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Accueil du site > Tribune Libre > Begpacker, what the fuck ?

Begpacker, what the fuck ?

Comme les élections me gonflent, j'ai choisi de parler d'autre chose. Parler d'un truc qui me gonfle encore plus, par exemple.

L’homme est fait de paradoxes (la femme, j’en parle même pas). Un de ces paradoxes en ce qui me concerne est que j’adore me balader aux quatre coins du globe (qui n’est pourtant pas carré, ce qui constitue un premier paradoxe) mais je déteste croiser mes collègues touristes. Non pas que je ne me reconnaisse pas en eux – on est somme toute assez identiques dans notre soif de différence –, c’est plutôt que j’ai le sentiment qu’ils « salissent » l’authenticité du lieu en étant dans mon champ de vision, un peu comme l’observation d’une particule modifie sa trajectoire. Evidemment c’est absurde, car il m’est moi-même assez difficile de m’extraire de ma condition de touriste – surtout vu ma tronche – et donc je ne vois pas bien comment l’autochtone pourrait ignorer qu’il a un blanc-bec occidental en face de lui. Cependant, je n’arrive pas à m’enlever de l’esprit que quand je suis le seul touriste, c’est plus « réel ».

J’avais déjà conscience de cette anomalie dans mon cerveau atrophié par des années de jeux vidéo lorsque je suis tombé sur un article relatant l’expérience d’une touriste ayant croisé des « begpackers ».

 

Un phénomène nouveau

Un « begpacker » – contraction de « beg » (mendier) et « backpacker », ceux qui voyagent avec un sac-à-dos – est un touriste qui finance son déplacement en faisant la manche (fallait y penser). Plutôt que d’aller taper ses vieux, le mec se sera dit que taper des populations pauvres, c’est pas plus con. Je dis « pauvre » parce que ce phénomène nouveau se développe apparemment surtout dans les pays d’Asie du Sud-Est où le niveau de vie de l’occidental est supposément infiniment meilleur que celui des populations locales. On imagine que la prochaine étape pour eux est de faire la quête à l’entrée d’un restaurant parisien pour fêter leur retour…

Alors évidemment, pour moi qui déteste les autres touristes (je suis le seul à trouver grâce à mes yeux), c’est du pain béni. Enfin des gens vers qui je vais pouvoir diriger mon ire. Quelle joie, merci les gars.

Mais avant de leur taper sur la tronche, peut-être est-il nécessaire de comprendre d’où vient cette « mode » ?

 

Where the fuck does it come from ?

(Oui, quand je suis véner, je parle anglais (ou verlan))

Il y a quelques années, je me souviens avoir lu un livre de Jérémy Rifkin intitulé « L’âge de l’accès ». Il y était décrit comment la dématérialisation de l’information avait conduit le capitalisme à nous vendre non plus des produits mais à nous faire « adhérer » aux marques, à nous donner « accès » quelque part à notre propre vie à travers la connexion. On est ici donc dans un symptôme assez caractéristique de cet âge de l’accès, car le sentiment que j’ai avec ces touristes de l’extrême (connerie), c’est qu’afin d’exister, certains vont jusqu’à vouloir faire des choses qui leur sont inaccessibles – faute de budget, par exemple – quitte à faire n’importe quoi (on n’a qu’une vie après tout, se disent-ils sans doute).

Evidemment, une autre option est qu’ils sont tellement en pertes de repères, en quête d’authenticité, qu’ils se disent qu’en vivant comme des pauvres, ils se rapprochent des populations locales. Si c’est le cas, j’ai un petit conseil à leur donner : si vous êtes en mal d’authenticité, venez manger à la soupe populaire (en jouant des coudes pour être les premiers) et vivez sous les ponts quelques semaines dans l’odeur de pisse – et au risque de vous faire dépouiller. Question authenticité, vous devriez être servis les p’tits gars (et les p’tites garces).

 

Le mythe du blanc

Ne nous leurrons pas – et soyons même sérieux cinq minutes, tiens, histoire de déconner –, pour avoir passé plusieurs mois en Asie du sud-est à l’époque où je voyageais beaucoup, il existe dans ces pays-là une forme d’idolâtrie de l’homme blanc. Cela peut paraître un peu con, mais ce phénomène existe. A l’inverse, l’homme blanc se croit souvent tout permis, car il estime que son niveau de vie l’y autorise (je ne vais pas vous décrire l’état d’esprit de l’expatrié occidental moyen en Asie du sud-est, je pense que vous comprenez le concept). Ceci veut dire qu’il est assez probable que le fait de mendier pour un occidental dans ces pays-là ne l’expose pas à un traitement « dangereux », c’est plutôt la bienveillance et la curiosité de l’autochtone qui doivent prédominer. Cependant, il me semble qu’une fois la surprise passée, l’indécence de ce comportement devrait assez vite prendre le dessus. Il s’agit bien, en effet, quoi que ces touristes au rabais en pensent, d’une mise en compétition de la misère : une misère locale bien réelle et une misère occidentale de circonstance (doublée d’une certaine forme de misère intellectuelle).

 

Robin des bois volait les riches pour le donner aux pauvres, le beg-packing a réussi à faire l’inverse, tout en se construisant une mythologie du voyage authentique qui permet à ses adeptes de se sentir droit dans leurs sandales. Gageons que la relative bienveillance dont font preuve les populations locales face à ces touristes d’un nouveau mauvais genre ne va pas durer éternellement. Car on est ici bien au-delà du tourisme sans-gêne : on sombre dans le tourisme honteux.

 

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Retrouvez tous les articles inutiles de Jean-Fabien sur http://www.jean-fabien.fr


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25 réactions à cet article    


  • Zolko Zolko 26 avril 2017 12:48

    excellent article, qui réussit à la fois à me faire sourire et me faire découvrir un truc que je ne connaissais pas.


    • Fabienm 26 avril 2017 14:01

      @Zolko
      ah ben merci alors smiley


    • foufouille foufouille 26 avril 2017 14:46

      http://www.lemonde.fr/big-browser/article/2017/04/12/le-begpacker-dernier-ne-du-tourisme-sans-gene_5110289_4832693.html
      un peu plus complet.
      rien ne dit également qu’ils ne se sont pas fait voler et n’ont plus un radis.
      en plus, c’est récent, ça dates de quelques jours.
      et très marginal avec le message écrit en anglais.
      certains mendiants locaux ne sont pas non plus vraiment des crèves la dalle pour avoir lu pas mal de forum de vrais expats vivant sur place.


      • foufouille foufouille 26 avril 2017 14:52

        si tu veut du trash, il suffit dans les campagnes de crowfunding.


        • foufouille foufouille 26 avril 2017 14:53

          @foufouille
          il suffit de chercher dans les campagnes de crowfunding.
          celle de luhaka est pas mal.


        • Fabienm 26 avril 2017 14:55

          @foufouille

          ah oui, j’ai vu des trucs hallucinants !

        • foufouille foufouille 26 avril 2017 15:38

          @Fabienm
          tu as aussi le couchsurfing.
          le wooffing avec pas mal d’arnaques du point de vue voyageur bobo exploité volontairement.
          la location airbnb aussi cher ou presque que l’hôtel. les prix spécial touristes, dont certaines chambres en asie sont au prix français.
          etc, je dois en avoir oublier.


        • Fabienm 26 avril 2017 15:40

          @foufouille
          il est vrai que certains ont fait un putain de business du AirBnb, c’est assez affligeant



        • foufouille foufouille 26 avril 2017 16:36

          @Fabienm
          sur les photos, à part deux cas, ils vendent des photos ou font de la musique.
          c’est le monde alternatif qui comporte pas mal d’abus.
          je me souviens d’un coule wooffer bossant dix heures par jour pour un asiatique dans la brousse.
          pour le couchsurfing, le prix est le repas pour toute la famille en échange d’un « lit » local.
          si tu veut, tu as les prix airbnb pour pas mal de pays dont cuba ..........


        • babadjinew babadjinew 26 avril 2017 15:46

          Sans vouloir ouvrir le débat sur l’arrogance du touriste actuel en pays dit « sous développé » (écœurant) cet article une question me pose......


          Est il nécessaire de changer un terme back en beg alors qu’a l’origine dans les années 70 bon nombres de backpacker partaient en stop depuis l’Europe pour rejoindre l’Asie, ce sans une thune.....

          En gros rien de bien neuf sauf un mot qui change et à peine........

          Ma question : Le pauvre doit il être forcément être géolocalisé dans un espace donné ou à t’il le droit comme toute un chacun de circuler librement partout ?

             

          • Fabienm 26 avril 2017 15:49

            @babadjinew
            je pense que la différence entre ce que vous décrivez et le begpacking, c’est qu’on est plus dans l’entraide (ça ne coûte rien de prendre un autostoppeur). Ce qui me dérange, c’est vraiment le côté « j’utilise la sympathie que les locaux éprouvent à mon égard (ou leur pitié) » afin de financer mon voyage. Sinon, fort heureusement, il reste une autre option pour se déplacer partout à bas coût : aller dormir chez l’habitant, cela se fait très bien et ne coûte rien qu’un peu d’hospitalité smiley 


          • foufouille foufouille 26 avril 2017 16:37

            @babadjinew
            la différence est que ce genre de voyageur ne veut pas travailler.


          • foufouille foufouille 26 avril 2017 16:53

            @Fabienm
            le stop n’existes pas dans ce genre de pays, c’est du « covoiturage » payant.
            pareil pour le logement qui est payant ou avec du troc. presque personne n’a une pièce vide pour les amis.



            • foufouille foufouille 26 avril 2017 16:31

              http://www.newstatesman.com/2017/04/terrible-wanderlust-beg-packers-who-want-people-developing-world-subsidise-their-holidays
              extrait :
              Governments in the global north – especially Britain and America – always demand that immigrants make a positive contribution to the local economy. The Brexiteers love to chastise the mythical foreigners who come to Britain and live off state benefits ; how is the new “beg-packing” trend any different ? I can’t imagine many of the backpackers would be happy to be seen begging in their home countries, and it baffles me why they think this kind of behaviour is “normal” in Asia.

              donc nous n’aurions aucun mendiant étranger  ?
              ce serait bien des voyages organisés en plein hiver pour ce genre de crétin bourgeois.


              • velosolex velosolex 26 avril 2017 16:58

                L’aritcle m’ a attiré car je n’ai vu ni les noms de Macron, de Méluche et des autres, qui nous mettent en garde contre l’apocalypse .Vieille chanson, les bulletins de vote se ramassent à la pelle, faut il que je m’en souvienne, le pire venait toujours après l’élection, et surtout la pèriode dite « de grâce ». ;;Ah la grâce...Ah le voyage, partir ! « Natanael je t’apprendrai l’extase ! »...

                .Pendant quelques années je me suis lancé sur les traces de tambourine man, et il faut bien dire qu’il m’accompagne toujours, tant les rencontres et les expériences qu’on fait à l’age tendre continuent à nous hanter ; 
                Remarquons que ce couple ne fait pas trop authentique, je me souviens qu’à l’époque on ne prenait pas de douche tous les jours. La route est un accélérateur de vie, un révélateur de connerie, la sienne, celles des autres. Finalement une sorte de service militaire, mais sans adjudant, sans ordre, sans rata...Ainsi certains vivraient sur le pays, cachant sans doute dans une ceinture une master card. ...Voilà longtemps que j’ai renoncé aux pays du bout du monde : Une rencontre impossible, la disparition de l’enchantement au dixième touriste qui passe, au dixième bakchich. Les choses ne se sont pas arrangés au pays du désenchantement, des même routes balisées. Peut être que je me fais vieux. Je relis Thoreau, walden dans les bois, et puis les clochards celestes de kerouac...Les chemins noirs de tesson dernièrement m’ont bien plu. Voilà, c’est le regard que l’on pose, l’oublie de sa vanité, qui sont importantes, tenter de passer inaperçu. Et Gide qui me revient, avec ses histoires d’extase. 

                • foufouille foufouille 26 avril 2017 17:31

                  @velosolex
                  il faut vivre sur place longtemps pour voir les vrais gens d’après les blogs.


                • cacapoum cacapoum 26 avril 2017 22:13

                  Cet article m’a rappelé un différend avec des amis ’’begpackers’’ musiciens durant mon dernier voyage en Thaïlande et me conforte dans la position éthique que j’en avais. Beaucoup de boudhistes en particulier sont généreux car c’est bon pour leur Karma et certains en abusent sans scrupules. J’ai vu des commerçants ou petits artisants sur le marché abusé par ces situations oú eux ne récolte pas le 10ème de ce que ces intermittents saisonniers en vacance peuvent se faire. Alors, je ne les blâme pas mais perso. je ne peux pas même si j’étais encouragé à en faire autant. Merci, il fallait le dire quand même et c’est un sujet qui mérite d’être développé.


                  • ZenZoe ZenZoe 27 avril 2017 10:38

                    J’avoue à ma grande honte avoir voyagé dans les années 70 et bénéficié plus d’une fois de la générosité des autochtones. Trajets en voiture bien sûr, mais aussi invitations à boire, manger, dormir, et le tout donné avec un magnifique sourire. Je n’avais pas un compte en banque bien garni contrairement à beaucoup de mes co-backpackers qui se la jouaient pauvre, je n’avais même pas de compte en banque à vrai dire, mais des chèques de voyage. Quand je n’avais plus de chèques je rentrais en Europe et je bossais.

                    Tout ça pour dire le truc bateau qu’on dit toujours : la jeunesse est un apprentissage, on suit son rêve comme on peut, si on voit qu’on se plante, on fait autrement et on devient plus sage. Je ne compte plus les backpackers qui se sont fait dévaliser par les gentils locaux, dans les travellers hostels par exemple. De même, personne n’oblige les autochtones à nourrir les Occidentaux, et le jour où les jeunes mendiants crèveront de faim, ils feront autrement (bosser par exemple). Aucun mal de fait. Les autochtones ne sont pas plus bêtes que nous et apprennent vite à profiter d’une situation donnée, et il y a des innocents et des filous partout.

                    Allez, Fabienm, un peu de bienveillance. A 20 ans, on se construit soi-même, on se construit une image du monde, on se forge surtout des souvenirs qui illumineront la vieillesse, il ne faut pas se rater.


                    • Fabienm 27 avril 2017 10:46

                      @ZenZoe
                      « J’avoue à ma grande honte avoir voyagé dans les années 70 et bénéficié plus d’une fois de la générosité des autochtones. Trajets en voiture bien sûr, mais aussi invitations à boire, manger, dormir, et le tout donné avec un magnifique sourire. Je n’avais pas un compte en banque bien garni contrairement à beaucoup de mes co-backpackers qui se la jouaient pauvre, je n’avais même pas de compte en banque à vrai dire, mais des chèques de voyage. Quand je n’avais plus de chèques je rentrais en Europe et je bossais. »

                      Je pense que c’est assez différent dans votre expérience car il y a un partage réel, ce qui ne me semble pas être le cas quand on fait la manche. Ceci, vous avez raison sur le fait que je devrais être plus bienveillant smiley

                    • Jeff Parrot Jeff Parrot 27 avril 2017 11:02

                      Je vois pas ou est le probleme.

                      Mendier n’impose pas de domination par l’argent et libre aux autochtones de donner ou pas.
                      On est tres loin des abus du tourisme plein de frique.


                      • WakeUp 1er mai 2017 08:26

                        @Jeff Parrot
                        Le tourisme, toujours dominateur, à au moins l’avantage d’apporter du fric, qui quoiqu’on en dise permet de développer le pays visité.

                        Ici cela reste du tourisme dominateur, mais sans l’apport d’argent.
                        => C’est du parasitisme à l’état pure.
                        Mais finalement c’est l’aboutissement total du nombrilisme et de l’infantilisation occidentale : réclamer pour pouvoir s’amuser.
                        Si vous voulez faire du tourisme éthique, il faut contribuer localement, choisir les endroits où dormir, manger, consommer. Mais dans tous les cas il faudra passer à la caisse ou contribuer, car les autochtones ne se nourrissent pas de sourires.

                      • quid damned quid damned 27 avril 2017 11:35

                        Je partage totalement votre analyse et votre posture et pour cette raison, puissent nos sac à dos ne point se croiser sur les routes.


                        • Desjardins Christophe Desjardins Christophe 1er mai 2017 07:30

                          Bonjour Jean-Fabien.

                          Je ne connaissais pas ce terme et je n’avais jamais remarqué ce genre de « tourisme » auparavant. Je ne voyage plus non-plus depuis longtemps. Et j’étais le genre de touriste à faire des milliers de kilomètres en avion pour retrouver le même confort occidental (voir début du film The Beach pour comprendre).

                          Votre article et le fait que l’homme blanc sera plus facilement servi qu’un « non-blanc » me fait penser à ce que l’on trouve sur internet avec des vidéos de soi disant expériences sociales où un SDF simule un arrêt cardiaque et personne ne lui porte secours ou après qu’il soit « mort » et le cravateux à qui le premier soutien arrive avant qu’une de ses mains touche le sol.

                          D’un point de vue comportemental, ça y ressemble fortement. C’est toujours du conditionnement et des préjugés comme nos élections.

                          Qu’en pensez-vous ?


                          • Fabienm 1er mai 2017 09:46

                            @Desjardins Christophe
                            Je pense malheureusement que nous sommes tous assis sur notre montagne de préjugés et qu’il est très difficile d’en descendre.

                            Concernant les élections, je suis assez dépité à vrai dire, pas tant du comportement des gens (chacun vote bien ce qu’il veut, c’est le principe de la démocratie) que du comportement de tous les chroniqueurs qui, tous à leur niveau, essayent de nous convaincre que le bon vote c’est untel ou untel (attitude totalement contre-productive au final).

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