Il semble que les Socialistes agissent de même : on ne sait s’ils usent de l’hypocrisie ou de l’ironie dans le souci de rassembler le maximum d’électeurs. Ils viennent d’en donner deux exemples qui s’ajoutent un troisième qui remonte à dix ans exactement.
Un premier exemple : l’âge de départ à la retraite
Le premier est l’âge de départ à la retraite. La main sur le cœur, ils répètent tous en chœur que 60 ans est l’âge intangible de ce départ. Or les modalités pratiques dont ils assortissent l’application de ce principe rend cet âge improbable. 1- D’abord, ils célèbrent de façon convenue l’allongement de la durée de la vie qui aurait pour conséquence un allongement symétrique du temps de travail. 2- Ensuite, tous s’accordent pour reconnaître à chacun le droit de travailler aussi longtemps qu’il le souhaite. 3- Enfin, qu’on le veuille ou non, le nombre d’annuités nécessaires pour obtenir un taux de retraite décent oblige à aller bien au-delà de 60 ans quand on est entré tardivement dans une profession.
Donc l’âge de 60 ans est une antienne qu’on fait résonner aux oreilles d’électeurs à l’attention assez volatile pour ne pas retenir les modalités d’application qui l’annulent. On se souvient d’ailleurs que Mme Aubry avait dans un premier mouvement admis qu’un départ à la retraite après 60 ans devait s’imposer. Puis elle avait fait marche arrière. Talleyrand, un maître dans le maniement des leurres, a prévenu : il faut se méfier de son premier mouvement, car c’est le bon !
Un second exemple : l’interdiction de la burqa
Le second exemple est celui de l’interdiction de la burqa. Les Socialistes en chœur, la main sur le cœur, amis du genre humain, condamnent cet accoutrement archaïque qui porte atteinte à la dignité des femmes et de leur entourage. Mais quand il s’agit de l’interdire sur tout l’espace public par une loi, la plupart d’entre eux ne sont pas d’accord. Ils trouvent un tas de prétextes : ce serait un leurre de diversion du président de la République pour faire oublier son échec aux Régionales ; ou encore il viserait à appâter l’électorat du Front national qui a déserté l’UMP. Mais accuser l’adversaire de leurre de diversion peut être aussi un leurre de diversion.
Ils soutiennent encore que la loi ne serait pas applicable ou que le fondement juridique d’une interdiction totale ne serait pas assuré. On les voit même se retrancher derrière l’avis du Conseil d’État qui recommande de s’en tenir à une interdiction partielle dans les services publics et autres lieux où la sécurité de l’identité est requise, en se fondant sur un motif d’ordre public.
C’est amusant, parce que le juridisme que les Socialistes brandissent est chez eux insolite. Par tradition marxiste, ils n’ont jamais accordé jusqu’ici au Droit, défini comme la sanction provisoire d’un rapport de forces, qu’une considération mesurée. On voit que le souci de ramasser les voix islamistes et musulmanes est prioritaire, au risque de perdre celles des laïques. Libres à eux ! On espère seulement pour eux qu’ils ne se trompent pas dans leurs calculs.
La loi du 12 avril 2000 protégeant le dénonciateur au détriment de sa victime
Quand La Gauche plurielle au pouvoir a vidé de sa substance la loi du 17 juillet 1978 sur l’accès aux documents administratifs, elle a procédé de la même manière. En adoptant la loi du 12 avril 2000, elle a rétabli la protection du dénonciateur en interdisant la communication de sa lettre à sa victime, parce que celle-ci pouvait lui demander de répondre de son éventuelle calomnie devant un tribunal.
Interrogé pendant la campagne présidentielle de 2002, M. Jospin avait répondu que cette loi, comme l’indiquait le pot-pourri législatif où elle avait été dissimulée, visait une plus grande transparence des relations entre administration et administrés et qu’en cas de litige, il fallait faire confiance au Conseil d’État ! En fait, l’opacité administrative était rétablie en favorisant les dénonciations.
À l’école de Guy Mollet
Alors, ironie ou hypocrisie ? Les deux sans doute, selon que l’on est sensible ou non aux modalités pratiques qui rendent inapplicables les grands principes affirmés avec componction. Ces leurres ne sont pas nouveaux au PS. Guy Mollet, président du Conseil SFIO, les avait déjà superbement et grotesquement pratiqués quand il avait procédé à l’allongement de la durée du service militaire « Au-delà de la Durée Légale » (ADL) pour combattre l’insurrection algérienne en 1956. Interrogé à la télévision par Pierre Sabbagh, il niait farouchement cette vilénie que lui prêtaient ses adversaires : « De bons esprits, avait-il eu le culot de déclarer sans rire, ont prétendu que nous voulons porter de 18 mois à 24 mois la durée du service militaire. Il n’en est rien. Le service militaire légal est de 18 mois et restera à 18 mois. Mais actuellement avec un service de 18 mois, les hommes sont maintenus au-delà de cette durée de 18 mois, les uns pendant 6, 9, certains 12 mois, c’est-à-dire un total de 30 mois » (1). Quelle crédibilité les Socialistes espèrent-ils gagner à imiter les méthodes de celui qui a contribué à naufrager la SFIO au point de devoir laisser la place à un nouveau parti, le PS ?
(1) Extraits de « R.A.S. », film d’Yves Boisset, 1973.