Chroniques pétrolières
Ce qui est bien quand il n'y a plus d'essence, c'est qu'il y a moins de voitures ; à se demander s'ils ont bien besoin de rouler tout le reste du temps. On en aime le silence, et l'absence d'odeur, de cette odeur qui m'étouffe quand, pour sortir du village, je longe la route. Quand je suis en voiture et que je double un cycliste, j'accélère au maximum avant et reste le plus longtemps possible en roue libre après, mais pendant ce temps, je ne respire pas, comme si ne respirant pas le cycliste ne me respirait pas non plus ! Je pue.
Ce matin, je suis allée me faire arnaquer en tendant le cou, par un éditeur qui est venu, par l'intermédiaire de l'un ou d'un autre, faire une pub sur un de mes articles ; toute heureuse qu'une compile de textes d'un auteur défunt fut faite, je commandai l'ouvrage. J'achète sans regarder, en confiance, et quand je rentre, j'ouvre ! Oh stupeur, c'est une redite, une réédition on dit, avec un plus trois pages d'inédit et deux pages de postface ! De rage, j'ai envoyé ma plainte ! Inutile et à peine soulageante ; nous sommes les otages du « marketing », de la publicité, de la promotion mais, bizarrement, celle-ci semble moins oppressante à certains qu'être otages des grévistes.
Mais comme j'arrivais au bourg, très étonnamment je croisai une file ininterrompue de voitures, deux flics faisaient le planton quelque part à droite ; une manif ? Que non ! La queue à la pompe !
Comme je racontais l'épisode, on me rétorque : c'est fini ! Le ministre a tapé du poing sur la table et tout va rentrer dans l'ordre ! Non mais c'est incroyable de bloquer comme ça tout un pays, empêcher les gens d'aller bosser ; j'en bégaye, non mais ducon, tu t'imagines quoi, comment on les as obtenu tous tes avantages ? En chantant la Marseillaise ? J'ai jamais fait de grève de ma vie ! Il dit ça comme s'il méritait une médaille d'honneur. - Forcément, tu as toujours été à ton compte ! Mais dis-moi, comment ils vont vivre tes artisans , tes commerçants qui râlent tant que les raffineurs leur volent le pain de la bouche, quand les gens n'auront plus de fric ? C'est prouvé, dit-il, cette loi, elle sert qu'à empêcher les salauds qui bossent trois mois et après se foutent au chômage. Je vois. Mon sang bout, mon humeur s'envenime. Je perds ma vieille chienne sur le chemin de la transhumance, je remonte fissa et la trouve, haletante de soif de chaud de stress, et je l'engueule ! Et je suis complètement déprimée. Moi qui attendait cette coagulation de la lutte avec espoir, soudain j'ai le sentiment que tout s'écroule et c'est ma chienne qui trinque ; enfin, je ne suis jamais méchante avec mes bêtes, elle n'a même pas dû entendre, mais c'est moi qui suis chamboulée.
« Je te préviens, ça va changer d'ambiance ! Si c'est ta Marine qui passe, je ne serai plus la conne de service qui comprend tout le monde, je vais me durcir aussi, plus faire de quartiers. » Il me regarde d'un drôle d'air. Il n'est pas politisé, sous informé même dans la désinformation, mais le boulot c'est le boulot, ceux qui empêchent les autres de bosser, sont des salauds. Point barre.
Les gens qui bossent, ils sont comme ça : le week-end dernier, nous avons eu un orage ; en plus de la fuite due à mon plombier qui avait eu des envolées et s'était mis en tête d'installer sur mon toit un radiateur dont l'eau serait chauffée par le soleil et viendrait chauffer l'eau de mon cumulus, frayant un passage entre les tuiles pour ses tuyaux, puis ôtant le tout voyant que l'eau qui ressortait du cumulus ne pourrait monter dans le radiateur, j'ai six nouvelles fuites dues au maçon qui est venu installer un chéneau et qui a arraché le lierre et la vigne vierge des voisins qui rampaient sur mon toit ; j'en étais restée bouche bée, qu'un professionnel fasse ça m'avait littéralement suffoquée. Mais après plusieurs demandes pour qu'il vienne y remédier, il n'est jamais revenu ! Et ce génie de la bricole si sympathique et si compétent aux yeux de ceux qui me l'ont conseillé, a préféré se faire payer en liquide mais, quand même, à soixante euros de l'heure ! Ça c'est des gens qui bossent et qu'il ne faudrait surtout pas déranger avec des broutilles de lois qui ne les concernent pas. Je suppose aussi que les pétasses qui me téléphonent dix fois par jour pour me vendre je ne sais quoi puisque j'ai fini par leur raccrocher au nez, ne sont pas nuit debout contre la loi non plus, exploitées jusqu'à l'os, on dirait qu'elles en ont perdu toute humanité.
L'autre jour les témoins de Jéhovah avec Dieu à leur côté ne semblaient pas remontés non plus. Quant aux étrangers qui nous envahissent, ils ont dû faire leur plein pour pouvoir honorer leurs sorties du week-end.
Au fond il y a des tas de gens heureux, que les malheureux dérangent fort. Parce que, vous comprenez bien, que s'ils ont réussi à avoir ce qu'ils ont, c'est qu'ils le méritaient, et qu'ils n'empêchent personne de faire de même.
Alors, en rentrant, je me quiche sous un fil, et ce que je lis m'atterre. À ce stade, ce n'est plus de la mauvaise foi ou juste de l'ignorance, c'est de la bêtise, des plus crasse, une malhonnêteté mâtinée d'arrogance qui bloque tout, rien ne peut s'ouvrir, s'échanger, se discuter. Les rôles sont distribués et chacun convaincu d'avoir trouvé le sien, s'affirme.
Je sens qu'on va me dire que je suis négative, pessimiste, déprimée, je sens que on n'a pas vu ça aujourd'hui, que on est optimiste avec ses frères en lutte, que on est optimiste tout enduit de ses convictions qui aveuglent. Ou bien que on, désabusé, sait cela depuis bien longtemps et, retranché dans sa tour d'ivoire vit sa vie d'anarchiste esthétisant bien au chaud avec Bach et Montaigne comme compagnons de route.
Je n'ai pas rencontré, depuis longtemps, une seule personne droite, pas obséquieuse avec les friqués, pas valorisée et flattée d'être traitée d'égal à égal par le bobo du coin.
Ne pas voir, quelle chance. Et comme on ne peut pas ne pas savoir ce que l'on sait ni ne pas voir ce que l'on voit, je comprends que je me suis trompée d'itinéraire.
J'ai toujours pensé que l'attention et la clairvoyance étaient vertus et qu'il me fallait m'y employer, et que l'ignorance était un vice qu'il fallait combattre. Que l'intelligence se cultivait avec la patience de la mémoire et qu'on ne pouvait jamais être sûre de soi, devinant qu'il restait tout à apprendre, à comprendre et à faire.
Je me suis promenée dans des villages, j'y ai vu des maisons belles et humbles dans leur simple harmonie et j'ai pensé que lorsque les pauvres n'avaient aucune honte ni jalousie, ils faisaient du beau tandis qu'aujourd'hui dans leur pauvre imitation factice, ils font du laid et comme je ne comprends pas ce que l'on trouve à envier à un roi, comment on peut s'abaisser à être courtisan, je ne comprends pas qu'on court derrière cette chimère à en oublier la vie. Je suis sûre que la détresse des pauvres aujourd'hui ne tient qu'à ce sentiment d'échec. Sauf à être exclu, et on ne l'est que parce que la course folle d'une société toute entière s'est fourvoyée dans une voie sans issue.
Le matin, au marché, je discute avec le boulanger, enfin son vendeur ; des Lozériens qui font et vendent un pain excellent ; comme j'arrive tard et qu'il reste beaucoup de pain je lui demande s'il y a moins de monde que d'habitude ; oui répond-il ; je lui dis que, pour ma part, les voitures que j'ai vues n'avaient qu'une personne dedans ! Quand il me rend la monnaie, je reste la main tendue et crée un malentendu ; il venait de me dire « mais ça ne durera pas » et lui m'a répété le prix du pain ! Ça ne durera pas ? Mais alors, quand est-ce que ça va durer assez longtemps pour qu'on commence à en finir ?... Ils vont finir par rouler au rouge ! C'est vrai qu'on voir autant d'entrepreneurs, sur la route, ceux qui ont des cuves de rouge pour leurs engins ! Son patron est un type sympa, on ne l'avait vu que quelques semaines à l'époque où il avait dû se « débarrasser » de son employé qui avait, comment dire, été trop dépensier ; il m'offrait une rose tous les samedis quand je me présentais aux élections municipales, c'est fou comme un peu de galanterie fait plaisir ! La maraîchère, je la connais depuis longtemps, c'est une fille de manadier, on a à causer ! Mais là, on parle de pétrole : vous vous rendez compte, plus de pétrole... plus rien ! On pressent la fragilité de notre système.
Je rentre, pas d'auto stoppeurs, mon sang bouillonne, ah comme j'aimerais en être ! Pourvu que la France rance n'ait pas le dessus ! Tous ces petits contents d'eux qui pensent donner assez ! Et que ça continue ? Comment pensent-ils ? J'ai du mal à le comprendre. Mais j'ai le sentiment que trop de gens encore pensent au passé, n'ont pas accroché les wagons de la dégringolade, ne se rendent pas compte du but de moins en moins inavoué des dirigeants, et surtout, de l'impossibilité désormais de faire autrement pour se libérer d'un joug encore assez flatteur pour certains. Et je me plains, toute seule, de voir l'incapacité de sacrifice pour une noble cause, pour un avenir meilleur ; ainsi, l'homme qui se croit au sommet d'une hiérarchie qu'il a lui-même inventée, se comporte, dans un monde de technologie, coupé de ses racines, comme l'animal qui ne prévoit pas demain, mange à l'instant le meilleur et s'il est emprisonné comme les hommes le sont dorénavant, finira par mourir de faim, dans son enclos.
Parce qu'il ne produit rien, parce qu'il est inutile, lui, l'homme qui sert le capital à travers les assurances, les banques, lui qui ne sert à rien qu'à distribuer des conseils pour formater des gars à la compétition, dans les grandes entreprises, tous ces gens qui brassent de l'air et ne servent à rien, si on s'en tient aux besoins, tous ces vendeurs, ces publicistes, ces journalistes, ces présentateurs, ne sont que mousse qui promeut l'artifice au rang d'indispensable. Ils ont tout à perdre, se retrouver face à leur vide, et ma peine est grande de voir qu'ils ont laissé faire un monde qui les désincarnait. Comment leur demander, à eux, la solidarité ? Ils n'ont même pas conscience qu'ils leur doivent tout, aux travailleurs.
Nous vivons une dernière épreuve : l'égoïsme triomphera-t-il ? Ou le bon sens, notre liberté.
Je ne résiste pas à vous proposer cette vidéo !!!
Ce qui nous saute à la figure, c'est l'absence totale de compréhension du monde dans lequel on vit ; un dit : qu'il fassent autrement ! L'autre : ça ne nous regarde pas !
Et remarquez bien, la jeunesse, les beurs, les vieux cons, les artistes !! Tout y est, c'est ça le journalisme impartial !!
Je vous soutiens, travailleurs, je sais que je vous dois tout.
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