’exécution d’un innocent. C’est ce qui fonde mon opposition à la peine de mort.
        Il est donc de ce point de vue logique de mettre en avant des cas comme celui de Troy Davis, plutôt que ceux du type de Lawrence Brewer, dont personne ne peut nier le caractère nuisible. J’accepterais juste de sauver un Brewer, pour qu’un Davis vive.


        • joelim joelim 30 septembre 2011 19:14

          Pour mi, ce n’est pas une question de mériter ou pas mais de prévention. Les victimes de certains grand criminels seraient épargnées s’ils avaient compris qu’ils risquaient gros (c-à-d la mort, pas la prison nourri logé). Exemple, Breivik qui voulait instrumentaliser son procès pour sa « cause ». Croyez-vous qu’il aurait agi ainsi s’il avait su risquer la peine de mort ? Même question pour Fofana.

          Et donc apparemment ces peines de mort là (les victimes) sont moins graves devant les grands sentiments des opposants de principe à la peine de mort.

          Il faudrait lutter contre la peine de mort pour vol en Chine, mais non, les disciples de Badinter vibrent de leur compassion devant le sauvetage des pires criminels qui soient. Surtout ceux là, parce que c’est pour le principe. Et ils sont donc condamnés à perpète. Comme si c’était un pas considérable de civilisation. smiley

          Mais bon, je ne suis pas pour remettre la peine de mort dans le débat, vu qu’il y a trop d’abus de par le monde. Je dis que si on était u peu plus civilisés, on y gagnerait (sans vengeance ni rien, juste de la logique pour sauver des vies). Et si on était encore plus civilisés on n’en aurait pas besoin (mais ça ce n’est pas pour maintenant smiley ).

        • Radix Radix 30 septembre 2011 19:20

          Bonsoir

          Le choix de porter l’attention sur Troy Davis est un choix intelligent car si on peut enfin faire avancer l’abolition dans l’esprit des partisans de cette peine c’est à travers ce cas.

          Tous individu peut facilement s’imaginer dans la peau d’un innocent injustement condamné, pas dans celle d’un coupable.

          Il faut leur faire prendre conscience de cette barbarie de condamner un innocent sans possibilité de réparation !

          Radix

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