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Call me negro !

Comment expliquer qu’en pleine période de célébration de la déclaration universelle des droits de l’homme, de cet engagement fort pour le respect des différences, que l’on puisse encore être victime d’insultes horribles ? Comment expliquer que le même individu qui traite l’autre de primitif et d’animal à cause de sa couleur de peau soit le même qui arborait il y a encore quelques jours un soutien clair à Obama ? Il n’y a pas de logique à la bêtise humaine, encore moins à la barbarie de l’esprit.
L’une des lois fondatrices de la société contemporaine est établie en une belle phrase : tous les hommes sont libres et égaux. Mais confronté à la rude réalité de l’existence, cet idéal de liberté et d’égalité ne parvient pas à tenir toutes ses promesses, celles du respect, de justice et de tolérance. Jamais l’humanité n’a su se conformer à ses propres règles édictées trop souvent après les carnages, les sombres hécatombes et les folies désastreuses. Comme si la sagesse ne pouvait naître uniquement qu’au travers des ténèbres de la haine. C’est donc de la violence que la civilisation grandit, que la communauté des hommes est prête à évoluer. Ainsi le mépris de la valeur d’autrui et la négation de sa dignité sont des sentiments qui semblent s’être incustrés dans la génétique de l’espèce humaine.
 
L’histoire des hommes témoigne de cette propension au mal, de la traite négrière à la shoah en passant par la discrimination quelle soit raciale, ethnique ou sociale. Le quotidien nous offre son lot d’attitudes étranges, confortant l’observateur dans cette logique que l’être humain est foncièrement mauvais. Et que les moments de bonté, aussi rares qu’accidentels, sont de parfaites illustrations de l’impossibilité d’un humanisme durable, piégé entre la facilité du rejet et la réalisation d’un idéal à la prétention trop grande.
 
Il aura suffit d’un « sale nègre ! » balancé comme un crachat dans un des RER qui dessert les principales stations parisiennes pour que l’hypocrisie des grands discours sur la dignité de l’homme comme un voile immaculé soit souillé par des comportements sauvages et dégradants. Comment expliquer qu’en pleine période de célébration de la déclaration universelle des droits de l’homme, de cet engagement fort pour le respect des différences, que l’on puisse encore être victime d’insultes horribles ? Comment expliquer que le même individu qui traite l’autre de primitif et d’animal à cause de sa couleur de peau soit le même qui arborait il y a encore quelques jours un soutien clair à Obama ? Il n’y a pas de logique à la bêtise humaine, encore moins à la barbarie de l’esprit.
 
Je suis nègre. Je suis noir. Je suis humain. Que l’on trouve qu’il y ait quelque chose d’impropre et de sale dans cette identité, que l’on puisse la mépriser ou la condamner, cela ne changera pas grand-chose au fait que le nègre appartient aussi à cette grande famille que l’on nomme « humanité ». Et donc par conséquent mérite le respect et la considération que l’on doit à tous. Il est tout de même formidable qu’après des siècles de lutte et de libération, de batailles gagnées, de combats menés et remportés, que le terme « nègre » soit encore utilisé comme une balle de fusil pour transpercer le cœur des mélanodermes. Une expression guillotine, puissante, odieuse tranchant les politesses forcées pour mieux laisser gicler le sang de la négation de cet autrui dont la puanteur nous paraît insupportable. Jamais face à la violence de certains individus qui n’ont encore rien compris ou qui refusent de comprendre, le sentiment de colère et d’impuissance n’aura été aussi intense, aussi désespérant. La différence semble être à la fois le talon d’Achille et la richesse de la Civilisation. Une sorte de schizophrénie sociale règne partout où les diversités se côtoient, se rencontrent, se mélangent même si des fois elles ont du mal à se toucher. On se regarde en s’ignorant, on dresse des barrières mentales et physiques en se félicitant des îlots de communautarisme qui permettent à chacun de retrouver sa place et malheureusement d’y rester. Un « bonjour » entraîne un réflexe de suspicion, un « puis-je vous aider Monsieur ? » ouvre la porte à de malheureux malentendus.
 
La différence raciale puisqu’il faut la nommer reste problématique, on ne l’avoue pas souvent, non par crainte mais par sournoiserie. Quand on la loue et la revendique c’est souvent pour répondre autrement à la stupidité de ces attitudes qui font si peu d’honneur au genre humain ou alors pour enfumer les consciences en leur permettant de s’endormir dans la quiétude paisible d’une société responsable. Pourtant, au-delà des vigilances étatiques, juridiques et associatives, cette différence là reste la source principale des déchirements qui ont autrefois conduit le monde au bord du précipice. Aujourd’hui l’on nous dit que les races n’existent pas pour tenter de faire barrage à cette idée qui veut qu’il y ait sur terre des races supérieures à d’autres, des catégories d’hommes purs et parfaitement humains, et d’autres qui descendraient d’animaux comme le singe et donc moins intelligents. Malgré les études scientifiques démontrant par ailleurs que nous ne sommes qu’un, le « Mein Kampf » continue à être après la Bible l’un des livres les plus lus au monde, inspirant de jeunes skinheads, hordes de barbares lancées dans le rues pour signifier aux beurs, aux nègres, aux juifs que la société ne tolérera pas plus longtemps leur souillure. Et l’intolérance raciale maquillée en politique de responsabilité, à l’instar de la chasse à l’étranger dans cette Italie qui n’a pas perdu ses élans fascistes, dans cette France abreuvée par des discours indignes revendiquant que l’on lui apporte sur le plateau de la faillite économique et sociale la tête ensanglantée de l’immigré clandestin, s’enracine dans les esprits. « Ah si j’étais un blanc ! » me souffla un ami, fatigué d’être contrôlé systématiquement par des policiers courant derrière les primes des quotas atteints. Le contrôle au faciès, voilà une manière de faire ressentir à autrui qu’il est vraiment différent, pire qu’il est un danger potentiel, un problème à surveiller, un fugitif perpétuel.
 
La langue et le vocabulaire n’ont pas arrangé les choses. Tout ce qui est immonde, répugnant, poisseux, l’horreur même, est « noir ». Le « Black is beautiful » n’est ironiquement qu’une tentative bien faible de montrer que ce qualificatif inapproprié, appliqué à une catégorie d’humains est presque une condamnation à mort. Quant à « nègre » qui a longtemps subsisté dans les discussions intellectuelles de ces Lumières qui n’ont pas pu éclairer suffisamment leur propre ignorance, il porte les cicatrices de l’inhumanité des souffrances, des injustices, des tristesses d’un peuple mis au ban du monde. Et lorsqu’il arrive d’offrir la gloire à un nègre c’est souvent pour demander au reste de la peuplade d’arrêter de se plaindre. Un Mandela par siècle, un Soyinka par millénaire, il n’y a pas de quoi réciter de longues litanies, la reconnaissance sait sourire à qui sait attendre. Vivre avec le sceau de l’infériorité marquée sur le front, c’est là le poids quotidien que doivent subir ceux qui ont eu la malchance de naître du mauvais coté du soleil. L’on aura beau se conformer aux règles, être meilleur et talentueux, il y a toujours quelqu’un pour rappeler au « p’tit noir » qu’il ferait mieux de retourner dans la forêt d’où il ne vient pas.
 
Tous les hommes sont libres et égaux. La belle promesse dont est constituée le socle de notre société. Une vraie escroquerie intellectuelle qui se révèle chaque fois que nous posons nos regards sur autrui, chaque fois qu’il faut se taire par peur, chaque fois que l’on se voit pointer du doigt parce que l’on est différent, une sorte de bête de foire, ou l’on se retrouve être le bouc émissaire idéal au service du spectacle épatant de la bêtise humaine.
 
Call me negro !

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